Du côté de chez Swann - 34

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un être différent des autres, si cette croyance avait pris sa source
dans un amour que Gilberte aurait eu pour moi, et non pas, comme cela
était, dans l’amour que j’avais pour elle, ce qui la rendait autrement
résistante, puisque cela la faisait dépendre de la manière même dont
j’étais obligé, par une nécessité intérieure, de penser à Gilberte.
Mais les sentiments que je ressentais pour elle, moi-même je ne les
lui avais pas encore déclarés. Certes, à toutes les pages de mes
cahiers, j’écrivais indéfiniment son nom et son adresse, mais à la vue
de ces vagues lignes que je traçais sans qu’elle pensât pour cela à
moi, qui lui faisaient prendre autour de moi tant de place apparente
sans qu’elle fût mêlée davantage à ma vie, je me sentais découragé
parce qu’elles ne me parlaient pas de Gilberte qui ne les verrait même
pas, mais de mon propre désir qu’elles semblaient me montrer comme
quelque chose de purement personnel, d’irréel, de fastidieux et
d’impuissant. Le plus pressé était que nous nous vissions Gilberte et
moi, et que nous puissions nous faire l’aveu réciproque de notre
amour, qui jusque-là n’aurait pour ainsi dire pas commencé. Sans doute
les diverses raisons qui me rendaient si impatient de la voir auraient
été moins impérieuses pour un homme mûr. Plus tard, il arrive que
devenus habiles dans la culture de nos plaisirs, nous nous contentions
de celui que nous avons à penser à une femme comme je pensais à
Gilberte, sans être inquiets de savoir si cette image correspond à la
réalité, et aussi de celui de l’aimer sans avoir besoin d’être certain
qu’elle nous aime; ou encore que nous renoncions au plaisir de lui
avouer notre inclination pour elle, afin d’entretenir plus vivace
l’inclination qu’elle a pour nous, imitant ces jardiniers japonais qui
pour obtenir une plus belle fleur, en sacrifient plusieurs autres.
Mais à l’époque où j’aimais Gilberte, je croyais encore que l’Amour
existait réellement en dehors de nous; que, en permettant tout au plus
que nous écartions les obstacles, il offrait ses bonheurs dans un
ordre auquel on n’était pas libre de rien changer; il me semblait que
si j’avais, de mon chef, substitué à la douceur de l’aveu la
simulation de l’indifférence, je ne me serais pas seulement privé
d’une des joies dont j’avais le plus rêvé mais que je me serais
fabriqué à ma guise un amour factice et sans valeur, sans
communication avec le vrai, dont j’aurais renoncé à suivre les chemins
mystérieux et préexistants.
Mais quand j’arrivais aux Champs-Élysées,--et que d’abord j’allais
pouvoir confronter mon amour pour lui faire subir les rectifications
nécessaires à sa cause vivante, indépendante de moi--, dès que j’étais
en présence de cette Gilberte Swann sur la vue de laquelle j’avais
compté pour rafraîchir les images que ma mémoire fatiguée ne
retrouvait plus, de cette Gilberte Swann avec qui j’avais joué hier,
et que venait de me faire saluer et reconnaître un instinct aveugle
comme celui qui dans la marche nous met un pied devant l’autre avant
que nous ayons eu le temps de penser, aussitôt tout se passait comme
si elle et la fillette qui était l’objet de mes rêves avaient été deux
êtres différents. Par exemple si depuis la veille je portais dans ma
mémoire deux yeux de feu dans des joues pleines et brillantes, la
figure de Gilberte m’offrait maintenant avec insistance quelque chose
que précisément je ne m’étais pas rappelé, un certain effilement aigu
du nez qui, s’associant instantanément à d’autres traits, prenait
l’importance de ces caractères qui en histoire naturelle définissent
une espèce, et la transmuait en une fillette du genre de celles à
museau pointu. Tandis que je m’apprêtais à profiter de cet instant
désiré pour me livrer, sur l’image de Gilberte que j’avais préparée
avant de venir et que je ne retrouvais plus dans ma tête, à la mise au
point qui me permettrait dans les longues heures où j’étais seul
d’être sûr que c’était bien elle que je me rappelais, que c’était bien
mon amour pour elle que j’accroissais peu à peu comme un ouvrage qu’on
compose, elle me passait une balle; et comme le philosophe idéaliste
dont le corps tient compte du monde extérieur à la réalité duquel son
intelligence ne croit pas, le même moi qui m’avait fait la saluer
avant que je l’eusse identifiée, s’empressait de me faire saisir la
balle qu’elle me tendait (comme si elle était une camarade avec qui
j’étais venu jouer, et non une âme sœur que j’étais venu rejoindre),
me faisait lui tenir par bienséance jusqu’à l’heure où elle s’en
allait, mille propos aimables et insignifiants et m’empêchait ainsi,
ou de garder le silence pendant lequel j’aurais pu enfin remettre la
main sur l’image urgente et égarée, ou de lui dire les paroles qui
pouvaient faire faire à notre amour les progrès décisifs sur lesquels
j’étais chaque fois obligé de ne plus compter que pour l’après-midi
suivante. Il en faisait pourtant quelques-uns. Un jour que nous étions
allés avec Gilberte jusqu’à la baraque de notre marchande qui était
particulièrement aimable pour nous,--car c’était chez elle que M. Swann
faisait acheter son pain d’épices, et par hygiène, il en consommait
beaucoup, souffrant d’un eczéma ethnique et de la constipation des
Prophètes,--Gilberte me montrait en riant deux petits garçons qui
étaient comme le petit coloriste et le petit naturaliste des livres
d’enfants. Car l’un ne voulait pas d’un sucre d’orge rouge parce qu’il
préférait le violet et l’autre, les larmes aux yeux, refusait une
prune que voulait lui acheter sa bonne, parce que, finit-il par dire
d’une voix passionnée: «J’aime mieux l’autre prune, parce qu’elle a un
ver!» J’achetai deux billes d’un sou. Je regardais avec admiration,
lumineuses et captives dans une sébile isolée, les billes d’agate qui
me semblaient précieuses parce qu’elles étaient souriantes et blondes
comme des jeunes filles et parce qu’elles coûtaient cinquante centimes
pièce. Gilberte à qui on donnait beaucoup plus d’argent qu’à moi me
demanda laquelle je trouvais la plus belle. Elles avaient la
transparence et le fondu de la vie. Je n’aurais voulu lui en faire
sacrifier aucune. J’aurais aimé qu’elle pût les acheter, les délivrer
toutes. Pourtant je lui en désignai une qui avait la couleur de ses
yeux. Gilberte la prit, chercha son rayon doré, la caressa, paya sa
rançon, mais aussitôt me remit sa captive en me disant: «Tenez, elle
est à vous, je vous la donne, gardez-la comme souvenir.»
Une autre fois, toujours préoccupé du désir d’entendre la Berma dans
une pièce classique, je lui avais demandé si elle ne possédait pas une
brochure où Bergotte parlait de Racine, et qui ne se trouvait plus
dans le commerce. Elle m’avait prié de lui en rappeler le titre exact,
et le soir je lui avais adressé un petit télégramme en écrivant sur
l’enveloppe ce nom de Gilberte Swann que j’avais tant de fois tracé
sur mes cahiers. Le lendemain elle m’apporta dans un paquet noué de
faveurs mauves et scellé de cire blanche, la brochure qu’elle avait
fait chercher. «Vous voyez que c’est bien ce que vous m’avez demandé,
me dit-elle, tirant de son manchon le télégramme que je lui avais
envoyé.» Mais dans l’adresse de ce pneumatique,--qui, hier encore
n’était rien, n’était qu’un petit bleu que j’avais écrit, et qui
depuis qu’un télégraphiste l’avait remis au concierge de Gilberte et
qu’un domestique l’avait porté jusqu’à sa chambre, était devenu cette
chose sans prix, un des petits bleus qu’elle avait reçus ce
jour-là,--j’eus peine à reconnaître les lignes vaines et solitaires de
mon écriture sous les cercles imprimés qu’y avait apposés la poste,
sous les inscriptions qu’y avait ajoutées au crayon un des facteurs,
signes de réalisation effective, cachets du monde extérieur, violettes
ceintures symboliques de la vie, qui pour la première fois venaient
épouser, maintenir, relever, réjouir mon rêve.
Et il y eut un jour aussi où elle me dit: «Vous savez, vous pouvez
m’appeler Gilberte, en tous cas moi, je vous appellerai par votre nom
de baptême. C’est trop gênant.» Pourtant elle continua encore un
moment à se contenter de me dire «vous» et comme je le lui faisais
remarquer, elle sourit, et composant, construisant une phrase comme
celles qui dans les grammaires étrangères n’ont d’autre but que de
nous faire employer un mot nouveau, elle la termina par mon petit nom.
Et me souvenant plus tard de ce que j’avais senti alors, j’y ai démêlé
l’impression d’avoir été tenu un instant dans sa bouche, moi-même, nu,
sans plus aucune des modalités sociales qui appartenaient aussi, soit
à ses autres camarades, soit, quand elle disait mon nom de famille, à
mes parents, et dont ses lèvres--en l’effort qu’elle faisait, un peu
comme son père, pour articuler les mots qu’elle voulait mettre en
valeur--eurent l’air de me dépouiller, de me dévêtir, comme de sa peau
un fruit dont on ne peut avaler que la pulpe, tandis que son regard,
se mettant au même degré nouveau d’intimité que prenait sa parole,
m’atteignait aussi plus directement, non sans témoigner la conscience,
le plaisir et jusque la gratitude qu’il en avait, en se faisant
accompagner d’un sourire.
Mais au moment même, je ne pouvais apprécier la valeur de ces plaisirs
nouveaux. Ils n’étaient pas donnés par la fillette que j’aimais, au
moi qui l’aimait, mais par l’autre, par celle avec qui je jouais, à
cet autre moi qui ne possédait ni le souvenir de la vraie Gilberte, ni
le cœur indisponible qui seul aurait pu savoir le prix d’un bonheur,
parce que seul il l’avait désiré. Même après être rentré à la maison
je ne les goûtais pas, car, chaque jour, la nécessité qui me faisait
espérer que le lendemain j’aurais la contemplation exacte, calme,
heureuse de Gilberte, qu’elle m’avouerait enfin son amour, en
m’expliquant pour quelles raisons elle avait dû me le cacher
jusqu’ici, cette même nécessité me forçait à tenir le passé pour rien,
à ne jamais regarder que devant moi, à considérer les petits avantages
qu’elle m’avait donnés non pas en eux-mêmes et comme s’ils se
suffisaient, mais comme des échelons nouveaux où poser le pied, qui
allaient me permettre de faire un pas de plus en avant et d’atteindre
enfin le bonheur que je n’avais pas encore rencontré.
Si elle me donnait parfois de ces marques d’amitié, elle me faisait
aussi de la peine en ayant l’air de ne pas avoir de plaisir à me voir,
et cela arrivait souvent les jours mêmes sur lesquels j’avais le plus
compté pour réaliser mes espérances. J’étais sûr que Gilberte
viendrait aux Champs-Élysées et j’éprouvais une allégresse qui me
paraissait seulement la vague anticipation d’un grand bonheur
quand,--entrant dès le matin au salon pour embrasser maman déjà toute
prête, la tour de ses cheveux noirs entièrement construite, et ses
belles mains blanches et potelées sentant encore le savon,--j’avais
appris, en voyant une colonne de poussière se tenir debout toute seule
au-dessus du piano, et en entendant un orgue de Barbarie jouer sous la
fenêtre: «En revenant de la revue», que l’hiver recevait jusqu’au soir
la visite inopinée et radieuse d’une journée de printemps. Pendant que
nous déjeunions, en ouvrant sa croisée, la dame d’en face avait fait
décamper en un clin d’œil, d’à côté de ma chaise,--rayant d’un seul
bond toute la largeur de notre salle à manger--un rayon qui y avait
commencé sa sieste et était déjà revenu la continuer l’instant
d’après. Au collège, à la classe d’une heure, le soleil me faisait
languir d’impatience et d’ennui en laissant traîner une lueur dorée
jusque sur mon pupitre, comme une invitation à la fête où je ne
pourrais arriver avant trois heures, jusqu’au moment où Françoise
venait me chercher à la sortie, et où nous nous acheminions vers les
Champs-Élysées par les rues décorées de lumière, encombrées par la
foule, et où les balcons, descellés par le soleil et vaporeux,
flottaient devant les maisons comme des nuages d’or. Hélas! aux
Champs-Élysées je ne trouvais pas Gilberte, elle n’était pas encore
arrivée. Immobile sur la pelouse nourrie par le soleil invisible qui
çà et là faisait flamboyer la pointe d’un brin d’herbe, et sur
laquelle les pigeons qui s’y étaient posés avaient l’air de sculptures
antiques que la pioche du jardinier a ramenées à la surface d’un sol
auguste, je restais les yeux fixés sur l’horizon, je m’attendais à
tout moment à voir apparaître l’image de Gilberte suivant son
institutrice, derrière la statue qui semblait tendre l’enfant qu’elle
portait et qui ruisselait de rayons, à la bénédiction du soleil. La
vieille lectrice des Débats était assise sur son fauteuil, toujours à
la même place, elle interpellait un gardien à qui elle faisait un
geste amical de la main en lui criant: «Quel joli temps!» Et la
préposée s’étant approchée d’elle pour percevoir le prix du fauteuil,
elle faisait mille minauderies en mettant dans l’ouverture de son gant
le ticket de dix centimes comme si ç’avait été un bouquet, pour qui
elle cherchait, par amabilité pour le donateur, la place la plus
flatteuse possible. Quand elle l’avait trouvée, elle faisait exécuter
une évolution circulaire à son cou, redressait son boa, et plantait
sur la chaisière, en lui montrant le bout de papier jaune qui
dépassait sur son poignet, le beau sourire dont une femme, en
indiquant son corsage à un jeune homme, lui dit: «Vous reconnaissez
vos roses!»
J’emmenais Françoise au-devant de Gilberte jusqu’à l’Arc-de-Triomphe,
nous ne la rencontrions pas, et je revenais vers la pelouse persuadé
qu’elle ne viendrait plus, quand, devant les chevaux de bois, la
fillette à la voix brève se jetait sur moi: «Vite, vite, il y a déjà
un quart d’heure que Gilberte est arrivée. Elle va repartir bientôt.
On vous attend pour faire une partie de barres.» Pendant que je
montais l’avenue des Champs-Élysées, Gilberte était venue par la rue
Boissy-d’Anglas, Mademoiselle ayant profité du beau temps pour faire
des courses pour elle; et M. Swann allait venir chercher sa fille.
Aussi c’était ma faute; je n’aurais pas dû m’éloigner de la pelouse;
car on ne savait jamais sûrement par quel côté Gilberte viendrait, si
ce serait plus ou moins tard, et cette attente finissait par me rendre
plus émouvants, non seulement les Champs-Élysées entiers et toute la
durée de l’après-midi, comme une immense étendue d’espace et de temps
sur chacun des points et à chacun des moments de laquelle il était
possible qu’apparût l’image de Gilberte, mais encore cette image,
elle-même, parce que derrière cette image je sentais se cacher la
raison pour laquelle elle m’était décochée en plein cœur, à quatre
heures au lieu de deux heures et demie, surmontée d’un chapeau de
visite à la place d’un béret de jeu, devant les «Ambassadeurs» et non
entre les deux guignols, je devinais quelqu’une de ces occupations où
je ne pouvais suivre Gilberte et qui la forçaient à sortir ou à rester
à la maison, j’étais en contact avec le mystère de sa vie inconnue.
C’était ce mystère aussi qui me troublait quand, courant sur l’ordre
de la fillette à la voix brève pour commencer tout de suite notre
partie de barres, j’apercevais Gilberte, si vive et brusque avec nous,
faisant une révérence à la dame aux Débats (qui lui disait: «Quel beau
soleil, on dirait du feu»), lui parlant avec un sourire timide, d’un
air compassé qui m’évoquait la jeune fille différente que Gilberte
devait être chez ses parents, avec les amis de ses parents, en visite,
dans toute son autre existence qui m’échappait. Mais de cette
existence personne ne me donnait l’impression comme M. Swann qui
venait un peu après pour retrouver sa fille. C’est que lui et Mme
Swann,--parce que leur fille habitait chez eux, parce que ses études,
ses jeux, ses amitiés dépendaient d’eux--contenaient pour moi, comme
Gilberte, peut-être même plus que Gilberte, comme il convenait à des
lieux tout-puissants sur elle en qui il aurait eu sa source, un
inconnu inaccessible, un charme douloureux. Tout ce qui les concernait
était de ma part l’objet d’une préoccupation si constante que les
jours où, comme ceux-là, M. Swann (que j’avais vu si souvent autrefois
sans qu’il excitât ma curiosité, quand il était lié avec mes parents)
venait chercher Gilberte aux Champs-Élysées, une fois calmés les
battements de cœur qu’avait excités en moi l’apparition de son chapeau
gris et de son manteau à pèlerine, son aspect m’impressionnait encore
comme celui d’un personnage historique sur lequel nous venons de lire
une série d’ouvrages et dont les moindres particularités nous
passionnent. Ses relations avec le comte de Paris qui, quand j’en
entendais parler à Combray, me semblaient indifférentes, prenaient
maintenant pour moi quelque chose de merveilleux, comme si personne
d’autre n’eût jamais connu les Orléans; elles le faisaient se détacher
vivement sur le fond vulgaire des promeneurs de différentes classes
qui encombraient cette allée des Champs-Élysées, et au milieu desquels
j’admirais qu’il consentît à figurer sans réclamer d’eux d’égards
spéciaux, qu’aucun d’ailleurs ne songeait à lui rendre, tant était
profond l’incognito dont il était enveloppé.
Il répondait poliment aux saluts des camarades de Gilberte, même au
mien quoiqu’il fût brouillé avec ma famille, mais sans avoir l’air de
me connaître. (Cela me rappela qu’il m’avait pourtant vu bien souvent
à la campagne; souvenir que j’avais gardé mais dans l’ombre, parce que
depuis que j’avais revu Gilberte, pour moi Swann était surtout son
père, et non plus le Swann de Combray; comme les idées sur lesquelles
j’embranchais maintenant son nom étaient différentes des idées dans le
réseau desquelles il était autrefois compris et que je n’utilisais
plus jamais quand j’avais à penser à lui, il était devenu un
personnage nouveau; je le rattachai pourtant par une ligne
artificielle secondaire et transversale à notre invité d’autrefois; et
comme rien n’avait plus pour moi de prix que dans la mesure où mon
amour pouvait en profiter, ce fut avec un mouvement de honte et le
regret de ne pouvoir les effacer que je retrouvai les années où, aux
yeux de ce même Swann qui était en ce moment devant moi aux
Champs-Élysées et à qui heureusement Gilberte n’avait peut-être pas
dit mon nom, je m’étais si souvent le soir rendu ridicule en envoyant
demander à maman de monter dans ma chambre me dire bonsoir, pendant
qu’elle prenait le café avec lui, mon père et mes grands-parents à la
table du jardin.) Il disait à Gilberte qu’il lui permettait de faire
une partie, qu’il pouvait attendre un quart d’heure, et s’asseyant
comme tout le monde sur une chaise de fer payait son ticket de cette
main que Philippe VII avait si souvent retenue dans la sienne, tandis
que nous commencions à jouer sur la pelouse, faisant envoler les
pigeons dont les beaux corps irisés qui ont la forme d’un cœur et sont
comme les lilas du règne des oiseaux, venaient se réfugier comme en
des lieux d’asile, tel sur le grand vase de pierre à qui son bec en y
disparaissant faisait faire le geste et assignait la destination
d’offrir en abondance les fruits ou les graines qu’il avait l’air d’y
picorer, tel autre sur le front de la statue, qu’il semblait surmonter
d’un de ces objets en émail desquels la polychromie varie dans
certaines œuvres antiques la monotonie de la pierre et d’un attribut
qui, quand la déesse le porte, lui vaut une épithète particulière et
en fait, comme pour une mortelle un prénom différent, une divinité
nouvelle.
Un de ces jours de soleil qui n’avait pas réalisé mes espérances, je
n’eus pas le courage de cacher ma déception à Gilberte.
--J’avais justement beaucoup de choses à vous demander, lui dis-je. Je
croyais que ce jour compterait beaucoup dans notre amitié. Et aussitôt
arrivée, vous allez partir! Tâchez de venir demain de bonne heure, que
je puisse enfin vous parler.
Sa figure resplendit et ce fut en sautant de joie qu’elle me répondit:
--Demain, comptez-y, mon bel ami, mais je ne viendrai pas! j’ai un
grand goûter; après-demain non plus, je vais chez une amie pour voir
de ses fenêtres l’arrivée du roi Théodose, ce sera superbe, et le
lendemain encore à Michel Strogoff et puis après, cela va être bientôt
Noël et les vacances du jour de l’An. Peut-être on va m’emmener dans
le midi. Ce que ce serait chic! quoique cela me fera manquer un arbre
de Noël; en tous cas si je reste à Paris, je ne viendrai pas ici car
j’irai faire des visites avec maman. Adieu, voilà papa qui m’appelle.
Je revins avec Françoise par les rues qui étaient encore pavoisées de
soleil, comme au soir d’une fête qui est finie. Je ne pouvais pas
traîner mes jambes.
--Ça n’est pas étonnant, dit Françoise, ce n’est pas un temps de
saison, il fait trop chaud. Hélas! mon Dieu, de partout il doit y
avoir bien des pauvres malades, c’est à croire que là-haut aussi tout
se détraque.
Je me redisais en étouffant mes sanglots les mots où Gilberte avait
laissé éclater sa joie de ne pas venir de longtemps aux
Champs-Élysées. Mais déjà le charme dont, par son simple
fonctionnement, se remplissait mon esprit dès qu’il songeait à elle,
la position particulière, unique,--fût elle affligeante,--où me plaçait
inévitablement par rapport à Gilberte, la contrainte interne d’un pli
mental, avaient commencé à ajouter, même à cette marque
d’indifférence, quelque chose de romanesque, et au milieu de mes
larmes se formait un sourire qui n’était que l’ébauche timide d’un
baiser. Et quand vint l’heure du courrier, je me dis ce soir-là comme
tous les autres: Je vais recevoir une lettre de Gilberte, elle va me
dire enfin qu’elle n’a jamais cessé de m’aimer, et m’expliquera la
raison mystérieuse pour laquelle elle a été forcée de me le cacher
jusqu’ici, de faire semblant de pouvoir être heureuse sans me voir, la
raison pour laquelle elle a pris l’apparence de la Gilberte simple
camarade.
Tous les soirs je me plaisais à imaginer cette lettre, je croyais la
lire, je m’en récitais chaque phrase. Tout d’un coup je m’arrêtais
effrayé. Je comprenais que si je devais recevoir une lettre de
Gilberte, ce ne pourrait pas en tous cas être celle-là puisque c’était
moi qui venais de la composer. Et dès lors, je m’efforçais de
détourner ma pensée des mots que j’aurais aimé qu’elle m’écrivît, par
peur en les énonçant, d’exclure justement ceux-là,--les plus chers, les
plus désirés--, du champ des réalisations possibles. Même si par une
invraisemblable coïncidence, c’eût été justement la lettre que j’avais
inventée que de son côté m’eût adressée Gilberte, y reconnaissant mon
œuvre je n’eusse pas eu l’impression de recevoir quelque chose qui ne
vînt pas de moi, quelque chose de réel, de nouveau, un bonheur
extérieur à mon esprit, indépendant de ma volonté, vraiment donné par
l’amour.
En attendant je relisais une page que ne m’avait pas écrite Gilberte,
mais qui du moins me venait d’elle, cette page de Bergotte sur la
beauté des vieux mythes dont s’est inspiré Racine, et que, à côté de
la bille d’agathe, je gardais toujours auprès de moi. J’étais attendri
par la bonté de mon amie qui me l’avait fait rechercher; et comme
chacun a besoin de trouver des raisons à sa passion, jusqu’à être
heureux de reconnaître dans l’être qu’il aime des qualités que la
littérature ou la conversation lui ont appris être de celles qui sont
dignes d’exciter l’amour, jusqu’à les assimiler par imitation et en
faire des raisons nouvelles de son amour, ces qualités fussent-elles
les plus oppressées à celles que cet amour eût recherchées tant qu’il
était spontané--comme Swann autrefois le caractère esthétique de la
beauté d’Odette,--moi, qui avais d’abord aimé Gilberte, dès Combray, à
cause de tout l’inconnu de sa vie, dans lequel j’aurais voulu me
précipiter, m’incarner, en délaissant la mienne qui ne m’était plus
rien, je pensais maintenant comme à un inestimable avantage, que de
cette mienne vie trop connue, dédaignée, Gilberte pourrait devenir un
jour l’humble servante, la commode et confortable collaboratrice, qui
le soir m’aidant dans mes travaux, collationnerait pour moi des
brochures. Quant à Bergotte, ce vieillard infiniment sage et presque
divin à cause de qui j’avais d’abord aimé Gilberte, avant même de
l’avoir vue, maintenant c’était surtout à cause de Gilberte que je
l’aimais. Avec autant de plaisir que les pages qu’il avait écrites sur
Racine, je regardais le papier fermé de grands cachets de cire blancs
et noué d’un flot de rubans mauves dans lequel elle me les avait
apportées. Je baisais la bille d’agate qui était la meilleure part du
cœur de mon amie, la part qui n’était pas frivole, mais fidèle, et qui
bien que parée du charme mystérieux de la vie de Gilberte demeurait
près de moi, habitait ma chambre, couchait dans mon lit. Mais la
beauté de cette pierre, et la beauté aussi de ces pages de Bergotte,
que j’étais heureux d’associer à l’idée de mon amour pour Gilberte
comme si dans les moments où celui-ci ne m’apparaissait plus que comme
un néant, elles lui donnaient une sorte de consistance, je
m’apercevais qu’elles étaient antérieures à cet amour, qu’elles ne lui
ressemblaient pas, que leurs éléments avaient été fixés par le talent
ou par les lois minéralogiques avant que Gilberte ne me connût, que
rien dans le livre ni dans la pierre n’eût été autre si Gilberte ne
m’avait pas aimé et que rien par conséquent ne m’autorisait à lire en
eux un message de bonheur. Et tandis que mon amour attendant sans
cesse du lendemain l’aveu de celui de Gilberte, annulait, défaisait
chaque soir le travail mal fait de la journée, dans l’ombre de
moi-même une ouvrière inconnue ne laissait pas au rebut les fils
arrachés et les disposait, sans souci de me plaire et de travailler à
mon bonheur, dans un ordre différent qu’elle donnait à tous ses
ouvrages. Ne portant aucun intérêt particulier à mon amour, ne
commençant pas par décider que j’étais aimé, elle recueillait les
actions de Gilberte qui m’avaient semblé inexplicables et ses fautes
que j’avais excusées. Alors les unes et les autres prenaient un sens.
Il semblait dire, cet ordre nouveau, qu’en voyant Gilberte, au lieu
qu’elle vînt aux Champs-Élysées, aller à une matinée, faire des
courses avec son institutrice et se préparer à une absence pour les
vacances du jour de l’an, j’avais tort de penser, me dire: «c’est
qu’elle est frivole ou docile.» Car elle eût cessé d’être l’un ou
l’autre si elle m’avait aimé, et si elle avait été forcée d’obéir
c’eût été avec le même désespoir que j’avais les jours où je ne la
voyais pas. Il disait encore, cet ordre nouveau, que je devais
pourtant savoir ce que c’était qu’aimer puisque j’aimais Gilberte; il
me faisait remarquer le souci perpétuel que j’avais de me faire valoir
à ses yeux, à cause duquel j’essayais de persuader à ma mère d’acheter
à Françoise un caoutchouc et un chapeau avec un plumet bleu, ou plutôt
de ne plus m’envoyer aux Champs-Élysées avec cette bonne dont je
rougissais (à quoi ma mère répondait que j’étais injuste pour
Françoise, que c’était une brave femme qui nous était dévouée), et
aussi ce besoin unique de voir Gilberte qui faisait que des mois
d’avance je ne pensais qu’à tâcher d’apprendre à quelle époque elle
quitterait Paris et où elle irait, trouvant le pays le plus agréable
un lieu d’exil si elle ne devait pas y être, et ne désirant que rester
toujours à Paris tant que je pourrais la voir aux Champs-Élysées; et
il n’avait pas de peine à me montrer que ce souci-là, ni ce besoin, je
ne les trouverais sous les actions de Gilberte. Elle au contraire
appréciait son institutrice, sans s’inquiéter de ce que j’en pensais.
Elle trouvait naturel de ne pas venir aux Champs-Élysées, si c’était
pour aller faire des emplettes avec Mademoiselle, agréable si c’était
pour sortir avec sa mère. Et à supposer même qu’elle m’eût permis
d’aller passer les vacances au même endroit qu’elle, du moins pour
choisir cet endroit elle s’occupait du désir de ses parents, de mille
amusements dont on lui avait parlé et nullement que ce fût celui où ma
famille avait l’intention de m’envoyer. Quand elle m’assurait parfois
qu’elle m’aimait moins qu’un de ses amis, moins qu’elle ne m’aimait la
veille parce que je lui avais fait perdre sa partie par une
négligence, je lui demandais pardon, je lui demandais ce qu’il fallait
faire pour qu’elle recommençât à m’aimer autant, pour qu’elle m’aimât
plus que les autres; je voulais qu’elle me dît que c’était déjà fait,
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