Du côté de chez Swann - 03

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Je m’en aperçus assez tôt pour l’en empêcher.» Mon grand-père
s’extasiait déjà sur «ignorance ou panneau», mais Mlle Céline, chez
qui le nom de Saint-Simon,--un littérateur,--avait empêché l’anesthésie
complète des facultés auditives, s’indignait déjà: «Comment? vous
admirez cela? Eh bien! c’est du joli! Mais qu’est-ce que cela peut
vouloir dire; est-ce qu’un homme n’est pas autant qu’un autre?
Qu’est-ce que cela peut faire qu’il soit duc ou cocher s’il a de
l’intelligence et du cœur? Il avait une belle manière d’élever ses
enfants, votre Saint-Simon, s’il ne leur disait pas de donner la main
à tous les honnêtes gens. Mais c’est abominable, tout simplement. Et
vous osez citer cela?» Et mon grand-père navré, sentant
l’impossibilité, devant cette obstruction, de chercher à faire
raconter à Swann, les histoires qui l’eussent amusé disait à voix
basse à maman: «Rappelle-moi donc le vers que tu m’as appris et qui me
soulage tant dans ces moments-là. Ah! oui: «Seigneur, que de vertus
vous nous faites haïr!» Ah! comme c’est bien!»
Je ne quittais pas ma mère des yeux, je savais que quand on serait à
table, on ne me permettrait pas de rester pendant toute la durée du
dîner et que pour ne pas contrarier mon père, maman ne me laisserait
pas l’embrasser à plusieurs reprises devant le monde, comme si ç’avait
été dans ma chambre. Aussi je me promettais, dans la salle à manger,
pendant qu’on commencerait à dîner et que je sentirais approcher
l’heure, de faire d’avance de ce baiser qui serait si court et furtif,
tout ce que j’en pouvais faire seul, de choisir avec mon regard la
place de la joue que j’embrasserais, de préparer ma pensée pour
pouvoir grâce à ce commencement mental de baiser consacrer toute la
minute que m’accorderait maman à sentir sa joue contre mes lèvres,
comme un peintre qui ne peut obtenir que de courtes séances de pose,
prépare sa palette, et a fait d’avance de souvenir, d’après ses notes,
tout ce pour quoi il pouvait à la rigueur se passer de la présence du
modèle. Mais voici qu’avant que le dîner fût sonné mon grand-père eut
la férocité inconsciente de dire: «Le petit a l’air fatigué, il
devrait monter se coucher. On dîne tard du reste ce soir.» Et mon
père, qui ne gardait pas aussi scrupuleusement que ma grand’mère et
que ma mère la foi des traités, dit: «Oui, allons, vas te coucher.» Je
voulus embrasser maman, à cet instant on entendit la cloche du dîner.
«Mais non, voyons, laisse ta mère, vous vous êtes assez dit bonsoir
comme cela, ces manifestations sont ridicules. Allons, monte!» Et il
me fallut partir sans viatique; il me fallut monter chaque marche de
l’escalier, comme dit l’expression populaire, à «contre-cœur», montant
contre mon cœur qui voulait retourner près de ma mère parce qu’elle ne
lui avait pas, en m’embrassant, donné licence de me suivre. Cet
escalier détesté où je m’engageais toujours si tristement, exhalait
une odeur de vernis qui avait en quelque sorte absorbé, fixé, cette
sorte particulière de chagrin que je ressentais chaque soir et la
rendait peut-être plus cruelle encore pour ma sensibilité parce que
sous cette forme olfactive mon intelligence n’en pouvait plus prendre
sa part. Quand nous dormons et qu’une rage de dents n’est encore
perçue par nous que comme une jeune fille que nous nous efforçons deux
cents fois de suite de tirer de l’eau ou que comme un vers de Molière
que nous nous répétons sans arrêter, c’est un grand soulagement de
nous réveiller et que notre intelligence puisse débarrasser l’idée de
rage de dents, de tout déguisement héroïque ou cadencé. C’est
l’inverse de ce soulagement que j’éprouvais quand mon chagrin de
monter dans ma chambre entrait en moi d’une façon infiniment plus
rapide, presque instantanée, à la fois insidieuse et brusque, par
l’inhalation,--beaucoup plus toxique que la pénétration morale,--de
l’odeur de vernis particulière à cet escalier. Une fois dans ma
chambre, il fallut boucher toutes les issues, fermer les volets,
creuser mon propre tombeau, en défaisant mes couvertures, revêtir le
suaire de ma chemise de nuit. Mais avant de m’ensevelir dans le lit de
fer qu’on avait ajouté dans la chambre parce que j’avais trop chaud
l’été sous les courtines de reps du grand lit, j’eus un mouvement de
révolte, je voulus essayer d’une ruse de condamné. J’écrivis à ma mère
en la suppliant de monter pour une chose grave que je ne pouvais lui
dire dans ma lettre. Mon effroi était que Françoise, la cuisinière de
ma tante qui était chargée de s’occuper de moi quand j’étais à
Combray, refusât de porter mon mot. Je me doutais que pour elle, faire
une commission à ma mère quand il y avait du monde lui paraîtrait
aussi impossible que pour le portier d’un théâtre de remettre une
lettre à un acteur pendant qu’il est en scène. Elle possédait à
l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code
impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions
insaisissables ou oiseuses (ce qui lui donnait l’apparence de ces lois
antiques qui, à côté de prescriptions féroces comme de massacrer les
enfants à la mamelle, défendent avec une délicatesse exagérée de faire
bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un
animal le nerf de la cuisse). Ce code, si l’on en jugeait par
l’entêtement soudain qu’elle mettait à ne pas vouloir faire certaines
commissions que nous lui donnions, semblait avoir prévu des
complexités sociales et des raffinements mondains tels que rien dans
l’entourage de Françoise et dans sa vie de domestique de village
n’avait pu les lui suggérer; et l’on était obligé de se dire qu’il y
avait en elle un passé français très ancien, noble et mal compris,
comme dans ces cités manufacturières où de vieux hôtels témoignent
qu’il y eut jadis une vie de cour, et où les ouvriers d’une usine de
produits chimiques travaillent au milieu de délicates sculptures qui
représentent le miracle de saint Théophile ou les quatre fils Aymon.
Dans le cas particulier, l’article du code à cause duquel il était peu
probable que sauf le cas d’incendie Françoise allât déranger maman en
présence de M. Swann pour un aussi petit personnage que moi, exprimait
simplement le respect qu’elle professait non seulement pour les
parents,--comme pour les morts, les prêtres et les rois,--mais encore
pour l’étranger à qui on donne l’hospitalité, respect qui m’aurait
peut-être touché dans un livre mais qui m’irritait toujours dans sa
bouche, à cause du ton grave et attendri qu’elle prenait pour en
parler, et davantage ce soir où le caractère sacré qu’elle conférait
au dîner avait pour effet qu’elle refuserait d’en troubler la
cérémonie. Mais pour mettre une chance de mon côté, je n’hésitai pas à
mentir et à lui dire que ce n’était pas du tout moi qui avais voulu
écrire à maman, mais que c’était maman qui, en me quittant, m’avait
recommandé de ne pas oublier de lui envoyer une réponse relativement à
un objet qu’elle m’avait prié de chercher; et elle serait certainement
très fâchée si on ne lui remettait pas ce mot. Je pense que Françoise
ne me crut pas, car, comme les hommes primitifs dont les sens étaient
plus puissants que les nôtres, elle discernait immédiatement, à des
signes insaisissables pour nous, toute vérité que nous voulions lui
cacher; elle regarda pendant cinq minutes l’enveloppe comme si
l’examen du papier et l’aspect de l’écriture allaient la renseigner
sur la nature du contenu ou lui apprendre à quel article de son code
elle devait se référer. Puis elle sortit d’un air résigné qui semblait
signifier: «C’est-il pas malheureux pour des parents d’avoir un enfant
pareil!» Elle revint au bout d’un moment me dire qu’on n’en était
encore qu’à la glace, qu’il était impossible au maître d’hôtel de
remettre la lettre en ce moment devant tout le monde, mais que, quand
on serait aux rince-bouche, on trouverait le moyen de la faire passer
à maman. Aussitôt mon anxiété tomba; maintenant ce n’était plus comme
tout à l’heure pour jusqu’à demain que j’avais quitté ma mère, puisque
mon petit mot allait, la fâchant sans doute (et doublement parce que
ce manège me rendrait ridicule aux yeux de Swann), me faire du moins
entrer invisible et ravi dans la même pièce qu’elle, allait lui parler
de moi à l’oreille; puisque cette salle à manger interdite, hostile,
où, il y avait un instant encore, la glace elle-même--le «granité»--et
les rince-bouche me semblaient recéler des plaisirs malfaisants et
mortellement tristes parce que maman les goûtait loin de moi,
s’ouvrait à moi et, comme un fruit devenu doux qui brise son
enveloppe, allait faire jaillir, projeter jusqu’à mon cœur enivré
l’attention de maman tandis qu’elle lirait mes lignes. Maintenant je
n’étais plus séparé d’elle; les barrières étaient tombées, un fil
délicieux nous réunissait. Et puis, ce n’était pas tout: maman allait
sans doute venir!
L’angoisse que je venais d’éprouver, je pensais que Swann s’en serait
bien moqué s’il avait lu ma lettre et en avait deviné le but; or, au
contraire, comme je l’ai appris plus tard, une angoisse semblable fut
le tourment de longues années de sa vie et personne, aussi bien que
lui peut-être, n’aurait pu me comprendre; lui, cette angoisse qu’il y
a à sentir l’être qu’on aime dans un lieu de plaisir où l’on n’est
pas, où l’on ne peut pas le rejoindre, c’est l’amour qui la lui a fait
connaître, l’amour auquel elle est en quelque sorte prédestinée, par
lequel elle sera accaparée, spécialisée; mais quand, comme pour moi,
elle est entrée en nous avant qu’il ait encore fait son apparition
dans notre vie, elle flotte en l’attendant, vague et libre, sans
affectation déterminée, au service un jour d’un sentiment, le
lendemain d’un autre, tantôt de la tendresse filiale ou de l’amitié
pour un camarade. Et la joie avec laquelle je fis mon premier
apprentissage quand Françoise revint me dire que ma lettre serait
remise, Swann l’avait bien connue aussi cette joie trompeuse que nous
donne quelque ami, quelque parent de la femme que nous aimons, quand
arrivant à l’hôtel ou au théâtre où elle se trouve, pour quelque bal,
redoute, ou première où il va la retrouver, cet ami nous aperçoit
errant dehors, attendant désespérément quelque occasion de communiquer
avec elle. Il nous reconnaît, nous aborde familièrement, nous demande
ce que nous faisons là. Et comme nous inventons que nous avons quelque
chose d’urgent à dire à sa parente ou amie, il nous assure que rien
n’est plus simple, nous fait entrer dans le vestibule et nous promet
de nous l’envoyer avant cinq minutes. Que nous l’aimons--comme en ce
moment j’aimais Françoise--, l’intermédiaire bien intentionné qui d’un
mot vient de nous rendre supportable, humaine et presque propice la
fête inconcevable, infernale, au sein de laquelle nous croyions que
des tourbillons ennemis, pervers et délicieux entraînaient loin de
nous, la faisant rire de nous, celle que nous aimons. Si nous en
jugeons par lui, le parent qui nous a accosté et qui est lui aussi un
des initiés des cruels mystères, les autres invités de la fête ne
doivent rien avoir de bien démoniaque. Ces heures inaccessibles et
suppliciantes où elle allait goûter des plaisirs inconnus, voici que
par une brèche inespérée nous y pénétrons; voici qu’un des moments
dont la succession les aurait composées, un moment aussi réel que les
autres, même peut-être plus important pour nous, parce que notre
maîtresse y est plus mêlée, nous nous le représentons, nous le
possédons, nous y intervenons, nous l’avons créé presque: le moment où
on va lui dire que nous sommes là, en bas. Et sans doute les autres
moments de la fête ne devaient pas être d’une essence bien différente
de celui-là, ne devaient rien avoir de plus délicieux et qui dût tant
nous faire souffrir puisque l’ami bienveillant nous a dit: «Mais elle
sera ravie de descendre! Cela lui fera beaucoup plus de plaisir de
causer avec vous que de s’ennuyer là-haut.» Hélas! Swann en avait fait
l’expérience, les bonnes intentions d’un tiers sont sans pouvoir sur
une femme qui s’irrite de se sentir poursuivie jusque dans une fête
par quelqu’un qu’elle n’aime pas. Souvent, l’ami redescend seul.
Ma mère ne vint pas, et sans ménagements pour mon amour-propre (engagé
à ce que la fable de la recherche dont elle était censée m’avoir prié
de lui dire le résultat ne fût pas démentie) me fit dire par Françoise
ces mots: «Il n’y a pas de réponse» que depuis j’ai si souvent entendu
des concierges de «palaces» ou des valets de pied de tripots,
rapporter à quelque pauvre fille qui s’étonne: «Comment, il n’a rien
dit, mais c’est impossible! Vous avez pourtant bien remis ma lettre.
C’est bien, je vais attendre encore.» Et--de même qu’elle assure
invariablement n’avoir pas besoin du bec supplémentaire que le
concierge veut allumer pour elle, et reste là, n’entendant plus que
les rares propos sur le temps qu’il fait échangés entre le concierge
et un chasseur qu’il envoie tout d’un coup en s’apercevant de l’heure,
faire rafraîchir dans la glace la boisson d’un client,--ayant décliné
l’offre de Françoise de me faire de la tisane ou de rester auprès de
moi, je la laissai retourner à l’office, je me couchai et je fermai
les yeux en tâchant de ne pas entendre la voix de mes parents qui
prenaient le café au jardin. Mais au bout de quelques secondes, je
sentis qu’en écrivant ce mot à maman, en m’approchant, au risque de la
fâcher, si près d’elle que j’avais cru toucher le moment de la revoir,
je m’étais barré la possibilité de m’endormir sans l’avoir revue, et
les battements de mon cœur, de minute en minute devenaient plus
douloureux parce que j’augmentais mon agitation en me prêchant un
calme qui était l’acceptation de mon infortune. Tout à coup mon
anxiété tomba, une félicité m’envahit comme quand un médicament
puissant commence à agir et nous enlève une douleur: je venais de
prendre la résolution de ne plus essayer de m’endormir sans avoir revu
maman, de l’embrasser coûte que coûte, bien que ce fût avec la
certitude d’être ensuite fâché pour longtemps avec elle, quand elle
remonterait se coucher. Le calme qui résultait de mes angoisses finies
me mettait dans un allégresse extraordinaire, non moins que l’attente,
la soif et la peur du danger. J’ouvris la fenêtre sans bruit et
m’assis au pied de mon lit; je ne faisais presque aucun mouvement afin
qu’on ne m’entendît pas d’en bas. Dehors, les choses semblaient, elles
aussi, figées en une muette attention à ne pas troubler le clair de
lune, qui doublant et reculant chaque chose par l’extension devant
elle de son reflet, plus dense et concret qu’elle-même, avait à la
fois aminci et agrandi le paysage comme un plan replié jusque-là,
qu’on développe. Ce qui avait besoin de bouger, quelque feuillage de
marronnier, bougeait. Mais son frissonnement minutieux, total, exécuté
jusque dans ses moindres nuances et ses dernières délicatesses, ne
bavait pas sur le reste, ne se fondait pas avec lui, restait
circonscrit. Exposés sur ce silence qui n’en absorbait rien, les
bruits les plus éloignés, ceux qui devaient venir de jardins situés à
l’autre bout de la ville, se percevaient détaillés avec un tel «fini»
qu’ils semblaient ne devoir cet effet de lointain qu’à leur
pianissimo, comme ces motifs en sourdine si bien exécutés par
l’orchestre du Conservatoire que quoiqu’on n’en perde pas une note on
croit les entendre cependant loin de la salle du concert et que tous
les vieux abonnés,--les sœurs de ma grand’mère aussi quand Swann leur
avait donné ses places,--tendaient l’oreille comme s’ils avaient écouté
les progrès lointains d’une armée en marche qui n’aurait pas encore
tourné la rue de Trévise.
Je savais que le cas dans lequel je me mettais était de tous celui qui
pouvait avoir pour moi, de la part de mes parents, les conséquences
les plus graves, bien plus graves en vérité qu’un étranger n’aurait pu
le supposer, de celles qu’il aurait cru que pouvaient produire seules
des fautes vraiment honteuses. Mais dans l’éducation qu’on me donnait,
l’ordre des fautes n’était pas le même que dans l’éducation des autres
enfants et on m’avait habitué à placer avant toutes les autres (parce
que sans doute il n’y en avait pas contre lesquelles j’eusse besoin
d’être plus soigneusement gardé) celles dont je comprends maintenant
que leur caractère commun est qu’on y tombe en cédant à une impulsion
nerveuse. Mais alors on ne prononçait pas ce mot, on ne déclarait pas
cette origine qui aurait pu me faire croire que j’étais excusable d’y
succomber ou même peut-être incapable d’y résister. Mais je les
reconnaissais bien à l’angoisse qui les précédait comme à la rigueur
du châtiment qui les suivait; et je savais que celle que je venais de
commettre était de la même famille que d’autres pour lesquelles
j’avais été sévèrement puni, quoique infiniment plus grave. Quand
j’irais me mettre sur le chemin de ma mère au moment où elle monterait
se coucher, et qu’elle verrait que j’étais resté levé pour lui redire
bonsoir dans le couloir, on ne me laisserait plus rester à la maison,
on me mettrait au collège le lendemain, c’était certain. Eh bien!
dusse-je me jeter par la fenêtre cinq minutes après, j’aimais encore
mieux cela. Ce que je voulais maintenant c’était maman, c’était lui
dire bonsoir, j’étais allé trop loin dans la voie qui menait à la
réalisation de ce désir pour pouvoir rebrousser chemin.
J’entendis les pas de mes parents qui accompagnaient Swann; et quand
le grelot de la porte m’eut averti qu’il venait de partir, j’allai à
la fenêtre. Maman demandait à mon père s’il avait trouvé la langouste
bonne et si M. Swann avait repris de la glace au café et à la
pistache. «Je l’ai trouvée bien quelconque, dit ma mère; je crois que
la prochaine fois il faudra essayer d’un autre parfum.» «Je ne peux
pas dire comme je trouve que Swann change, dit ma grand’tante, il est
d’un vieux!» Ma grand’tante avait tellement l’habitude de voir
toujours en Swann un même adolescent, qu’elle s’étonnait de le trouver
tout à coup moins jeune que l’âge qu’elle continuait à lui donner. Et
mes parents du reste commençaient à lui trouver cette vieillesse
anormale, excessive, honteuse et méritée des célibataires, de tous
ceux pour qui il semble que le grand jour qui n’a pas de lendemain
soit plus long que pour les autres, parce que pour eux il est vide et
que les moments s’y additionnent depuis le matin sans se diviser
ensuite entre des enfants. «Je crois qu’il a beaucoup de soucis avec
sa coquine de femme qui vit au su de tout Combray avec un certain
monsieur de Charlus. C’est la fable de la ville.» Ma mère fit
remarquer qu’il avait pourtant l’air bien moins triste depuis quelque
temps. «Il fait aussi moins souvent ce geste qu’il a tout à fait comme
son père de s’essuyer les yeux et de se passer la main sur le front.
Moi je crois qu’au fond il n’aime plus cette femme.» «Mais
naturellement il ne l’aime plus, répondit mon grand-père. J’ai reçu de
lui il y a déjà longtemps une lettre à ce sujet, à laquelle je me suis
empressé de ne pas me conformer, et qui ne laisse aucun doute sur ses
sentiments au moins d’amour, pour sa femme. Hé bien! vous voyez, vous
ne l’avez pas remercié pour l’Asti», ajouta mon grand-père en se
tournant vers ses deux belles-sœurs. «Comment, nous ne l’avons pas
remercié? je crois, entre nous, que je lui ai même tourné cela assez
délicatement», répondit ma tante Flora. «Oui, tu as très bien arrangé
cela: je t’ai admirée», dit ma tante Céline. «Mais toi tu as été très
bien aussi.» «Oui j’étais assez fière de ma phrase sur les voisins
aimables.» «Comment, c’est cela que vous appelez remercier! s’écria
mon grand-père. J’ai bien entendu cela, mais du diable si j’ai cru que
c’était pour Swann. Vous pouvez être sûres qu’il n’a rien compris.»
«Mais voyons, Swann n’est pas bête, je suis certaine qu’il a apprécié.
Je ne pouvais cependant pas lui dire le nombre de bouteilles et le
prix du vin!» Mon père et ma mère restèrent seuls, et s’assirent un
instant; puis mon père dit: «Hé bien! si tu veux, nous allons monter
nous coucher.» «Si tu veux, mon ami, bien que je n’aie pas l’ombre de
sommeil; ce n’est pas cette glace au café si anodine qui a pu pourtant
me tenir si éveillée; mais j’aperçois de la lumière dans l’office et
puisque la pauvre Françoise m’a attendue, je vais lui demander de
dégrafer mon corsage pendant que tu vas te déshabiller.» Et ma mère
ouvrit la porte treillagée du vestibule qui donnait sur l’escalier.
Bientôt, je l’entendis qui montait fermer sa fenêtre. J’allai sans
bruit dans le couloir; mon cœur battait si fort que j’avais de la
peine à avancer, mais du moins il ne battait plus d’anxiété, mais
d’épouvante et de joie. Je vis dans la cage de l’escalier la lumière
projetée par la bougie de maman. Puis je la vis elle-même; je
m’élançai. À la première seconde, elle me regarda avec étonnement, ne
comprenant pas ce qui était arrivé. Puis sa figure prit une expression
de colère, elle ne me disait même pas un mot, et en effet pour bien
moins que cela on ne m’adressait plus la parole pendant plusieurs
jours. Si maman m’avait dit un mot, ç’aurait été admettre qu’on
pouvait me reparler et d’ailleurs cela peut-être m’eût paru plus
terrible encore, comme un signe que devant la gravité du châtiment qui
allait se préparer, le silence, la brouille, eussent été puérils. Une
parole c’eût été le calme avec lequel on répond à un domestique quand
on vient de décider de le renvoyer; le baiser qu’on donne à un fils
qu’on envoie s’engager alors qu’on le lui aurait refusé si on devait
se contenter d’être fâché deux jours avec lui. Mais elle entendit mon
père qui montait du cabinet de toilette où il était allé se
déshabiller et pour éviter la scène qu’il me ferait, elle me dit d’une
voix entrecoupée par la colère: «Sauve-toi, sauve-toi, qu’au moins ton
père ne t’ait vu ainsi attendant comme un fou!» Mais je lui répétais:
«Viens me dire bonsoir», terrifié en voyant que le reflet de la bougie
de mon père s’élevait déjà sur le mur, mais aussi usant de son
approche comme d’un moyen de chantage et espérant que maman, pour
éviter que mon père me trouvât encore là si elle continuait à refuser,
allait me dire: «Rentre dans ta chambre, je vais venir.» Il était trop
tard, mon père était devant nous. Sans le vouloir, je murmurai ces
mots que personne n’entendit: «Je suis perdu!»
Il n’en fut pas ainsi. Mon père me refusait constamment des
permissions qui m’avaient été consenties dans les pactes plus larges
octroyés par ma mère et ma grand’mère parce qu’il ne se souciait pas
des «principes» et qu’il n’y avait pas avec lui de «Droit des gens».
Pour une raison toute contingente, ou même sans raison, il me
supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle, si
consacrée, qu’on ne pouvait m’en priver sans parjure, ou bien, comme
il avait encore fait ce soir, longtemps avant l’heure rituelle, il me
disait: «Allons, monte te coucher, pas d’explication!» Mais aussi,
parce qu’il n’avait pas de principes (dans le sens de ma grand’mère),
il n’avait pas à proprement parler d’intransigeance. Il me regarda un
instant d’un air étonné et fâché, puis dès que maman lui eut expliqué
en quelques mots embarrassés ce qui était arrivé, il lui dit: «Mais va
donc avec lui, puisque tu disais justement que tu n’as pas envie de
dormir, reste un peu dans sa chambre, moi je n’ai besoin de rien.»
«Mais, mon ami, répondit timidement ma mère, que j’aie envie ou non de
dormir, ne change rien à la chose, on ne peut pas habituer cet
enfant...» «Mais il ne s’agit pas d’habituer, dit mon père en haussant
les épaules, tu vois bien que ce petit a du chagrin, il a l’air
désolé, cet enfant; voyons, nous ne sommes pas des bourreaux! Quand tu
l’auras rendu malade, tu seras bien avancée! Puisqu’il y a deux lits
dans sa chambre, dis donc à Françoise de te préparer le grand lit et
couche pour cette nuit auprès de lui. Allons, bonsoir, moi qui ne suis
pas si nerveux que vous, je vais me coucher.»
On ne pouvait pas remercier mon père; on l’eût agacé par ce qu’il
appelait des sensibleries. Je restai sans oser faire un mouvement; il
était encore devant nous, grand, dans sa robe de nuit blanche sous le
cachemire de l’Inde violet et rose qu’il nouait autour de sa tête
depuis qu’il avait des névralgies, avec le geste d’Abraham dans la
gravure d’après Benozzo Gozzoli que m’avait donnée M. Swann, disant à
Sarah qu’elle a à se départir du côté d’Isaac. Il y a bien des années
de cela. La muraille de l’escalier, où je vis monter le reflet de sa
bougie n’existe plus depuis longtemps. En moi aussi bien des choses
ont été détruites que je croyais devoir durer toujours et de nouvelles
se sont édifiées donnant naissance à des peines et à des joies
nouvelles que je n’aurais pu prévoir alors, de même que les anciennes
me sont devenues difficiles à comprendre. Il y a bien longtemps aussi
que mon père a cessé de pouvoir dire à maman: «Va avec le petit.» La
possibilité de telles heures ne renaîtra jamais pour moi. Mais depuis
peu de temps, je recommence à très bien percevoir si je prête
l’oreille, les sanglots que j’eus la force de contenir devant mon père
et qui n’éclatèrent que quand je me retrouvai seul avec maman. En
réalité ils n’ont jamais cessé; et c’est seulement parce que la vie se
tait maintenant davantage autour de moi que je les entends de nouveau,
comme ces cloches de couvents que couvrent si bien les bruits de la
ville pendant le jour qu’on les croirait arrêtées mais qui se
remettent à sonner dans le silence du soir.
Maman passa cette nuit-là dans ma chambre; au moment où je venais de
commettre une faute telle que je m’attendais à être obligé de quitter
la maison, mes parents m’accordaient plus que je n’eusse jamais obtenu
d’eux comme récompense d’une belle action. Même à l’heure où elle se
manifestait par cette grâce, la conduite de mon père à mon égard
gardait ce quelque chose d’arbitraire et d’immérité qui la
caractérisait et qui tenait à ce que généralement elle résultait
plutôt de convenances fortuites que d’un plan prémédité. Peut-être
même que ce que j’appelais sa sévérité, quand il m’envoyait me
coucher, méritait moins ce nom que celle de ma mère ou ma grand’mère,
car sa nature, plus différente en certains points de la mienne que
n’était la leur, n’avait probablement pas deviné jusqu’ici combien
j’étais malheureux tous les soirs, ce que ma mère et ma grand’mère
savaient bien; mais elles m’aimaient assez pour ne pas consentir à
m’épargner de la souffrance, elles voulaient m’apprendre à la dominer
afin de diminuer ma sensibilité nerveuse et fortifier ma volonté. Pour
mon père, dont l’affection pour moi était d’une autre sorte, je ne
sais pas s’il aurait eu ce courage: pour une fois où il venait de
comprendre que j’avais du chagrin, il avait dit à ma mère: «Va donc le
consoler.» Maman resta cette nuit-là dans ma chambre et, comme pour ne
gâter d’aucun remords ces heures si différentes de ce que j’avais eu
le droit d’espérer, quand Françoise, comprenant qu’il se passait
quelque chose d’extraordinaire en voyant maman assise près de moi, qui
me tenait la main et me laissait pleurer sans me gronder, lui demanda:
«Mais Madame, qu’a donc Monsieur à pleurer ainsi?» maman lui répondit:
«Mais il ne sait pas lui-même, Françoise, il est énervé; préparez-moi
vite le grand lit et montez vous coucher.» Ainsi, pour la première
fois, ma tristesse n’était plus considérée comme une faute punissable
mais comme un mal involontaire qu’on venait de reconnaître
officiellement, comme un état nerveux dont je n’étais pas responsable;
j’avais le soulagement de n’avoir plus à mêler de scrupules à
l’amertume de mes larmes, je pouvais pleurer sans péché. Je n’étais
pas non plus médiocrement fier vis-à-vis de Françoise de ce retour des
choses humaines, qui, une heure après que maman avait refusé de monter
dans ma chambre et m’avait fait dédaigneusement répondre que je
devrais dormir, m’élevait à la dignité de grande personne et m’avait
fait atteindre tout d’un coup à une sorte de puberté du chagrin,
d’émancipation des larmes. J’aurais dû être heureux: je ne l’étais
pas. Il me semblait que ma mère venait de me faire une première
concession qui devait lui être douloureuse, que c’était une première
abdication de sa part devant l’idéal qu’elle avait conçu pour moi, et
que pour la première fois, elle, si courageuse, s’avouait vaincue. Il
me semblait que si je venais de remporter une victoire c’était contre
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