Du côté de chez Swann - 14

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désert, la nuit tombait, c’était sans espoir que mon attention
s’attachait, comme pour aspirer les créatures qu’ils pouvaient
recéler, à ce sol stérile, à cette terre épuisée; et ce n’était plus
d’allégresse, c’était de rage que je frappais les arbres du bois de
Roussainville d’entre lesquels ne sortait pas plus d’êtres vivants que
s’ils eussent été des arbres peints sur la toile d’un panorama, quand,
ne pouvant me résigner à rentrer à la maison avant d’avoir serré dans
mes bras la femme que j’avais tant désirée, j’étais pourtant obligé de
reprendre le chemin de Combray en m’avouant à moi-même qu’était de
moins en moins probable le hasard qui l’eût mise sur mon chemin. Et
s’y fût-elle trouvée, d’ailleurs, eussé-je osé lui parler? Il me
semblait qu’elle m’eût considéré comme un fou; je cessais de croire
partagés par d’autres êtres, de croire vrais en dehors de moi les
désirs que je formais pendant ces promenades et qui ne se réalisaient
pas. Ils ne m’apparaissaient plus que comme les créations purement
subjectives, impuissantes, illusoires, de mon tempérament. Ils
n’avaient plus de lien avec la nature, avec la réalité qui dès lors
perdait tout charme et toute signification et n’était plus à ma vie
qu’un cadre conventionnel comme l’est à la fiction d’un roman le wagon
sur la banquette duquel le voyageur le lit pour tuer le temps.
C’est peut-être d’une impression ressentie aussi auprès de
Montjouvain, quelques années plus tard, impression restée obscure
alors, qu’est sortie, bien après, l’idée que je me suis faite du
sadisme. On verra plus tard que, pour de tout autres raisons, le
souvenir de cette impression devait jouer un rôle important dans ma
vie. C’était par un temps très chaud; mes parents qui avaient dû
s’absenter pour toute la journée, m’avaient dit de rentrer aussi tard
que je voudrais; et étant allé jusqu’à la mare de Montjouvain où
j’aimais revoir les reflets du toit de tuile, je m’étais étendu à
l’ombre et endormi dans les buissons du talus qui domine la maison, là
où j’avais attendu mon père autrefois, un jour qu’il était allé voir
M. Vinteuil. Il faisait presque nuit quand je m’éveillai, je voulus me
lever, mais je vis Mlle Vinteuil (autant que je pus la reconnaître,
car je ne l’avais pas vue souvent à Combray, et seulement quand elle
était encore une enfant, tandis qu’elle commençait d’être une jeune
fille) qui probablement venait de rentrer, en face de moi, à quelques
centimètres de moi, dans cette chambre où son père avait reçu le mien
et dont elle avait fait son petit salon à elle. La fenêtre était
entr’ouverte, la lampe était allumée, je voyais tous ses mouvements
sans qu’elle me vît, mais en m’en allant j’aurais fait craquer les
buissons, elle m’aurait entendu et elle aurait pu croire que je
m’étais caché là pour l’épier.
Elle était en grand deuil, car son père était mort depuis peu. Nous
n’étions pas allés la voir, ma mère ne l’avait pas voulu à cause d’une
vertu qui chez elle limitait seule les effets de la bonté: la pudeur;
mais elle la plaignait profondément. Ma mère se rappelant la triste
fin de vie de M. Vinteuil, tout absorbée d’abord par les soins de mère
et de bonne d’enfant qu’il donnait à sa fille, puis par les
souffrances que celle-ci lui avait causées; elle revoyait le visage
torturé qu’avait eu le vieillard tous les derniers temps; elle savait
qu’il avait renoncé à jamais à achever de transcrire au net toute son
œuvre des dernières années, pauvres morceaux d’un vieux professeur de
piano, d’un ancien organiste de village dont nous imaginions bien
qu’ils n’avaient guère de valeur en eux-mêmes, mais que nous ne
méprisions pas parce qu’ils en avaient tant pour lui dont ils avaient
été la raison de vivre avant qu’il les sacrifiât à sa fille, et qui
pour la plupart pas même notés, conservés seulement dans sa mémoire,
quelques-uns inscrits sur des feuillets épars, illisibles, resteraient
inconnus; ma mère pensait à cet autre renoncement plus cruel encore
auquel M. Vinteuil avait été contraint, le renoncement à un avenir de
bonheur honnête et respecté pour sa fille; quand elle évoquait toute
cette détresse suprême de l’ancien maître de piano de mes tantes, elle
éprouvait un véritable chagrin et songeait avec effroi à celui
autrement amer que devait éprouver Mlle Vinteuil tout mêlé du remords
d’avoir à peu près tué son père. «Pauvre M. Vinteuil, disait ma mère,
il a vécu et il est mort pour sa fille, sans avoir reçu son salaire.
Le recevra-t-il après sa mort et sous quelle forme? Il ne pourrait lui
venir que d’elle.»
Au fond du salon de Mlle Vinteuil, sur la cheminée était posé un petit
portrait de son père que vivement elle alla chercher au moment où
retentit le roulement d’une voiture qui venait de la route, puis elle
se jeta sur un canapé, et tira près d’elle une petite table sur
laquelle elle plaça le portrait, comme M. Vinteuil autrefois avait mis
à côté de lui le morceau qu’il avait le désir de jouer à mes parents.
Bientôt son amie entra. Mlle Vinteuil l’accueillit sans se lever, ses
deux mains derrière la tête et se recula sur le bord opposé du sofa
comme pour lui faire une place. Mais aussitôt elle sentit qu’elle
semblait ainsi lui imposer une attitude qui lui était peut-être
importune. Elle pensa que son amie aimerait peut-être mieux être loin
d’elle sur une chaise, elle se trouva indiscrète, la délicatesse de
son cœur s’en alarma; reprenant toute la place sur le sofa elle ferma
les yeux et se mit à bâiller pour indiquer que l’envie de dormir était
la seule raison pour laquelle elle s’était ainsi étendue. Malgré la
familiarité rude et dominatrice qu’elle avait avec sa camarade, je
reconnaissais les gestes obséquieux et réticents, les brusques
scrupules de son père. Bientôt elle se leva, feignit de vouloir fermer
les volets et de n’y pas réussir.
--«Laisse donc tout ouvert, j’ai chaud,» dit son amie.
--«Mais c’est assommant, on nous verra», répondit Mlle Vinteuil.
Mais elle devina sans doute que son amie penserait qu’elle n’avait dit
ces mots que pour la provoquer à lui répondre par certains autres
qu’elle avait en effet le désir d’entendre, mais que par discrétion
elle voulait lui laisser l’initiative de prononcer. Aussi son regard
que je ne pouvais distinguer, dut-il prendre l’expression qui plaisait
tant à ma grand’mère, quand elle ajouta vivement:
--«Quand je dis nous voir, je veux dire nous voir lire, c’est
assommant, quelque chose insignifiante qu’on fasse, de penser que des
yeux vous voient.»
Par une générosité instinctive et une politesse involontaire elle
taisait les mots prémédités qu’elle avait jugés indispensables à la
pleine réalisation de son désir. Et à tous moments au fond d’elle-même
une vierge timide et suppliante implorait et faisait reculer un
soudard fruste et vainqueur.
--«Oui, c’est probable qu’on nous regarde à cette heure-ci, dans cette
campagne fréquentée, dit ironiquement son amie. Et puis quoi?
Ajouta-t-elle (en croyant devoir accompagner d’un clignement d’yeux
malicieux et tendre, ces mots qu’elle récita par bonté, comme un
texte, qu’elle savait être agréable à Mlle Vinteuil, d’un ton qu’elle
s’efforçait de rendre cynique), quand même on nous verrait ce n’en est
que meilleur.»
Mlle Vinteuil frémit et se leva. Son cœur scrupuleux et sensible
ignorait quelles paroles devaient spontanément venir s’adapter à la
scène que ses sens réclamaient. Elle cherchait le plus loin qu’elle
pouvait de sa vraie nature morale, à trouver le langage propre à la
fille vicieuse qu’elle désirait d’être, mais les mots qu’elle pensait
que celle-ci eût prononcés sincèrement lui paraissaient faux dans sa
bouche. Et le peu qu’elle s’en permettait était dit sur un ton guindé
où ses habitudes de timidité paralysaient ses velléités d’audace, et
s’entremêlait de: «tu n’as pas froid, tu n’as pas trop chaud, tu n’as
pas envie d’être seule et de lire?»
--«Mademoiselle me semble avoir des pensées bien lubriques, ce soir»,
finit-elle par dire, répétant sans doute une phrase qu’elle avait
entendue autrefois dans la bouche de son amie.
Dans l’échancrure de son corsage de crêpe Mlle Vinteuil sentit que son
amie piquait un baiser, elle poussa un petit cri, s’échappa, et elles
se poursuivirent en sautant, faisant voleter leurs larges manches
comme des ailes et gloussant et piaillant comme des oiseaux amoureux.
Puis Mlle Vinteuil finit par tomber sur le canapé, recouverte par le
corps de son amie. Mais celle-ci tournait le dos à la petite table sur
laquelle était placé le portrait de l’ancien professeur de piano. Mlle
Vinteuil comprit que son amie ne le verrait pas si elle n’attirait pas
sur lui son attention, et elle lui dit, comme si elle venait seulement
de le remarquer:
--«Oh! ce portrait de mon père qui nous regarde, je ne sais pas qui a
pu le mettre là, j’ai pourtant dit vingt fois que ce n’était pas sa
place.»
Je me souvins que c’étaient les mots que M. Vinteuil avait dits à mon
père à propos du morceau de musique. Ce portrait leur servait sans
doute habituellement pour des profanations rituelles, car son amie lui
répondit par ces paroles qui devaient faire partie de ses réponses
liturgiques:
--«Mais laisse-le donc où il est, il n’est plus là pour nous embêter.
Crois-tu qu’il pleurnicherait, qu’il voudrait te mettre ton manteau,
s’il te voyait là, la fenêtre ouverte, le vilain singe.»
Mlle Vinteuil répondit par des paroles de doux reproche: «Voyons,
voyons», qui prouvaient la bonté de sa nature, non qu’elles fussent
dictées par l’indignation que cette façon de parler de son père eût pu
lui causer (évidemment c’était là un sentiment qu’elle s’était
habituée, à l’aide de quels sophismes? à faire taire en elle dans ces
minutes-là), mais parce qu’elles étaient comme un frein que pour ne
pas se montrer égoïste elle mettait elle-même au plaisir que son amie
cherchait à lui procurer. Et puis cette modération souriante en
répondant à ces blasphèmes, ce reproche hypocrite et tendre,
paraissaient peut-être à sa nature franche et bonne, une forme
particulièrement infâme, une forme doucereuse de cette scélératesse
qu’elle cherchait à s’assimiler. Mais elle ne put résister à l’attrait
du plaisir qu’elle éprouverait à être traitée avec douceur par une
personne si implacable envers un mort sans défense; elle sauta sur les
genoux de son amie, et lui tendit chastement son front à baiser comme
elle aurait pu faire si elle avait été sa fille, sentant avec délices
qu’elles allaient ainsi toutes deux au bout de la cruauté en ravissant
à M. Vinteuil, jusque dans le tombeau, sa paternité. Son amie lui prit
la tête entre ses mains et lui déposa un baiser sur le front avec
cette docilité que lui rendait facile la grande affection qu’elle
avait pour Mlle Vinteuil et le désir de mettre quelque distraction
dans la vie si triste maintenant de l’orpheline.
--«Sais-tu ce que j’ai envie de lui faire à cette vieille horreur?»
dit-elle en prenant le portrait.
Et elle murmura à l’oreille de Mlle Vinteuil quelque chose que je ne
pus entendre.
--«Oh! tu n’oserais pas.»
--«Je n’oserais pas cracher dessus? sur ça?» dit l’amie avec une
brutalité voulue.
Je n’en entendis pas davantage, car Mlle Vinteuil, d’un air las,
gauche, affairé, honnête et triste, vint fermer les volets et la
fenêtre, mais je savais maintenant, pour toutes les souffrances que
pendant sa vie M. Vinteuil avait supportées à cause de sa fille, ce
qu’après la mort il avait reçu d’elle en salaire.
Et pourtant j’ai pensé depuis que si M. Vinteuil avait pu assister à
cette scène, il n’eût peut-être pas encore perdu sa foi dans le bon
cœur de sa fille, et peut-être même n’eût-il pas eu en cela tout à
fait tort. Certes, dans les habitudes de Mlle Vinteuil l’apparence du
mal était si entière qu’on aurait eu de la peine à la rencontrer
réalisée à ce degré de perfection ailleurs que chez une sadique; c’est
à la lumière de la rampe des théâtres du boulevard plutôt que sous la
lampe d’une maison de campagne véritable qu’on peut voir une fille
faire cracher une amie sur le portrait d’un père qui n’a vécu que pour
elle; et il n’y a guère que le sadisme qui donne un fondement dans la
vie à l’esthétique du mélodrame. Dans la réalité, en dehors des cas de
sadisme, une fille aurait peut-être des manquements aussi cruels que
ceux de Mlle Vinteuil envers la mémoire et les volontés de son père
mort, mais elle ne les résumerait pas expressément en un acte d’un
symbolisme aussi rudimentaire et aussi naïf; ce que sa conduite aurait
de criminel serait plus voilé aux yeux des autres et même à ses yeux à
elle qui ferait le mal sans se l’avouer. Mais, au-delà de l’apparence,
dans le cœur de Mlle Vinteuil, le mal, au début du moins, ne fut sans
doute pas sans mélange. Une sadique comme elle est l’artiste du mal,
ce qu’une créature entièrement mauvaise ne pourrait être car le mal ne
lui serait pas extérieur, il lui semblerait tout naturel, ne se
distinguerait même pas d’elle; et la vertu, la mémoire des morts, la
tendresse filiale, comme elle n’en aurait pas le culte, elle ne
trouverait pas un plaisir sacrilège à les profaner. Les sadiques de
l’espèce de Mlle Vinteuil sont des être si purement sentimentaux, si
naturellement vertueux que même le plaisir sensuel leur paraît quelque
chose de mauvais, le privilège des méchants. Et quand ils se concèdent
à eux-mêmes de s’y livrer un moment, c’est dans la peau des méchants
qu’ils tâchent d’entrer et de faire entrer leur complice, de façon à
avoir eu un moment l’illusion de s’être évadés de leur âme scrupuleuse
et tendre, dans le monde inhumain du plaisir. Et je comprenais combien
elle l’eût désiré en voyant combien il lui était impossible d’y
réussir. Au moment où elle se voulait si différente de son père, ce
qu’elle me rappelait c’était les façons de penser, de dire, du vieux
professeur de piano. Bien plus que sa photographie, ce qu’elle
profanait, ce qu’elle faisait servir à ses plaisirs mais qui restait
entre eux et elle et l’empêchait de les goûter directement, c’était la
ressemblance de son visage, les yeux bleus de sa mère à lui qu’il lui
avait transmis comme un bijou de famille, ces gestes d’amabilité qui
interposaient entre le vice de Mlle Vinteuil et elle une phraséologie,
une mentalité qui n’était pas faite pour lui et l’empêchait de le
connaître comme quelque chose de très différent des nombreux devoirs
de politesse auxquels elle se consacrait d’habitude. Ce n’est pas le
mal qui lui donnait l’idée du plaisir, qui lui semblait agréable;
c’est le plaisir qui lui semblait malin. Et comme chaque fois qu’elle
s’y adonnait il s’accompagnait pour elle de ces pensées mauvaises qui
le reste du temps étaient absentes de son âme vertueuse, elle
finissait par trouver au plaisir quelque chose de diabolique, par
l’identifier au Mal. Peut-être Mlle Vinteuil sentait-elle que son amie
n’était pas foncièrement mauvaise, et qu’elle n’était pas sincère au
moment où elle lui tenait ces propos blasphématoires. Du moins
avait-elle le plaisir d’embrasser sur son visage, des sourires, des
regards, feints peut-être, mais analogues dans leur expression
vicieuse et basse à ceux qu’aurait eus non un être de bonté et de
souffrance, mais un être de cruauté et de plaisir. Elle pouvait
s’imaginer un instant qu’elle jouait vraiment les jeux qu’eût joués
avec une complice aussi dénaturée, une fille qui aurait ressenti en
effet ces sentiments barbares à l’égard de la mémoire de son père.
Peut-être n’eût-elle pas pensé que le mal fût un état si rare, si
extraordinaire, si dépaysant, où il était si reposant d’émigrer, si
elle avait su discerner en elle comme en tout le monde, cette
indifférence aux souffrances qu’on cause et qui, quelques autres noms
qu’on lui donne, est la forme terrible et permanente de la cruauté.
S’il était assez simple d’aller du côté de Méséglise, c’était une
autre affaire d’aller du côté de Guermantes, car la promenade était
longue et l’on voulait être sûr du temps qu’il ferait. Quand on
semblait entrer dans une série de beaux jours; quand Françoise
désespérée qu’il ne tombât pas une goutte d’eau pour les «pauvres
récoltes», et ne voyant que de rares nuages blancs nageant à la
surface calme et bleue du ciel s’écriait en gémissant: «Ne dirait-on
pas qu’on voit ni plus ni moins des chiens de mer qui jouent en
montrant là-haut leurs museaux? Ah! ils pensent bien à faire pleuvoir
pour les pauvres laboureurs! Et puis quand les blés seront poussés,
alors la pluie se mettra à tomber tout à petit patapon, sans
discontinuer, sans plus savoir sur quoi elle tombe que si c’était sur
la mer»; quand mon père avait reçu invariablement les mêmes réponses
favorables du jardinier et du baromètre, alors on disait au dîner:
«Demain s’il fait le même temps, nous irons du côté de Guermantes.» On
partait tout de suite après déjeuner par la petite porte du jardin et
on tombait dans la rue des Perchamps, étroite et formant un angle
aigu, remplie de graminées au milieu desquelles deux ou trois guêpes
passaient la journée à herboriser, aussi bizarre que son nom d’où me
semblaient dériver ses particularités curieuses et sa personnalité
revêche, et qu’on chercherait en vain dans le Combray d’aujourd’hui où
sur son tracé ancien s’élève l’école. Mais ma rêverie (semblable à ces
architectes élèves de Viollet-le-Duc, qui, croyant retrouver sous un
jubé Renaissance et un autel du XVIIe siècle les traces d’un chœur
roman, remettent tout l’édifice dans l’état où il devait être au XIIe
siècle) ne laisse pas une pierre du bâtiment nouveau, reperce et
«restitue» la rue des Perchamps. Elle a d’ailleurs pour ces
reconstitutions, des données plus précises que n’en ont généralement
les restaurateurs: quelques images conservées par ma mémoire, les
dernières peut-être qui existent encore actuellement, et destinées à
être bientôt anéanties, de ce qu’était le Combray du temps de mon
enfance; et parce que c’est lui-même qui les a tracées en moi avant de
disparaître, émouvantes,--si on peut comparer un obscur portrait à ces
effigies glorieuses dont ma grand’mère aimait à me donner des
reproductions--comme ces gravures anciennes de la Cène ou ce tableau de
Gentile Bellini dans lesquels l’on voit en un état qui n’existe plus
aujourd’hui le chef-d’œuvre de Vinci et le portail de Saint-Marc.
On passait, rue de l’Oiseau, devant la vieille hôtellerie de l’Oiseau
flesché dans la grande cour de laquelle entrèrent quelquefois au XVIIe
siècle les carrosses des duchesses de Montpensier, de Guermantes et de
Montmorency quand elles avaient à venir à Combray pour quelque
contestation avec leurs fermiers, pour une question d’hommage. On
gagnait le mail entre les arbres duquel apparaissait le clocher de
Saint-Hilaire. Et j’aurais voulu pouvoir m’asseoir là et rester toute
la journée à lire en écoutant les cloches; car il faisait si beau et
si tranquille que, quand sonnait l’heure, on aurait dit non qu’elle
rompait le calme du jour mais qu’elle le débarrassait de ce qu’il
contenait et que le clocher avec l’exactitude indolente et soigneuse
d’une personne qui n’a rien d’autre à faire, venait seulement--pour
exprimer et laisser tomber les quelques gouttes d’or que la chaleur y
avait lentement et naturellement amassées--de presser, au moment voulu,
la plénitude du silence.
Le plus grand charme du côté de Guermantes, c’est qu’on y avait
presque tout le temps à côté de soi le cours de la Vivonne. On la
traversait une première fois, dix minutes après avoir quitté la
maison, sur une passerelle dite le Pont-Vieux. Dès le lendemain de
notre arrivée, le jour de Pâques, après le sermon s’il faisait beau
temps, je courais jusque-là, voir dans ce désordre d’un matin de
grande fête où quelques préparatifs somptueux font paraître plus
sordides les ustensiles de ménage qui traînent encore, la rivière qui
se promenait déjà en bleu-ciel entre les terres encore noires et nues,
accompagnée seulement d’une bande de coucous arrivés trop tôt et de
primevères en avance, cependant que çà et là une violette au bec bleu
laissait fléchir sa tige sous le poids de la goutte d’odeur qu’elle
tenait dans son cornet. Le Pont-Vieux débouchait dans un sentier de
halage qui à cet endroit se tapissait l’été du feuillage bleu d’un
noisetier sous lequel un pêcheur en chapeau de paille avait pris
racine. A Combray où je savais quelle individualité de maréchal
ferrant ou de garçon épicier était dissimulée sous l’uniforme du
suisse ou le surplis de l’enfant de chœur, ce pêcheur est la seule
personne dont je n’aie jamais découvert l’identité. Il devait
connaître mes parents, car il soulevait son chapeau quand nous
passions; je voulais alors demander son nom, mais on me faisait signe
de me taire pour ne pas effrayer le poisson. Nous nous engagions dans
le sentier de halage qui dominait le courant d’un talus de plusieurs
pieds; de l’autre côté la rive était basse, étendue en vastes prés
jusqu’au village et jusqu’à la gare qui en était distante. Ils étaient
semés des restes, à demi enfouis dans l’herbe, du château des anciens
comtes de Combray qui au moyen âge avait de ce côté le cours de la
Vivonne comme défense contre les attaques des sires de Guermantes et
des abbés de Martinville. Ce n’étaient plus que quelques fragments de
tours bossuant la prairie, à peine apparents, quelques créneaux d’où
jadis l’arbalétrier lançait des pierres, d’où le guetteur surveillait
Novepont, Clairefontaine, Martinville-le-Sec, Bailleau-l’Exempt,
toutes terres vassales de Guermantes entre lesquelles Combray était
enclavé, aujourd’hui au ras de l’herbe, dominés par les enfants de
l’école des frères qui venaient là apprendre leurs leçons ou jouer aux
récréations;--passé presque descendu dans la terre, couché au bord de
l’eau comme un promeneur qui prend le frais, mais me donnant fort à
songer, me faisant ajouter dans le nom de Combray à la petite ville
d’aujourd’hui une cité très différente, retenant mes pensées par son
visage incompréhensible et d’autrefois qu’il cachait à demi sous les
boutons d’or. Ils étaient fort nombreux à cet endroit qu’ils avaient
choisi pour leurs jeux sur l’herbe, isolés, par couples, par troupes,
jaunes comme un jaune d’œuf, brillants d’autant plus, me semblait-il,
que ne pouvant dériver vers aucune velléité de dégustation le plaisir
que leur vue me causait, je l’accumulais dans leur surface dorée,
jusqu’à ce qu’il devînt assez puissant pour produire de l’inutile
beauté; et cela dès ma plus petite enfance, quand du sentier de halage
je tendais les bras vers eux sans pouvoir épeler complètement leur
joli nom de Princes de contes de fées français, venus peut-être il y a
bien des siècles d’Asie mais apatriés pour toujours au village,
contents du modeste horizon, aimant le soleil et le bord de l’eau,
fidèles à la petite vue de la gare, gardant encore pourtant comme
certaines de nos vieilles toiles peintes, dans leur simplicité
populaire, un poétique éclat d’orient.
Je m’amusais à regarder les carafes que les gamins mettaient dans la
Vivonne pour prendre les petits poissons, et qui, remplies par la
rivière, où elles sont à leur tour encloses, à la fois «contenant» aux
flancs transparents comme une eau durcie, et «contenu» plongé dans un
plus grand contenant de cristal liquide et courant, évoquaient l’image
de la fraîcheur d’une façon plus délicieuse et plus irritante qu’elles
n’eussent fait sur une table servie, en ne la montrant qu’en fuite
dans cette allitération perpétuelle entre l’eau sans consistance où
les mains ne pouvaient la capter et le verre sans fluidité où le
palais ne pourrait en jouir. Je me promettais de venir là plus tard
avec des lignes; j’obtenais qu’on tirât un peu de pain des provisions
du goûter; j’en jetais dans la Vivonne des boulettes qui semblaient
suffire pour y provoquer un phénomène de sursaturation, car l’eau se
solidifiait aussitôt autour d’elles en grappes ovoïdes de têtards
inanitiés qu’elle tenait sans doute jusque-là en dissolution,
invisibles, tout près d’être en voie de cristallisation.
Bientôt le cours de la Vivonne s’obstrue de plantes d’eau. Il y en a
d’abord d’isolées comme tel nénufar à qui le courant au travers duquel
il était placé d’une façon malheureuse laissait si peu de repos que
comme un bac actionné mécaniquement il n’abordait une rive que pour
retourner à celle d’où il était venu, refaisant éternellement la
double traversée. Poussé vers la rive, son pédoncule se dépliait,
s’allongeait, filait, atteignait l’extrême limite de sa tension
jusqu’au bord où le courant le reprenait, le vert cordage se repliait
sur lui-même et ramenait la pauvre plante à ce qu’on peut d’autant
mieux appeler son point de départ qu’elle n’y restait pas une seconde
sans en repartir par une répétition de la même manœuvre. Je la
retrouvais de promenade en promenade, toujours dans la même situation,
faisant penser à certains neurasthéniques au nombre desquels mon
grand-père comptait ma tante Léonie, qui nous offrent sans changement
au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu’ils se
croient chaque fois à la veille de secouer et qu’ils gardent toujours;
pris dans l’engrenage de leurs malaises et de leurs manies, les
efforts dans lesquels ils se débattent inutilement pour en sortir ne
font qu’assurer le fonctionnement et faire jouer le déclic de leur
diététique étrange, inéluctable et funeste. Tel était ce nénufar,
pareil aussi à quelqu’un de ces malheureux dont le tourment singulier,
qui se répète indéfiniment durant l’éternité, excitait la curiosité de
Dante et dont il se serait fait raconter plus longuement les
particularités et la cause par le supplicié lui-même, si Virgile,
s’éloignant à grands pas, ne l’avait forcé à le rattraper au plus
vite, comme moi mes parents.
Mais plus loin le courant se ralentit, il traverse une propriété dont
l’accès était ouvert au public par celui à qui elle appartenait et qui
s’y était complu à des travaux d’horticulture aquatique, faisant
fleurir, dans les petits étangs que forme la Vivonne, de véritables
jardins de nymphéas. Comme les rives étaient à cet endroit très
boisées, les grandes ombres des arbres donnaient à l’eau un fond qui
était habituellement d’un vert sombre mais que parfois, quand nous
rentrions par certains soirs rassérénés d’après-midi orageux, j’ai vu
d’un bleu clair et cru, tirant sur le violet, d’apparence cloisonnée
et de goût japonais. Çà et là, à la surface, rougissait comme une
fraise une fleur de nymphéa au cœur écarlate, blanc sur les bords.
Plus loin, les fleurs plus nombreuses étaient plus pâles, moins
lisses, plus grenues, plus plissées, et disposées par le hasard en
enroulements si gracieux qu’on croyait voir flotter à la dérive, comme
après l’effeuillement mélancolique d’une fête galante, des roses
mousseuses en guirlandes dénouées. Ailleurs un coin semblait réservé
aux espèces communes qui montraient le blanc et rose proprets de la
julienne, lavés comme de la porcelaine avec un soin domestique, tandis
qu’un peu plus loin, pressées les unes contre les autres en une
véritable plate-bande flottante, on eût dit des pensées des jardins
qui étaient venues poser comme des papillons leur ailes bleuâtres et
glacées, sur l’obliquité transparente de ce parterre d’eau; de ce
parterre céleste aussi: car il donnait aux fleurs un sol d’une couleur
plus précieuse, plus émouvante que la couleur des fleurs elles-mêmes;
et, soit que pendant l’après-midi il fît étinceler sous les nymphéas
le kaléidoscope d’un bonheur attentif, silencieux et mobile, ou qu’il
s’emplît vers le soir, comme quelque port lointain, du rose et de la
rêverie du couchant, changeant sans cesse pour rester toujours en
accord, autour des corolles de teintes plus fixes, avec ce qu’il y a
de plus profond, de plus fugitif, de plus mystérieux,--avec ce qu’il y
a d’infini,--dans l’heure, il semblait les avoir fait fleurir en plein
ciel.
Au sortir de ce parc, la Vivonne redevient courante. Que de fois j’ai
vu, j’ai désiré imiter quand je serais libre de vivre à ma guise, un
rameur, qui, ayant lâché l’aviron, s’était couché à plat sur le dos,
la tête en bas, au fond de sa barque, et la laissant flotter à la
dérive, ne pouvant voir que le ciel qui filait lentement au-dessus de
lui, portait sur son visage l’avant-goût du bonheur et de la paix.
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