Du côté de chez Swann - 12

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semblait précieuse et manifester leur excellence particulière, tandis
qu’à côté d’eux, avant qu’on fût arrivé sur le sol sacré de l’un ou de
l’autre, les chemins purement matériels au milieu desquels ils étaient
posés comme l’idéal de la vue de plaine et l’idéal du paysage de
rivière, ne valaient pas plus la peine d’être regardés que par le
spectateur épris d’art dramatique, les petites rues qui avoisinent un
théâtre. Mais surtout je mettais entre eux, bien plus que leurs
distances kilométriques la distance qu’il y avait entre les deux
parties de mon cerveau où je pensais à eux, une de ces distances dans
l’esprit qui ne font pas qu’éloigner, qui séparent et mettent dans un
autre plan. Et cette démarcation était rendue plus absolue encore
parce que cette habitude que nous avions de n’aller jamais vers les
deux côtés un même jour, dans une seule promenade, mais une fois du
côté de Méséglise, une fois du côté de Guermantes, les enfermait pour
ainsi dire loin l’un de l’autre, inconnaissables l’un à l’autre, dans
les vases clos et sans communication entre eux, d’après-midi
différents.
Quand on voulait aller du côté de Méséglise, on sortait (pas trop tôt
et même si le ciel était couvert, parce que la promenade n’était pas
bien longue et n’entraînait pas trop) comme pour aller n’importe où,
par la grande porte de la maison de ma tante sur la rue du
Saint-Esprit. On était salué par l’armurier, on jetait ses lettres à
la boîte, on disait en passant à Théodore, de la part de Françoise,
qu’elle n’avait plus d’huile ou de café, et l’on sortait de la ville
par le chemin qui passait le long de la barrière blanche du parc de M.
Swann. Avant d’y arriver, nous rencontrions, venue au-devant des
étrangers, l’odeur de ses lilas. Eux-mêmes, d’entre les petits cœurs
verts et frais de leurs feuilles, levaient curieusement au-dessus de
la barrière du parc leurs panaches de plumes mauves ou blanches que
lustrait, même à l’ombre, le soleil où elles avaient baigné.
Quelques-uns, à demi cachés par la petite maison en tuiles appelée
maison des Archers, où logeait le gardien, dépassaient son pignon
gothique de leur rose minaret. Les Nymphes du printemps eussent semblé
vulgaires, auprès de ces jeunes houris qui gardaient dans ce jardin
français les tons vifs et purs des miniatures de la Perse. Malgré mon
désir d’enlacer leur taille souple et d’attirer à moi les boucles
étoilées de leur tête odorante, nous passions sans nous arrêter, mes
parents n’allant plus à Tansonville depuis le mariage de Swann, et,
pour ne pas avoir l’air de regarder dans le parc, au lieu de prendre
le chemin qui longe sa clôture et qui monte directement aux champs,
nous en prenions un autre qui y conduit aussi, mais obliquement, et
nous faisait déboucher trop loin. Un jour, mon grand-père dit à mon
père:
--«Vous rappelez-vous que Swann a dit hier que, comme sa femme et sa
fille partaient pour Reims, il en profiterait pour aller passer
vingt-quatre heures à Paris? Nous pourrions longer le parc, puisque
ces dames ne sont pas là, cela nous abrégerait d’autant.»
Nous nous arrêtâmes un moment devant la barrière. Le temps des lilas
approchait de sa fin; quelques-uns effusaient encore en hauts lustres
mauves les bulles délicates de leurs fleurs, mais dans bien des
parties du feuillage où déferlait, il y avait seulement une semaine,
leur mousse embaumée, se flétrissait, diminuée et noircie, une écume
creuse, sèche et sans parfum. Mon grand-père montrait à mon père en
quoi l’aspect des lieux était resté le même, et en quoi il avait
changé, depuis la promenade qu’il avait faite avec M. Swann le jour de
la mort de sa femme, et il saisit cette occasion pour raconter cette
promenade une fois de plus.
Devant nous, une allée bordée de capucines montait en plein soleil
vers le château. A droite, au contraire, le parc s’étendait en terrain
plat. Obscurcie par l’ombre des grands arbres qui l’entouraient, une
pièce d’eau avait été creusée par les parents de Swann; mais dans ses
créations les plus factices, c’est sur la nature que l’homme
travaille; certains lieux font toujours régner autour d’eux leur
empire particulier, arborent leurs insignes immémoriaux au milieu d’un
parc comme ils auraient fait loin de toute intervention humaine, dans
une solitude qui revient partout les entourer, surgie des nécessités
de leur exposition et superposée à l’œuvre humaine. C’est ainsi qu’au
pied de l’allée qui dominait l’étang artificiel, s’était composée sur
deux rangs, tressés de fleurs de myosotis et de pervenches, la
couronne naturelle, délicate et bleue qui ceint le front clair-obscur
des eaux, et que le glaïeul, laissant fléchir ses glaives avec un
abandon royal, étendait sur l’eupatoire et la grenouillette au pied
mouillé, les fleurs de lis en lambeaux, violettes et jaunes, de son
sceptre lacustre.
Le départ de Mlle Swann qui,--en m’ôtant la chance terrible de la voir
apparaître dans une allée, d’être connu et méprisé par la petite fille
privilégiée qui avait Bergotte pour ami et allait avec lui visiter des
cathédrales--, me rendait la contemplation de Tansonville indifférente
la première fois où elle m’était permise, semblait au contraire
ajouter à cette propriété, aux yeux de mon grand-père et de mon père,
des commodités, un agrément passager, et, comme fait pour une
excursion en pays de montagnes, l’absence de tout nuage, rendre cette
journée exceptionnellement propice à une promenade de ce côté;
j’aurais voulu que leurs calculs fussent déjoués, qu’un miracle fît
apparaître Mlle Swann avec son père, si près de nous, que nous
n’aurions pas le temps de l’éviter et serions obligés de faire sa
connaissance. Aussi, quand tout d’un coup, j’aperçus sur l’herbe,
comme un signe de sa présence possible, un koufin oublié à côté d’une
ligne dont le bouchon flottait sur l’eau, je m’empressai de détourner
d’un autre côté, les regards de mon père et de mon grand-père.
D’ailleurs Swann nous ayant dit que c’était mal à lui de s’absenter,
car il avait pour le moment de la famille à demeure, la ligne pouvait
appartenir à quelque invité. On n’entendait aucun bruit de pas dans
les allées. Divisant la hauteur d’un arbre incertain, un invisible
oiseau s’ingéniait à faire trouver la journée courte, explorait d’une
note prolongée, la solitude environnante, mais il recevait d’elle une
réplique si unanime, un choc en retour si redoublé de silence et
d’immobilité qu’on aurait dit qu’il venait d’arrêter pour toujours
l’instant qu’il avait cherché à faire passer plus vite. La lumière
tombait si implacable du ciel devenu fixe que l’on aurait voulu se
soustraire à son attention, et l’eau dormante elle-même, dont des
insectes irritaient perpétuellement le sommeil, rêvant sans doute de
quelque Maelstrôm imaginaire, augmentait le trouble où m’avait jeté la
vue du flotteur de liège en semblant l’entraîner à toute vitesse sur
les étendues silencieuses du ciel reflété; presque vertical il
paraissait prêt à plonger et déjà je me demandais, si, sans tenir
compte du désir et de la crainte que j’avais de la connaître, je
n’avais pas le devoir de faire prévenir Mlle Swann que le poisson
mordait,--quand il me fallut rejoindre en courant mon père et mon
grand-père qui m’appelaient, étonnés que je ne les eusse pas suivis
dans le petit chemin qui monte vers les champs et où ils s’étaient
engagés. Je le trouvai tout bourdonnant de l’odeur des aubépines. La
haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la
jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir; au-dessous d’elles, le
soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s’il venait de
traverser une verrière; leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi
délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge,
et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son
étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style
flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou
les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de
fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison
sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient
elles aussi en plein soleil le même chemin rustique, en la soie unie
de leur corsage rougissant qu’un souffle défait.
Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter
devant ma pensée qui ne savait ce qu’elle devait en faire, à perdre, à
retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait
leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des
intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles
m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion
inépuisable, mais sans me laisser approfondir davantage, comme ces
mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant
dans leur secret. Je me détournais d’elles un moment, pour les aborder
ensuite avec des forces plus fraîches. Je poursuivais jusque sur le
talus qui, derrière la haie, montait en pente raide vers les champs,
quelque coquelicot perdu, quelques bluets restés paresseusement en
arrière, qui le décoraient çà et là de leurs fleurs comme la bordure
d’une tapisserie où apparaît clairsemé le motif agreste qui triomphera
sur le panneau; rares encore, espacés comme les maisons isolées qui
annoncent déjà l’approche d’un village, ils m’annonçaient l’immense
étendue où déferlent les blés, où moutonnent les nuages, et la vue
d’un seul coquelicot hissant au bout de son cordage et faisant cingler
au vent sa flamme rouge, au-dessus de sa bouée graisseuse et noire, me
faisait battre le cœur, comme au voyageur qui aperçoit sur une terre
basse une première barque échouée que répare un calfat, et s’écrie,
avant de l’avoir encore vue: «La Mer!»
Puis je revenais devant les aubépines comme devant ces chefs-d’œuvre
dont on croit qu’on saura mieux les voir quand on a cessé un moment de
les regarder, mais j’avais beau me faire un écran de mes mains pour
n’avoir qu’elles sous les yeux, le sentiment qu’elles éveillaient en
moi restait obscur et vague, cherchant en vain à se dégager, à venir
adhérer à leurs fleurs. Elles ne m’aidaient pas à l’éclaircir, et je
ne pouvais demander à d’autres fleurs de le satisfaire. Alors, me
donnant cette joie que nous éprouvons quand nous voyons de notre
peintre préféré une œuvre qui diffère de celles que nous connaissions,
ou bien si l’on nous mène devant un tableau dont nous n’avions vu
jusque-là qu’une esquisse au crayon, si un morceau entendu seulement
au piano nous apparaît ensuite revêtu des couleurs de l’orchestre, mon
grand-père m’appelant et me désignant la haie de Tansonville, me dit:
«Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose;
est-elle jolie!» En effet c’était une épine, mais rose, plus belle
encore que les blanches. Elle aussi avait une parure de fête,--de ces
seules vraies fêtes que sont les fêtes religieuses, puisqu’un caprice
contingent ne les applique pas comme les fêtes mondaines à un jour
quelconque qui ne leur est pas spécialement destiné, qui n’a rien
d’essentiellement férié,--mais une parure plus riche encore, car les
fleurs attachées sur la branche, les unes au-dessus des autres, de
manière à ne laisser aucune place qui ne fût décorée, comme des
pompons qui enguirlandent une houlette rococo, étaient «en couleur»,
par conséquent d’une qualité supérieure selon l’esthétique de Combray
si l’on en jugeait par l’échelle des prix dans le «magasin» de la
Place ou chez Camus où étaient plus chers ceux des biscuits qui
étaient roses. Moi-même j’appréciais plus le fromage à la crème rose,
celui où l’on m’avait permis d’écraser des fraises. Et justement ces
fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de
tendre embellissement à une toilette pour une grande fête, qui, parce
qu’elles leur présentent la raison de leur supériorité, sont celles
qui semblent belles avec le plus d’évidence aux yeux des enfants, et à
cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et
de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu’ils ont compris
qu’elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n’avaient pas été
choisies par la couturière. Et certes, je l’avais tout de suite senti,
comme devant les épines blanches mais avec plus d’émerveillement, que
ce n’était pas facticement, par un artifice de fabrication humaine,
qu’était traduite l’intention de festivité dans les fleurs, mais que
c’était la nature qui, spontanément, l’avait exprimée avec la naïveté
d’une commerçante de village travaillant pour un reposoir, en
surchargeant l’arbuste de ces rosettes d’un ton trop tendre et d’un
pompadour provincial. Au haut des branches, comme autant de ces petits
rosiers aux pots cachés dans des papiers en dentelles, dont aux
grandes fêtes on faisait rayonner sur l’autel les minces fusées,
pullulaient mille petits boutons d’une teinte plus pâle qui, en
s’entr’ouvrant, laissaient voir, comme au fond d’une coupe de marbre
rose, de rouges sanguines et trahissaient plus encore que les fleurs,
l’essence particulière, irrésistible, de l’épine, qui, partout où elle
bourgeonnait, où elle allait fleurir, ne le pouvait qu’en rose.
Intercalé dans la haie, mais aussi différent d’elle qu’une jeune fille
en robe de fête au milieu de personnes en négligé qui resteront à la
maison, tout prêt pour le mois de Marie, dont il semblait faire partie
déjà, tel brillait en souriant dans sa fraîche toilette rose,
l’arbuste catholique et délicieux.
La haie laissait voir à l’intérieur du parc une allée bordée de
jasmins, de pensées et de verveines entre lesquelles des giroflées
ouvraient leur bourse fraîche, du rose odorant et passé d’un cuir
ancien de Cordoue, tandis que sur le gravier un long tuyau d’arrosage
peint en vert, déroulant ses circuits, dressait aux points où il était
percé au-dessus des fleurs, dont il imbibait les parfums, l’éventail
vertical et prismatique de ses gouttelettes multicolores. Tout à coup,
je m’arrêtai, je ne pus plus bouger, comme il arrive quand une vision
ne s’adresse pas seulement à nos regards, mais requiert des
perceptions plus profondes et dispose de notre être tout entier. Une
fillette d’un blond roux qui avait l’air de rentrer de promenade et
tenait à la main une bêche de jardinage, nous regardait, levant son
visage semé de taches roses. Ses yeux noirs brillaient et comme je ne
savais pas alors, ni ne l’ai appris depuis, réduire en ses éléments
objectifs une impression forte, comme je n’avais pas, ainsi qu’on dit,
assez «d’esprit d’observation» pour dégager la notion de leur couleur,
pendant longtemps, chaque fois que je repensai à elle, le souvenir de
leur éclat se présentait aussitôt à moi comme celui d’un vif azur,
puisqu’elle était blonde: de sorte que, peut-être si elle n’avait pas
eu des yeux aussi noirs,--ce qui frappait tant la première fois qu’on
la voyait--je n’aurais pas été, comme je le fus, plus particulièrement
amoureux, en elle, de ses yeux bleus.
Je la regardais, d’abord de ce regard qui n’est pas que le
porte-parole des yeux, mais à la fenêtre duquel se penchent tous les
sens, anxieux et pétrifiés, le regard qui voudrait toucher, capturer,
emmener le corps qu’il regarde et l’âme avec lui; puis, tant j’avais
peur que d’une seconde à l’autre mon grand-père et mon père,
apercevant cette jeune fille, me fissent éloigner en me disant de
courir un peu devant eux, d’un second regard, inconsciemment
supplicateur, qui tâchait de la forcer à faire attention à moi, à me
connaître! Elle jeta en avant et de côté ses pupilles pour prendre
connaissance de mon grand’père et de mon père, et sans doute l’idée
qu’elle en rapporta fut celle que nous étions ridicules, car elle se
détourna et d’un air indifférent et dédaigneux, se plaça de côté pour
épargner à son visage d’être dans leur champ visuel; et tandis que
continuant à marcher et ne l’ayant pas aperçue, ils m’avaient dépassé,
elle laissa ses regards filer de toute leur longueur dans ma
direction, sans expression particulière, sans avoir l’air de me voir,
mais avec une fixité et un sourire dissimulé, que je ne pouvais
interpréter d’après les notions que l’on m’avait données sur la bonne
éducation, que comme une preuve d’outrageant mépris; et sa main
esquissait en même temps un geste indécent, auquel quand il était
adressé en public à une personne qu’on ne connaissait pas, le petit
dictionnaire de civilité que je portais en moi ne donnait qu’un seul
sens, celui d’une intention insolente.
--«Allons, Gilberte, viens; qu’est-ce que tu fais, cria d’une voix
perçante et autoritaire une dame en blanc que je n’avais pas vue, et à
quelque distance de laquelle un Monsieur habillé de coutil et que je
ne connaissais pas, fixait sur moi des yeux qui lui sortaient de la
tête; et cessant brusquement de sourire, la jeune fille prit sa bêche
et s’éloigna sans se retourner de mon côté, d’un air docile,
impénétrable et sournois.
Ainsi passa près de moi ce nom de Gilberte, donné comme un talisman
qui me permettait peut-être de retrouver un jour celle dont il venait
de faire une personne et qui, l’instant d’avant, n’était qu’une image
incertaine. Ainsi passa-t-il, proféré au-dessus des jasmins et des
giroflées, aigre et frais comme les gouttes de l’arrosoir vert;
imprégnant, irisant la zone d’air pur qu’il avait traversée--et qu’il
isolait,--du mystère de la vie de celle qu’il désignait pour les êtres
heureux qui vivaient, qui voyageaient avec elle; déployant sous
l’épinier rose, à hauteur de mon épaule, la quintessence de leur
familiarité, pour moi si douloureuse, avec elle, avec l’inconnu de sa
vie où je n’entrerais pas.
Un instant (tandis que nous nous éloignions et que mon grand-père
murmurait: «Ce pauvre Swann, quel rôle ils lui font jouer: on le fait
partir pour qu’elle reste seule avec son Charlus, car c’est lui, je
l’ai reconnu! Et cette petite, mêlée à toute cette infamie!»)
l’impression laissée en moi par le ton despotique avec lequel la mère
de Gilberte lui avait parlé sans qu’elle répliquât, en me la montrant
comme forcée d’obéir à quelqu’un, comme n’étant pas supérieure à tout,
calma un peu ma souffrance, me rendit quelque espoir et diminua mon
amour. Mais bien vite cet amour s’éleva de nouveau en moi comme une
réaction par quoi mon cœur humilié voulait se mettre de niveau avec
Gilberte ou l’abaisser jusqu’à lui. Je l’aimais, je regrettais de ne
pas avoir eu le temps et l’inspiration de l’offenser, de lui faire
mal, et de la forcer à se souvenir de moi. Je la trouvais si belle que
j’aurais voulu pouvoir revenir sur mes pas, pour lui crier en haussant
les épaules: «Comme je vous trouve laide, grotesque, comme vous me
répugnez!» Cependant je m’éloignais, emportant pour toujours, comme
premier type d’un bonheur inaccessible aux enfants de mon espèce de
par des lois naturelles impossibles à transgresser, l’image d’une
petite fille rousse, à la peau semée de taches roses, qui tenait une
bêche et qui riait en laissant filer sur moi de longs regards sournois
et inexpressifs. Et déjà le charme dont son nom avait encensé cette
place sous les épines roses où il avait été entendu ensemble par elle
et par moi, allait gagner, enduire, embaumer, tout ce qui
l’approchait, ses grands-parents que les miens avaient eu l’ineffable
bonheur de connaître, la sublime profession d’agent de change, le
douloureux quartier des Champs-Élysées qu’elle habitait à Paris.
«Léonie, dit mon grand-père en rentrant, j’aurais voulu t’avoir avec
nous tantôt. Tu ne reconnaîtrais pas Tansonville. Si j’avais osé, je
t’aurais coupé une branche de ces épines roses que tu aimais tant.»
Mon grand-père racontait ainsi notre promenade à ma tante Léonie, soit
pour la distraire, soit qu’on n’eût pas perdu tout espoir d’arriver à
la faire sortir. Or elle aimait beaucoup autrefois cette propriété, et
d’ailleurs les visites de Swann avaient été les dernières qu’elle
avait reçues, alors qu’elle fermait déjà sa porte à tout le monde. Et
de même que quand il venait maintenant prendre de ses nouvelles (elle
était la seule personne de chez nous qu’il demandât encore à voir),
elle lui faisait répondre qu’elle était fatiguée, mais qu’elle le
laisserait entrer la prochaine fois, de même elle dit ce soir-là:
«Oui, un jour qu’il fera beau, j’irai en voiture jusqu’à la porte du
parc.» C’est sincèrement qu’elle le disait. Elle eût aimé revoir Swann
et Tansonville; mais le désir qu’elle en avait suffisait à ce qui lui
restait de forces; sa réalisation les eût excédées. Quelquefois le
beau temps lui rendait un peu de vigueur, elle se levait, s’habillait;
la fatigue commençait avant qu’elle fût passée dans l’autre chambre et
elle réclamait son lit. Ce qui avait commencé pour elle--plus tôt
seulement que cela n’arrive d’habitude,--c’est ce grand renoncement de
la vieillesse qui se prépare à la mort, s’enveloppe dans sa
chrysalide, et qu’on peut observer, à la fin des vies qui se
prolongent tard, même entre les anciens amants qui se sont le plus
aimés, entre les amis unis par les liens les plus spirituels et qui à
partir d’une certaine année cessent de faire le voyage ou la sortie
nécessaire pour se voir, cessent de s’écrire et savent qu’ils ne
communiqueront plus en ce monde. Ma tante devait parfaitement savoir
qu’elle ne reverrait pas Swann, qu’elle ne quitterait plus jamais la
maison, mais cette réclusion définitive devait lui être rendue assez
aisée pour la raison même qui selon nous aurait dû la lui rendre plus
douloureuse: c’est que cette réclusion lui était imposée par la
diminution qu’elle pouvait constater chaque jour dans ses forces, et
qui, en faisant de chaque action, de chaque mouvement, une fatigue,
sinon une souffrance, donnait pour elle à l’inaction, à l’isolement,
au silence, la douceur réparatrice et bénie du repos.
Ma tante n’alla pas voir la haie d’épines roses, mais à tous moments
je demandais à mes parents si elle n’irait pas, si autrefois elle
allait souvent à Tansonville, tâchant de les faire parler des parents
et grands-parents de Mlle Swann qui me semblaient grands comme des
Dieux. Ce nom, devenu pour moi presque mythologique, de Swann, quand
je causais avec mes parents, je languissais du besoin de le leur
entendre dire, je n’osais pas le prononcer moi-même, mais je les
entraînais sur des sujets qui avoisinaient Gilberte et sa famille, qui
la concernaient, où je ne me sentais pas exilé trop loin d’elle; et je
contraignais tout d’un coup mon père, en feignant de croire par
exemple que la charge de mon grand-père avait été déjà avant lui dans
notre famille, ou que la haie d’épines roses que voulait voir ma tante
Léonie se trouvait en terrain communal, à rectifier mon assertion, à
me dire, comme malgré moi, comme de lui-même: «Mais non, cette
charge-là était au père de Swann, cette haie fait partie du parc de
Swann.» Alors j’étais obligé de reprendre ma respiration, tant, en se
posant sur la place où il était toujours écrit en moi, pesait à
m’étouffer ce nom qui, au moment où je l’entendais, me paraissait plus
plein que tout autre, parce qu’il était lourd de toutes les fois où,
d’avance, je l’avais mentalement proféré. Il me causait un plaisir que
j’étais confus d’avoir osé réclamer à mes parents, car ce plaisir
était si grand qu’il avait dû exiger d’eux pour qu’ils me le
procurassent beaucoup de peine, et sans compensation, puisqu’il
n’était pas un plaisir pour eux. Aussi je détournais la conversation
par discrétion. Par scrupule aussi. Toutes les séductions singulières
que je mettais dans ce nom de Swann, je les retrouvais en lui dès
qu’ils le prononçaient. Il me semblait alors tout d’un coup que mes
parents ne pouvaient pas ne pas les ressentir, qu’ils se trouvaient
placés à mon point de vue, qu’ils apercevaient à leur tour,
absolvaient, épousaient mes rêves, et j’étais malheureux comme si je
les avais vaincus et dépravés.
Cette année-là, quand, un peu plus tôt que d’habitude, mes parents
eurent fixé le jour de rentrer à Paris, le matin du départ, comme on
m’avait fait friser pour être photographié, coiffer avec précaution un
chapeau que je n’avais encore jamais mis et revêtir une douillette de
velours, après m’avoir cherché partout, ma mère me trouva en larmes
dans le petit raidillon, contigu à Tansonville, en train de dire adieu
aux aubépines, entourant de mes bras les branches piquantes, et, comme
une princesse de tragédie à qui pèseraient ces vains ornements, ingrat
envers l’importune main qui en formant tous ces nœuds avait pris soin
sur mon front d’assembler mes cheveux, foulant aux pieds mes
papillotes arrachées et mon chapeau neuf. Ma mère ne fut pas touchée
par mes larmes, mais elle ne put retenir un cri à la vue de la coiffe
défoncée et de la douillette perdue. Je ne l’entendis pas: «O mes
pauvres petites aubépines, disais-je en pleurant, ce n’est pas vous
qui voudriez me faire du chagrin, me forcer à partir. Vous, vous ne
m’avez jamais fait de peine! Aussi je vous aimerai toujours.» Et,
essuyant mes larmes, je leur promettais, quand je serais grand, de ne
pas imiter la vie insensée des autres hommes et, même à Paris, les
jours de printemps, au lieu d’aller faire des visites et écouter des
niaiseries, de partir dans la campagne voir les premières aubépines.
Une fois dans les champs, on ne les quittait plus pendant tout le
reste de la promenade qu’on faisait du côté de Méséglise. Ils étaient
perpétuellement parcourus, comme par un chemineau invisible, par le
vent qui était pour moi le génie particulier de Combray. Chaque année,
le jour de notre arrivée, pour sentir que j’étais bien à Combray, je
montais le retrouver qui courait dans les sayons et me faisait courir
à sa suite. On avait toujours le vent à côté de soi du côté de
Méséglise, sur cette plaine bombée où pendant des lieues il ne
rencontre aucun accident de terrain. Je savais que Mlle Swann allait
souvent à Laon passer quelques jours et, bien que ce fût à plusieurs
lieues, la distance se trouvant compensée par l’absence de tout
obstacle, quand, par les chauds après-midi, je voyais un même souffle,
venu de l’extrême horizon, abaisser les blés les plus éloignés, se
propager comme un flot sur toute l’immense étendue et venir se
coucher, murmurant et tiède, parmi les sainfoins et les trèfles, à mes
pieds, cette plaine qui nous était commune à tous deux semblait nous
rapprocher, nous unir, je pensais que ce souffle avait passé auprès
d’elle, que c’était quelque message d’elle qu’il me chuchotait sans
que je pusse le comprendre, et je l’embrassais au passage. A gauche
était un village qui s’appelait Champieu (Campus Pagani, selon le
curé). Sur la droite, on apercevait par delà les blés, les deux
clochers ciselés et rustiques de Saint-André-des-Champs, eux-mêmes
effilés, écailleux, imbriqués d’alvéoles, guillochés, jaunissants et
grumeleux, comme deux épis.
A intervalles symétriques, au milieu de l’inimitable ornementation de
leurs feuilles qu’on ne peut confondre avec la feuille d’aucun autre
arbre fruitier, les pommiers ouvraient leurs larges pétales de satin
blanc ou suspendaient les timides bouquets de leurs rougissants
boutons. C’est du côté de Méséglise que j’ai remarqué pour la première
fois l’ombre ronde que les pommiers font sur la terre ensoleillée, et
aussi ces soies d’or impalpable que le couchant tisse obliquement sous
les feuilles, et que je voyais mon père interrompre de sa canne sans
les faire jamais dévier.
Parfois dans le ciel de l’après-midi passait la lune blanche comme une
nuée, furtive, sans éclat, comme une actrice dont ce n’est pas l’heure
de jouer et qui, de la salle, en toilette de ville, regarde un moment
ses camarades, s’effaçant, ne voulant pas qu’on fasse attention à
elle. J’aimais à retrouver son image dans des tableaux et dans des
livres, mais ces œuvres d’art étaient bien différentes--du moins
pendant les premières années, avant que Bloch eût accoutumé mes yeux
et ma pensée à des harmonies plus subtiles--de celles où la lune me
paraîtrait belle aujourd’hui et où je ne l’eusse pas reconnue alors.
C’était, par exemple, quelque roman de Saintine, un paysage de Gleyre
où elle découpe nettement sur le ciel une faucille d’argent, de ces
œuvres naïvement incomplètes comme étaient mes propres impressions et
que les sœurs de ma grand’mère s’indignaient de me voir aimer. Elles
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