Du côté de chez Swann - 27

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demander de chercher à éclaircir tel ou tel point, il éprouvait le
repos de cesser de se poser ses questions sans réponses et de
transférer à un autre la fatigue d’interroger. Il est vrai que Swann
n’était guère plus avancé quand il avait certains renseignements.
Savoir ne permet pas toujours d’empêcher, mais du moins les choses que
nous savons, nous les tenons, sinon entre nos mains, du moins dans
notre pensée où nous les disposons à notre gré, ce qui nous donne
l’illusion d’une sorte de pouvoir sur elles. Il était heureux toutes
les fois où M. de Charlus était avec Odette. Entre M. de Charlus et
elle, Swann savait qu’il ne pouvait rien se passer, que quand M. de
Charlus sortait avec elle c’était par amitié pour lui et qu’il ne
ferait pas difficulté à lui raconter ce qu’elle avait fait.
Quelquefois elle avait déclaré si catégoriquement à Swann qu’il lui
était impossible de le voir un certain soir, elle avait l’air de tenir
tant à une sortie, que Swann attachait une véritable importance à ce
que M. de Charlus fût libre de l’accompagner. Le lendemain, sans oser
poser beaucoup de questions à M. de Charlus, il le contraignait, en
ayant l’air de ne pas bien comprendre ses premières réponses, à lui en
donner de nouvelles, après chacune desquelles il se sentait plus
soulagé, car il apprenait bien vite qu’Odette avait occupé sa soirée
aux plaisirs les plus innocents. «Mais comment, mon petit Mémé, je ne
comprends pas bien..., ce n’est pas en sortant de chez elle que vous
êtes allés au musée Grévin? Vous étiez allés ailleurs d’abord. Non?
Oh! que c’est drôle! Vous ne savez pas comme vous m’amusez, mon petit
Mémé. Mais quelle drôle d’idée elle a eue d’aller ensuite au Chat
Noir, c’est bien une idée d’elle... Non? c’est vous. C’est curieux.
Après tout ce n’est pas une mauvaise idée, elle devait y connaître
beaucoup de monde? Non? elle n’a parlé à personne? C’est
extraordinaire. Alors vous êtes restés là comme cela tous les deux
tous seuls? Je vois d’ici cette scène. Vous êtes gentil, mon petit
Mémé, je vous aime bien.» Swann se sentait soulagé. Pour lui, à qui il
était arrivé en causant avec des indifférents qu’il écoutait à peine,
d’entendre quelquefois certaines phrases (celle-ci par exemple: «J’ai
vu hier Mme de Crécy, elle était avec un monsieur que je ne connais
pas»), phrases qui aussitôt dans le cœur de Swann passaient à l’état
solide, s’y durcissaient comme une incrustation, le déchiraient, n’en
bougeaient plus, qu’ils étaient doux au contraire ces mots: «Elle ne
connaissait personne, elle n’a parlé à personne», comme ils
circulaient aisément en lui, qu’ils étaient fluides, faciles,
respirables! Et pourtant au bout d’un instant il se disait qu’Odette
devait le trouver bien ennuyeux pour que ce fussent là les plaisirs
qu’elle préférait à sa compagnie. Et leur insignifiance, si elle le
rassurait, lui faisait pourtant de la peine comme une trahison.
Même quand il ne pouvait savoir où elle était allée, il lui aurait
suffi pour calmer l’angoisse qu’il éprouvait alors, et contre laquelle
la présence d’Odette, la douceur d’être auprès d’elle était le seul
spécifique (un spécifique qui à la longue aggravait le mal avec bien
des remèdes, mais du moins calmait momentanément la souffrance), il
lui aurait suffi, si Odette l’avait seulement permis, de rester chez
elle tant qu’elle ne serait pas là, de l’attendre jusqu’à cette heure
du retour dans l’apaisement de laquelle seraient venues se confondre
les heures qu’un prestige, un maléfice lui avaient fait croire
différentes des autres. Mais elle ne le voulait pas; il revenait chez
lui; il se forçait en chemin à former divers projets, il cessait de
songer à Odette; même il arrivait, tout en se déshabillant, à rouler
en lui des pensées assez joyeuses; c’est le cœur plein de l’espoir
d’aller le lendemain voir quelque chef-d’œuvre qu’il se mettait au lit
et éteignait sa lumière; mais, dès que, pour se préparer à dormir, il
cessait d’exercer sur lui-même une contrainte dont il n’avait même pas
conscience tant elle était devenue habituelle, au même instant un
frisson glacé refluait en lui et il se mettait à sangloter. Il ne
voulait même pas savoir pourquoi, s’essuyait les yeux, se disait en
riant: «C’est charmant, je deviens névropathe.» Puis il ne pouvait
penser sans une grande lassitude que le lendemain il faudrait
recommencer de chercher à savoir ce qu’Odette avait fait, à mettre en
jeu des influences pour tâcher de la voir. Cette nécessité d’une
activité sans trêve, sans variété, sans résultats, lui était si
cruelle qu’un jour apercevant une grosseur sur son ventre, il
ressentit une véritable joie à la pensée qu’il avait peut-être une
tumeur mortelle, qu’il n’allait plus avoir à s’occuper de rien, que
c’était la maladie qui allait le gouverner, faire de lui son jouet,
jusqu’à la fin prochaine. Et en effet si, à cette époque, il lui
arriva souvent sans se l’avouer de désirer la mort, c’était pour
échapper moins à l’acuité de ses souffrances qu’à la monotonie de son
effort.
Et pourtant il aurait voulu vivre jusqu’à l’époque où il ne l’aimerait
plus, où elle n’aurait aucune raison de lui mentir et où il pourrait
enfin apprendre d’elle si le jour où il était allé la voir dans
l’après-midi, elle était ou non couchée avec Forcheville. Souvent
pendant quelques jours, le soupçon qu’elle aimait quelqu’un d’autre le
détournait de se poser cette question relative à Forcheville, la lui
rendait presque indifférente, comme ces formes nouvelles d’un même
état maladif qui semblent momentanément nous avoir délivrés des
précédentes. Même il y avait des jours où il n’était tourmenté par
aucun soupçon. Il se croyait guéri. Mais le lendemain matin, au
réveil, il sentait à la même place la même douleur dont, la veille
pendant la journée, il avait comme dilué la sensation dans le torrent
des impressions différentes. Mais elle n’avait pas bougé de place. Et
même, c’était l’acuité de cette douleur qui avait réveillé Swann.
Comme Odette ne lui donnait aucun renseignement sur ces choses si
importantes qui l’occupaient tant chaque jour (bien qu’il eût assez
vécu pour savoir qu’il n’y en a jamais d’autres que les plaisirs), il
ne pouvait pas chercher longtemps de suite à les imaginer, son cerveau
fonctionnait à vide; alors il passait son doigt sur ses paupières
fatiguées comme il aurait essuyé le verre de son lorgnon, et cessait
entièrement de penser. Il surnageait pourtant à cet inconnu certaines
occupations qui réapparaissaient de temps en temps, vaguement
rattachées par elle à quelque obligation envers des parents éloignés
ou des amis d’autrefois, qui, parce qu’ils étaient les seuls qu’elle
lui citait souvent comme l’empêchant de le voir, paraissaient à Swann
former le cadre fixe, nécessaire, de la vie d’Odette. A cause du ton
dont elle lui disait de temps à autre «le jour où je vais avec mon
amie à l’Hippodrome», si, s’étant senti malade et ayant pensé:
«peut-être Odette voudrait bien passer chez moi», il se rappelait
brusquement que c’était justement ce jour-là, il se disait: «Ah! non,
ce n’est pas la peine de lui demander de venir, j’aurais dû y penser
plus tôt, c’est le jour où elle va avec son amie à l’Hippodrome.
Réservons-nous pour ce qui est possible; c’est inutile de s’user à
proposer des choses inacceptables et refusées d’avance.» Et ce devoir
qui incombait à Odette d’aller à l’Hippodrome et devant lequel Swann
s’inclinait ainsi ne lui paraissait pas seulement inéluctable; mais ce
caractère de nécessité dont il était empreint semblait rendre
plausible et légitime tout ce qui de près ou de loin se rapportait à
lui. Si Odette dans la rue ayant reçu d’un passant un salut qui avait
éveillé la jalousie de Swann, elle répondait aux questions de celui-ci
en rattachant l’existence de l’inconnu à un des deux ou trois grands
devoirs dont elle lui parlait, si, par exemple, elle disait: «C’est un
monsieur qui était dans la loge de mon amie avec qui je vais à
l’Hippodrome», cette explication calmait les soupçons de Swann, qui en
effet trouvait inévitable que l’amie eût d’autre invités qu’Odette
dans sa loge à l’Hippodrome, mais n’avait jamais cherché ou réussi à
se les figurer. Ah! comme il eût aimé la connaître, l’amie qui allait
à l’Hippodrome, et qu’elle l’y emmenât avec Odette! Comme il aurait
donné toutes ses relations pour n’importe quelle personne qu’avait
l’habitude de voir Odette, fût-ce une manucure ou une demoiselle de
magasin. Il eût fait pour elles plus de frais que pour des reines. Ne
lui auraient-elles pas fourni, dans ce qu’elles contenaient de la vie
d’Odette, le seul calmant efficace pour ses souffrances? Comme il
aurait couru avec joie passer les journées chez telle de ces petites
gens avec lesquelles Odette gardait des relations, soit par intérêt,
soit par simplicité véritable. Comme il eût volontiers élu domicile à
jamais au cinquième étage de telle maison sordide et enviée où Odette
ne l’emmenait pas, et où, s’il y avait habité avec la petite
couturière retirée dont il eût volontiers fait semblant d’être
l’amant, il aurait presque chaque jour reçu sa visite. Dans ces
quartiers presque populaires, quelle existence modeste, abjecte, mais
douce, mais nourrie de calme et de bonheur, il eût accepté de vivre
indéfiniment.
Il arrivait encore parfois, quand, ayant rencontré Swann, elle voyait
s’approcher d’elle quelqu’un qu’il ne connaissait pas, qu’il pût
remarquer sur le visage d’Odette cette tristesse qu’elle avait eue le
jour où il était venu pour la voir pendant que Forcheville était là.
Mais c’était rare; car les jours où malgré tout ce qu’elle avait à
faire et la crainte de ce que penserait le monde, elle arrivait à voir
Swann, ce qui dominait maintenant dans son attitude était l’assurance:
grand contraste, peut-être revanche inconsciente ou réaction naturelle
de l’émotion craintive qu’aux premiers temps où elle l’avait connu,
elle éprouvait auprès de lui, et même loin de lui, quand elle
commençait une lettre par ces mots: «Mon ami, ma main tremble si fort
que je peux à peine écrire» (elle le prétendait du moins et un peu de
cet émoi devait être sincère pour qu’elle désirât d’en feindre
davantage). Swann lui plaisait alors. On ne tremble jamais que pour
soi, que pour ceux qu’on aime. Quand notre bonheur n’est plus dans
leurs mains, de quel calme, de quelle aisance, de quelle hardiesse on
jouit auprès d’eux! En lui parlant, en lui écrivant, elle n’avait plus
de ces mots par lesquels elle cherchait à se donner l’illusion qu’il
lui appartenait, faisant naître les occasions de dire «mon», «mien»,
quand il s’agissait de lui: «Vous êtes mon bien, c’est le parfum de
notre amitié, je le garde», de lui parler de l’avenir, de la mort
même, comme d’une seule chose pour eux deux. Dans ce temps-là, à tout
de qu’il disait, elle répondait avec admiration: «Vous, vous ne serez
jamais comme tout le monde»; elle regardait sa longue tête un peu
chauve, dont les gens qui connaissaient les succès de Swann pensaient:
«Il n’est pas régulièrement beau si vous voulez, mais il est chic: ce
toupet, ce monocle, ce sourire!», et, plus curieuse peut-être de
connaître ce qu’il était que désireuse d’être sa maîtresse, elle
disait:
--«Si je pouvais savoir ce qu’il y a dans cette tête là!»
Maintenant, à toutes les paroles de Swann elle répondait d’un ton
parfois irrité, parfois indulgent:
--«Ah! tu ne seras donc jamais comme tout le monde!»
Elle regardait cette tête qui n’était qu’un peu plus vieillie par le
souci (mais dont maintenant tous pensaient, en vertu de cette même
aptitude qui permet de découvrir les intentions d’un morceau
symphonique dont on a lu le programme, et les ressemblances d’un
enfant quand on connaît sa parenté: «Il n’est pas positivement laid si
vous voulez, mais il est ridicule: ce monocle, ce toupet, ce
sourire!», réalisant dans leur imagination suggestionnée la
démarcation immatérielle qui sépare à quelques mois de distance une
tête d’amant de cœur et une tête de cocu), elle disait:
--«Ah! si je pouvais changer, rendre raisonnable ce qu’il y a dans
cette tête-là.»
Toujours prêt à croire ce qu’il souhaitait si seulement les manières
d’être d’Odette avec lui laissaient place au doute, il se jetait
avidement sur cette parole:
--«Tu le peux si tu le veux, lui disait-il.»
Et il tâchait de lui montrer que l’apaiser, le diriger, le faire
travailler, serait une noble tâche à laquelle ne demandaient qu’à se
vouer d’autres femmes qu’elle, entre les mains desquelles il est vrai
d’ajouter que la noble tâche ne lui eût paru plus qu’une indiscrète et
insupportable usurpation de sa liberté. «Si elle ne m’aimait pas un
peu, se disait-il, elle ne souhaiterait pas de me transformer. Pour me
transformer, il faudra qu’elle me voie davantage.» Ainsi trouvait-il
dans ce reproche qu’elle lui faisait, comme une preuve d’intérêt,
d’amour peut-être; et en effet, elle lui en donnait maintenant si peu
qu’il était obligé de considérer comme telles les défenses qu’elle lui
faisait d’une chose ou d’une autre. Un jour, elle lui déclara qu’elle
n’aimait pas son cocher, qu’il lui montait peut-être la tête contre
elle, qu’en tous cas il n’était pas avec lui de l’exactitude et de la
déférence qu’elle voulait. Elle sentait qu’il désirait lui entendre
dire: «Ne le prends plus pour venir chez moi», comme il aurait désiré
un baiser. Comme elle était de bonne humeur, elle le lui dit; il fut
attendri. Le soir, causant avec M. de Charlus avec qui il avait la
douceur de pouvoir parler d’elle ouvertement (car les moindres propos
qu’il tenait, même aux personnes qui ne la connaissaient pas, se
rapportaient en quelque manière à elle), il lui dit:
--Je crois pourtant qu’elle m’aime; elle est si gentille pour moi, ce
que je fais ne lui est certainement pas indifférent.
Et si, au moment d’aller chez elle, montant dans sa voiture avec un
ami qu’il devait laisser en route, l’autre lui disait:
--«Tiens, ce n’est pas Lorédan qui est sur le siège?», avec quelle joie
mélancolique Swann lui répondait:
--«Oh! sapristi non! je te dirai, je ne peux pas prendre Lorédan quand
je vais rue La Pérouse. Odette n’aime pas que je prenne Lorédan, elle
ne le trouve pas bien pour moi; enfin que veux-tu, les femmes, tu
sais! je sais que ça lui déplairait beaucoup. Ah bien oui! je n’aurais
eu qu’à prendre Rémi! j’en aurais eu une histoire!»
Ces nouvelles façons indifférentes, distraites, irritables, qui
étaient maintenant celles d’Odette avec lui, certes Swann en
souffrait; mais il ne connaissait pas sa souffrance; comme c’était
progressivement, jour par jour, qu’Odette s’était refroidie à son
égard, ce n’est qu’en mettant en regard de ce qu’elle était
aujourd’hui ce qu’elle avait été au début, qu’il aurait pu sonder la
profondeur du changement qui s’était accompli. Or ce changement
c’était sa profonde, sa secrète blessure, qui lui faisait mal jour et
nuit, et dès qu’il sentait que ses pensées allaient un peu trop près
d’elle, vivement il les dirigeait d’un autre côté de peur de trop
souffrir. Il se disait bien d’une façon abstraite: «Il fut un temps où
Odette m’aimait davantage», mais jamais il ne revoyait ce temps. De
même qu’il y avait dans son cabinet une commode qu’il s’arrangeait à
ne pas regarder, qu’il faisait un crochet pour éviter en entrant et en
sortant, parce que dans un tiroir étaient serrés le chrysanthème
qu’elle lui avait donné le premier soir où il l’avait reconduite, les
lettres où elle disait: «Que n’y avez-vous oublié aussi votre cœur, je
ne vous aurais pas laissé le reprendre» et: «A quelque heure du jour
et de la nuit que vous ayez besoin de moi, faites-moi signe et
disposez de ma vie», de même il y avait en lui une place dont il ne
laissait jamais approcher son esprit, lui faisant faire s’il le
fallait le détour d’un long raisonnement pour qu’il n’eût pas à passer
devant elle: c’était celle où vivait le souvenir des jours heureux.
Mais sa si précautionneuse prudence fut déjouée un soir qu’il était
allé dans le monde.
C’était chez la marquise de Saint-Euverte, à la dernière, pour cette
année-là, des soirées où elle faisait entendre des artistes qui lui
servaient ensuite pour ses concerts de charité. Swann, qui avait voulu
successivement aller à toutes les précédentes et n’avait pu s’y
résoudre, avait reçu, tandis qu’il s’habillait pour se rendre à
celle-ci, la visite du baron de Charlus qui venait lui offrir de
retourner avec lui chez la marquise, si sa compagnie devait l’aider à
s’y ennuyer un peu moins, à s’y trouver moins triste. Mais Swann lui
avait répondu:
--«Vous ne doutez pas du plaisir que j’aurais à être avec vous. Mais le
plus grand plaisir que vous puissiez me faire c’est d’aller plutôt
voir Odette. Vous savez l’excellente influence que vous avez sur elle.
Je crois qu’elle ne sort pas ce soir avant d’aller chez son ancienne
couturière où du reste elle sera sûrement contente que vous
l’accompagniez. En tous cas vous la trouveriez chez elle avant. Tâchez
de la distraire et aussi de lui parler raison. Si vous pouviez
arranger quelque chose pour demain qui lui plaise et que nous
pourrions faire tous les trois ensemble. Tâchez aussi de poser des
jalons pour cet été, si elle avait envie de quelque chose, d’une
croisière que nous ferions tous les trois, que sais-je? Quant à ce
soir, je ne compte pas la voir; maintenant si elle le désirait ou si
vous trouviez un joint, vous n’avez qu’à m’envoyer un mot chez Mme de
Saint-Euverte jusqu’à minuit, et après chez moi. Merci de tout ce que
vous faites pour moi, vous savez comme je vous aime.»
Le baron lui promit d’aller faire la visite qu’il désirait après qu’il
l’aurait conduit jusqu’à la porte de l’hôtel Saint-Euverte, où Swann
arriva tranquillisé par la pensée que M. de Charlus passerait la
soirée rue La Pérouse, mais dans un état de mélancolique indifférence
à toutes les choses qui ne touchaient pas Odette, et en particulier
aux choses mondaines, qui leur donnait le charme de ce qui, n’étant
plus un but pour notre volonté, nous apparaît en soi-même. Dès sa
descente de voiture, au premier plan de ce résumé fictif de leur vie
domestique que les maîtresses de maison prétendent offrir à leurs
invités les jours de cérémonie et où elles cherchent à respecter la
vérité du costume et celle du décor, Swann prit plaisir à voir les
héritiers des «tigres» de Balzac, les grooms, suivants ordinaires de
la promenade, qui, chapeautés et bottés, restaient dehors devant
l’hôtel sur le sol de l’avenue, ou devant les écuries, comme des
jardiniers auraient été rangés à l’entrée de leurs parterres. La
disposition particulière qu’il avait toujours eue à chercher des
analogies entre les êtres vivants et les portraits des musées
s’exerçait encore mais d’une façon plus constante et plus générale;
c’est la vie mondaine tout entière, maintenant qu’il en était détaché,
qui se présentait à lui comme une suite de tableaux. Dans le vestibule
où, autrefois, quand il était un mondain, il entrait enveloppé dans
son pardessus pour en sortir en frac, mais sans savoir ce qui s’y
était passé, étant par la pensée, pendant les quelques instants qu’il
y séjournait, ou bien encore dans la fête qu’il venait de quitter, ou
bien déjà dans la fête où on allait l’introduire, pour la première
fois il remarqua, réveillée par l’arrivée inopinée d’un invité aussi
tardif, la meute éparse, magnifique et désœuvrée de grands valets de
pied qui dormaient çà et là sur des banquettes et des coffres et qui,
soulevant leurs nobles profils aigus de lévriers, se dressèrent et,
rassemblés, formèrent le cercle autour de lui.
L’un d’eux, d’aspect particulièrement féroce et assez semblable à
l’exécuteur dans certains tableaux de la Renaissance qui figurent des
supplices, s’avança vers lui d’un air implacable pour lui prendre ses
affaires. Mais la dureté de son regard d’acier était compensée par la
douceur de ses gants de fil, si bien qu’en approchant de Swann il
semblait témoigner du mépris pour sa personne et des égards pour son
chapeau. Il le prit avec un soin auquel l’exactitude de sa pointure
donnait quelque chose de méticuleux et une délicatesse que rendait
presque touchante l’appareil de sa force. Puis il le passa à un de ses
aides, nouveau, et timide, qui exprimait l’effroi qu’il ressentait en
roulant en tous sens des regards furieux et montrait l’agitation d’une
bête captive dans les premières heures de sa domesticité.
A quelques pas, un grand gaillard en livrée rêvait, immobile,
sculptural, inutile, comme ce guerrier purement décoratif qu’on voit
dans les tableaux les plus tumultueux de Mantegna, songer, appuyé sur
son bouclier, tandis qu’on se précipite et qu’on s’égorge à côté de
lui; détaché du groupe de ses camarades qui s’empressaient autour de
Swann, il semblait aussi résolu à se désintéresser de cette scène,
qu’il suivait vaguement de ses yeux glauques et cruels, que si ç’eût
été le massacre des Innocents ou le martyre de saint Jacques. Il
semblait précisément appartenir à cette race disparue--ou qui peut-être
n’exista jamais que dans le retable de San Zeno et les fresques des
Eremitani où Swann l’avait approchée et où elle rêve encore--issue de
la fécondation d’une statue antique par quelque modèle padouan du
Maître ou quelque saxon d’Albert Dürer. Et les mèches de ses cheveux
roux crespelés par la nature, mais collés par la brillantine, étaient
largement traitées comme elles sont dans la sculpture grecque
qu’étudiait sans cesse le peintre de Mantoue, et qui, si dans la
création elle ne figure que l’homme, sait du moins tirer de ses
simples formes des richesses si variées et comme empruntées à toute la
nature vivante, qu’une chevelure, par l’enroulement lisse et les becs
aigus de ses boucles, ou dans la superposition du triple et
fleurissant diadème de ses tresses, a l’air à la fois d’un paquet
d’algues, d’une nichée de colombes, d’un bandeau de jacinthes et d’une
torsade de serpent.
D’autres encore, colossaux aussi, se tenaient sur les degrés d’un
escalier monumental que leur présence décorative et leur immobilité
marmoréenne auraient pu faire nommer comme celui du Palais Ducal:
«l’Escalier des Géants» et dans lequel Swann s’engagea avec la
tristesse de penser qu’Odette ne l’avait jamais gravi. Ah! avec quelle
joie au contraire il eût grimpé les étages noirs, mal odorants et
casse-cou de la petite couturière retirée, dans le «cinquième» de
laquelle il aurait été si heureux de payer plus cher qu’une
avant-scène hebdomadaire à l’Opéra le droit de passer la soirée quand
Odette y venait et même les autres jours pour pouvoir parler d’elle,
vivre avec les gens qu’elle avait l’habitude de voir quand il n’était
pas là et qui à cause de cela lui paraissaient recéler, de la vie de
sa maîtresse, quelque chose de plus réel, de plus inaccessible et de
plus mystérieux. Tandis que dans cet escalier pestilentiel et désiré
de l’ancienne couturière, comme il n’y en avait pas un second pour le
service, on voyait le soir devant chaque porte une boîte au lait vide
et sale préparée sur le paillasson, dans l’escalier magnifique et
dédaigné que Swann montait à ce moment, d’un côté et de l’autre, à des
hauteurs différentes, devant chaque anfractuosité que faisait dans le
mur la fenêtre de la loge, ou la porte d’un appartement, représentant
le service intérieur qu’ils dirigeaient et en faisant hommage aux
invités, un concierge, un majordome, un argentier (braves gens qui
vivaient le reste de la semaine un peu indépendants dans leur domaine,
y dînaient chez eux comme de petits boutiquiers et seraient peut-être
demain au service bourgeois d’un médecin ou d’un industriel) attentifs
à ne pas manquer aux recommandations qu’on leur avait faites avant de
leur laisser endosser la livrée éclatante qu’ils ne revêtaient qu’à de
rares intervalles et dans laquelle ils ne se sentaient pas très à leur
aise, se tenaient sous l’arcature de leur portail avec un éclat
pompeux tempéré de bonhomie populaire, comme des saints dans leur
niche; et un énorme suisse, habillé comme à l’église, frappait les
dalles de sa canne au passage de chaque arrivant. Parvenu en haut de
l’escalier le long duquel l’avait suivi un domestique à face blême,
avec une petite queue de cheveux, noués d’un catogan, derrière la
tête, comme un sacristain de Goya ou un tabellion du répertoire, Swann
passa devant un bureau où des valets, assis comme des notaires devant
de grands registres, se levèrent et inscrivirent son nom. Il traversa
alors un petit vestibule qui,--tel que certaines pièces aménagées par
leur propriétaire pour servir de cadre à une seule œuvre d’art, dont
elles tirent leur nom, et d’une nudité voulue, ne contiennent rien
d’autre--, exhibait à son entrée, comme quelque précieuse effigie de
Benvenuto Cellini représentant un homme de guet, un jeune valet de
pied, le corps légèrement fléchi en avant, dressant sur son hausse-col
rouge une figure plus rouge encore d’où s’échappaient des torrents de
feu, de timidité et de zèle, et qui, perçant les tapisseries
d’Aubusson tendues devant le salon où on écoutait la musique, de son
regard impétueux, vigilant, éperdu, avait l’air, avec une
impassibilité militaire ou une foi surnaturelle,--allégorie de
l’alarme, incarnation de l’attente, commémoration du
branle-bas,--d’épier, ange ou vigie, d’une tour de donjon ou de
cathédrale, l’apparition de l’ennemi ou l’heure du Jugement. Il ne
restait plus à Swann qu’à pénétrer dans la salle du concert dont un
huissier chargé de chaînes lui ouvrit les portes, en s’inclinant,
comme il lui aurait remis les clefs d’une ville. Mais il pensait à la
maison où il aurait pu se trouver en ce moment même, si Odette l’avait
permis, et le souvenir entrevu d’une boîte au lait vide sur un
paillasson lui serra le cœur.
Swann retrouva rapidement le sentiment de la laideur masculine, quand,
au delà de la tenture de tapisserie, au spectacle des domestiques
succéda celui des invités. Mais cette laideur même de visages qu’il
connaissait pourtant si bien, lui semblait neuve depuis que leurs
traits,--au lieu d’être pour lui des signes pratiquement utilisables à
l’identification de telle personne qui lui avait représenté jusque-là
un faisceau de plaisirs à poursuivre, d’ennuis à éviter, ou de
politesses à rendre,--reposaient, coordonnés seulement par des rapports
esthétiques, dans l’autonomie de leurs lignes. Et en ces hommes, au
milieu desquels Swann se trouva enserré, il n’était pas jusqu’aux
monocles que beaucoup portaient (et qui, autrefois, auraient tout au
plus permis à Swann de dire qu’ils portaient un monocle), qui, déliés
maintenant de signifier une habitude, la même pour tous, ne lui
apparussent chacun avec une sorte d’individualité. Peut-être parce
qu’il ne regarda le général de Froberville et le marquis de Bréauté
qui causaient dans l’entrée que comme deux personnages dans un
tableau, alors qu’ils avaient été longtemps pour lui les amis utiles
qui l’avaient présenté au Jockey et assisté dans des duels, le monocle
du général, resté entre ses paupières comme un éclat d’obus dans sa
figure vulgaire, balafrée et triomphale, au milieu du front qu’il
éborgnait comme l’œil unique du cyclope, apparut à Swann comme une
blessure monstrueuse qu’il pouvait être glorieux d’avoir reçue, mais
qu’il était indécent d’exhiber; tandis que celui que M. de Bréauté
ajoutait, en signe de festivité, aux gants gris perle, au «gibus», à
la cravate blanche et substituait au binocle familier (comme faisait
Swann lui-même) pour aller dans le monde, portait collé à son revers,
comme une préparation d’histoire naturelle sous un microscope, un
regard infinitésimal et grouillant d’amabilité, qui ne cessait de
sourire à la hauteur des plafonds, à la beauté des fêtes, à l’intérêt
des programmes et à la qualité des rafraîchissements.
--Tiens, vous voilà, mais il y a des éternités qu’on ne vous a vu, dit
à Swann le général qui, remarquant ses traits tirés et en concluant
que c’était peut-être une maladie grave qui l’éloignait du monde,
ajouta: «Vous avez bonne mine, vous savez!» pendant que M. de Bréauté
demandait:
--«Comment, vous, mon cher, qu’est-ce que vous pouvez bien faire ici?»
à un romancier mondain qui venait d’installer au coin de son œil un
monocle, son seul organe d’investigation psychologique et
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