Du côté de chez Swann - 15

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Nous nous asseyions entre les iris au bord de l’eau. Dans le ciel
férié, flânait longuement un nuage oisif. Par moments oppressée par
l’ennui, une carpe se dressait hors de l’eau dans une aspiration
anxieuse. C’était l’heure du goûter. Avant de repartir nous restions
longtemps à manger des fruits, du pain et du chocolat, sur l’herbe où
parvenaient jusqu’à nous, horizontaux, affaiblis, mais denses et
métalliques encore, des sons de la cloche de Saint-Hilaire qui ne
s’étaient pas mélangés à l’air qu’ils traversaient depuis si
longtemps, et côtelés par la palpitation successive de toutes leurs
lignes sonores, vibraient en rasant les fleurs, à nos pieds.
Parfois, au bord de l’eau entourée de bois, nous rencontrions une
maison dite de plaisance, isolée, perdue, qui ne voyait rien, du
monde, que la rivière qui baignait ses pieds. Une jeune femme dont le
visage pensif et les voiles élégants n’étaient pas de ce pays et qui
sans doute était venue, selon l’expression populaire «s’enterrer» là,
goûter le plaisir amer de sentir que son nom, le nom surtout de celui
dont elle n’avait pu garder le cœur, y était inconnu, s’encadrait dans
la fenêtre qui ne lui laissait pas regarder plus loin que la barque
amarrée près de la porte. Elle levait distraitement les yeux en
entendant derrière les arbres de la rive la voix des passants dont
avant qu’elle eût aperçu leur visage, elle pouvait être certaine que
jamais ils n’avaient connu, ni ne connaîtraient l’infidèle, que rien
dans leur passé ne gardait sa marque, que rien dans leur avenir
n’aurait l’occasion de la recevoir. On sentait que, dans son
renoncement, elle avait volontairement quitté des lieux où elle aurait
pu du moins apercevoir celui qu’elle aimait, pour ceux-ci qui ne
l’avaient jamais vu. Et je la regardais, revenant de quelque promenade
sur un chemin où elle savait qu’il ne passerait pas, ôter de ses mains
résignées de longs gants d’une grâce inutile.
Jamais dans la promenade du côté de Guermantes nous ne pûmes remonter
jusqu’aux sources de la Vivonne, auxquelles j’avais souvent pensé et
qui avaient pour moi une existence si abstraite, si idéale, que
j’avais été aussi surpris quand on m’avait dit qu’elles se trouvaient
dans le département, à une certaine distance kilométrique de Combray,
que le jour où j’avais appris qu’il y avait un autre point précis de
la terre où s’ouvrait, dans l’antiquité, l’entrée des Enfers. Jamais
non plus nous ne pûmes pousser jusqu’au terme que j’eusse tant
souhaité d’atteindre, jusqu’à Guermantes. Je savais que là résidaient
des châtelains, le duc et la duchesse de Guermantes, je savais qu’ils
étaient des personnages réels et actuellement existants, mais chaque
fois que je pensais à eux, je me les représentais tantôt en
tapisserie, comme était la comtesse de Guermantes, dans le
«Couronnement d’Esther» de notre église, tantôt de nuances changeantes
comme était Gilbert le Mauvais dans le vitrail où il passait du vert
chou au bleu prune selon que j’étais encore à prendre de l’eau bénite
ou que j’arrivais à nos chaises, tantôt tout à fait impalpables comme
l’image de Geneviève de Brabant, ancêtre de la famille de Guermantes,
que la lanterne magique promenait sur les rideaux de ma chambre ou
faisait monter au plafond,--enfin toujours enveloppés du mystère des
temps mérovingiens et baignant comme dans un coucher de soleil dans la
lumière orangée qui émane de cette syllabe: «antes». Mais si malgré
cela ils étaient pour moi, en tant que duc et duchesse, des êtres
réels, bien qu’étranges, en revanche leur personne ducale se
distendait démesurément, s’immatérialisait, pour pouvoir contenir en
elle ce Guermantes dont ils étaient duc et duchesse, tout ce «côté de
Guermantes» ensoleillé, le cours de la Vivonne, ses nymphéas et ses
grands arbres, et tant de beaux après-midi. Et je savais qu’ils ne
portaient pas seulement le titre de duc et de duchesse de Guermantes,
mais que depuis le XIVe siècle où, après avoir inutilement essayé de
vaincre leurs anciens seigneurs ils s’étaient alliés à eux par des
mariages, ils étaient comtes de Combray, les premiers des citoyens de
Combray par conséquent et pourtant les seuls qui n’y habitassent pas.
Comtes de Combray, possédant Combray au milieu de leur nom, de leur
personne, et sans doute ayant effectivement en eux cette étrange et
pieuse tristesse qui était spéciale à Combray; propriétaires de la
ville, mais non d’une maison particulière, demeurant sans doute
dehors, dans la rue, entre ciel et terre, comme ce Gilbert de
Guermantes, dont je ne voyais aux vitraux de l’abside de Saint-Hilaire
que l’envers de laque noire, si je levais la tête quand j’allais
chercher du sel chez Camus.
Puis il arriva que sur le côté de Guermantes je passai parfois devant
de petits enclos humides où montaient des grappes de fleurs sombres.
Je m’arrêtais, croyant acquérir une notion précieuse, car il me
semblait avoir sous les yeux un fragment de cette région fluviatile,
que je désirais tant connaître depuis que je l’avais vue décrite par
un de mes écrivains préférés. Et ce fut avec elle, avec son sol
imaginaire traversé de cours d’eau bouillonnants, que Guermantes,
changeant d’aspect dans ma pensée, s’identifia, quand j’eus entendu le
docteur Percepied nous parler des fleurs et des belles eaux vives
qu’il y avait dans le parc du château. Je rêvais que Mme de Guermantes
m’y faisait venir, éprise pour moi d’un soudain caprice; tout le jour
elle y pêchait la truite avec moi. Et le soir me tenant par la main,
en passant devant les petits jardins de ses vassaux, elle me montrait
le long des murs bas, les fleurs qui y appuient leurs quenouilles
violettes et rouges et m’apprenait leurs noms. Elle me faisait lui
dire le sujet des poèmes que j’avais l’intention de composer. Et ces
rêves m’avertissaient que puisque je voulais un jour être un écrivain,
il était temps de savoir ce que je comptais écrire. Mais dès que je me
le demandais, tâchant de trouver un sujet où je pusse faire tenir une
signification philosophique infinie, mon esprit s’arrêtait de
fonctionner, je ne voyais plus que le vide en face de mon attention,
je sentais que je n’avais pas de génie ou peut-être une maladie
cérébrale l’empêchait de naître. Parfois je comptais sur mon père pour
arranger cela. Il était si puissant, si en faveur auprès des gens en
place qu’il arrivait à nous faire transgresser les lois que Françoise
m’avait appris à considérer comme plus inéluctables que celles de la
vie et de la mort, à faire retarder d’un an pour notre maison, seule
de tout le quartier, les travaux de «ravalement», à obtenir du
ministre pour le fils de Mme Sazerat qui voulait aller aux eaux,
l’autorisation qu’il passât le baccalauréat deux mois d’avance, dans
la série des candidats dont le nom commençait par un A au lieu
d’attendre le tour des S. Si j’étais tombé gravement malade, si
j’avais été capturé par des brigands, persuadé que mon père avait trop
d’intelligences avec les puissances suprêmes, de trop irrésistibles
lettres de recommandation auprès du bon Dieu, pour que ma maladie ou
ma captivité pussent être autre chose que de vains simulacres sans
danger pour moi, j’aurais attendu avec calme l’heure inévitable du
retour à la bonne réalité, l’heure de la délivrance ou de la guérison;
peut-être cette absence de génie, ce trou noir qui se creusait dans
mon esprit quand je cherchais le sujet de mes écrits futurs,
n’était-il aussi qu’une illusion sans consistance, et cesserait-elle
par l’intervention de mon père qui avait dû convenir avec le
Gouvernement et avec la Providence que je serais le premier écrivain
de l’époque. Mais d’autres fois tandis que mes parents
s’impatientaient de me voir rester en arrière et ne pas les suivre, ma
vie actuelle au lieu de me sembler une création artificielle de mon
père et qu’il pouvait modifier à son gré, m’apparaissait au contraire
comme comprise dans une réalité qui n’était pas faite pour moi, contre
laquelle il n’y avait pas de recours, au cœur de laquelle je n’avais
pas d’allié, qui ne cachait rien au delà d’elle-même. Il me semblait
alors que j’existais de la même façon que les autres hommes, que je
vieillirais, que je mourrais comme eux, et que parmi eux j’étais
seulement du nombre de ceux qui n’ont pas de dispositions pour écrire.
Aussi, découragé, je renonçais à jamais à la littérature, malgré les
encouragements que m’avait donnés Bloch. Ce sentiment intime,
immédiat, que j’avais du néant de ma pensée, prévalait contre toutes
les paroles flatteuses qu’on pouvait me prodiguer, comme chez un
méchant dont chacun vante les bonnes actions, les remords de sa
conscience.
Un jour ma mère me dit: «Puisque tu parles toujours de Mme de
Guermantes, comme le docteur Percepied l’a très bien soignée il y a
quatre ans, elle doit venir à Combray pour assister au mariage de sa
fille. Tu pourras l’apercevoir à la cérémonie.» C’était du reste par
le docteur Percepied que j’avais le plus entendu parler de Mme de
Guermantes, et il nous avait même montré le numéro d’une revue
illustrée où elle était représentée dans le costume qu’elle portait à
un bal travesti chez la princesse de Léon.
Tout d’un coup pendant la messe de mariage, un mouvement que fit le
suisse en se déplaçant me permit de voir assise dans une chapelle une
dame blonde avec un grand nez, des yeux bleus et perçants, une cravate
bouffante en soie mauve, lisse, neuve et brillante, et un petit bouton
au coin du nez. Et parce que dans la surface de son visage rouge,
comme si elle eût eu très chaud, je distinguais, diluées et à peine
perceptibles, des parcelles d’analogie avec le portrait qu’on m’avait
montré, parce que surtout les traits particuliers que je relevais en
elle, si j’essayais de les énoncer, se formulaient précisément dans
les mêmes termes: un grand nez, des yeux bleus, dont s’était servi le
docteur Percepied quand il avait décrit devant moi la duchesse de
Guermantes, je me dis: cette dame ressemble à Mme de Guermantes; or la
chapelle où elle suivait la messe était celle de Gilbert le Mauvais,
sous les plates tombes de laquelle, dorées et distendues comme des
alvéoles de miel, reposaient les anciens comtes de Brabant, et que je
me rappelais être à ce qu’on m’avait dit réservée à la famille de
Guermantes quand quelqu’un de ses membres venait pour une cérémonie à
Combray; il ne pouvait vraisemblablement y avoir qu’une seule femme
ressemblant au portrait de Mme de Guermantes, qui fût ce jour-là, jour
où elle devait justement venir, dans cette chapelle: c’était elle! Ma
déception était grande. Elle provenait de ce que je n’avais jamais
pris garde quand je pensais à Mme de Guermantes, que je me la
représentais avec les couleurs d’une tapisserie ou d’un vitrail, dans
un autre siècle, d’une autre matière que le reste des personnes
vivantes. Jamais je ne m’étais avisé qu’elle pouvait avoir une figure
rouge, une cravate mauve comme Mme Sazerat, et l’ovale de ses joues me
fit tellement souvenir de personnes que j’avais vues à la maison que
le soupçon m’effleura, pour se dissiper d’ailleurs aussitôt après, que
cette dame en son principe générateur, en toutes ses molécules,
n’était peut-être pas substantiellement la duchesse de Guermantes,
mais que son corps, ignorant du nom qu’on lui appliquait, appartenait
à un certain type féminin, qui comprenait aussi des femmes de médecins
et de commerçants. «C’est cela, ce n’est que cela, Mme de Guermantes!»
disait la mine attentive et étonnée avec laquelle je contemplais cette
image qui naturellement n’avait aucun rapport avec celles qui sous le
même nom de Mme de Guermantes étaient apparues tant de fois dans mes
songes, puisque, elle, elle n’avait pas été comme les autres
arbitrairement formée par moi, mais qu’elle m’avait sauté aux yeux
pour la première fois il y a un moment seulement, dans l’église; qui
n’était pas de la même nature, n’était pas colorable à volonté comme
elles qui se laissaient imbiber de la teinte orangée d’une syllabe,
mais était si réelle que tout, jusqu’à ce petit bouton qui
s’enflammait au coin du nez, certifiait son assujettissement aux lois
de la vie, comme dans une apothéose de théâtre, un plissement de la
robe de la fée, un tremblement de son petit doigt, dénoncent la
présence matérielle d’une actrice vivante, là où nous étions
incertains si nous n’avions pas devant les yeux une simple projection
lumineuse.
Mais en même temps, sur cette image que le nez proéminent, les yeux
perçants, épinglaient dans ma vision (peut-être parce que c’était eux
qui l’avaient d’abord atteinte, qui y avaient fait la première
encoche, au moment où je n’avais pas encore le temps de songer que la
femme qui apparaissait devant moi pouvait être Mme de Guermantes), sur
cette image toute récente, inchangeable, j’essayais d’appliquer
l’idée: «C’est Mme de Guermantes» sans parvenir qu’à la faire
manœuvrer en face de l’image, comme deux disques séparés par un
intervalle. Mais cette Mme de Guermantes à laquelle j’avais si souvent
rêvé, maintenant que je voyais qu’elle existait effectivement en
dehors de moi, en prit plus de puissance encore sur mon imagination
qui, un moment paralysée au contact d’une réalité si différente de ce
qu’elle attendait, se mit à réagir et à me dire: «Glorieux dès avant
Charlemagne, les Guermantes avaient le droit de vie et de mort sur
leurs vassaux; la duchesse de Guermantes descend de Geneviève de
Brabant. Elle ne connaît, ni ne consentirait à connaître aucune des
personnes qui sont ici.»
Et--ô merveilleuse indépendance des regards humains, retenus au visage
par une corde si lâche, si longue, si extensible qu’ils peuvent se
promener seuls loin de lui--pendant que Mme de Guermantes était assise
dans la chapelle au-dessus des tombes de ses morts, ses regards
flânaient çà et là, montaient le long des piliers, s’arrêtaient même
sur moi comme un rayon de soleil errant dans la nef, mais un rayon de
soleil qui, au moment où je reçus sa caresse, me sembla conscient.
Quant à Mme de Guermantes elle-même, comme elle restait immobile,
assise comme une mère qui semble ne pas voir les audaces espiègles et
les entreprises indiscrètes de ses enfants qui jouent et interpellent
des personnes qu’elle ne connaît pas, il me fût impossible de savoir
si elle approuvait ou blâmait dans le désœuvrement de son âme, le
vagabondage de ses regards.
Je trouvais important qu’elle ne partît pas avant que j’eusse pu la
regarder suffisamment, car je me rappelais que depuis des années je
considérais sa vue comme éminemment désirable, et je ne détachais pas
mes yeux d’elle, comme si chacun de mes regards eût pu matériellement
emporter et mettre en réserve en moi le souvenir du nez proéminent,
des joues rouges, de toutes ces particularités qui me semblaient
autant de renseignements précieux, authentiques et singuliers sur son
visage. Maintenant que me le faisaient trouver beau toutes les pensées
que j’y rapportais--et peut-être surtout, forme de l’instinct de
conservation des meilleures parties de nous-mêmes, ce désir qu’on a
toujours de ne pas avoir été déçu,--la replaçant (puisque c’était une
seule personne qu’elle et cette duchesse de Guermantes que j’avais
évoquée jusque-là) hors du reste de l’humanité dans laquelle la vue
pure et simple de son corps me l’avait fait un instant confondre, je
m’irritais en entendant dire autour de moi: «Elle est mieux que Mme
Sazerat, que Mlle Vinteuil», comme si elle leur eût été comparable. Et
mes regards s’arrêtant à ses cheveux blonds, à ses yeux bleus, à
l’attache de son cou et omettant les traits qui eussent pu me rappeler
d’autres visages, je m’écriais devant ce croquis volontairement
incomplet: «Qu’elle est belle! Quelle noblesse! Comme c’est bien une
fière Guermantes, la descendante de Geneviève de Brabant, que j’ai
devant moi!» Et l’attention avec laquelle j’éclairais son visage
l’isolait tellement, qu’aujourd’hui si je repense à cette cérémonie,
il m’est impossible de revoir une seule des personnes qui y
assistaient sauf elle et le suisse qui répondit affirmativement quand
je lui demandai si cette dame était bien Mme de Guermantes. Mais elle,
je la revois, surtout au moment du défilé dans la sacristie
qu’éclairait le soleil intermittent et chaud d’un jour de vent et
d’orage, et dans laquelle Mme de Guermantes se trouvait au milieu de
tous ces gens de Combray dont elle ne savait même pas les noms, mais
dont l’infériorité proclamait trop sa suprématie pour qu’elle ne
ressentît pas pour eux une sincère bienveillance et auxquels du reste
elle espérait imposer davantage encore à force de bonne grâce et de
simplicité. Aussi, ne pouvant émettre ces regards volontaires, chargés
d’une signification précise, qu’on adresse à quelqu’un qu’on connaît,
mais seulement laisser ses pensées distraites s’échapper incessamment
devant elle en un flot de lumière bleue qu’elle ne pouvait contenir,
elle ne voulait pas qu’il pût gêner, paraître dédaigner ces petites
gens qu’il rencontrait au passage, qu’il atteignait à tous moments. Je
revois encore, au-dessus de sa cravate mauve, soyeuse et gonflée, le
doux étonnement de ses yeux auxquels elle avait ajouté sans oser le
destiner à personne mais pour que tous pussent en prendre leur part un
sourire un peu timide de suzeraine qui a l’air de s’excuser auprès de
ses vassaux et de les aimer. Ce sourire tomba sur moi qui ne la
quittais pas des yeux. Alors me rappelant ce regard qu’elle avait
laissé s’arrêter sur moi, pendant la messe, bleu comme un rayon de
soleil qui aurait traversé le vitrail de Gilbert le Mauvais, je me
dis: «Mais sans doute elle fait attention à moi.» Je crus que je lui
plaisais, qu’elle penserait encore à moi quand elle aurait quitté
l’église, qu’à cause de moi elle serait peut-être triste le soir à
Guermantes. Et aussitôt je l’aimai, car s’il peut quelquefois suffire
pour que nous aimions une femme qu’elle nous regarde avec mépris comme
j’avais cru qu’avait fait Mlle Swann et que nous pensions qu’elle ne
pourra jamais nous appartenir, quelquefois aussi il peut suffire
qu’elle nous regarde avec bonté comme faisait Mme de Guermantes et que
nous pensions qu’elle pourra nous appartenir. Ses yeux bleuissaient
comme une pervenche impossible à cueillir et que pourtant elle m’eût
dédiée; et le soleil menacé par un nuage, mais dardant encore de toute
sa force sur la place et dans la sacristie, donnait une carnation de
géranium aux tapis rouges qu’on y avait étendus par terre pour la
solennité et sur lesquels s’avançait en souriant Mme de Guermantes, et
ajoutait à leur lainage un velouté rose, un épiderme de lumière, cette
sorte de tendresse, de sérieuse douceur dans la pompe et dans la joie
qui caractérisent certaines pages de Lohengrin, certaines peintures de
Carpaccio, et qui font comprendre que Baudelaire ait pu appliquer au
son de la trompette l’épithète de délicieux.
Combien depuis ce jour, dans mes promenades du côté de Guermantes, il
me parut plus affligeant encore qu’auparavant de n’avoir pas de
dispositions pour les lettres, et de devoir renoncer à être jamais un
écrivain célèbre. Les regrets que j’en éprouvais, tandis que je
restais seul à rêver un peu à l’écart, me faisaient tant souffrir, que
pour ne plus les ressentir, de lui-même par une sorte d’inhibition
devant la douleur, mon esprit s’arrêtait entièrement de penser aux
vers, aux romans, à un avenir poétique sur lequel mon manque de talent
m’interdisait de compter. Alors, bien en dehors de toutes ces
préoccupations littéraires et ne s’y rattachant en rien, tout d’un
coup un toit, un reflet de soleil sur une pierre, l’odeur d’un chemin
me faisaient arrêter par un plaisir particulier qu’ils me donnaient,
et aussi parce qu’ils avaient l’air de cacher au delà de ce que je
voyais, quelque chose qu’ils invitaient à venir prendre et que malgré
mes efforts je n’arrivais pas à découvrir. Comme je sentais que cela
se trouvait en eux, je restais là, immobile, à regarder, à respirer, à
tâcher d’aller avec ma pensée au delà de l’image ou de l’odeur. Et
s’il me fallait rattraper mon grand-père, poursuivre ma route, je
cherchais à les retrouver, en fermant les yeux; je m’attachais à me
rappeler exactement la ligne du toit, la nuance de la pierre qui, sans
que je pusse comprendre pourquoi, m’avaient semblé pleines, prêtes à
s’entr’ouvrir, à me livrer ce dont elles n’étaient qu’un couvercle.
Certes ce n’était pas des impressions de ce genre qui pouvaient me
rendre l’espérance que j’avais perdue de pouvoir être un jour écrivain
et poète, car elles étaient toujours liées à un objet particulier
dépourvu de valeur intellectuelle et ne se rapportant à aucune vérité
abstraite. Mais du moins elles me donnaient un plaisir irraisonné,
l’illusion d’une sorte de fécondité et par là me distrayaient de
l’ennui, du sentiment de mon impuissance que j’avais éprouvés chaque
fois que j’avais cherché un sujet philosophique pour une grande œuvre
littéraire. Mais le devoir de conscience était si ardu que
m’imposaient ces impressions de forme, de parfum ou de couleur--de
tâcher d’apercevoir ce qui se cachait derrière elles, que je ne
tardais pas à me chercher à moi-même des excuses qui me permissent de
me dérober à ces efforts et de m’épargner cette fatigue. Par bonheur
mes parents m’appelaient, je sentais que je n’avais pas présentement
la tranquillité nécessaire pour poursuivre utilement ma recherche, et
qu’il valait mieux n’y plus penser jusqu’à ce que je fusse rentré, et
ne pas me fatiguer d’avance sans résultat. Alors je ne m’occupais plus
de cette chose inconnue qui s’enveloppait d’une forme ou d’un parfum,
bien tranquille puisque je la ramenais à la maison, protégée par le
revêtement d’images sous lesquelles je la trouverais vivante, comme
les poissons que les jours où on m’avait laissé aller à la pêche, je
rapportais dans mon panier couverts par une couche d’herbe qui
préservait leur fraîcheur. Une fois à la maison je songeais à autre
chose et ainsi s’entassaient dans mon esprit (comme dans ma chambre
les fleurs que j’avais cueillies dans mes promenades ou les objets
qu’on m’avait donnés), une pierre où jouait un reflet, un toit, un son
de cloche, une odeur de feuilles, bien des images différentes sous
lesquelles il y a longtemps qu’est morte la réalité pressentie que je
n’ai pas eu assez de volonté pour arriver à découvrir. Une fois
pourtant,--où notre promenade s’étant prolongée fort au delà de sa
durée habituelle, nous avions été bien heureux de rencontrer à
mi-chemin du retour, comme l’après-midi finissait, le docteur
Percepied qui passait en voiture à bride abattue, nous avait reconnus
et fait monter avec lui,--j’eus une impression de ce genre et ne
l’abandonnai pas sans un peu l’approfondir. On m’avait fait monter
près du cocher, nous allions comme le vent parce que le docteur avait
encore avant de rentrer à Combray à s’arrêter à Martinville-le-Sec
chez un malade à la porte duquel il avait été convenu que nous
l’attendrions. Au tournant d’un chemin j’éprouvai tout à coup ce
plaisir spécial qui ne ressemblait à aucun autre, à apercevoir les
deux clochers de Martinville, sur lesquels donnait le soleil couchant
et que le mouvement de notre voiture et les lacets du chemin avaient
l’air de faire changer de place, puis celui de Vieuxvicq qui, séparé
d’eux par une colline et une vallée, et situé sur un plateau plus
élevé dans le lointain, semblait pourtant tout voisin d’eux.
En constatant, en notant la forme de leur flèche, le déplacement de
leurs lignes, l’ensoleillement de leur surface, je sentais que je
n’allais pas au bout de mon impression, que quelque chose était
derrière ce mouvement, derrière cette clarté, quelque chose qu’ils
semblaient contenir et dérober à la fois.
Les clochers paraissaient si éloignés et nous avions l’air de si peu
nous rapprocher d’eux, que je fus étonné quand, quelques instants
après, nous nous arrêtâmes devant l’église de Martinville. Je ne
savais pas la raison du plaisir que j’avais eu à les apercevoir à
l’horizon et l’obligation de chercher à découvrir cette raison me
semblait bien pénible; j’avais envie de garder en réserve dans ma tête
ces lignes remuantes au soleil et de n’y plus penser maintenant. Et il
est probable que si je l’avais fait, les deux clochers seraient allés
à jamais rejoindre tant d’arbres, de toits, de parfums, de sons, que
j’avais distingués des autres à cause de ce plaisir obscur qu’ils
m’avaient procuré et que je n’ai jamais approfondi. Je descendis
causer avec mes parents en attendant le docteur. Puis nous repartîmes,
je repris ma place sur le siège, je tournai la tête pour voir encore
les clochers qu’un peu plus tard, j’aperçus une dernière fois au
tournant d’un chemin. Le cocher, qui ne semblait pas disposé à causer,
ayant à peine répondu à mes propos, force me fut, faute d’autre
compagnie, de me rabattre sur celle de moi-même et d’essayer de me
rappeler mes clochers. Bientôt leurs lignes et leurs surfaces
ensoleillées, comme si elles avaient été une sorte d’écorce, se
déchirèrent, un peu de ce qui m’était caché en elles m’apparut, j’eus
une pensée qui n’existait pas pour moi l’instant avant, qui se formula
en mots dans ma tête, et le plaisir que m’avait fait tout à l’heure
éprouver leur vue s’en trouva tellement accru que, pris d’une sorte
d’ivresse, je ne pus plus penser à autre chose. A ce moment et comme
nous étions déjà loin de Martinville en tournant la tête je les
aperçus de nouveau, tout noirs cette fois, car le soleil était déjà
couché. Par moments les tournants du chemin me les dérobaient, puis
ils se montrèrent une dernière fois et enfin je ne les vis plus.
Sans me dire que ce qui était caché derrière les clochers de
Martinville devait être quelque chose d’analogue à une jolie phrase,
puisque c’était sous la forme de mots qui me faisaient plaisir, que
cela m’était apparu, demandant un crayon et du papier au docteur, je
composai malgré les cahots de la voiture, pour soulager ma conscience
et obéir à mon enthousiasme, le petit morceau suivant que j’ai
retrouvé depuis et auquel je n’ai eu à faire subir que peu de
changements:
«Seuls, s’élevant du niveau de la plaine et comme perdus en rase
campagne, montaient vers le ciel les deux clochers de Martinville.
Bientôt nous en vîmes trois: venant se placer en face d’eux par une
volte hardie, un clocher retardataire, celui de Vieuxvicq, les avait
rejoints. Les minutes passaient, nous allions vite et pourtant les
trois clochers étaient toujours au loin devant nous, comme trois
oiseaux posés sur la plaine, immobiles et qu’on distingue au soleil.
Puis le clocher de Vieuxvicq s’écarta, prit ses distances, et les
clochers de Martinville restèrent seuls, éclairés par la lumière du
couchant que même à cette distance, sur leurs pentes, je voyais jouer
et sourire. Nous avions été si longs à nous rapprocher d’eux, que je
pensais au temps qu’il faudrait encore pour les atteindre quand, tout
d’un coup, la voiture ayant tourné, elle nous déposa à leurs pieds; et
ils s’étaient jetés si rudement au-devant d’elle, qu’on n’eut que le
temps d’arrêter pour ne pas se heurter au porche. Nous poursuivîmes
notre route; nous avions déjà quitté Martinville depuis un peu de
temps et le village après nous avoir accompagnés quelques secondes
avait disparu, que restés seuls à l’horizon à nous regarder fuir, ses
clochers et celui de Vieuxvicq agitaient encore en signe d’adieu leurs
cimes ensoleillées. Parfois l’un s’effaçait pour que les deux autres
pussent nous apercevoir un instant encore; mais la route changea de
direction, ils virèrent dans la lumière comme trois pivots d’or et
disparurent à mes yeux. Mais, un peu plus tard, comme nous étions déjà
près de Combray, le soleil étant maintenant couché, je les aperçus une
dernière fois de très loin qui n’étaient plus que comme trois fleurs
peintes sur le ciel au-dessus de la ligne basse des champs. Ils me
faisaient penser aussi aux trois jeunes filles d’une légende,
abandonnées dans une solitude où tombait déjà l’obscurité; et tandis
que nous nous éloignions au galop, je les vis timidement chercher leur
chemin et après quelques gauches trébuchements de leurs nobles
silhouettes, se serrer les uns contre les autres, glisser l’un
derrière l’autre, ne plus faire sur le ciel encore rose qu’une seule
forme noire, charmante et résignée, et s’effacer dans la nuit.» Je ne
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