Du côté de chez Swann - 08

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correcte fantaisie du jardinier que méprisait ma grand’mère--une part
véritable de la Nature elle-même, digne d’être étudiée et approfondie.
Si mes parents m’avaient permis, quand je lisais un livre, d’aller
visiter la région qu’il décrivait, j’aurais cru faire un pas
inestimable dans la conquête de la vérité. Car si on a la sensation
d’être toujours entouré de son âme, ce n’est pas comme d’une prison
immobile: plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan
pour la dépasser, pour atteindre à l’extérieur, avec une sorte de
découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité
identique qui n’est pas écho du dehors mais retentissement d’une
vibration interne. On cherche à retrouver dans les choses, devenues
par là précieuses, le reflet que notre âme a projeté sur elles; on est
déçu en constatant qu’elles semblent dépourvues dans la nature, du
charme qu’elles devaient, dans notre pensée, au voisinage de certaines
idées; parfois on convertit toutes les forces de cette âme en
habileté, en splendeur pour agir sur des êtres dont nous sentons bien
qu’ils sont situés en dehors de nous et que nous ne les atteindrons
jamais. Aussi, si j’imaginais toujours autour de la femme que
j’aimais, les lieux que je désirais le plus alors, si j’eusse voulu
que ce fût elle qui me les fît visiter, qui m’ouvrît l’accès d’un
monde inconnu, ce n’était pas par le hasard d’une simple association
de pensée; non, c’est que mes rêves de voyage et d’amour n’étaient que
des moments--que je sépare artificiellement aujourd’hui comme si je
pratiquais des sections à des hauteurs différentes d’un jet d’eau
irisé et en apparence immobile--dans un même et infléchissable
jaillissement de toutes les forces de ma vie.
Enfin, en continuant à suivre du dedans au dehors les états
simultanément juxtaposés dans ma conscience, et avant d’arriver
jusqu’à l’horizon réel qui les enveloppait, je trouve des plaisirs
d’un autre genre, celui d’être bien assis, de sentir la bonne odeur de
l’air, de ne pas être dérangé par une visite; et, quand une heure
sonnait au clocher de Saint-Hilaire, de voir tomber morceau par
morceau ce qui de l’après-midi était déjà consommé, jusqu’à ce que
j’entendisse le dernier coup qui me permettait de faire le total et
après lequel, le long silence qui le suivait, semblait faire
commencer, dans le ciel bleu, toute la partie qui m’était encore
concédée pour lire jusqu’au bon dîner qu’apprêtait Françoise et qui me
réconforterait des fatigues prises, pendant la lecture du livre, à la
suite de son héros. Et à chaque heure il me semblait que c’était
quelques instants seulement auparavant que la précédente avait sonné;
la plus récente venait s’inscrire tout près de l’autre dans le ciel et
je ne pouvais croire que soixante minutes eussent tenu dans ce petit
arc bleu qui était compris entre leurs deux marques d’or. Quelquefois
même cette heure prématurée sonnait deux coups de plus que la
dernière; il y en avait donc une que je n’avais pas entendue, quelque
chose qui avait eu lieu n’avait pas eu lieu pour moi; l’intérêt de la
lecture, magique comme un profond sommeil, avait donné le change à mes
oreilles hallucinées et effacé la cloche d’or sur la surface azurée du
silence. Beaux après-midi du dimanche sous le marronnier du jardin de
Combray, soigneusement vidés par moi des incidents médiocres de mon
existence personnelle que j’y avais remplacés par une vie d’aventures
et d’aspirations étranges au sein d’un pays arrosé d’eaux vives, vous
m’évoquez encore cette vie quand je pense à vous et vous la contenez
en effet pour l’avoir peu à peu contournée et enclose--tandis que je
progressais dans ma lecture et que tombait la chaleur du jour--dans le
cristal successif, lentement changeant et traversé de feuillages, de
vos heures silencieuses, sonores, odorantes et limpides.
Quelquefois j’étais tiré de ma lecture, dès le milieu de l’après-midi
par la fille du jardinier, qui courait comme une folle, renversant sur
son passage un oranger, se coupant un doigt, se cassant une dent et
criant: «Les voilà, les voilà!» pour que Françoise et moi nous
accourions et ne manquions rien du spectacle. C’était les jours où,
pour des manœuvres de garnison, la troupe traversait Combray, prenant
généralement la rue Sainte-Hildegarde. Tandis que nos domestiques,
assis en rang sur des chaises en dehors de la grille, regardaient les
promeneurs dominicaux de Combray et se faisaient voir d’eux, la fille
du jardinier par la fente que laissaient entre elles deux maisons
lointaines de l’avenue de la Gare, avait aperçu l’éclat des casques.
Les domestiques avaient rentré précipitamment leurs chaises, car quand
les cuirassiers défilaient rue Sainte-Hildegarde, ils en remplissaient
toute la largeur, et le galop des chevaux rasait les maisons couvrant
les trottoirs submergés comme des berges qui offrent un lit trop
étroit à un torrent déchaîné.
--«Pauvres enfants, disait Françoise à peine arrivée à la grille et
déjà en larmes; pauvre jeunesse qui sera fauchée comme un pré; rien
que d’y penser j’en suis choquée», ajoutait-elle en mettant la main
sur son cœur, là où elle avait reçu ce choc.
--«C’est beau, n’est-ce pas, madame Françoise, de voir des jeunes gens
qui ne tiennent pas à la vie? disait le jardinier pour la faire
«monter».
Il n’avait pas parlé en vain:
--«De ne pas tenir à la vie? Mais à quoi donc qu’il faut tenir, si ce
n’est pas à la vie, le seul cadeau que le bon Dieu ne fasse jamais
deux fois. Hélas! mon Dieu! C’est pourtant vrai qu’ils n’y tiennent
pas! Je les ai vus en 70; ils n’ont plus peur de la mort, dans ces
misérables guerres; c’est ni plus ni moins des fous; et puis ils ne
valent plus la corde pour les pendre, ce n’est pas des hommes, c’est
des lions.» (Pour Françoise la comparaison d’un homme à un lion,
qu’elle prononçait li-on, n’avait rien de flatteur.)
La rue Sainte-Hildegarde tournait trop court pour qu’on pût voir venir
de loin, et c’était par cette fente entre les deux maisons de l’avenue
de la gare qu’on apercevait toujours de nouveaux casques courant et
brillant au soleil. Le jardinier aurait voulu savoir s’il y en avait
encore beaucoup à passer, et il avait soif, car le soleil tapait.
Alors tout d’un coup, sa fille s’élançant comme d’une place assiégée,
faisait une sortie, atteignait l’angle de la rue, et après avoir bravé
cent fois la mort, venait nous rapporter, avec une carafe de coco, la
nouvelle qu’ils étaient bien un mille qui venaient sans arrêter, du
côté de Thiberzy et de Méséglise. Françoise et le jardinier,
réconciliés, discutaient sur la conduite à tenir en cas de guerre:
--«Voyez-vous, Françoise, disait le jardinier, la révolution vaudrait
mieux, parce que quand on la déclare il n’y a que ceux qui veulent
partir qui y vont.»
--«Ah! oui, au moins je comprends cela, c’est plus franc.»
Le jardinier croyait qu’à la déclaration de guerre on arrêtait tous
les chemins de fer.
--«Pardi, pour pas qu’on se sauve», disait Françoise.
Et le jardinier: «Ah! ils sont malins», car il n’admettait pas que la
guerre ne fût pas une espèce de mauvais tour que l’État essayait de
jouer au peuple et que, si on avait eu le moyen de le faire, il n’est
pas une seule personne qui n’eût filé.
Mais Françoise se hâtait de rejoindre ma tante, je retournais à mon
livre, les domestiques se réinstallaient devant la porte à regarder
tomber la poussière et l’émotion qu’avaient soulevées les soldats.
Longtemps après que l’accalmie était venue, un flot inaccoutumé de
promeneurs noircissait encore les rues de Combray. Et devant chaque
maison, même celles où ce n’était pas l’habitude, les domestiques ou
même les maîtres, assis et regardant, festonnaient le seuil d’un
liséré capricieux et sombre comme celui des algues et des coquilles
dont une forte marée laisse le crêpe et la broderie au rivage, après
qu’elle s’est éloignée.
Sauf ces jours-là, je pouvais d’habitude, au contraire, lire
tranquille. Mais l’interruption et le commentaire qui furent apportés
une fois par une visite de Swann à la lecture que j’étais en train de
faire du livre d’un auteur tout nouveau pour moi, Bergotte, eut cette
conséquence que, pour longtemps, ce ne fut plus sur un mur décoré de
fleurs violettes en quenouille, mais sur un fond tout autre, devant le
portail d’une cathédrale gothique, que se détacha désormais l’image
d’une des femmes dont je rêvais.
J’avais entendu parler de Bergotte pour la première fois par un de mes
camarades plus âgé que moi et pour qui j’avais une grande admiration,
Bloch. En m’entendant lui avouer mon admiration pour la Nuit
d’Octobre, il avait fait éclater un rire bruyant comme une trompette
et m’avait dit: «Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur
de Musset. C’est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre
brute. Je dois confesser, d’ailleurs, que lui et même le nommé Racine,
ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour
lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier
absolument rien. C’est: «La blanche Oloossone et la blanche Camire» et
«La fille de Minos et de Pasiphaé». Ils m’ont été signalés à la
décharge de ces deux malandrins par un article de mon très cher
maître, le père Leconte, agréable aux Dieux Immortels. A propos voici
un livre que je n’ai pas le temps de lire en ce moment qui est
recommandé, paraît-il, par cet immense bonhomme. Il tient, m’a-t-on
dit, l’auteur, le sieur Bergotte, pour un coco des plus subtils; et
bien qu’il fasse preuve, des fois, de mansuétudes assez mal
explicables, sa parole est pour moi oracle delphique. Lis donc ces
proses lyriques, et si le gigantesque assembleur de rythmes qui a
écrit Bhagavat et le Levrier de Magnus a dit vrai, par Apollôn, tu
goûteras, cher maître, les joies nectaréennes de l’Olympos.» C’est sur
un ton sarcastique qu’il m’avait demandé de l’appeler «cher maître» et
qu’il m’appelait lui-même ainsi. Mais en réalité nous prenions un
certain plaisir à ce jeu, étant encore rapprochés de l’âge où on croit
qu’on crée ce qu’on nomme.
Malheureusement, je ne pus pas apaiser en causant avec Bloch et en lui
demandant des explications, le trouble où il m’avait jeté quand il
m’avait dit que les beaux vers (à moi qui n’attendais d’eux rien moins
que la révélation de la vérité) étaient d’autant plus beaux qu’ils ne
signifiaient rien du tout. Bloch en effet ne fut pas réinvité à la
maison. Il y avait d’abord été bien accueilli. Mon grand-père, il est
vrai, prétendait que chaque fois que je me liais avec un de mes
camarades plus qu’avec les autres et que je l’amenais chez nous,
c’était toujours un juif, ce qui ne lui eût pas déplu en principe--même
son ami Swann était d’origine juive--s’il n’avait trouvé que ce n’était
pas d’habitude parmi les meilleurs que je le choisissais. Aussi quand
j’amenais un nouvel ami il était bien rare qu’il ne fredonnât pas: «O
Dieu de nos Pères» de la Juive ou bien «Israël romps ta chaîne», ne
chantant que l’air naturellement (Ti la lam ta lam, talim), mais
j’avais peur que mon camarade ne le connût et ne rétablît les paroles.
Avant de les avoir vus, rien qu’en entendant leur nom qui, bien
souvent, n’avait rien de particulièrement israélite, il devinait non
seulement l’origine juive de ceux de mes amis qui l’étaient en effet,
mais même ce qu’il y avait quelquefois de fâcheux dans leur famille.
--«Et comment s’appelle-t-il ton ami qui vient ce soir?»
--«Dumont, grand-père.»
--«Dumont! Oh! je me méfie.»
Et il chantait:
«Archers, faites bonne garde!
Veillez sans trêve et sans bruit»;
Et après nous avoir posé adroitement quelques questions plus précises,
il s’écriait: «À la garde! À la garde!» ou, si c’était le patient
lui-même déjà arrivé qu’il avait forcé à son insu, par un
interrogatoire dissimulé, à confesser ses origines, alors pour nous
montrer qu’il n’avait plus aucun doute, il se contentait de nous
regarder en fredonnant imperceptiblement:
«De ce timide Israëlite
Quoi! vous guidez ici les pas!»
ou:
«Champs paternels, Hébron, douce vallée.»
ou encore:
«Oui, je suis de la race élue.»
Ces petites manies de mon grand-père n’impliquaient aucun sentiment
malveillant à l’endroit de mes camarades. Mais Bloch avait déplu à mes
parents pour d’autres raisons. Il avait commencé par agacer mon père
qui, le voyant mouillé, lui avait dit avec intérêt:
--«Mais, monsieur Bloch, quel temps fait-il donc, est-ce qu’il a plu?
Je n’y comprends rien, le baromètre était excellent.»
Il n’en avait tiré que cette réponse:
--«Monsieur, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si
résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne
prennent pas la peine de me les notifier.»
--«Mais, mon pauvre fils, il est idiot ton ami, m’avait dit mon père
quand Bloch fut parti. Comment! il ne peut même pas me dire le temps
qu’il fait! Mais il n’y a rien de plus intéressant! C’est un imbécile.
Puis Bloch avait déplu à ma grand’mère parce que, après le déjeuner
comme elle disait qu’elle était un peu souffrante, il avait étouffé un
sanglot et essuyé des larmes.
--«Comment veux-tu que ça soit sincère, me dit-elle, puisqu’il ne me
connaît pas; ou bien alors il est fou.»
Et enfin il avait mécontenté tout le monde parce que, étant venu
déjeuner une heure et demie en retard et couvert de boue, au lieu de
s’excuser, il avait dit:
--«Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de
l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps. Je
réhabiliterais volontiers l’usage de la pipe d’opium et du kriss
malais, mais j’ignore celui de ces instruments infiniment plus
pernicieux et d’ailleurs platement bourgeois, la montre et le
parapluie.»
Il serait malgré tout revenu à Combray. Il n’était pas pourtant l’ami
que mes parents eussent souhaité pour moi; ils avaient fini par penser
que les larmes que lui avait fait verser l’indisposition de ma
grand’mère n’étaient pas feintes; mais ils savaient d’instinct ou par
expérience que les élans de notre sensibilité ont peu d’empire sur la
suite de nos actes et la conduite de notre vie, et que le respect des
obligations morales, la fidélité aux amis, l’exécution d’une œuvre,
l’observance d’un régime, ont un fondement plus sûr dans des habitudes
aveugles que dans ces transports momentanés, ardents et stériles. Ils
auraient préféré pour moi à Bloch des compagnons qui ne me donneraient
pas plus qu’il n’est convenu d’accorder à ses amis, selon les règles
de la morale bourgeoise; qui ne m’enverraient pas inopinément une
corbeille de fruits parce qu’ils auraient ce jour-là pensé à moi avec
tendresse, mais qui, n’étant pas capables de faire pencher en ma
faveur la juste balance des devoirs et des exigences de l’amitié sur
un simple mouvement de leur imagination et de leur sensibilité, ne la
fausseraient pas davantage à mon préjudice. Nos torts même font
difficilement départir de ce qu’elles nous doivent ces natures dont ma
grand’tante était le modèle, elle qui brouillée depuis des années avec
une nièce à qui elle ne parlait jamais, ne modifia pas pour cela le
testament où elle lui laissait toute sa fortune, parce que c’était sa
plus proche parente et que cela «se devait».
Mais j’aimais Bloch, mes parents voulaient me faire plaisir, les
problèmes insolubles que je me posais à propos de la beauté dénuée de
signification de la fille de Minos et de Pasiphaé me fatiguaient
davantage et me rendaient plus souffrant que n’auraient fait de
nouvelles conversations avec lui, bien que ma mère les jugeât
pernicieuses. Et on l’aurait encore reçu à Combray si, après ce dîner,
comme il venait de m’apprendre--nouvelle qui plus tard eut beaucoup
d’influence sur ma vie, et la rendit plus heureuse, puis plus
malheureuse--que toutes les femmes ne pensaient qu’à l’amour et qu’il
n’y en a pas dont on ne pût vaincre les résistances, il ne m’avait
assuré avoir entendu dire de la façon la plus certaine que ma
grand’tante avait eu une jeunesse orageuse et avait été publiquement
entretenue. Je ne pus me tenir de répéter ces propos à mes parents, on
le mit à la porte quand il revint, et quand je l’abordai ensuite dans
la rue, il fut extrêmement froid pour moi.
Mais au sujet de Bergotte il avait dit vrai.
Les premiers jours, comme un air de musique dont on raffolera, mais
qu’on ne distingue pas encore, ce que je devais tant aimer dans son
style ne m’apparut pas. Je ne pouvais pas quitter le roman que je
lisais de lui, mais me croyais seulement intéressé par le sujet, comme
dans ces premiers moments de l’amour où on va tous les jours retrouver
une femme à quelque réunion, à quelque divertissement par les
agréments desquels on se croit attiré. Puis je remarquai les
expressions rares, presque archaïques qu’il aimait employer à certains
moments où un flot caché d’harmonie, un prélude intérieur, soulevait
son style; et c’était aussi à ces moments-là qu’il se mettait à parler
du «vain songe de la vie», de «l’inépuisable torrent des belles
apparences», du «tourment stérile et délicieux de comprendre et
d’aimer», des «émouvantes effigies qui anoblissent à jamais la façade
vénérable et charmante des cathédrales», qu’il exprimait toute une
philosophie nouvelle pour moi par de merveilleuses images dont on
aurait dit que c’était elles qui avaient éveillé ce chant de harpes
qui s’élevait alors et à l’accompagnement duquel elles donnaient
quelque chose de sublime. Un de ces passages de Bergotte, le troisième
ou le quatrième que j’eusse isolé du reste, me donna une joie
incomparable à celle que j’avais trouvée au premier, une joie que je
me sentis éprouver en une région plus profonde de moi-même, plus unie,
plus vaste, d’où les obstacles et les séparations semblaient avoir été
enlevés. C’est que, reconnaissant alors ce même goût pour les
expressions rares, cette même effusion musicale, cette même
philosophie idéaliste qui avait déjà été les autres fois, sans que je
m’en rendisse compte, la cause de mon plaisir, je n’eus plus
l’impression d’être en présence d’un morceau particulier d’un certain
livre de Bergotte, traçant à la surface de ma pensée une figure
purement linéaire, mais plutôt du «morceau idéal» de Bergotte, commun
à tous ses livres et auquel tous les passages analogues qui venaient
se confondre avec lui, auraient donné une sorte d’épaisseur, de
volume, dont mon esprit semblait agrandi.
Je n’étais pas tout à fait le seul admirateur de Bergotte; il était
aussi l’écrivain préféré d’une amie de ma mère qui était très lettrée;
enfin pour lire son dernier livre paru, le docteur du Boulbon faisait
attendre ses malades; et ce fut de son cabinet de consultation, et
d’un parc voisin de Combray, que s’envolèrent quelques-unes des
premières graines de cette prédilection pour Bergotte, espèce si rare
alors, aujourd’hui universellement répandue, et dont on trouve partout
en Europe, en Amérique, jusque dans le moindre village, la fleur
idéale et commune. Ce que l’amie de ma mère et, paraît-il, le docteur
du Boulbon aimaient surtout dans les livres de Bergotte c’était comme
moi, ce même flux mélodique, ces expressions anciennes, quelques
autres très simples et connues, mais pour lesquelles la place où il
les mettait en lumière semblait révéler de sa part un goût
particulier; enfin, dans les passages tristes, une certaine
brusquerie, un accent presque rauque. Et sans doute lui-même devait
sentir que là étaient ses plus grands charmes. Car dans les livres qui
suivirent, s’il avait rencontré quelque grande vérité, ou le nom d’une
célèbre cathédrale, il interrompait son récit et dans une invocation,
une apostrophe, une longue prière, il donnait un libre cours à ces
effluves qui dans ses premiers ouvrages restaient intérieurs à sa
prose, décelés seulement alors par les ondulations de la surface, plus
douces peut-être encore, plus harmonieuses quand elles étaient ainsi
voilées et qu’on n’aurait pu indiquer d’une manière précise où
naissait, où expirait leur murmure. Ces morceaux auxquels il se
complaisait étaient nos morceaux préférés. Pour moi, je les savais par
cœur. J’étais déçu quand il reprenait le fil de son récit. Chaque fois
qu’il parlait de quelque chose dont la beauté m’était restée jusque-là
cachée, des forêts de pins, de la grêle, de Notre-Dame de Paris,
d’Athalie ou de Phèdre, il faisait dans une image exploser cette
beauté jusqu’à moi. Aussi sentant combien il y avait de parties de
l’univers que ma perception infirme ne distinguerait pas s’il ne les
rapprochait de moi, j’aurais voulu posséder une opinion de lui, une
métaphore de lui, sur toutes choses, surtout sur celles que j’aurais
l’occasion de voir moi-même, et entre celles-là, particulièrement sur
d’anciens monuments français et certains paysages maritimes, parce que
l’insistance avec laquelle il les citait dans ses livres prouvait
qu’il les tenait pour riches de signification et de beauté.
Malheureusement sur presque toutes choses j’ignorais son opinion. Je
ne doutais pas qu’elle ne fût entièrement différente des miennes,
puisqu’elle descendait d’un monde inconnu vers lequel je cherchais à
m’élever: persuadé que mes pensées eussent paru pure ineptie à cet
esprit parfait, j’avais tellement fait table rase de toutes, que quand
par hasard il m’arriva d’en rencontrer, dans tel de ses livres, une
que j’avais déjà eue moi-même, mon cœur se gonflait comme si un Dieu
dans sa bonté me l’avait rendue, l’avait déclarée légitime et belle.
Il arrivait parfois qu’une page de lui disait les mêmes choses que
j’écrivais souvent la nuit à ma grand’mère et à ma mère quand je ne
pouvais pas dormir, si bien que cette page de Bergotte avait l’air
d’un recueil d’épigraphes pour être placées en tête de mes lettres.
Même plus tard, quand je commençai de composer un livre, certaines
phrases dont la qualité ne suffit pas pour me décider à le continuer,
j’en retrouvai l’équivalent dans Bergotte. Mais ce n’était qu’alors,
quand je les lisais dans son œuvre, que je pouvais en jouir; quand
c’était moi qui les composais, préoccupé qu’elles reflétassent
exactement ce que j’apercevais dans ma pensée, craignant de ne pas
«faire ressemblant», j’avais bien le temps de me demander si ce que
j’écrivais était agréable! Mais en réalité il n’y avait que ce genre
de phrases, ce genre d’idées que j’aimais vraiment. Mes efforts
inquiets et mécontents étaient eux-mêmes une marque d’amour, d’amour
sans plaisir mais profond. Aussi quand tout d’un coup je trouvais de
telles phrases dans l’œuvre d’un autre, c’est-à-dire sans plus avoir
de scrupules, de sévérité, sans avoir à me tourmenter, je me laissais
enfin aller avec délices au goût que j’avais pour elles, comme un
cuisinier qui pour une fois où il n’a pas à faire la cuisine trouve
enfin le temps d’être gourmand. Un jour, ayant rencontré dans un livre
de Bergotte, à propos d’une vieille servante, une plaisanterie que le
magnifique et solennel langage de l’écrivain rendait encore plus
ironique mais qui était la même que j’avais souvent faite à ma
grand’mère en parlant de Françoise, une autre fois où je vis qu’il ne
jugeait pas indigne de figurer dans un de ces miroirs de la vérité
qu’étaient ses ouvrages, une remarque analogue à celle que j’avais eu
l’occasion de faire sur notre ami M. Legrandin (remarques sur
Françoise et M. Legrandin qui étaient certes de celles que j’eusse le
plus délibérément sacrifiées à Bergotte, persuadé qu’il les trouverait
sans intérêt), il me sembla soudain que mon humble vie et les royaumes
du vrai n’étaient pas aussi séparés que j’avais cru, qu’ils
coïncidaient même sur certains points, et de confiance et de joie je
pleurai sur les pages de l’écrivain comme dans les bras d’un père
retrouvé.
D’après ses livres j’imaginais Bergotte comme un vieillard faible et
déçu qui avait perdu des enfants et ne s’était jamais consolé. Aussi
je lisais, je chantais intérieurement sa prose, plus «dolce», plus
«lento» peut-être qu’elle n’était écrite, et la phrase la plus simple
s’adressait à moi avec une intonation attendrie. Plus que tout
j’aimais sa philosophie, je m’étais donné à elle pour toujours. Elle
me rendait impatient d’arriver à l’âge où j’entrerais au collège, dans
la classe appelée Philosophie. Mais je ne voulais pas qu’on y fît
autre chose que vivre uniquement par la pensée de Bergotte, et si l’on
m’avait dit que les métaphysiciens auxquels je m’attacherais alors ne
lui ressembleraient en rien, j’aurais ressenti le désespoir d’un
amoureux qui veut aimer pour la vie et à qui on parle des autres
maîtresses qu’il aura plus tard.
Un dimanche, pendant ma lecture au jardin, je fus dérangé par Swann
qui venait voir mes parents.
--«Qu’est-ce que vous lisez, on peut regarder? Tiens, du Bergotte? Qui
donc vous a indiqué ses ouvrages?» Je lui dis que c’était Bloch.
--«Ah! oui, ce garçon que j’ai vu une fois ici, qui ressemble tellement
au portrait de Mahomet II par Bellini. Oh! c’est frappant, il a les
mêmes sourcils circonflexes, le même nez recourbé, les mêmes pommettes
saillantes. Quand il aura une barbiche ce sera la même personne. En
tout cas il a du goût, car Bergotte est un charmant esprit.» Et voyant
combien j’avais l’air d’admirer Bergotte, Swann qui ne parlait jamais
des gens qu’il connaissait fit, par bonté, une exception et me dit:
--«Je le connais beaucoup, si cela pouvait vous faire plaisir qu’il
écrive un mot en tête de votre volume, je pourrais le lui demander.»
Je n’osai pas accepter mais posai à Swann des questions sur Bergotte.
«Est-ce que vous pourriez me dire quel est l’acteur qu’il préfère?»
--«L’acteur, je ne sais pas. Mais je sais qu’il n’égale aucun artiste
homme à la Berma qu’il met au-dessus de tout. L’avez-vous entendue?»
--«Non monsieur, mes parents ne me permettent pas d’aller au théâtre.»
--«C’est malheureux. Vous devriez leur demander. La Berma dans Phèdre,
dans le Cid, ce n’est qu’une actrice si vous voulez, mais vous savez
je ne crois pas beaucoup à la «hiérarchie!» des arts; (et je
remarquai, comme cela m’avait souvent frappé dans ses conversations
avec les sœurs de ma grand’mère que quand il parlait de choses
sérieuses, quand il employait une expression qui semblait impliquer
une opinion sur un sujet important, il avait soin de l’isoler dans une
intonation spéciale, machinale et ironique, comme s’il l’avait mise
entre guillemets, semblant ne pas vouloir la prendre à son compte, et
dire: «la hiérarchie, vous savez, comme disent les gens ridicules»?
Mais alors, si c’était ridicule, pourquoi disait-il la hiérarchie?).
Un instant après il ajouta: «Cela vous donnera une vision aussi noble
que n’importe quel chef-d’œuvre, je ne sais pas moi... que»--et il se
mit à rire--«les Reines de Chartres!» Jusque-là cette horreur
d’exprimer sérieusement son opinion m’avait paru quelque chose qui
devait être élégant et parisien et qui s’opposait au dogmatisme
provincial des sœurs de ma grand’mère; et je soupçonnais aussi que
c’était une des formes de l’esprit dans la coterie où vivait Swann et
où par réaction sur le lyrisme des générations antérieures on
réhabilitait à l’excès les petits faits précis, réputés vulgaires
autrefois, et on proscrivait les «phrases». Mais maintenant je
trouvais quelque chose de choquant dans cette attitude de Swann en
face des choses. Il avait l’air de ne pas oser avoir une opinion et de
n’être tranquille que quand il pouvait donner méticuleusement des
renseignements précis. Mais il ne se rendait donc pas compte que
c’était professer l’opinion, postuler, que l’exactitude de ces détails
avait de l’importance. Je repensai alors à ce dîner où j’étais si
triste parce que maman ne devait pas monter dans ma chambre et où il
avait dit que les bals chez la princesse de Léon n’avaient aucune
importance. Mais c’était pourtant à ce genre de plaisirs qu’il
employait sa vie. Je trouvais tout cela contradictoire. Pour quelle
autre vie réservait-il de dire enfin sérieusement ce qu’il pensait des
choses, de formuler des jugements qu’il pût ne pas mettre entre
guillemets, et de ne plus se livrer avec une politesse pointilleuse à
des occupations dont il professait en même temps qu’elles sont
ridicules? Je remarquai aussi dans la façon dont Swann me parla de
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