Du côté de chez Swann - 32

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très grand plaisir de faire route avec vous) lui a promis s’il est
nommé à l’Académie (c’est un des collègues du docteur) de lui faire
faire son portrait par Machard. Évidemment c’est un beau rêve! j’ai
une autre amie qui prétend qu’elle aime mieux Leloir. Je ne suis
qu’une pauvre profane et Leloir est peut-être encore supérieur comme
science. Mais je trouve que la première qualité d’un portrait, surtout
quand il coûte 10.000 francs, est d’être ressemblant et d’une
ressemblance agréable.»
Ayant tenu ces propos que lui inspiraient la hauteur de son aigrette,
le chiffre de son porte-cartes, le petit numéro tracé à l’encre dans
ses gants par le teinturier, et l’embarras de parler à Swann des
Verdurin, Mme Cottard, voyant qu’on était encore loin du coin de la
rue Bonaparte où le conducteur devait l’arrêter, écouta son cœur qui
lui conseillait d’autres paroles.
--Les oreilles ont dû vous tinter, monsieur, lui dit-elle, pendant le
voyage que nous avons fait avec Mme Verdurin. On ne parlait que de
vous.
Swann fut bien étonné, il supposait que son nom n’était jamais proféré
devant les Verdurin.
--D’ailleurs, ajouta Mme Cottard, Mme de Crécy était là et c’est tout
dire. Quand Odette est quelque part elle ne peut jamais rester bien
longtemps sans parler de vous. Et vous pensez que ce n’est pas en mal.
Comment! vous en doutez, dit-elle, en voyant un geste sceptique de
Swann?
Et emportée par la sincérité de sa conviction, ne mettant d’ailleurs
aucune mauvaise pensée sous ce mot qu’elle prenait seulement dans le
sens où on l’emploie pour parler de l’affection qui unit des amis:
--Mais elle vous adore! Ah! je crois qu’il ne faudrait pas dire ça de
vous devant elle! On serait bien arrangé! A propos de tout, si on
voyait un tableau par exemple elle disait: «Ah! s’il était là, c’est
lui qui saurait vous dire si c’est authentique ou non. Il n’y a
personne comme lui pour ça.» Et à tout moment elle demandait:
«Qu’est-ce qu’il peut faire en ce moment? Si seulement il travaillait
un peu! C’est malheureux, un garçon si doué, qu’il soit si paresseux.
(Vous me pardonnez, n’est-ce pas?)» En ce moment je le vois, il pense
à nous, il se demande où nous sommes.» Elle a même eu un mot que j’ai
trouvé bien joli; M. Verdurin lui disait: «Mais comment pouvez-vous
voir ce qu’il fait en ce moment puisque vous êtes à huit cents lieues
de lui?» Alors Odette lui a répondu: «Rien n’est impossible à l’œil
d’une amie.» Non je vous jure, je ne vous dis pas cela pour vous
flatter, vous avez là une vraie amie comme on n’en a pas beaucoup. Je
vous dirai du reste que si vous ne le savez pas, vous êtes le seul.
Mme Verdurin me le disait encore le dernier jour (vous savez les
veilles de départ on cause mieux): «Je ne dis pas qu’Odette ne nous
aime pas, mais tout ce que nous lui disons ne pèserait pas lourd
auprès de ce que lui dirait M. Swann.» Oh! mon Dieu, voilà que le
conducteur m’arrête, en bavardant avec vous j’allais laisser passer la
rue Bonaparte... me rendriez-vous le service de me dire si mon
aigrette est droite?»
Et Mme Cottard sortit de son manchon pour la tendre à Swann sa main
gantée de blanc d’où s’échappa, avec une correspondance, une vision de
haute vie qui remplit l’omnibus, mêlée à l’odeur du teinturier. Et
Swann se sentit déborder de tendresse pour elle, autant que pour Mme
Verdurin (et presque autant que pour Odette, car le sentiment qu’il
éprouvait pour cette dernière n’étant plus mêlé de douleur, n’était
plus guère de l’amour), tandis que de la plate-forme il la suivait de
ses yeux attendris, qui enfilait courageusement la rue Bonaparte,
l’aigrette haute, d’une main relevant sa jupe, de l’autre tenant son
en-tout-cas et son porte-cartes dont elle laissait voir le chiffre,
laissant baller devant elle son manchon.
Pour faire concurrence aux sentiments maladifs que Swann avait pour
Odette, Mme Cottard, meilleur thérapeute que n’eût été son mari, avait
greffé à côté d’eux d’autres sentiments, normaux ceux-là, de
gratitude, d’amitié, des sentiments qui dans l’esprit de Swann
rendraient Odette plus humaine (plus semblable aux autres femmes,
parce que d’autres femmes aussi pouvaient les lui inspirer),
hâteraient sa transformation définitive en cette Odette aimée
d’affection paisible, qui l’avait ramené un soir après une fête chez
le peintre boire un verre d’orangeade avec Forcheville et près de qui
Swann avait entrevu qu’il pourrait vivre heureux.
Jadis ayant souvent pensé avec terreur qu’un jour il cesserait d’être
épris d’Odette, il s’était promis d’être vigilant, et dès qu’il
sentirait que son amour commencerait à le quitter, de s’accrocher à
lui, de le retenir. Mais voici qu’à l’affaiblissement de son amour
correspondait simultanément un affaiblissement du désir de rester
amoureux. Car on ne peut pas changer, c’est-à-dire devenir une autre
personne, tout en continuant à obéir aux sentiments de celle qu’on
n’est plus. Parfois le nom aperçu dans un journal, d’un des hommes
qu’il supposait avoir pu être les amants d’Odette, lui redonnait de la
jalousie. Mais elle était bien légère et comme elle lui prouvait qu’il
n’était pas encore complètement sorti de ce temps où il avait tant
souffert--mais aussi où il avait connu une manière de sentir si
voluptueuse,--et que les hasards de la route lui permettraient
peut-être d’en apercevoir encore furtivement et de loin les beautés,
cette jalousie lui procurait plutôt une excitation agréable comme au
morne Parisien qui quitte Venise pour retrouver la France, un dernier
moustique prouve que l’Italie et l’été ne sont pas encore bien loin.
Mais le plus souvent le temps si particulier de sa vie d’où il
sortait, quand il faisait effort sinon pour y rester, du moins pour en
avoir une vision claire pendant qu’il le pouvait encore, il
s’apercevait qu’il ne le pouvait déjà plus; il aurait voulu apercevoir
comme un paysage qui allait disparaître cet amour qu’il venait de
quitter; mais il est si difficile d’être double et de se donner le
spectacle véridique d’un sentiment qu’on a cessé de posséder, que
bientôt l’obscurité se faisant dans son cerveau, il ne voyait plus
rien, renonçait à regarder, retirait son lorgnon, en essuyait les
verres; et il se disait qu’il valait mieux se reposer un peu, qu’il
serait encore temps tout à l’heure, et se rencognait, avec
l’incuriosité, dans l’engourdissement, du voyageur ensommeillé qui
rabat son chapeau sur ses yeux pour dormir dans le wagon qu’il sent
l’entraîner de plus en plus vite, loin du pays, où il a si longtemps
vécu et qu’il s’était promis de ne pas laisser fuir sans lui donner un
dernier adieu. Même, comme ce voyageur s’il se réveille seulement en
France, quand Swann ramassa par hasard près de lui la preuve que
Forcheville avait été l’amant d’Odette, il s’aperçut qu’il n’en
ressentait aucune douleur, que l’amour était loin maintenant et
regretta de n’avoir pas été averti du moment où il le quittait pour
toujours. Et de même qu’avant d’embrasser Odette pour la première fois
il avait cherché à imprimer dans sa mémoire le visage qu’elle avait eu
si longtemps pour lui et qu’allait transformer le souvenir de ce
baiser, de même il eût voulu, en pensée au moins, avoir pu faire ses
adieux, pendant qu’elle existait encore, à cette Odette lui inspirant
de l’amour, de la jalousie, à cette Odette lui causant des souffrances
et que maintenant il ne reverrait jamais. Il se trompait. Il devait la
revoir une fois encore, quelques semaines plus tard. Ce fut en
dormant, dans le crépuscule d’un rêve. Il se promenait avec Mme
Verdurin, le docteur Cottard, un jeune homme en fez qu’il ne pouvait
identifier, le peintre, Odette, Napoléon III et mon grand-père, sur un
chemin qui suivait la mer et la surplombait à pic tantôt de très haut,
tantôt de quelques mètres seulement, de sorte qu’on montait et
redescendait constamment; ceux des promeneurs qui redescendaient déjà
n’étaient plus visibles à ceux qui montaient encore, le peu de jour
qui restât faiblissait et il semblait alors qu’une nuit noire allait
s’étendre immédiatement. Par moment les vagues sautaient jusqu’au bord
et Swann sentait sur sa joue des éclaboussures glacées. Odette lui
disait de les essuyer, il ne pouvait pas et en était confus vis-à-vis
d’elle, ainsi que d’être en chemise de nuit. Il espérait qu’à cause de
l’obscurité on ne s’en rendait pas compté, mais cependant Mme Verdurin
le fixa d’un regard étonné durant un long moment pendant lequel il vit
sa figure se déformer, son nez s’allonger et qu’elle avait de grandes
moustaches. Il se détourna pour regarder Odette, ses joues étaient
pâles, avec des petits points rouges, ses traits tirés, cernés, mais
elle le regardait avec des yeux pleins de tendresse prêts à se
détacher comme des larmes pour tomber sur lui et il se sentait l’aimer
tellement qu’il aurait voulu l’emmener tout de suite. Tout d’un coup
Odette tourna son poignet, regarda une petite montre et dit: «Il faut
que je m’en aille», elle prenait congé de tout le monde, de la même
façon, sans prendre à part à Swann, sans lui dire où elle le reverrait
le soir ou un autre jour. Il n’osa pas le lui demander, il aurait
voulu la suivre et était obligé, sans se retourner vers elle, de
répondre en souriant à une question de Mme Verdurin, mais son cœur
battait horriblement, il éprouvait de la haine pour Odette, il aurait
voulu crever ses yeux qu’il aimait tant tout à l’heure, écraser ses
joues sans fraîcheur. Il continuait à monter avec Mme Verdurin,
c’est-à-dire à s’éloigner à chaque pas d’Odette, qui descendait en
sens inverse. Au bout d’une seconde il y eut beaucoup d’heures qu’elle
était partie. Le peintre fit remarquer à Swann que Napoléon III
s’était éclipsé un instant après elle. «C’était certainement entendu
entre eux, ajouta-t-il, ils ont dû se rejoindre en bas de la côte mais
n’ont pas voulu dire adieu ensemble à cause des convenances. Elle est
sa maîtresse.» Le jeune homme inconnu se mit à pleurer. Swann essaya
de le consoler. «Après tout elle a raison, lui dit-il en lui essuyant
les yeux et en lui ôtant son fez pour qu’il fût plus à son aise. Je le
lui ai conseillé dix fois. Pourquoi en être triste? C’était bien
l’homme qui pouvait la comprendre.» Ainsi Swann se parlait-il à
lui-même, car le jeune homme qu’il n’avait pu identifier d’abord était
aussi lui; comme certains romanciers, il avait distribué sa
personnalité à deux personnages, celui qui faisait le rêve, et un
qu’il voyait devant lui coiffé d’un fez.
Quant à Napoléon III, c’est à Forcheville que quelque vague
association d’idées, puis une certaine modification dans la
physionomie habituelle du baron, enfin le grand cordon de la Légion
d’honneur en sautoir, lui avaient fait donner ce nom; mais en réalité,
et pour tout ce que le personnage présent dans le rêve lui
représentait et lui rappelait, c’était bien Forcheville. Car, d’images
incomplètes et changeantes Swann endormi tirait des déductions
fausses, ayant d’ailleurs momentanément un tel pouvoir créateur qu’il
se reproduisait par simple division comme certains organismes
inférieurs; avec la chaleur sentie de sa propre paume il modelait le
creux d’une main étrangère qu’il croyait serrer et, de sentiments et
d’impressions dont il n’avait pas conscience encore faisait naître
comme des péripéties qui, par leur enchaînement logique amèneraient à
point nommé dans le sommeil de Swann le personnage nécessaire pour
recevoir son amour ou provoquer son réveil. Une nuit noire se fit tout
d’un coup, un tocsin sonna, des habitants passèrent en courant, se
sauvant des maisons en flammes; Swann entendait le bruit des vagues
qui sautaient et son cœur qui, avec la même violence, battait
d’anxiété dans sa poitrine. Tout d’un coup ses palpitations de cœur
redoublèrent de vitesse, il éprouva une souffrance, une nausée
inexplicables; un paysan couvert de brûlures lui jetait en passant:
«Venez demander à Charlus où Odette est allée finir la soirée avec son
camarade, il a été avec elle autrefois et elle lui dit tout. C’est eux
qui ont mis le feu.» C’était son valet de chambre qui venait
l’éveiller et lui disait:
--Monsieur, il est huit heures et le coiffeur est là, je lui ai dit de
repasser dans une heure.
Mais ces paroles en pénétrant dans les ondes du sommeil où Swann était
plongé, n’étaient arrivées jusqu’à sa conscience qu’en subissant cette
déviation qui fait qu’au fond de l’eau un rayon paraît un soleil, de
même qu’un moment auparavant le bruit de la sonnette prenant au fond
de ces abîmes une sonorité de tocsin avait enfanté l’épisode de
l’incendie. Cependant le décor qu’il avait sous les yeux vola en
poussière, il ouvrit les yeux, entendit une dernière fois le bruit
d’une des vagues de la mer qui s’éloignait. Il toucha sa joue. Elle
était sèche. Et pourtant il se rappelait la sensation de l’eau froide
et le goût du sel. Il se leva, s’habilla. Il avait fait venir le
coiffeur de bonne heure parce qu’il avait écrit la veille à mon
grand-père qu’il irait dans l’après-midi à Combray, ayant appris que
Mme de Cambremer--Mlle Legrandin--devait y passer quelques jours.
Associant dans son souvenir au charme de ce jeune visage celui d’une
campagne où il n’était pas allé depuis si longtemps, ils lui offraient
ensemble un attrait qui l’avait décidé à quitter enfin Paris pour
quelques jours. Comme les différents hasards qui nous mettent en
présence de certaines personnes ne coïncident pas avec le temps où
nous les aimons, mais, le dépassant, peuvent se produire avant qu’il
commence et se répéter après qu’il a fini, les premières apparitions
que fait dans notre vie un être destiné plus tard à nous plaire,
prennent rétrospectivement à nos yeux une valeur d’avertissement, de
présage. C’est de cette façon que Swann s’était souvent reporté à
l’image d’Odette rencontrée au théâtre, ce premier soir où il ne
songeait pas à la revoir jamais,--et qu’il se rappelait maintenant la
soirée de Mme de Saint-Euverte où il avait présenté le général de
Froberville à Mme de Cambremer. Les intérêts de notre vie sont si
multiples qu’il n’est pas rare que dans une même circonstance les
jalons d’un bonheur qui n’existe pas encore soient posés à côté de
l’aggravation d’un chagrin dont nous souffrons. Et sans doute cela
aurait pu arriver à Swann ailleurs que chez Mme de Saint-Euverte. Qui
sait même, dans le cas où, ce soir-là, il se fût trouvé ailleurs, si
d’autres bonheurs, d’autres chagrins ne lui seraient pas arrivés, et
qui ensuite lui eussent paru avoir été inévitables? Mais ce qui lui
semblait l’avoir été, c’était ce qui avait eu lieu, et il n’était pas
loin de voir quelque chose de providentiel dans ce qu’il se fût décidé
à aller à la soirée de Mme de Saint-Euverte, parce que son esprit
désireux d’admirer la richesse d’invention de la vie et incapable de
se poser longtemps une question difficile, comme de savoir ce qui eût
été le plus à souhaiter, considérait dans les souffrances qu’il avait
éprouvées ce soir-là et les plaisirs encore insoupçonnés qui germaient
déjà,--et entre lesquels la balance était trop difficile à établir--,
une sorte d’enchaînement nécessaire.
Mais tandis que, une heure après son réveil, il donnait des
indications au coiffeur pour que sa brosse ne se dérangeât pas en
wagon, il repensa à son rêve, il revit comme il les avait sentis tout
près de lui, le teint pâle d’Odette, les joues trop maigres, les
traits tirés, les yeux battus, tout ce que--au cours des tendresses
successives qui avaient fait de son durable amour pour Odette un long
oubli de l’image première qu’il avait reçue d’elle--il avait cessé de
remarquer depuis les premiers temps de leur liaison dans lesquels sans
doute, pendant qu’il dormait, sa mémoire en avait été chercher la
sensation exacte. Et avec cette muflerie intermittente qui
reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux et que
baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s’écria en
lui-même: «Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu
mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me
plaisait pas, qui n’était pas mon genre!»


TROISIÈME PARTIE
NOMS DE PAYS: LE NOM

Parmi les chambres dont j’évoquais le plus souvent l’image dans mes
nuits d’insomnie, aucune ne ressemblait moins aux chambres de Combray,
saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote,
que celle du Grand-Hôtel de la Plage, à Balbec, dont les murs passés
au ripolin contenaient comme les parois polies d’une piscine où l’eau
bleuit, un air pur, azuré et salin. Le tapissier bavarois qui avait
été chargé de l’aménagement de cet hôtel avait varié la décoration des
pièces et sur trois côtés, fait courir le long des murs, dans celle
que je me trouvai habiter, des bibliothèques basses, à vitrines en
glace, dans lesquelles selon la place qu’elles occupaient, et par un
effet qu’il n’avait pas prévu, telle ou telle partie du tableau
changeant de la mer se reflétait, déroulant une frise de claires
marines, qu’interrompaient seuls les pleins de l’acajou. Si bien que
toute la pièce avait l’air d’un de ces dortoirs modèles qu’on présente
dans les expositions «modern style» du mobilier où ils sont ornés
d’œuvres d’art qu’on a supposées capables de réjouir les yeux de celui
qui couchera là et auxquelles on a donné des sujets en rapport avec le
genre de site où l’habitation doit se trouver.
Mais rien ne ressemblait moins non plus à ce Balbec réel que celui
dont j’avais souvent rêvé, les jours de tempête, quand le vent était
si fort que Françoise en me menant aux Champs-Élysées me recommandait
de ne pas marcher trop près des murs pour ne pas recevoir de tuiles
sur la tête et parlait en gémissant des grands sinistres et naufrages
annoncés par les journaux. Je n’avais pas de plus grand désir que de
voir une tempête sur la mer, moins comme un beau spectacle que comme
un moment dévoilé de la vie réelle de la nature; ou plutôt il n’y
avait pour moi de beaux spectacles que ceux que je savais qui
n’étaient pas artificiellement combinés pour mon plaisir, mais étaient
nécessaires, inchangeables,--les beautés des paysages ou du grand art.
Je n’étais curieux, je n’étais avide de connaître que ce que je
croyais plus vrai que moi-même, ce qui avait pour moi le prix de me
montrer un peu de la pensée d’un grand génie, ou de la force ou de la
grâce de la nature telle qu’elle se manifeste livrée à elle-même, sans
l’intervention des hommes. De même que le beau son de sa voix,
isolément reproduit par le phonographe, ne nous consolerait pas
d’avoir perdu notre mère, de même une tempête mécaniquement imitée
m’aurait laissé aussi indifférent que les fontaines lumineuses de
l’Exposition. Je voulais aussi pour que la tempête fût absolument
vraie, que le rivage lui-même fût un rivage naturel, non une digue
récemment créée par une municipalité. D’ailleurs la nature par tous
les sentiments qu’elle éveillait en moi, me semblait ce qu’il y avait
de plus opposé aux productions mécaniques des hommes. Moins elle
portait leur empreinte et plus elle offrait d’espace à l’expansion de
mon cœur. Or j’avais retenu le nom de Balbec que nous avait cité
Legrandin, comme d’une plage toute proche de «ces côtes funèbres,
fameuses par tant de naufrages qu’enveloppent six mois de l’année le
linceul des brumes et l’écume des vagues».
«On y sent encore sous ses pas, disait-il, bien plus qu’au Finistère
lui-même (et quand bien même des hôtels s’y superposeraient maintenant
sans pouvoir y modifier la plus antique ossature de la terre), on y
sent la véritable fin de la terre française, européenne, de la Terre
antique. Et c’est le dernier campement de pêcheurs, pareils à tous les
pêcheurs qui ont vécu depuis le commencement du monde, en face du
royaume éternel des brouillards de la mer et des ombres.» Un jour qu’à
Combray j’avais parlé de cette plage de Balbec devant M. Swann afin
d’apprendre de lui si c’était le point le mieux choisi pour voir les
plus fortes tempêtes, il m’avait répondu: «Je crois bien que je
connais Balbec! L’église de Balbec, du XIIe et XIIIe siècle, encore à
moitié romane, est peut-être le plus curieux échantillon du gothique
normand, et si singulière, on dirait de l’art persan.» Et ces lieux
qui jusque-là ne m’avaient semblé que de la nature immémoriale, restée
contemporaine des grands phénomènes géologiques,--et tout aussi en
dehors de l’histoire humaine que l’Océan ou la grande Ourse, avec ces
sauvages pêcheurs pour qui, pas plus que pour les baleines, il n’y eut
de moyen âge--, ç’avait été un grand charme pour moi de les voir tout
d’un coup entrés dans la série des siècles, ayant connu l’époque
romane, et de savoir que le trèfle gothique était venu nervurer aussi
ces rochers sauvages à l’heure voulue, comme ces plantes frêles mais
vivaces qui, quand c’est le printemps, étoilent çà et là la neige des
pôles. Et si le gothique apportait à ces lieux et à ces hommes une
détermination qui leur manquait, eux aussi lui en conféraient une en
retour. J’essayais de me représenter comment ces pêcheurs avaient
vécu, le timide et insoupçonné essai de rapports sociaux qu’ils
avaient tenté là, pendant le moyen âge, ramassés sur un point des
côtes d’Enfer, aux pieds des falaises de la mort; et le gothique me
semblait plus vivant maintenant que, séparé des villes où je l’avais
toujours imaginé jusque-là, je pouvais voir comment, dans un cas
particulier, sur des rochers sauvages, il avait germé et fleuri en un
fin clocher. On me mena voir des reproductions des plus célèbres
statues de Balbec--les apôtres moutonnants et camus, la Vierge du
porche, et de joie ma respiration s’arrêtait dans ma poitrine quand je
pensais que je pourrais les voir se modeler en relief sur le
brouillard éternel et salé. Alors, par les soirs orageux et doux de
février, le vent,--soufflant dans mon cœur, qu’il ne faisait pas
trembler moins fort que la cheminée de ma chambre, le projet d’un
voyage à Balbec--mêlait en moi le désir de l’architecture gothique avec
celui d’une tempête sur la mer.
J’aurais voulu prendre dès le lendemain le beau train généreux d’une
heure vingt-deux dont je ne pouvais jamais sans que mon cœur palpitât
lire, dans les réclames des Compagnies de chemin de fer, dans les
annonces de voyages circulaires, l’heure de départ: elle me semblait
inciser à un point précis de l’après-midi une savoureuse entaille, une
marque mystérieuse à partir de laquelle les heures déviées
conduisaient bien encore au soir, au matin du lendemain, mais qu’on
verrait, au lieu de Paris, dans l’une de ces villes par où le train
passe et entre lesquelles il nous permettait de choisir; car il
s’arrêtait à Bayeux, à Coutances, à Vitré, à Questambert, à Pontorson,
à Balbec, à Lannion, à Lamballe, à Benodet, à Pont-Aven, à Quimperlé,
et s’avançait magnifiquement surchargé de noms qu’il m’offrait et
entre lesquels je ne savais lequel j’aurais préféré, par impossibilité
d’en sacrifier aucun. Mais sans même l’attendre, j’aurais pu en
m’habillant à la hâte partir le soir même, si mes parents me l’avaient
permis, et arriver à Balbec quand le petit jour se lèverait sur la mer
furieuse, contre les écumes envolées de laquelle j’irais me réfugier
dans l’église de style persan. Mais à l’approche des vacances de
Pâques, quand mes parents m’eurent promis de me les faire passer une
fois dans le nord de l’Italie, voilà qu’à ces rêves de tempête dont
j’avais été rempli tout entier, ne souhaitant voir que des vagues
accourant de partout, toujours plus haut, sur la côte la plus sauvage,
près d’églises escarpées et rugueuses comme des falaises et dans les
tours desquelles crieraient les oiseaux de mer, voilà que tout à coup
les effaçant, leur ôtant tout charme, les excluant parce qu’ils lui
étaient opposés et n’auraient pu que l’affaiblir, se substituaient en
moi le rêve contraire du printemps le plus diapré, non pas le
printemps de Combray qui piquait encore aigrement avec toutes les
aiguilles du givre, mais celui qui couvrait déjà de lys et d’anémones
les champs de Fiésole et éblouissait Florence de fonds d’or pareils à
ceux de l’Angelico. Dès lors, seuls les rayons, les parfums, les
couleurs me semblaient avoir du prix; car l’alternance des images
avait amené en moi un changement de front du désir, et,--aussi brusque
que ceux qu’il y a parfois en musique, un complet changement de ton
dans ma sensibilité. Puis il arriva qu’une simple variation
atmosphérique suffit à provoquer en moi cette modulation sans qu’il y
eût besoin d’attendre le retour d’une saison. Car souvent dans l’une,
on trouve égaré un jour d’une autre, qui nous y fait vivre, en évoque
aussitôt, en fait désirer les plaisirs particuliers et interrompt les
rêves que nous étions en train de faire, en plaçant, plus tôt ou plus
tard qu’à son tour, ce feuillet détaché d’un autre chapitre, dans le
calendrier interpolé du Bonheur. Mais bientôt comme ces phénomènes
naturels dont notre confort ou notre santé ne peuvent tirer qu’un
bénéfice accidentel et assez mince jusqu’au jour où la science
s’empare d’eux, et les produisant à volonté, remet en nos mains la
possibilité de leur apparition, soustraite à la tutelle et dispensée
de l’agrément du hasard, de même la production de ces rêves
d’Atlantique et d’Italie cessa d’être soumise uniquement aux
changements des saisons et du temps. Je n’eus besoin pour les faire
renaître que de prononcer ces noms: Balbec, Venise, Florence, dans
l’intérieur desquels avait fini par s’accumuler le désir que m’avaient
inspiré les lieux qu’ils désignaient. Même au printemps, trouver dans
un livre le nom de Balbec suffisait à réveiller en moi le désir des
tempêtes et du gothique normand; même par un jour de tempête le nom de
Florence ou de Venise me donnait le désir du soleil, des lys, du
palais des Doges et de Sainte-Marie-des-Fleurs.
Mais si ces noms absorbèrent à tout jamais l’image que j’avais de ces
villes, ce ne fut qu’en la transformant, qu’en soumettant sa
réapparition en moi à leurs lois propres; ils eurent ainsi pour
conséquence de la rendre plus belle, mais aussi plus différente de ce
que les villes de Normandie ou de Toscane pouvaient être en réalité,
et, en accroissant les joies arbitraires de mon imagination,
d’aggraver la déception future de mes voyages. Ils exaltèrent l’idée
que je me faisais de certains lieux de la terre, en les faisant plus
particuliers, par conséquent plus réels. Je ne me représentais pas
alors les villes, les paysages, les monuments, comme des tableaux plus
ou moins agréables, découpés çà et là dans une même matière, mais
chacun d’eux comme un inconnu, essentiellement différent des autres,
dont mon âme avait soif et qu’elle aurait profit à connaître. Combien
ils prirent quelque chose de plus individuel encore, d’être désignés
par des noms, des noms qui n’étaient que pour eux, des noms comme en
ont les personnes. Les mots nous présentent des choses une petite
image claire et usuelle comme celles que l’on suspend aux murs des
écoles pour donner aux enfants l’exemple de ce qu’est un établi, un
oiseau, une fourmilière, choses conçues comme pareilles à toutes
celles de même sorte. Mais les noms présentent des personnes--et des
villes qu’ils nous habituent à croire individuelles, uniques comme des
personnes--une image confuse qui tire d’eux, de leur sonorité éclatante
ou sombre, la couleur dont elle est peinte uniformément comme une de
ces affiches, entièrement bleues ou entièrement rouges, dans
lesquelles, à cause des limites du procédé employé ou par un caprice
du décorateur, sont bleus ou rouges, non seulement le ciel et la mer,
mais les barques, l’église, les passants. Le nom de Parme, une des
villes où je désirais le plus aller, depuis que j’avais lu la
Chartreuse, m’apparaissant compact, lisse, mauve et doux; si on me
parlait d’une maison quelconque de Parme dans laquelle je serais reçu,
on me causait le plaisir de penser que j’habiterais une demeure lisse,
compacte, mauve et douce, qui n’avait de rapport avec les demeures
d’aucune ville d’Italie puisque je l’imaginais seulement à l’aide de
cette syllabe lourde du nom de Parme, où ne circule aucun air, et de
tout ce que je lui avais fait absorber de douceur stendhalienne et du
reflet des violettes. Et quand je pensais à Florence, c’était comme à
une ville miraculeusement embaumée et semblable à une corolle, parce
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