Du côté de chez Swann - 23

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souvenir du temps où on lui avait parlé d’Odette comme d’une femme
entretenue, et où une fois de plus il s’amusait à opposer cette
personnification étrange: la femme entretenue,--chatoyant amalgame
d’éléments inconnus et diaboliques, serti, comme une apparition de
Gustave Moreau, de fleurs vénéneuses entrelacées à des joyaux
précieux,--et cette Odette sur le visage de qui il avait vu passer les
mêmes sentiments de pitié pour un malheureux, de révolte contre une
injustice, de gratitude pour un bienfait, qu’il avait vu éprouver
autrefois par sa propre mère, par ses amis, cette Odette dont les
propos avaient si souvent trait aux choses qu’il connaissait le mieux
lui-même, à ses collections, à sa chambre, à son vieux domestique, au
banquier chez qui il avait ses titres, il se trouva que cette dernière
image du banquier lui rappela qu’il aurait à y prendre de l’argent. En
effet, si ce mois-ci il venait moins largement à l’aide d’Odette dans
ses difficultés matérielles qu’il n’avait fait le mois dernier où il
lui avait donné cinq mille francs, et s’il ne lui offrait pas une
rivière de diamants qu’elle désirait, il ne renouvellerait pas en elle
cette admiration qu’elle avait pour sa générosité, cette
reconnaissance, qui le rendaient si heureux, et même il risquerait de
lui faire croire que son amour pour elle, comme elle en verrait les
manifestations devenir moins grandes, avait diminué. Alors, tout d’un
coup, il se demanda si cela, ce n’était pas précisément l’«entretenir»
(comme si, en effet, cette notion d’entretenir pouvait être extraite
d’éléments non pas mystérieux ni pervers, mais appartenant au fond
quotidien et privé de sa vie, tels que ce billet de mille francs,
domestique et familier, déchiré et recollé, que son valet de chambre,
après lui avoir payé les comptes du mois et le terme, avait serré dans
le tiroir du vieux bureau où Swann l’avait repris pour l’envoyer avec
quatre autres à Odette) et si on ne pouvait pas appliquer à Odette,
depuis qu’il la connaissait (car il ne soupçonna pas un instant
qu’elle eût jamais pu recevoir d’argent de personne avant lui), ce mot
qu’il avait cru si inconciliable avec elle, de «femme entretenue». Il
ne put approfondir cette idée, car un accès d’une paresse d’esprit,
qui était chez lui congénitale, intermittente et providentielle, vint
à ce moment éteindre toute lumière dans son intelligence, aussi
brusquement que, plus tard, quand on eut installé partout l’éclairage
électrique, on put couper l’électricité dans une maison. Sa pensée
tâtonna un instant dans l’obscurité, il retira ses lunettes, en essuya
les verres, se passa la main sur les yeux, et ne revit la lumière que
quand il se retrouva en présence d’une idée toute différente, à savoir
qu’il faudrait tâcher d’envoyer le mois prochain six ou sept mille
francs à Odette au lieu de cinq, à cause de la surprise et de la joie
que cela lui causerait.
Le soir, quand il ne restait pas chez lui à attendre l’heure de
retrouver Odette chez les Verdurin ou plutôt dans un des restaurants
d’été qu’ils affectionnaient au Bois et surtout à Saint-Cloud, il
allait dîner dans quelqu’une de ces maisons élégantes dont il était
jadis le convive habituel. Il ne voulait pas perdre contact avec des
gens qui--savait-on? pourraient peut-être un jour être utiles à Odette,
et grâce auxquels en attendant il réussissait souvent à lui être
agréable. Puis l’habitude qu’il avait eue longtemps du monde, du luxe,
lui en avait donné, en même temps que le dédain, le besoin, de sorte
qu’à partir du moment où les réduits les plus modestes lui étaient
apparus exactement sur le même pied que les plus princières demeures,
ses sens étaient tellement accoutumés aux secondes qu’il eût éprouvé
quelque malaise à se trouver dans les premiers. Il avait la même
considération--à un degré d’identité qu’ils n’auraient pu croire--pour
des petits bourgeois qui faisaient danser au cinquième étage d’un
escalier D, palier à gauche, que pour la princesse de Parme qui
donnait les plus belles fêtes de Paris; mais il n’avait pas la
sensation d’être au bal en se tenant avec les pères dans la chambre à
coucher de la maîtresse de la maison et la vue des lavabos recouverts
de serviettes, des lits transformés en vestiaires, sur le couvre-pied
desquels s’entassaient les pardessus et les chapeaux lui donnait la
même sensation d’étouffement que peut causer aujourd’hui à des gens
habitués à vingt ans d’électricité l’odeur d’une lampe qui charbonne
ou d’une veilleuse qui file.
Le jour où il dînait en ville, il faisait atteler pour sept heures et
demie; il s’habillait tout en songeant à Odette et ainsi il ne se
trouvait pas seul, car la pensée constante d’Odette donnait aux
moments où il était loin d’elle le même charme particulier qu’à ceux
où elle était là. Il montait en voiture, mais il sentait que cette
pensée y avait sauté en même temps et s’installait sur ses genoux
comme une bête aimée qu’on emmène partout et qu’il garderait avec lui
à table, à l’insu des convives. Il la caressait, se réchauffait à
elle, et éprouvant une sorte de langueur, se laissait aller à un léger
frémissement qui crispait son cou et son nez, et était nouveau chez
lui, tout en fixant à sa boutonnière le bouquet d’ancolies. Se sentant
souffrant et triste depuis quelque temps, surtout depuis qu’Odette
avait présenté Forcheville aux Verdurin, Swann aurait aimé aller se
reposer un peu à la campagne. Mais il n’aurait pas eu le courage de
quitter Paris un seul jour pendant qu’Odette y était. L’air était
chaud; c’étaient les plus beaux jours du printemps. Et il avait beau
traverser une ville de pierre pour se rendre en quelque hôtel clos, ce
qui était sans cesse devant ses yeux, c’était un parc qu’il possédait
près de Combray, où, dès quatre heures, avant d’arriver au plant
d’asperges, grâce au vent qui vient des champs de Méséglise, on
pouvait goûter sous une charmille autant de fraîcheur qu’au bord de
l’étang cerné de myosotis et de glaïeuls, et où, quand il dînait,
enlacées par son jardinier, couraient autour de la table les
groseilles et les roses.
Après dîner, si le rendez-vous au bois ou à Saint-Cloud était de bonne
heure, il partait si vite en sortant de table,--surtout si la pluie
menaçait de tomber et de faire rentrer plus tôt les «fidèles»,--qu’une
fois la princesse des Laumes (chez qui on avait dîné tard et que Swann
avait quittée avant qu’on servît le café pour rejoindre les Verdurin
dans l’île du Bois) dit:
--«Vraiment, si Swann avait trente ans de plus et une maladie de la
vessie, on l’excuserait de filer ainsi. Mais tout de même il se moque
du monde.»
Il se disait que le charme du printemps qu’il ne pouvait pas aller
goûter à Combray, il le trouverait du moins dans l’île des Cygnes ou à
Saint-Cloud. Mais comme il ne pouvait penser qu’à Odette, il ne savait
même pas, s’il avait senti l’odeur des feuilles, s’il y avait eu du
clair de lune. Il était accueilli par la petite phrase de la Sonate
jouée dans le jardin sur le piano du restaurant. S’il n’y en avait pas
là, les Verdurin prenaient une grande peine pour en faire descendre un
d’une chambre ou d’une salle à manger: ce n’est pas que Swann fût
rentré en faveur auprès d’eux, au contraire. Mais l’idée d’organiser
un plaisir ingénieux pour quelqu’un, même pour quelqu’un qu’ils
n’aimaient pas, développait chez eux, pendant les moments nécessaires
à ces préparatifs, des sentiments éphémères et occasionnels de
sympathie et de cordialité. Parfois il se disait que c’était un
nouveau soir de printemps de plus qui passait, il se contraignait à
faire attention aux arbres, au ciel. Mais l’agitation où le mettait la
présence d’Odette, et aussi un léger malaise fébrile qui ne le
quittait guère depuis quelque temps, le privait du calme et du
bien-être qui sont le fond indispensable aux impressions que peut
donner la nature.
Un soir où Swann avait accepté de dîner avec les Verdurin, comme
pendant le dîner il venait de dire que le lendemain il avait un
banquet d’anciens camarades, Odette lui avait répondu en pleine table,
devant Forcheville, qui était maintenant un des fidèles, devant le
peintre, devant Cottard:
--«Oui, je sais que vous avez votre banquet, je ne vous verrai donc que
chez moi, mais ne venez pas trop tard.»
Bien que Swann n’eût encore jamais pris bien sérieusement ombrage de
l’amitié d’Odette pour tel ou tel fidèle, il éprouvait une douceur
profonde à l’entendre avouer ainsi devant tous, avec cette tranquille
impudeur, leurs rendez-vous quotidiens du soir, la situation
privilégiée qu’il avait chez elle et la préférence pour lui qui y
était impliquée. Certes Swann avait souvent pensé qu’Odette n’était à
aucun degré une femme remarquable; et la suprématie qu’il exerçait sur
un être qui lui était si inférieur n’avait rien qui dût lui paraître
si flatteur à voir proclamer à la face des «fidèles», mais depuis
qu’il s’était aperçu qu’à beaucoup d’hommes Odette semblait une femme
ravissante et désirable, le charme qu’avait pour eux son corps avait
éveillé en lui un besoin douloureux de la maîtriser entièrement dans
les moindres parties de son cœur. Et il avait commencé d’attacher un
prix inestimable à ces moments passés chez elle le soir, où il
l’asseyait sur ses genoux, lui faisait dire ce qu’elle pensait d’une
chose, d’une autre, où il recensait les seuls biens à la possession
desquels il tînt maintenant sur terre. Aussi, après ce dîner, la
prenant à part, il ne manqua pas de la remercier avec effusion,
cherchant à lui enseigner selon les degrés de la reconnaissance qu’il
lui témoignait, l’échelle des plaisirs qu’elle pouvait lui causer, et
dont le suprême était de le garantir, pendant le temps que son amour
durerait et l’y rendrait vulnérable, des atteintes de la jalousie.
Quand il sortit le lendemain du banquet, il pleuvait à verse, il
n’avait à sa disposition que sa victoria; un ami lui proposa de le
reconduire chez lui en coupé, et comme Odette, par le fait qu’elle lui
avait demandé de venir, lui avait donné la certitude qu’elle
n’attendait personne, c’est l’esprit tranquille et le cœur content
que, plutôt que de partir ainsi dans la pluie, il serait rentré chez
lui se coucher. Mais peut-être, si elle voyait qu’il n’avait pas l’air
de tenir à passer toujours avec elle, sans aucune exception, la fin de
la soirée, négligerait-elle de la lui réserver, justement une fois où
il l’aurait particulièrement désiré.
Il arriva chez elle après onze heures, et, comme il s’excusait de
n’avoir pu venir plus tôt, elle se plaignit que ce fût en effet bien
tard, l’orage l’avait rendue souffrante, elle se sentait mal à la tête
et le prévint qu’elle ne le garderait pas plus d’une demi-heure, qu’à
minuit, elle le renverrait; et, peu après, elle se sentit fatiguée et
désira s’endormir.
--Alors, pas de catleyas ce soir? lui dit-il, moi qui espérais un bon
petit catleya.
Et d’un air un peu boudeur et nerveux, elle lui répondit:
--«Mais non, mon petit, pas de catleyas ce soir, tu vois bien que je
suis souffrante!»
--«Cela t’aurait peut-être fait du bien, mais enfin je n’insiste pas.»
Elle le pria d’éteindre la lumière avant de s’en aller, il referma
lui-même les rideaux du lit et partit. Mais quand il fut rentré chez
lui, l’idée lui vint brusquement que peut-être Odette attendait
quelqu’un ce soir, qu’elle avait seulement simulé la fatigue et
qu’elle ne lui avait demandé d’éteindre que pour qu’il crût qu’elle
allait s’endormir, qu’aussitôt qu’il avait été parti, elle l’avait
rallumée, et fait rentrer celui qui devait passer la nuit auprès
d’elle. Il regarda l’heure. Il y avait à peu près une heure et demie
qu’il l’avait quittée, il ressortit, prit un fiacre et se fit arrêter
tout près de chez elle, dans une petite rue perpendiculaire à celle
sur laquelle donnait derrière son hôtel et où il allait quelquefois
frapper à la fenêtre de sa chambre à coucher pour qu’elle vînt lui
ouvrir; il descendit de voiture, tout était désert et noir dans ce
quartier, il n’eut que quelques pas à faire à pied et déboucha presque
devant chez elle. Parmi l’obscurité de toutes les fenêtres éteintes
depuis longtemps dans la rue, il en vit une seule d’où
débordait,--entre les volets qui en pressaient la pulpe mystérieuse et
dorée,--la lumière qui remplissait la chambre et qui, tant d’autres
soirs, du plus loin qu’il l’apercevait, en arrivant dans la rue le
réjouissait et lui annonçait: «elle est là qui t’attend» et qui
maintenant, le torturait en lui disant: «elle est là avec celui
qu’elle attendait». Il voulait savoir qui; il se glissa le long du mur
jusqu’à la fenêtre, mais entre les lames obliques des volets il ne
pouvait rien voir; il entendait seulement dans le silence de la nuit
le murmure d’une conversation. Certes, il souffrait de voir cette
lumière dans l’atmosphère d’or de laquelle se mouvait derrière le
châssis le couple invisible et détesté, d’entendre ce murmure qui
révélait la présence de celui qui était venu après son départ, la
fausseté d’Odette, le bonheur qu’elle était en train de goûter avec
lui.
Et pourtant il était content d’être venu: le tourment qui l’avait
forcé de sortir de chez lui avait perdu de son acuité en perdant de
son vague, maintenant que l’autre vie d’Odette, dont il avait eu, à ce
moment-là, le brusque et impuissant soupçon, il la tenait là, éclairée
en plein par la lampe, prisonnière sans le savoir dans cette chambre
où, quand il le voudrait, il entrerait la surprendre et la capturer;
ou plutôt il allait frapper aux volets comme il faisait souvent quand
il venait très tard; ainsi du moins, Odette apprendrait qu’il avait
su, qu’il avait vu la lumière et entendu la causerie, et lui, qui,
tout à l’heure, se la représentait comme se riant avec l’autre de ses
illusions, maintenant, c’était eux qu’il voyait, confiants dans leur
erreur, trompés en somme par lui qu’ils croyaient bien loin d’ici et
qui, lui, savait déjà qu’il allait frapper aux volets. Et peut-être,
ce qu’il ressentait en ce moment de presque agréable, c’était autre
chose aussi que l’apaisement d’un doute et d’une douleur: un plaisir
de l’intelligence. Si, depuis qu’il était amoureux, les choses avaient
repris pour lui un peu de l’intérêt délicieux qu’il leur trouvait
autrefois, mais seulement là où elles étaient éclairées par le
souvenir d’Odette, maintenant, c’était une autre faculté de sa
studieuse jeunesse que sa jalousie ranimait, la passion de la vérité,
mais d’une vérité, elle aussi, interposée entre lui et sa maîtresse,
ne recevant sa lumière que d’elle, vérité tout individuelle qui avait
pour objet unique, d’un prix infini et presque d’une beauté
désintéressée, les actions d’Odette, ses relations, ses projets, son
passé. A toute autre époque de sa vie, les petits faits et gestes
quotidiens d’une personne avaient toujours paru sans valeur à Swann:
si on lui en faisait le commérage, il le trouvait insignifiant, et,
tandis qu’il l’écoutait, ce n’était que sa plus vulgaire attention qui
y était intéressée; c’était pour lui un des moments où il se sentait
le plus médiocre. Mais dans cette étrange période de l’amour,
l’individuel prend quelque chose de si profond, que cette curiosité
qu’il sentait s’éveiller en lui à l’égard des moindres occupations
d’une femme, c’était celle qu’il avait eue autrefois pour l’Histoire.
Et tout ce dont il aurait eu honte jusqu’ici, espionner devant une
fenêtre, qui sait, demain, peut-être faire parler habilement les
indifférents, soudoyer les domestiques, écouter aux portes, ne lui
semblait plus, aussi bien que le déchiffrement des textes, la
comparaison des témoignages et l’interprétation des monuments, que des
méthodes d’investigation scientifique d’une véritable valeur
intellectuelle et appropriées à la recherche de la vérité.
Sur le point de frapper contre les volets, il eut un moment de honte
en pensant qu’Odette allait savoir qu’il avait eu des soupçons, qu’il
était revenu, qu’il s’était posté dans la rue. Elle lui avait dit
souvent l’horreur qu’elle avait des jaloux, des amants qui espionnent.
Ce qu’il allait faire était bien maladroit, et elle allait le détester
désormais, tandis qu’en ce moment encore, tant qu’il n’avait pas
frappé, peut-être, même en le trompant, l’aimait-elle. Que de bonheurs
possibles dont on sacrifie ainsi la réalisation à l’impatience d’un
plaisir immédiat. Mais le désir de connaître la vérité était plus fort
et lui sembla plus noble. Il savait que la réalité de circonstances
qu’il eût donné sa vie pour restituer exactement, était lisible
derrière cette fenêtre striée de lumière, comme sous la couverture
enluminée d’or d’un de ces manuscrits précieux à la richesse
artistique elle-même desquels le savant qui les consulte ne peut
rester indifférent. Il éprouvait une volupté à connaître la vérité qui
le passionnait dans cet exemplaire unique, éphémère et précieux, d’une
matière translucide, si chaude et si belle. Et puis l’avantage qu’il
se sentait,--qu’il avait tant besoin de se sentir,--sur eux, était
peut-être moins de savoir, que de pouvoir leur montrer qu’il savait.
Il se haussa sur la pointe des pieds. Il frappa. On n’avait pas
entendu, il refrappa plus fort, la conversation s’arrêta. Une voix
d’homme dont il chercha à distinguer auquel de ceux des amis d’Odette
qu’il connaissait elle pouvait appartenir, demanda:
--«Qui est là?»
Il n’était pas sûr de la reconnaître. Il frappa encore une fois. On
ouvrit la fenêtre, puis les volets. Maintenant, il n’y avait plus
moyen de reculer, et, puisqu’elle allait tout savoir, pour ne pas
avoir l’air trop malheureux, trop jaloux et curieux, il se contenta de
crier d’un air négligent et gai:
--«Ne vous dérangez pas, je passais par là, j’ai vu de la lumière, j’ai
voulu savoir si vous n’étiez plus souffrante.»
Il regarda. Devant lui, deux vieux messieurs étaient à la fenêtre,
l’un tenant une lampe, et alors, il vit la chambre, une chambre
inconnue. Ayant l’habitude, quand il venait chez Odette très tard, de
reconnaître sa fenêtre à ce que c’était la seule éclairée entre les
fenêtres toutes pareilles, il s’était trompé et avait frappé à la
fenêtre suivante qui appartenait à la maison voisine. Il s’éloigna en
s’excusant et rentra chez lui, heureux que la satisfaction de sa
curiosité eût laissé leur amour intact et qu’après avoir simulé depuis
si longtemps vis-à-vis d’Odette une sorte d’indifférence, il ne lui
eût pas donné, par sa jalousie, cette preuve qu’il l’aimait trop, qui,
entre deux amants, dispense, à tout jamais, d’aimer assez, celui qui
la reçoit. Il ne lui parla pas de cette mésaventure, lui-même n’y
songeait plus. Mais, par moments, un mouvement de sa pensée venait en
rencontrer le souvenir qu’elle n’avait pas aperçu, le heurtait,
l’enfonçait plus avant et Swann avait ressenti une douleur brusque et
profonde. Comme si ç’avait été une douleur physique, les pensées de
Swann ne pouvaient pas l’amoindrir; mais du moins la douleur physique,
parce qu’elle est indépendante de la pensée, la pensée peut s’arrêter
sur elle, constater qu’elle a diminué, qu’elle a momentanément cessé!
Mais cette douleur-là, la pensée, rien qu’en se la rappelant, la
recréait. Vouloir n’y pas penser, c’était y penser encore, en souffrir
encore. Et quand, causant avec des amis, il oubliait son mal, tout
d’un coup un mot qu’on lui disait le faisait changer de visage, comme
un blessé dont un maladroit vient de toucher sans précaution le membre
douloureux. Quand il quittait Odette, il était heureux, il se sentait
calme, il se rappelait les sourires qu’elle avait eus, railleurs, en
parlant de tel ou tel autre, et tendres pour lui, la lourdeur de sa
tête qu’elle avait détachée de son axe pour l’incliner, la laisser
tomber, presque malgré elle, sur ses lèvres, comme elle avait fait la
première fois en voiture, les regards mourants qu’elle lui avait jetés
pendant qu’elle était dans ses bras, tout en contractant frileusement
contre l’épaule sa tête inclinée.
Mais aussitôt sa jalousie, comme si elle était l’ombre de son amour,
se complétait du double de ce nouveau sourire qu’elle lui avait
adressé le soir même--et qui, inverse maintenant, raillait Swann et se
chargeait d’amour pour un autre--, de cette inclinaison de sa tête mais
renversée vers d’autres lèvres, et, données à un autre, de toutes les
marques de tendresse qu’elle avait eues pour lui. Et tous les
souvenirs voluptueux qu’il emportait de chez elle, étaient comme
autant d’esquisses, de «projets» pareils à ceux que vous soumet un
décorateur, et qui permettaient à Swann de se faire une idée des
attitudes ardentes ou pâmées qu’elle pouvait avoir avec d’autres. De
sorte qu’il en arrivait à regretter chaque plaisir qu’il goûtait près
d’elle, chaque caresse inventée et dont il avait eu l’imprudence de
lui signaler la douceur, chaque grâce qu’il lui découvrait, car il
savait qu’un instant après, elles allaient enrichir d’instruments
nouveaux son supplice.
Celui-ci était rendu plus cruel encore quand revenait à Swann le
souvenir d’un bref regard qu’il avait surpris, il y avait quelques
jours, et pour la première fois, dans les yeux d’Odette. C’était après
dîner, chez les Verdurin. Soit que Forcheville sentant que Saniette,
son beau-frère, n’était pas en faveur chez eux, eût voulu le prendre
comme tête de Turc et briller devant eux à ses dépens, soit qu’il eût
été irrité par un mot maladroit que celui-ci venait de lui dire et
qui, d’ailleurs, passa inaperçu pour les assistants qui ne savaient
pas quelle allusion désobligeante il pouvait renfermer, bien contre le
gré de celui qui le prononçait sans malice aucune, soit enfin qu’il
cherchât depuis quelque temps une occasion de faire sortir de la
maison quelqu’un qui le connaissait trop bien et qu’il savait trop
délicat pour qu’il ne se sentît pas gêné à certains moments rien que
de sa présence, Forcheville répondit à ce propos maladroit de Saniette
avec une telle grossièreté, se mettant à l’insulter, s’enhardissant,
au fur et à mesure qu’il vociférait, de l’effroi, de la douleur, des
supplications de l’autre, que le malheureux, après avoir demandé à Mme
Verdurin s’il devait rester, et n’ayant pas reçu de réponse, s’était
retiré en balbutiant, les larmes aux yeux. Odette avait assisté
impassible à cette scène, mais quand la porte se fut refermée sur
Saniette, faisant descendre en quelque sorte de plusieurs crans
l’expression habituelle de son visage, pour pouvoir se trouver dans la
bassesse, de plain-pied avec Forcheville, elle avait brillanté ses
prunelles d’un sourire sournois de félicitations pour l’audace qu’il
avait eue, d’ironie pour celui qui en avait été victime; elle lui
avait jeté un regard de complicité dans le mal, qui voulait si bien
dire: «voilà une exécution, ou je ne m’y connais pas. Avez-vous vu son
air penaud, il en pleurait», que Forcheville, quand ses yeux
rencontrèrent ce regard, dégrisé soudain de la colère ou de la
simulation de colère dont il était encore chaud, sourit et répondit:
--«Il n’avait qu’à être aimable, il serait encore ici, une bonne
correction peut être utile à tout âge.»
Un jour que Swann était sorti au milieu de l’après-midi pour faire une
visite, n’ayant pas trouvé la personne qu’il voulait rencontrer, il
eut l’idée d’entrer chez Odette à cette heure où il n’allait jamais
chez elle, mais où il savait qu’elle était toujours à la maison à
faire sa sieste ou à écrire des lettres avant l’heure du thé, et où il
aurait plaisir à la voir un peu sans la déranger. Le concierge lui dit
qu’il croyait qu’elle était là; il sonna, crut entendre du bruit,
entendre marcher, mais on n’ouvrit pas. Anxieux, irrité, il alla dans
la petite rue où donnait l’autre face de l’hôtel, se mit devant la
fenêtre de la chambre d’Odette; les rideaux l’empêchaient de rien
voir, il frappa avec force aux carreaux, appela; personne n’ouvrit. Il
vit que des voisins le regardaient. Il partit, pensant qu’après tout,
il s’était peut-être trompé en croyant entendre des pas; mais il en
resta si préoccupé qu’il ne pouvait penser à autre chose. Une heure
après, il revint. Il la trouva; elle lui dit qu’elle était chez elle
tantôt quand il avait sonné, mais dormait; la sonnette l’avait
éveillée, elle avait deviné que c’était Swann, elle avait couru après
lui, mais il était déjà parti. Elle avait bien entendu frapper aux
carreaux. Swann reconnut tout de suite dans ce dire un de ces
fragments d’un fait exact que les menteurs pris de court se consolent
de faire entrer dans la composition du fait faux qu’ils inventent,
croyant y faire sa part et y dérober sa ressemblance à la Vérité.
Certes quand Odette venait de faire quelque chose qu’elle ne voulait
pas révéler, elle le cachait bien au fond d’elle-même. Mais dès
qu’elle se trouvait en présence de celui à qui elle voulait mentir, un
trouble la prenait, toutes ses idées s’effondraient, ses facultés
d’invention et de raisonnement étaient paralysées, elle ne trouvait
plus dans sa tête que le vide, il fallait pourtant dire quelque chose
et elle rencontrait à sa portée précisément la chose qu’elle avait
voulu dissimuler et qui étant vraie, était restée là. Elle en
détachait un petit morceau, sans importance par lui-même, se disant
qu’après tout c’était mieux ainsi puisque c’était un détail véritable
qui n’offrait pas les mêmes dangers qu’un détail faux. «Ça du moins,
c’est vrai, se disait-elle, c’est toujours autant de gagné, il peut
s’informer, il reconnaîtra que c’est vrai, ce n’est toujours pas ça
qui me trahira.» Elle se trompait, c’était cela qui la trahissait,
elle ne se rendait pas compte que ce détail vrai avait des angles qui
ne pouvaient s’emboîter que dans les détails contigus du fait vrai
dont elle l’avait arbitrairement détaché et qui, quels que fussent les
détails inventés entre lesquels elle le placerait, révéleraient
toujours par la matière excédante et les vides non remplis, que ce
n’était pas d’entre ceux-là qu’il venait. «Elle avoue qu’elle m’avait
entendu sonner, puis frapper, et qu’elle avait cru que c’était moi,
qu’elle avait envie de me voir, se disait Swann. Mais cela ne
s’arrange pas avec le fait qu’elle n’ait pas fait ouvrir.»
Mais il ne lui fit pas remarquer cette contradiction, car il pensait
que, livrée à elle-même, Odette produirait peut-être quelque mensonge
qui serait un faible indice de la vérité; elle parlait; il ne
l’interrompait pas, il recueillait avec une piété avide et douloureuse
ces mots qu’elle lui disait et qu’il sentait (justement, parce qu’elle
la cachait derrière eux tout en lui parlant) garder vaguement, comme
le voile sacré, l’empreinte, dessiner l’incertain modelé, de cette
réalité infiniment précieuse et hélas introuvable:--ce qu’elle faisait
tantôt à trois heures, quand il était venu,--de laquelle il ne
posséderait jamais que ces mensonges, illisibles et divins vestiges,
et qui n’existait plus que dans le souvenir receleur de cet être qui
la contemplait sans savoir l’apprécier, mais ne la lui livrerait pas.
Certes il se doutait bien par moments qu’en elles-mêmes les actions
quotidiennes d’Odette n’étaient pas passionnément intéressantes, et
que les relations qu’elle pouvait avoir avec d’autres hommes
n’exhalaient pas naturellement d’une façon universelle et pour tout
être pensant, une tristesse morbide, capable de donner la fièvre du
suicide. Il se rendait compte alors que cet intérêt, cette tristesse
n’existaient qu’en lui comme une maladie, et que quand celle-ci serait
guérie, les actes d’Odette, les baisers qu’elle aurait pu donner
redeviendraient inoffensifs comme ceux de tant d’autres femmes. Mais
que la curiosité douloureuse que Swann y portait maintenant n’eût sa
cause qu’en lui, n’était pas pour lui faire trouver déraisonnable de
considérer cette curiosité comme importante et de mettre tout en œuvre
pour lui donner satisfaction. C’est que Swann arrivait à un âge dont
la philosophie--favorisée par celle de l’époque, par celle aussi du
milieu où Swann avait beaucoup vécu, de cette coterie de la princesse
des Laumes où il était convenu qu’on est intelligent dans la mesure où
on doute de tout et où on ne trouvait de réel et d’incontestable que
les goûts de chacun--n’est déjà plus celle de la jeunesse, mais une
philosophie positive, presque médicale, d’hommes qui au lieu
d’extérioriser les objets de leurs aspirations, essayent de dégager de
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