Du côté de chez Swann - 04

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elle, que j’avais réussi comme auraient pu faire la maladie, des
chagrins, ou l’âge, à détendre sa volonté, à faire fléchir sa raison
et que cette soirée commençait une ère, resterait comme une triste
date. Si j’avais osé maintenant, j’aurais dit à maman: «Non je ne veux
pas, ne couche pas ici.» Mais je connaissais la sagesse pratique,
réaliste comme on dirait aujourd’hui, qui tempérait en elle la nature
ardemment idéaliste de ma grand’mère, et je savais que, maintenant que
le mal était fait, elle aimerait mieux m’en laisser du moins goûter le
plaisir calmant et ne pas déranger mon père. Certes, le beau visage de
ma mère brillait encore de jeunesse ce soir-là où elle me tenait si
doucement les mains et cherchait à arrêter mes larmes; mais justement
il me semblait que cela n’aurait pas dû être, sa colère eût été moins
triste pour moi que cette douceur nouvelle que n’avait pas connue mon
enfance; il me semblait que je venais d’une main impie et secrète de
tracer dans son âme une première ride et d’y faire apparaître un
premier cheveu blanc. Cette pensée redoubla mes sanglots et alors je
vis maman, qui jamais ne se laissait aller à aucun attendrissement
avec moi, être tout d’un coup gagnée par le mien et essayer de retenir
une envie de pleurer. Comme elle sentit que je m’en étais aperçu, elle
me dit en riant: «Voilà mon petit jaunet, mon petit serin, qui va
rendre sa maman aussi bêtasse que lui, pour peu que cela continue.
Voyons, puisque tu n’as pas sommeil ni ta maman non plus, ne restons
pas à nous énerver, faisons quelque chose, prenons un de tes livres.»
Mais je n’en avais pas là. «Est-ce que tu aurais moins de plaisir si
je sortais déjà les livres que ta grand’mère doit te donner pour ta
fête? Pense bien: tu ne seras pas déçu de ne rien avoir après-demain?»
J’étais au contraire enchanté et maman alla chercher un paquet de
livres dont je ne pus deviner, à travers le papier qui les
enveloppait, que la taille courte et large, mais qui, sous ce premier
aspect, pourtant sommaire et voilé, éclipsaient déjà la boîte à
couleurs du Jour de l’An et les vers à soie de l’an dernier. C’était
la Mare au Diable, François le Champi, la Petite Fadette et les
Maîtres Sonneurs. Ma grand’mère, ai-je su depuis, avait d’abord choisi
les poésies de Musset, un volume de Rousseau et Indiana; car si elle
jugeait les lectures futiles aussi malsaines que les bonbons et les
pâtisseries, elles ne pensait pas que les grands souffles du génie
eussent sur l’esprit même d’un enfant une influence plus dangereuse et
moins vivifiante que sur son corps le grand air et le vent du large.
Mais mon père l’ayant presque traitée de folle en apprenant les livres
qu’elle voulait me donner, elle était retournée elle-même à
Jouy-le-Vicomte chez le libraire pour que je ne risquasse pas de ne
pas avoir mon cadeau (c’était un jour brûlant et elle était rentrée si
souffrante que le médecin avait averti ma mère de ne pas la laisser se
fatiguer ainsi) et elle s’était rabattue sur les quatre romans
champêtres de George Sand. «Ma fille, disait-elle à maman, je ne
pourrais me décider à donner à cet enfant quelque chose de mal écrit.»
En réalité, elle ne se résignait jamais à rien acheter dont on ne pût
tirer un profit intellectuel, et surtout celui que nous procurent les
belles choses en nous apprenant à chercher notre plaisir ailleurs que
dans les satisfactions du bien-être et de la vanité. Même quand elle
avait à faire à quelqu’un un cadeau dit utile, quand elle avait à
donner un fauteuil, des couverts, une canne, elle les cherchait
«anciens», comme si leur longue désuétude ayant effacé leur caractère
d’utilité, ils paraissaient plutôt disposés pour nous raconter la vie
des hommes d’autrefois que pour servir aux besoins de la nôtre. Elle
eût aimé que j’eusse dans ma chambre des photographies des monuments
ou des paysages les plus beaux. Mais au moment d’en faire l’emplette,
et bien que la chose représentée eût une valeur esthétique, elle
trouvait que la vulgarité, l’utilité reprenaient trop vite leur place
dans le mode mécanique de représentation, la photographie. Elle
essayait de ruser et sinon d’éliminer entièrement la banalité
commerciale, du moins de la réduire, d’y substituer pour la plus
grande partie de l’art encore, d’y introduire comme plusieurs
«épaisseurs» d’art: au lieu de photographies de la Cathédrale de
Chartres, des Grandes Eaux de Saint-Cloud, du Vésuve, elle se
renseignait auprès de Swann si quelque grand peintre ne les avait pas
représentés, et préférait me donner des photographies de la Cathédrale
de Chartres par Corot, des Grandes Eaux de Saint-Cloud par Hubert
Robert, du Vésuve par Turner, ce qui faisait un degré d’art de plus.
Mais si le photographe avait été écarté de la représentation du
chef-d’œuvre ou de la nature et remplacé par un grand artiste, il
reprenait ses droits pour reproduire cette interprétation même.
Arrivée à l’échéance de la vulgarité, ma grand’mère tâchait de la
reculer encore. Elle demandait à Swann si l’œuvre n’avait pas été
gravée, préférant, quand c’était possible, des gravures anciennes et
ayant encore un intérêt au delà d’elles-mêmes, par exemple celles qui
représentent un chef-d’œuvre dans un état où nous ne pouvons plus le
voir aujourd’hui (comme la gravure de la Cène de Léonard avant sa
dégradation, par Morgan). Il faut dire que les résultats de cette
manière de comprendre l’art de faire un cadeau ne furent pas toujours
très brillants. L’idée que je pris de Venise d’après un dessin du
Titien qui est censé avoir pour fond la lagune, était certainement
beaucoup moins exacte que celle que m’eussent donnée de simples
photographies. On ne pouvait plus faire le compte à la maison, quand
ma grand’tante voulait dresser un réquisitoire contre ma grand’mère,
des fauteuils offerts par elle à de jeunes fiancés ou à de vieux
époux, qui, à la première tentative qu’on avait faite pour s’en
servir, s’étaient immédiatement effondrés sous le poids d’un des
destinataires. Mais ma grand’mère aurait cru mesquin de trop s’occuper
de la solidité d’une boiserie où se distinguaient encore une
fleurette, un sourire, quelquefois une belle imagination du passé.
Même ce qui dans ces meubles répondait à un besoin, comme c’était
d’une façon à laquelle nous ne sommes plus habitués, la charmait comme
les vieilles manières de dire où nous voyons une métaphore, effacée,
dans notre moderne langage, par l’usure de l’habitude. Or, justement,
les romans champêtres de George Sand qu’elle me donnait pour ma fête,
étaient pleins ainsi qu’un mobilier ancien, d’expressions tombées en
désuétude et redevenues imagées, comme on n’en trouve plus qu’à la
campagne. Et ma grand’mère les avait achetés de préférence à d’autres
comme elle eût loué plus volontiers une propriété où il y aurait eu un
pigeonnier gothique ou quelqu’une de ces vieilles choses qui exercent
sur l’esprit une heureuse influence en lui donnant la nostalgie
d’impossibles voyages dans le temps.
Maman s’assit à côté de mon lit; elle avait pris François le Champi à
qui sa couverture rougeâtre et son titre incompréhensible, donnaient
pour moi une personnalité distincte et un attrait mystérieux. Je
n’avais jamais lu encore de vrais romans. J’avais entendu dire que
George Sand était le type du romancier. Cela me disposait déjà à
imaginer dans François le Champi quelque chose d’indéfinissable et de
délicieux. Les procédés de narration destinés à exciter la curiosité
ou l’attendrissement, certaines façons de dire qui éveillent
l’inquiétude et la mélancolie, et qu’un lecteur un peu instruit
reconnaît pour communs à beaucoup de romans, me paraissaient simples--à
moi qui considérais un livre nouveau non comme une chose ayant
beaucoup de semblables, mais comme une personne unique, n’ayant de
raison d’exister qu’en soi,--une émanation troublante de l’essence
particulière à François le Champi. Sous ces événements si journaliers,
ces choses si communes, ces mots si courants, je sentais comme une
intonation, une accentuation étrange. L’action s’engagea; elle me
parut d’autant plus obscure que dans ce temps-là, quand je lisais, je
rêvassais souvent, pendant des pages entières, à tout autre chose. Et
aux lacunes que cette distraction laissait dans le récit, s’ajoutait,
quand c’était maman qui me lisait à haute voix, qu’elle passait toutes
les scènes d’amour. Aussi tous les changements bizarres qui se
produisent dans l’attitude respective de la meunière et de l’enfant et
qui ne trouvent leur explication que dans les progrès d’un amour
naissant me paraissaient empreints d’un profond mystère dont je me
figurais volontiers que la source devait être dans ce nom inconnu et
si doux de «Champi» qui mettait sur l’enfant, qui le portait sans que
je susse pourquoi, sa couleur vive, empourprée et charmante. Si ma
mère était une lectrice infidèle c’était aussi, pour les ouvrages où
elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par
le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la
douceur du son. Même dans la vie, quand c’étaient des êtres et non des
œuvres d’art qui excitaient ainsi son attendrissement ou son
admiration, c’était touchant de voir avec quelle déférence elle
écartait de sa voix, de son geste, de ses propos, tel éclat de gaîté
qui eût pu faire mal à cette mère qui avait autrefois perdu un enfant,
tel rappel de fête, d’anniversaire, qui aurait pu faire penser ce
vieillard à son grand âge, tel propos de ménage qui aurait paru
fastidieux à ce jeune savant. De même, quand elle lisait la prose de
George Sand, qui respire toujours cette bonté, cette distinction
morale que maman avait appris de ma grand’mère à tenir pour
supérieures à tout dans la vie, et que je ne devais lui apprendre que
bien plus tard à ne pas tenir également pour supérieures à tout dans
les livres, attentive à bannir de sa voix toute petitesse, toute
affectation qui eût pu empêcher le flot puissant d’y être reçu, elle
fournissait toute la tendresse naturelle, toute l’ample douceur
qu’elles réclamaient à ces phrases qui semblaient écrites pour sa voix
et qui pour ainsi dire tenaient tout entières dans le registre de sa
sensibilité. Elle retrouvait pour les attaquer dans le ton qu’il faut,
l’accent cordial qui leur préexiste et les dicta, mais que les mots
n’indiquent pas; grâce à lui elle amortissait au passage toute crudité
dans les temps des verbes, donnait à l’imparfait et au passé défini la
douceur qu’il y a dans la bonté, la mélancolie qu’il y a dans la
tendresse, dirigeait la phrase qui finissait vers celle qui allait
commencer, tantôt pressant, tantôt ralentissant la marche des syllabes
pour les faire entrer, quoique leurs quantités fussent différentes,
dans un rythme uniforme, elle insufflait à cette prose si commune une
sorte de vie sentimentale et continue.
Mes remords étaient calmés, je me laissais aller à la douceur de cette
nuit où j’avais ma mère auprès de moi. Je savais qu’une telle nuit ne
pourrait se renouveler; que le plus grand désir que j’eusse au monde,
garder ma mère dans ma chambre pendant ces tristes heures nocturnes,
était trop en opposition avec les nécessités de la vie et le vœu de
tous, pour que l’accomplissement qu’on lui avait accordé ce soir pût
être autre chose que factice et exceptionnel. Demain mes angoisses
reprendraient et maman ne resterait pas là. Mais quand mes angoisses
étaient calmées, je ne les comprenais plus; puis demain soir était
encore lointain; je me disais que j’aurais le temps d’aviser, bien que
ce temps-là ne pût m’apporter aucun pouvoir de plus, qu’il s’agissait
de choses qui ne dépendaient pas de ma volonté et que seul me faisait
paraître plus évitables l’intervalle qui les séparait encore de moi.
...
C’est ainsi que, pendant longtemps, quand, réveillé la nuit, je me
ressouvenais de Combray, je n’en revis jamais que cette sorte de pan
lumineux, découpé au milieu d’indistinctes ténèbres, pareil à ceux que
l’embrasement d’un feu de Bengale ou quelque projection électrique
éclairent et sectionnent dans un édifice dont les autres parties
restent plongées dans la nuit: à la base assez large, le petit salon,
la salle à manger, l’amorce de l’allée obscure par où arriverait M.
Swann, l’auteur inconscient de mes tristesses, le vestibule où je
m’acheminais vers la première marche de l’escalier, si cruel à monter,
qui constituait à lui seul le tronc fort étroit de cette pyramide
irrégulière; et, au faîte, ma chambre à coucher avec le petit couloir
à porte vitrée pour l’entrée de maman; en un mot, toujours vu à la
même heure, isolé de tout ce qu’il pouvait y avoir autour, se
détachant seul sur l’obscurité, le décor strictement nécessaire (comme
celui qu’on voit indiqué en tête des vieilles pièces pour les
représentations en province), au drame de mon déshabillage; comme si
Combray n’avait consisté qu’en deux étages reliés par un mince
escalier, et comme s’il n’y avait jamais été que sept heures du soir.
A vrai dire, j’aurais pu répondre à qui m’eût interrogé que Combray
comprenait encore autre chose et existait à d’autres heures. Mais
comme ce que je m’en serais rappelé m’eût été fourni seulement par la
mémoire volontaire, la mémoire de l’intelligence, et comme les
renseignements qu’elle donne sur le passé ne conservent rien de lui,
je n’aurais jamais eu envie de songer à ce reste de Combray. Tout cela
était en réalité mort pour moi.
Mort à jamais? C’était possible.
Il y a beaucoup de hasard en tout ceci, et un second hasard, celui de
notre mort, souvent ne nous permet pas d’attendre longtemps les
faveurs du premier.
Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux
que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans
une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous
jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous
trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui
est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt
que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par
nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous.
Il en est ainsi de notre passé. C’est peine perdue que nous cherchions
à l’évoquer, tous les efforts de notre intelligence sont inutiles. Il
est caché hors de son domaine et de sa portée, en quelque objet
matériel (en la sensation que nous donnerait cet objet matériel), que
nous ne soupçonnons pas. Cet objet, il dépend du hasard que nous le
rencontrions avant de mourir, ou que nous ne le rencontrions pas.
Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était
pas le théâtre et le drame de mon coucher, n’existait plus pour moi,
quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant
que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon
habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi,
me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus
appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la
valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt,
machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un
triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où
j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant
même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je
tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un
plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause.
Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes,
ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon
qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt
cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me
sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette
puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du
gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de
même nature. D’où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender?
Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la
première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il
est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il
est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi.
Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter
indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que
je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui
redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour
un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon
esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment? Grave
incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par
lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où
il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher?
pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas
encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa
lumière.
Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui
n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de
sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. Je veux
essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au
moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même
état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de
plus, de ramener encore une fois la sensation qui s’enfuit. Et pour
que rien ne brise l’élan dont il va tâcher de la ressaisir, j’écarte
tout obstacle, toute idée étrangère, j’abrite mes oreilles et mon
attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon
esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre
cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se
refaire avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais
le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente
de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose
qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait
désancré, à une grande profondeur; je ne sais ce que c’est, mais cela
monte lentement; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des
distances traversées.
Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l’image, le
souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu’à
moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément; à peine si je
perçois le reflet neutre où se confond l’insaisissable tourbillon des
couleurs remuées; mais je ne puis distinguer la forme, lui demander
comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa
contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de
m’apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du
passé il s’agit.
Arrivera-t-il jusqu’à la surface de ma claire conscience, ce souvenir,
l’instant ancien que l’attraction d’un instant identique est venue de
si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi? Je ne
sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu
peut-être; qui sait s’il remontera jamais de sa nuit? Dix fois il me
faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui
nous détourne de toute tâche difficile, de toute œuvre important, m’a
conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à
mes ennuis d’aujourd’hui, à mes désirs de demain qui se laissent
remâcher sans peine.
Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit
morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce
jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais
lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après
l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la
petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté;
peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger,
sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de
Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que de
ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne
survivait, tout s’était désagrégé; les formes,--et celle aussi du petit
coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage
sévère et dévot--s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la
force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience.
Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des
êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus
vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur
et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler,
à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans
fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du
souvenir.
Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans
le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et
dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me
rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où
était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit
pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes
parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu
jusque-là); et avec la maison, la ville, la Place où on m’envoyait
avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses depuis le matin
jusqu’au soir et par tous les temps, les chemins qu’on prenait si le
temps était beau. Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à
tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de
papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés
s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent
des fleurs, des maisons, des personnages consistants et
reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin
et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les
bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout
Combray et ses environs, tout cela que prend forme et solidité, est
sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé.


II.

Combray de loin, à dix lieues à la ronde, vu du chemin de fer quand
nous y arrivions la dernière semaine avant Pâques, ce n’était qu’une
église résumant la ville, la représentant, parlant d’elle et pour elle
aux lointains, et, quand on approchait, tenant serrés autour de sa
haute mante sombre, en plein champ, contre le vent, comme une pastoure
ses brebis, les dos laineux et gris des maisons rassemblées qu’un
reste de remparts du moyen âge cernait çà et là d’un trait aussi
parfaitement circulaire qu’une petite ville dans un tableau de
primitif. A l’habiter, Combray était un peu triste, comme ses rues
dont les maisons construites en pierres noirâtres du pays, précédées
de degrés extérieurs, coiffées de pignons qui rabattaient l’ombre
devant elles, étaient assez obscures pour qu’il fallût dès que le jour
commençait à tomber relever les rideaux dans les «salles»; des rues
aux graves noms de saints (desquels plusieurs seigneurs de Combray):
rue Saint-Hilaire, rue Saint-Jacques où était la maison de ma tante,
rue Sainte-Hildegarde, où donnait la grille, et rue du Saint-Esprit
sur laquelle s’ouvrait la petite porte latérale de son jardin; et ces
rues de Combray existent dans une partie de ma mémoire si reculée,
peinte de couleurs si différentes de celles qui maintenant revêtent
pour moi le monde, qu’en vérité elles me paraissent toutes, et
l’église qui les dominait sur la Place, plus irréelles encore que les
projections de la lanterne magique; et qu’à certains moments, il me
semble que pouvoir encore traverser la rue Saint-Hilaire, pouvoir
louer une chambre rue de l’Oiseau--à la vieille hôtellerie de l’Oiseau
flesché, des soupiraux de laquelle montait une odeur de cuisine qui
s’élève encore par moments en moi aussi intermittente et aussi
chaude,--serait une entrée en contact avec l’Au-delà plus
merveilleusement surnaturelle que de faire la connaissance de Golo et
de causer avec Geneviève de Brabant.
La cousine de mon grand-père,--ma grand’tante,--chez qui nous habitions,
était la mère de cette tante Léonie qui, depuis la mort de son mari,
mon oncle Octave, n’avait plus voulu quitter, d’abord Combray, puis à
Combray sa maison, puis sa chambre, puis son lit et ne «descendait»
plus, toujours couchée dans un état incertain de chagrin, de débilité
physique, de maladie, d’idée fixe et de dévotion. Son appartement
particulier donnait sur la rue Saint-Jacques qui aboutissait beaucoup
plus loin au Grand-Pré (par opposition au Petit-Pré, verdoyant au
milieu de la ville, entre trois rues), et qui, unie, grisâtre, avec
les trois hautes marches de grès presque devant chaque porte, semblait
comme un défilé pratiqué par un tailleur d’images gothiques à même la
pierre où il eût sculpté une crèche ou un calvaire. Ma tante
n’habitait plus effectivement que deux chambres contiguës, restant
l’après-midi dans l’une pendant qu’on aérait l’autre. C’étaient de ces
chambres de province qui,--de même qu’en certains pays des parties
entières de l’air ou de la mer sont illuminées ou parfumées par des
myriades de protozoaires que nous ne voyons pas,--nous enchantent des
mille odeurs qu’y dégagent les vertus, la sagesse, les habitudes,
toute une vie secrète, invisible, surabondante et morale que
l’atmosphère y tient en suspens; odeurs naturelles encore, certes, et
couleur du temps comme celles de la campagne voisine, mais déjà
casanières, humaines et renfermées, gelée exquise industrieuse et
limpide de tous les fruits de l’année qui ont quitté le verger pour
l’armoire; saisonnières, mais mobilières et domestiques, corrigeant le
piquant de la gelée blanche par la douceur du pain chaud, oisives et
ponctuelles comme une horloge de village, flâneuses et rangées,
insoucieuses et prévoyantes, lingères, matinales, dévotes, heureuses
d’une paix qui n’apporte qu’un surcroît d’anxiété et d’un prosaïsme
qui sert de grand réservoir de poésie à celui qui la traverse sans y
avoir vécu. L’air y était saturé de la fine fleur d’un silence si
nourricier, si succulent que je ne m’y avançais qu’avec une sorte de
gourmandise, surtout par ces premiers matins encore froids de la
semaine de Pâques où je le goûtais mieux parce que je venais seulement
d’arriver à Combray: avant que j’entrasse souhaiter le bonjour à ma
tante on me faisait attendre un instant, dans la première pièce où le
soleil, d’hiver encore, était venu se mettre au chaud devant le feu,
déjà allumé entre les deux briques et qui badigeonnait toute la
chambre d’une odeur de suie, en faisait comme un de ces grands
«devants de four» de campagne, ou de ces manteaux de cheminée de
châteaux, sous lesquels on souhaite que se déclarent dehors la pluie,
la neige, même quelque catastrophe diluvienne pour ajouter au confort
de la réclusion la poésie de l’hivernage; je faisais quelques pas du
prie-Dieu aux fauteuils en velours frappé, toujours revêtus d’un
appui-tête au crochet; et le feu cuisant comme une pâte les
appétissantes odeurs dont l’air de la chambre était tout grumeleux et
qu’avait déjà fait travailler et «lever» la fraîcheur humide et
ensoleillée du matin, il les feuilletait, les dorait, les godait, les
boursouflait, en faisant un invisible et palpable gâteau provincial,
un immense «chausson» où, à peine goûtés les arômes plus
croustillants, plus fins, plus réputés, mais plus secs aussi du
placard, de la commode, du papier à ramages, je revenais toujours avec
une convoitise inavouée m’engluer dans l’odeur médiane, poisseuse,
fade, indigeste et fruitée de couvre-lit à fleurs.
Dans la chambre voisine, j’entendais ma tante qui causait toute seule
à mi-voix. Elle ne parlait jamais qu’assez bas parce qu’elle croyait
avoir dans la tête quelque chose de cassé et de flottant qu’elle eût
déplacé en parlant trop fort, mais elle ne restait jamais longtemps,
même seule, sans dire quelque chose, parce qu’elle croyait que c’était
salutaire pour sa gorge et qu’en empêchant le sang de s’y arrêter,
cela rendrait moins fréquents les étouffements et les angoisses dont
elle souffrait; puis, dans l’inertie absolu où elle vivait, elle
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