Du côté de chez Swann - 07

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Delaunay pour reculer au quatrième, rendait la sensation du
fleurissement et de la vie à mon cerveau assoupli et fertilisé.
Mais si les acteurs me préoccupaient ainsi, si la vue de Maubant
sortant un après-midi du Théâtre-Français m’avait causé le
saisissement et les souffrances de l’amour, combien le nom d’une
étoile flamboyant à la porte d’un théâtre, combien, à la glace d’un
coupé qui passait dans la rue avec ses chevaux fleuris de roses au
frontail, la vue du visage d’une femme que je pensais être peut-être
une actrice, laissait en moi un trouble plus prolongé, un effort
impuissant et douloureux pour me représenter sa vie! Je classais par
ordre de talent les plus illustres: Sarah Bernhardt, la Berma, Bartet,
Madeleine Brohan, Jeanne Samary, mais toutes m’intéressaient. Or mon
oncle en connaissait beaucoup, et aussi des cocottes que je ne
distinguais pas nettement des actrices. Il les recevait chez lui. Et
si nous n’allions le voir qu’à certains jours c’est que, les autres
jours, venaient des femmes avec lesquelles sa famille n’aurait pas pu
se rencontrer, du moins à son avis à elle, car, pour mon oncle, au
contraire, sa trop grande facilité à faire à de jolies veuves qui
n’avaient peut-être jamais été mariées, à des comtesses de nom
ronflant, qui n’était sans doute qu’un nom de guerre, la politesse de
les présenter à ma grand’mère ou même à leur donner des bijoux de
famille, l’avait déjà brouillé plus d’une fois avec mon grand-père.
Souvent, à un nom d’actrice qui venait dans la conversation,
j’entendais mon père dire à ma mère, en souriant: «Une amie de ton
oncle»; et je pensais que le stage que peut-être pendant des années
des hommes importants faisaient inutilement à la porte de telle femme
qui ne répondait pas à leurs lettres et les faisait chasser par le
concierge de son hôtel, mon oncle aurait pu en dispenser un gamin
comme moi en le présentant chez lui à l’actrice, inapprochable à tant
d’autres, qui était pour lui une intime amie.
Aussi,--sous le prétexte qu’une leçon qui avait été déplacée tombait
maintenant si mal qu’elle m’avait empêché plusieurs fois et
m’empêcherait encore de voir mon oncle--un jour, autre que celui qui
était réservé aux visites que nous lui faisions, profitant de ce que
mes parents avaient déjeuné de bonne heure, je sortis et au lieu
d’aller regarder la colonne d’affiches, pour quoi on me laissait aller
seul, je courus jusqu’à lui. Je remarquai devant sa porte une voiture
attelée de deux chevaux qui avaient aux œillères un œillet rouge comme
avait le cocher à sa boutonnière. De l’escalier j’entendis un rire et
une voix de femme, et dès que j’eus sonné, un silence, puis le bruit
de portes qu’on fermait. Le valet de chambre vint ouvrir, et en me
voyant parut embarrassé, me dit que mon oncle était très occupé, ne
pourrait sans doute pas me recevoir et tandis qu’il allait pourtant le
prévenir la même voix que j’avais entendue disait: «Oh, si! laisse-le
entrer; rien qu’une minute, cela m’amuserait tant. Sur la photographie
qui est sur ton bureau, il ressemble tant à sa maman, ta nièce, dont
la photographie est à côté de la sienne, n’est-ce pas? Je voudrais le
voir rien qu’un instant, ce gosse.»
J’entendis mon oncle grommeler, se fâcher; finalement le valet de
chambre me fit entrer.
Sur la table, il y avait la même assiette de massepains que
d’habitude; mon oncle avait sa vareuse de tous les jours, mais en face
de lui, en robe de soie rose avec un grand collier de perles au cou,
était assise une jeune femme qui achevait de manger une mandarine.
L’incertitude où j’étais s’il fallait dire madame ou mademoiselle me
fit rougir et n’osant pas trop tourner les yeux de son côté de peur
d’avoir à lui parler, j’allai embrasser mon oncle. Elle me regardait
en souriant, mon oncle lui dit: «Mon neveu», sans lui dire mon nom, ni
me dire le sien, sans doute parce que, depuis les difficultés qu’il
avait eues avec mon grand-père, il tâchait autant que possible
d’éviter tout trait d’union entre sa famille et ce genre de relations.
--«Comme il ressemble à sa mère,» dit-elle.
--«Mais vous n’avez jamais vu ma nièce qu’en photographie, dit vivement
mon oncle d’un ton bourru.»
--«Je vous demande pardon, mon cher ami, je l’ai croisée dans
l’escalier l’année dernière quand vous avez été si malade. Il est vrai
que je ne l’ai vue que le temps d’un éclair et que votre escalier est
bien noir, mais cela m’a suffi pour l’admirer. Ce petit jeune homme a
ses beaux yeux et aussi ça, dit-elle, en traçant avec son doigt une
ligne sur le bas de son front. Est-ce que madame votre nièce porte le
même nom que vous, ami? demanda-t-elle à mon oncle.»
--«Il ressemble surtout à son père, grogna mon oncle qui ne se souciait
pas plus de faire des présentations à distance en disant le nom de
maman que d’en faire de près. C’est tout à fait son père et aussi ma
pauvre mère.»
--«Je ne connais pas son père, dit la dame en rose avec une légère
inclinaison de la tête, et je n’ai jamais connu votre pauvre mère, mon
ami. Vous vous souvenez, c’est peu après votre grand chagrin que nous
nous sommes connus.»
J’éprouvais une petite déception, car cette jeune dame ne différait
pas des autres jolies femmes que j’avais vues quelquefois dans ma
famille notamment de la fille d’un de nos cousins chez lequel j’allais
tous les ans le premier janvier. Mieux habillée seulement, l’amie de
mon oncle avait le même regard vif et bon, elle avait l’air aussi
franc et aimant. Je ne lui trouvais rien de l’aspect théâtral que
j’admirais dans les photographies d’actrices, ni de l’expression
diabolique qui eût été en rapport avec la vie qu’elle devait mener.
J’avais peine à croire que ce fût une cocotte et surtout je n’aurais
pas cru que ce fût une cocotte chic si je n’avais pas vu la voiture à
deux chevaux, la robe rose, le collier de perles, si je n’avais pas su
que mon oncle n’en connaissait que de la plus haute volée. Mais je me
demandais comment le millionnaire qui lui donnait sa voiture et son
hôtel et ses bijoux pouvait avoir du plaisir à manger sa fortune pour
une personne qui avait l’air si simple et comme il faut. Et pourtant
en pensant à ce que devait être sa vie, l’immoralité m’en troublait
peut-être plus que si elle avait été concrétisée devant moi en une
apparence spéciale,--d’être ainsi invisible comme le secret de quelque
roman, de quelque scandale qui avait fait sortir de chez ses parents
bourgeois et voué à tout le monde, qui avait fait épanouir en beauté
et haussé jusqu’au demi-monde et à la notoriété celle que ses jeux de
physionomie, ses intonations de voix, pareils à tant d’autres que je
connaissais déjà, me faisaient malgré moi considérer comme une jeune
fille de bonne famille, qui n’était plus d’aucune famille.
On était passé dans le «cabinet de travail», et mon oncle, d’un air un
peu gêné par ma présence, lui offrit des cigarettes.
--«Non, dit-elle, cher, vous savez que je suis habituée à celles que le
grand-duc m’envoie. Je lui ai dit que vous en étiez jaloux.» Et elle
tira d’un étui des cigarettes couvertes d’inscriptions étrangères et
dorées. «Mais si, reprit-elle tout d’un coup, je dois avoir rencontré
chez vous le père de ce jeune homme. N’est-ce pas votre neveu? Comment
ai-je pu l’oublier? Il a été tellement bon, tellement exquis pour moi,
dit-elle d’un air modeste et sensible.» Mais en pensant à ce qu’avait
pu être l’accueil rude qu’elle disait avoir trouvé exquis, de mon
père, moi qui connaissais sa réserve et sa froideur, j’étais gêné,
comme par une indélicatesse qu’il aurait commise, de cette inégalité
entre la reconnaissance excessive qui lui était accordée et son
amabilité insuffisante. Il m’a semblé plus tard que c’était un des
côtés touchants du rôle de ces femmes oisives et studieuses qu’elles
consacrent leur générosité, leur talent, un rêve disponible de beauté
sentimentale--car, comme les artistes, elles ne le réalisent pas, ne le
font pas entrer dans les cadres de l’existence commune,--et un or qui
leur coûte peu, à enrichir d’un sertissage précieux et fin la vie
fruste et mal dégrossie des hommes. Comme celle-ci, dans le fumoir où
mon oncle était en vareuse pour la recevoir, répandait son corps si
doux, sa robe de soie rose, ses perles, l’élégance qui émane de
l’amitié d’un grand-duc, de même elle avait pris quelque propos
insignifiant de mon père, elle l’avait travaillé avec délicatesse, lui
avait donné un tour, une appellation précieuse et y enchâssant un de
ses regards d’une si belle eau, nuancé d’humilité et de gratitude,
elle le rendait changé en un bijou artiste, en quelque chose de «tout
à fait exquis».
--«Allons, voyons, il est l’heure que tu t’en ailles», me dit mon
oncle.
Je me levai, j’avais une envie irrésistible de baiser la main de la
dame en rose, mais il me semblait que c’eût été quelque chose
d’audacieux comme un enlèvement. Mon cœur battait tandis que je me
disais: «Faut-il le faire, faut-il ne pas le faire», puis je cessai de
me demander ce qu’il fallait faire pour pouvoir faire quelque chose.
Et d’un geste aveugle et insensé, dépouillé de toutes les raisons que
je trouvais il y avait un moment en sa faveur, je portai à mes lèvres
la main qu’elle me tendait.
--«Comme il est gentil! il est déjà galant, il a un petit œil pour les
femmes: il tient de son oncle. Ce sera un parfait gentleman»,
ajouta-t-elle en serrant les dents pour donner à la phrase un accent
légèrement britannique. «Est-ce qu’il ne pourrait pas venir une fois
prendre a cup of tea, comme disent nos voisins les Anglais; il
n’aurait qu’à m’envoyer un «bleu» le matin.
Je ne savais pas ce que c’était qu’un «bleu». Je ne comprenais pas la
moitié des mots que disait la dame, mais la crainte que n’y fut cachée
quelque question à laquelle il eût été impoli de ne pas répondre,
m’empêchait de cesser de les écouter avec attention, et j’en éprouvais
une grande fatigue.
--«Mais non, c’est impossible, dit mon oncle, en haussant les épaules,
il est très tenu, il travaille beaucoup. Il a tous les prix à son
cours, ajouta-t-il, à voix basse pour que je n’entende pas ce mensonge
et que je n’y contredise pas. Qui sait, ce sera peut-être un petit
Victor Hugo, une espèce de Vaulabelle, vous savez.»
--«J’adore les artistes, répondit la dame en rose, il n’y a qu’eux qui
comprennent les femmes... Qu’eux et les êtres d’élite comme vous.
Excusez mon ignorance, ami. Qui est Vaulabelle? Est-ce les volumes
dorés qu’il y a dans la petite bibliothèque vitrée de votre boudoir?
Vous savez que vous m’avez promis de me les prêter, j’en aurai grand
soin.»
Mon oncle qui détestait prêter ses livres ne répondit rien et me
conduisit jusqu’à l’antichambre. Éperdu d’amour pour la dame en rose,
je couvris de baisers fous les joues pleines de tabac de mon vieil
oncle, et tandis qu’avec assez d’embarras il me laissait entendre sans
oser me le dire ouvertement qu’il aimerait autant que je ne parlasse
pas de cette visite à mes parents, je lui disais, les larmes aux yeux,
que le souvenir de sa bonté était en moi si fort que je trouverais
bien un jour le moyen de lui témoigner ma reconnaissance. Il était si
fort en effet que deux heures plus tard, après quelques phrases
mystérieuses et qui ne me parurent pas donner à mes parents une idée
assez nette de la nouvelle importance dont j’étais doué, je trouvai
plus explicite de leur raconter dans les moindres détails la visite
que je venais de faire. Je ne croyais pas ainsi causer d’ennuis à mon
oncle. Comment l’aurais-je cru, puisque je ne le désirais pas. Et je
ne pouvais supposer que mes parents trouveraient du mal dans une
visite où je n’en trouvais pas. N’arrive-t-il pas tous les jours qu’un
ami nous demande de ne pas manquer de l’excuser auprès d’une femme à
qui il a été empêché d’écrire, et que nous négligions de le faire
jugeant que cette personne ne peut pas attacher d’importance à un
silence qui n’en a pas pour nous? Je m’imaginais, comme tout le monde,
que le cerveau des autres était un réceptacle inerte et docile, sans
pouvoir de réaction spécifique sur ce qu’on y introduisait; et je ne
doutais pas qu’en déposant dans celui de mes parents la nouvelle de la
connaissance que mon oncle m’avait fait faire, je ne leur transmisse
en même temps comme je le souhaitais, le jugement bienveillant que je
portais sur cette présentation. Mes parents malheureusement s’en
remirent à des principes entièrement différents de ceux que je leur
suggérais d’adopter, quand ils voulurent apprécier l’action de mon
oncle. Mon père et mon grand-père eurent avec lui des explications
violentes; j’en fus indirectement informé. Quelques jours après,
croisant dehors mon oncle qui passait en voiture découverte, je
ressentis la douleur, la reconnaissance, le remords que j’aurais voulu
lui exprimer. A côté de leur immensité, je trouvai qu’un coup de
chapeau serait mesquin et pourrait faire supposer à mon oncle que je
ne me croyais pas tenu envers lui à plus qu’à une banale politesse. Je
résolus de m’abstenir de ce geste insuffisant et je détournai la tête.
Mon oncle pensa que je suivais en cela les ordres de mes parents, il
ne le leur pardonna pas, et il est mort bien des années après sans
qu’aucun de nous l’ait jamais revu.
Aussi je n’entrais plus dans le cabinet de repos maintenant fermé, de
mon oncle Adolphe, et après m’être attardé aux abords de
l’arrière-cuisine, quand Françoise, apparaissant sur le parvis, me
disait: «Je vais laisser ma fille de cuisine servir le café et monter
l’eau chaude, il faut que je me sauve chez Mme Octave», je me décidais
à rentrer et montais directement lire chez moi. La fille de cuisine
était une personne morale, une institution permanente à qui des
attributions invariables assuraient une sorte de continuité et
d’identité, à travers la succession des formes passagères en
lesquelles elle s’incarnait: car nous n’eûmes jamais la même deux ans
de suite. L’année où nous mangeâmes tant d’asperges, la fille de
cuisine habituellement chargée de les «plumer» était une pauvre
créature maladive, dans un état de grossesse déjà assez avancé quand
nous arrivâmes à Pâques, et on s’étonnait même que Françoise lui
laissât faire tant de courses et de besogne, car elle commençait à
porter difficilement devant elle la mystérieuse corbeille, chaque jour
plus remplie, dont on devinait sous ses amples sarraus la forme
magnifique. Ceux-ci rappelaient les houppelandes qui revêtent
certaines des figures symboliques de Giotto dont M. Swann m’avait
donné des photographies. C’est lui-même qui nous l’avait fait
remarquer et quand il nous demandait des nouvelles de la fille de
cuisine, il nous disait: «Comment va la Charité de Giotto?» D’ailleurs
elle-même, la pauvre fille, engraissée par sa grossesse, jusqu’à la
figure, jusqu’aux joues qui tombaient droites et carrées, ressemblait
en effet assez à ces vierges, fortes et hommasses, matrones plutôt,
dans lesquelles les vertus sont personnifiées à l’Arena. Et je me
rends compte maintenant que ces Vertus et ces Vices de Padoue lui
ressemblaient encore d’une autre manière. De même que l’image de cette
fille était accrue par le symbole ajouté qu’elle portait devant son
ventre, sans avoir l’air d’en comprendre le sens, sans que rien dans
son visage en traduisît la beauté et l’esprit, comme un simple et
pesant fardeau, de même c’est sans paraître s’en douter que la
puissante ménagère qui est représentée à l’Arena au-dessous du nom
«Caritas» et dont la reproduction était accrochée au mur de ma salle
d’études, à Combray, incarne cette vertu, c’est sans qu’aucune pensée
de charité semble avoir jamais pu être exprimée par son visage
énergique et vulgaire. Par une belle invention du peintre elle foule
aux pieds les trésors de la terre, mais absolument comme si elle
piétinait des raisins pour en extraire le jus ou plutôt comme elle
aurait monté sur des sacs pour se hausser; et elle tend à Dieu son
cœur enflammé, disons mieux, elle le lui «passe», comme une cuisinière
passe un tire-bouchon par le soupirail de son sous-sol à quelqu’un qui
le lui demande à la fenêtre du rez-de-chaussée. L’Envie, elle, aurait
eu davantage une certaine expression d’envie. Mais dans cette
fresque-là encore, le symbole tient tant de place et est représenté
comme si réel, le serpent qui siffle aux lèvres de l’Envie est si
gros, il lui remplit si complètement sa bouche grande ouverte, que les
muscles de sa figure sont distendus pour pouvoir le contenir, comme
ceux d’un enfant qui gonfle un ballon avec son souffle, et que
l’attention de l’Envie--et la nôtre du même coup--tout entière
concentrée sur l’action de ses lèvres, n’a guère de temps à donner à
d’envieuses pensées.
Malgré toute l’admiration que M. Swann professait pour ces figures de
Giotto, je n’eus longtemps aucun plaisir à considérer dans notre salle
d’études, où on avait accroché les copies qu’il m’en avait rapportées,
cette Charité sans charité, cette Envie qui avait l’air d’une planche
illustrant seulement dans un livre de médecine la compression de la
glotte ou de la luette par une tumeur de la langue ou par
l’introduction de l’instrument de l’opérateur, une Justice, dont le
visage grisâtre et mesquinement régulier était celui-là même qui, à
Combray, caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses et sèches
que je voyais à la messe et dont plusieurs étaient enrôlées d’avance
dans les milices de réserve de l’Injustice. Mais plus tard j’ai
compris que l’étrangeté saisissante, la beauté spéciale de ces
fresques tenait à la grande place que le symbole y occupait, et que le
fait qu’il fût représenté non comme un symbole puisque la pensée
symbolisée n’était pas exprimée, mais comme réel, comme effectivement
subi ou matériellement manié, donnait à la signification de l’œuvre
quelque chose de plus littéral et de plus précis, à son enseignement
quelque chose de plus concret et de plus frappant. Chez la pauvre
fille de cuisine, elle aussi, l’attention n’était-elle pas sans cesse
ramenée à son ventre par le poids qui le tirait; et de même encore,
bien souvent la pensée des agonisants est tournée vers le côté
effectif, douloureux, obscur, viscéral, vers cet envers de la mort qui
est précisément le côté qu’elle leur présente, qu’elle leur fait
rudement sentir et qui ressemble beaucoup plus à un fardeau qui les
écrase, à une difficulté de respirer, à un besoin de boire, qu’à ce
que nous appelons l’idée de la mort.
Il fallait que ces Vertus et ces Vices de Padoue eussent en eux bien
de la réalité puisqu’ils m’apparaissaient comme aussi vivants que la
servante enceinte, et qu’elle-même ne me semblait pas beaucoup moins
allégorique. Et peut-être cette non-participation (du moins apparente)
de l’âme d’un être à la vertu qui agit par lui, a aussi en dehors de
sa valeur esthétique une réalité sinon psychologique, au moins, comme
on dit, physiognomonique. Quand, plus tard, j’ai eu l’occasion de
rencontrer, au cours de ma vie, dans des couvents par exemple, des
incarnations vraiment saintes de la charité active, elles avaient
généralement un air allègre, positif, indifférent et brusque de
chirurgien pressé, ce visage où ne se lit aucune commisération, aucun
attendrissement devant la souffrance humaine, aucune crainte de la
heurter, et qui est le visage sans douceur, le visage antipathique et
sublime de la vraie bonté.
Pendant que la fille de cuisine,--faisant briller involontairement la
supériorité de Françoise, comme l’Erreur, par le contraste, rend plus
éclatant le triomphe de la Vérité--servait du café qui, selon maman
n’était que de l’eau chaude, et montait ensuite dans nos chambres de
l’eau chaude qui était à peine tiède, je m’étais étendu sur mon lit,
un livre à la main, dans ma chambre qui protégeait en tremblant sa
fraîcheur transparente et fragile contre le soleil de l’après-midi
derrière ses volets presque clos où un reflet de jour avait pourtant
trouvé moyen de faire passer ses ailes jaunes, et restait immobile
entre le bois et le vitrage, dans un coin, comme un papillon posé. Il
faisait à peine assez clair pour lire, et la sensation de la splendeur
de la lumière ne m’était donnée que par les coups frappés dans la rue
de la Cure par Camus (averti par Françoise que ma tante ne «reposait
pas» et qu’on pouvait faire du bruit) contre des caisses
poussiéreuses, mais qui, retentissant dans l’atmosphère sonore,
spéciale aux temps chauds, semblaient faire voler au loin des astres
écarlates; et aussi par les mouches qui exécutaient devant moi, dans
leur petit concert, comme la musique de chambre de l’été: elle ne
l’évoque pas à la façon d’un air de musique humaine, qui, entendu par
hasard à la belle saison, vous la rappelle ensuite; elle est unie à
l’été par un lien plus nécessaire: née des beaux jours, ne renaissant
qu’avec eux, contenant un peu de leur essence, elle n’en réveille pas
seulement l’image dans notre mémoire, elle en certifie le retour, la
présence effective, ambiante, immédiatement accessible.
Cette obscure fraîcheur de ma chambre était au plein soleil de la rue,
ce que l’ombre est au rayon, c’est-à-dire aussi lumineuse que lui, et
offrait à mon imagination le spectacle total de l’été dont mes sens si
j’avais été en promenade, n’auraient pu jouir que par morceaux; et
ainsi elle s’accordait bien à mon repos qui (grâce aux aventures
racontées par mes livres et qui venaient l’émouvoir) supportait pareil
au repos d’une main immobile au milieu d’une eau courante, le choc et
l’animation d’un torrent d’activité.
Mais ma grand’mère, même si le temps trop chaud s’était gâté, si un
orage ou seulement un grain était survenu, venait me supplier de
sortir. Et ne voulant pas renoncer à ma lecture, j’allais du moins la
continuer au jardin, sous le marronnier, dans une petite guérite en
sparterie et en toile au fond de laquelle j’étais assis et me croyais
caché aux yeux des personnes qui pourraient venir faire visite à mes
parents.
Et ma pensée n’était-elle pas aussi comme une autre crèche au fond de
laquelle je sentais que je restais enfoncé, même pour regarder ce qui
se passait au dehors? Quand je voyais un objet extérieur, la
conscience que je le voyais restait entre moi et lui, le bordait d’un
mince liseré spirituel qui m’empêchait de jamais toucher directement
sa matière; elle se volatilisait en quelque sorte avant que je prisse
contact avec elle, comme un corps incandescent qu’on approche d’un
objet mouillé ne touche pas son humidité parce qu’il se fait toujours
précéder d’une zone d’évaporation. Dans l’espèce d’écran diapré
d’états différents que, tandis que je lisais, déployait simultanément
ma conscience, et qui allaient des aspirations les plus profondément
cachées en moi-même jusqu’à la vision tout extérieure de l’horizon que
j’avais, au bout du jardin, sous les yeux, ce qu’il y avait d’abord en
moi, de plus intime, la poignée sans cesse en mouvement qui gouvernait
le reste, c’était ma croyance en la richesse philosophique, en la
beauté du livre que je lisais, et mon désir de me les approprier, quel
que fût ce livre. Car, même si je l’avais acheté à Combray, en
l’apercevant devant l’épicerie Borange, trop distante de la maison
pour que Françoise pût s’y fournir comme chez Camus, mais mieux
achalandée comme papeterie et librairie, retenu par des ficelles dans
la mosaïque des brochures et des livraisons qui revêtaient les deux
vantaux de sa porte plus mystérieuse, plus semée de pensées qu’une
porte de cathédrale, c’est que je l’avais reconnu pour m’avoir été
cité comme un ouvrage remarquable par le professeur ou le camarade qui
me paraissait à cette époque détenir le secret de la vérité et de la
beauté à demi pressenties, à demi incompréhensibles, dont la
connaissance était le but vague mais permanent de ma pensée.
Après cette croyance centrale qui, pendant ma lecture, exécutait
d’incessants mouvements du dedans au dehors, vers la découverte de la
vérité, venaient les émotions que me donnait l’action à laquelle je
prenais part, car ces après-midi-là étaient plus remplis d’événements
dramatiques que ne l’est souvent toute une vie. C’était les événements
qui survenaient dans le livre que je lisais; il est vrai que les
personnages qu’ils affectaient n’étaient pas «Réels», comme disait
Françoise. Mais tous les sentiments que nous font éprouver la joie ou
l’infortune d’un personnage réel ne se produisent en nous que par
l’intermédiaire d’une image de cette joie ou de cette infortune;
l’ingéniosité du premier romancier consista à comprendre que dans
l’appareil de nos émotions, l’image étant le seul élément essentiel,
la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement
les personnages réels serait un perfectionnement décisif. Un être
réel, si profondément que nous sympathisions avec lui, pour une grande
part est perçu par nos sens, c’est-à-dire nous reste opaque, offre un
poids mort que notre sensibilité ne peut soulever. Qu’un malheur le
frappe, ce n’est qu’en une petite partie de la notion totale que nous
avons de lui, que nous pourrons en être émus; bien plus, ce n’est
qu’en une partie de la notion totale qu’il a de soi qu’il pourra
l’être lui-même. La trouvaille du romancier a été d’avoir l’idée de
remplacer ces parties impénétrables à l’âme par une quantité égale de
parties immatérielles, c’est-à-dire que notre âme peut s’assimiler.
Qu’importe dès lors que les actions, les émotions de ces êtres d’un
nouveau genre nous apparaissent comme vraies, puisque nous les avons
faites nôtres, puisque c’est en nous qu’elles se produisent, qu’elles
tiennent sous leur dépendance, tandis que nous tournons fiévreusement
les pages du livre, la rapidité de notre respiration et l’intensité de
notre regard. Et une fois que le romancier nous a mis dans cet état,
où comme dans tous les états purement intérieurs, toute émotion est
décuplée, où son livre va nous troubler à la façon d’un rêve mais d’un
rêve plus clair que ceux que nous avons en dormant et dont le souvenir
durera davantage, alors, voici qu’il déchaîne en nous pendant une
heure tous les bonheurs et tous les malheurs possibles dont nous
mettrions dans la vie des années à connaître quelques-uns, et dont les
plus intenses ne nous seraient jamais révélés parce que la lenteur
avec laquelle ils se produisent nous en ôte la perception; (ainsi
notre cœur change, dans la vie, et c’est la pire douleur; mais nous ne
la connaissons que dans la lecture, en imagination: dans la réalité il
change, comme certains phénomènes de la nature se produisent, assez
lentement pour que, si nous pouvons constater successivement chacun de
ses états différents, en revanche la sensation même du changement nous
soit épargnée).
Déjà moins intérieur à mon corps que cette vie des personnages, venait
ensuite, à demi projeté devant moi, le paysage où se déroulait
l’action et qui exerçait sur ma pensée une bien plus grande influence
que l’autre, que celui que j’avais sous les yeux quand je les levais
du livre. C’est ainsi que pendant deux étés, dans la chaleur du jardin
de Combray, j’ai eu, à cause du livre que je lisais alors, la
nostalgie d’un pays montueux et fluviatile, où je verrais beaucoup de
scieries et où, au fond de l’eau claire, des morceaux de bois
pourrissaient sous des touffes de cresson: non loin montaient le long
de murs bas, des grappes de fleurs violettes et rougeâtres. Et comme
le rêve d’une femme qui m’aurait aimé était toujours présent à ma
pensée, ces étés-là ce rêve fut imprégné de la fraîcheur des eaux
courantes; et quelle que fût la femme que j’évoquais, des grappes de
fleurs violettes et rougeâtres s’élevaient aussitôt de chaque côté
d’elle comme des couleurs complémentaires.
Ce n’était pas seulement parce qu’une image dont nous rêvons reste
toujours marquée, s’embellit et bénéficie du reflet des couleurs
étrangères qui par hasard l’entourent dans notre rêverie; car ces
paysages des livres que je lisais n’étaient pas pour moi que des
paysages plus vivement représentés à mon imagination que ceux que
Combray mettait sous mes yeux, mais qui eussent été analogues. Par le
choix qu’en avait fait l’auteur, par la foi avec laquelle ma pensée
allait au-devant de sa parole comme d’une révélation, ils me
semblaient être--impression que ne me donnait guère le pays où je me
trouvais, et surtout notre jardin, produit sans prestige de la
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