Du côté de chez Swann - 06

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esprit n’a jamais pu arriver à franchir. Mme Loiseau avait beau avoir
à sa fenêtre des fuchsias, qui prenaient la mauvaise habitude de
laisser leurs branches courir toujours partout tête baissée, et dont
les fleurs n’avaient rien de plus pressé, quand elles étaient assez
grandes, que d’aller rafraîchir leurs joues violettes et
congestionnées contre la sombre façade de l’église, les fuchsias ne
devenaient pas sacrés pour cela pour moi; entre les fleurs et la
pierre noircie sur laquelle elles s’appuyaient, si mes yeux ne
percevaient pas d’intervalle, mon esprit réservait un abîme.
On reconnaissait le clocher de Saint-Hilaire de bien loin, inscrivant
sa figure inoubliable à l’horizon où Combray n’apparaissait pas
encore; quand du train qui, la semaine de Pâques, nous amenait de
Paris, mon père l’apercevait qui filait tour à tour sur tous les
sillons du ciel, faisant courir en tous sens son petit coq de fer, il
nous disait: «Allons, prenez les couvertures, on est arrivé.» Et dans
une des plus grandes promenades que nous faisions de Combray, il y
avait un endroit où la route resserrée débouchait tout à coup sur un
immense plateau fermé à l’horizon par des forêts déchiquetées que
dépassait seul la fine pointe du clocher de Saint-Hilaire, mais si
mince, si rose, qu’elle semblait seulement rayée sur le ciel par un
ongle qui aurait voulu donner à se paysage, à ce tableau rien que de
nature, cette petite marque d’art, cette unique indication humaine.
Quand on se rapprochait et qu’on pouvait apercevoir le reste de la
tour carrée et à demi détruite qui, moins haute, subsistait à côté de
lui, on était frappé surtout de ton rougeâtre et sombre des pierres;
et, par un matin brumeux d’automne, on aurait dit, s’élevant au-dessus
du violet orageux des vignobles, une ruine de pourpre presque de la
couleur de la vigne vierge.
Souvent sur la place, quand nous rentrions, ma grand’mère me faisait
arrêter pour le regarder. Des fenêtres de sa tour, placées deux par
deux les unes au-dessus des autres, avec cette juste et originale
proportion dans les distances qui ne donne pas de la beauté et de la
dignité qu’aux visages humains, il lâchait, laissait tomber à
intervalles réguliers des volées de corbeaux qui, pendant un moment,
tournoyaient en criant, comme si les vieilles pierres qui les
laissaient s’ébattre sans paraître les voir, devenues tout d’un coup
inhabitables et dégageant un principe d’agitation infinie, les avait
frappés et repoussés. Puis, après avoir rayé en tous sens le velours
violet de l’air du soir, brusquement calmés ils revenaient s’absorber
dans la tour, de néfaste redevenue propice, quelques-uns posés çà et
là, ne semblant pas bouger, mais happant peut-être quelque insecte,
sur la pointe d’un clocheton, comme une mouette arrêtée avec
l’immobilité d’un pêcheur à la crête d’une vague. Sans trop savoir
pourquoi, ma grand’mère trouvait au clocher de Saint-Hilaire cette
absence de vulgarité, de prétention, de mesquinerie, qui lui faisait
aimer et croire riches d’une influence bienfaisante, la nature, quand
la main de l’homme ne l’avait pas, comme faisait le jardinier de ma
grand’tante, rapetissée, et les œuvres de génie. Et sans doute, toute
partie de l’église qu’on apercevait la distinguait de tout autre
édifice par une sorte de pensée qui lui était infuse, mais c’était
dans son clocher qu’elle semblait prendre conscience d’elle-même,
affirmer une existence individuelle et responsable. C’était lui qui
parlait pour elle. Je crois surtout que, confusément, ma grand’mère
trouvait au clocher de Combray ce qui pour elle avait le plus de prix
au monde, l’air naturel et l’air distingué. Ignorante en architecture,
elle disait: «Mes enfants, moquez-vous de moi si vous voulez, il n’est
peut-être pas beau dans les règles, mais sa vieille figure bizarre me
plaît. Je suis sûre que s’il jouait du piano, il ne jouerait pas sec.»
Et en le regardant, en suivant des yeux la douce tension,
l’inclinaison fervente de ses pentes de pierre qui se rapprochaient en
s’élevant comme des mains jointes qui prient, elle s’unissait si bien
à l’effusion de la flèche, que son regard semblait s’élancer avec
elle; et en même temps elle souriait amicalement aux vieilles pierres
usées dont le couchant n’éclairait plus que le faîte et qui, à partir
du moment où elles entraient dans cette zone ensoleillée, adoucies par
la lumière, paraissaient tout d’un coup montées bien plus haut,
lointaines, comme un chant repris «en voix de tête» une octave
au-dessus.
C’était le clocher de Saint-Hilaire qui donnait à toutes les
occupations, à toutes les heures, à tous les points de vue de la
ville, leur figure, leur couronnement, leur consécration. De ma
chambre, je ne pouvais apercevoir que sa base qui avait été recouverte
d’ardoises; mais quand, le dimanche, je les voyais, par une chaude
matinée d’été, flamboyer comme un soleil noir, je me disais:
«Mon-Dieu! neuf heures! il faut se préparer pour aller à la
grand’messe si je veux avoir le temps d’aller embrasser tante Léonie
avant», et je savais exactement la couleur qu’avait le soleil sur la
place, la chaleur et la poussière du marché, l’ombre que faisait le
store du magasin où maman entrerait peut-être avant la messe dans une
odeur de toile écrue, faire emplette de quelque mouchoir que lui
ferait montrer, en cambrant la taille, le patron qui, tout en se
préparant à fermer, venait d’aller dans l’arrière-boutique passer sa
veste du dimanche et se savonner les mains qu’il avait l’habitude,
toutes les cinq minutes, même dans les circonstances les plus
mélancoliques, de frotter l’une contre l’autre d’un air d’entreprise,
de partie fine et de réussite.
Quand après la messe, on entrait dire à Théodore d’apporter une
brioche plus grosse que d’habitude parce que nos cousins avaient
profité du beau temps pour venir de Thiberzy déjeuner avec nous, on
avait devant soi le clocher qui, doré et cuit lui-même comme une plus
grande brioche bénie, avec des écailles et des égouttements gommeux de
soleil, piquait sa pointe aiguë dans le ciel bleu. Et le soir, quand
je rentrais de promenade et pensais au moment où il faudrait tout à
l’heure dire bonsoir à ma mère et ne plus la voir, il était au
contraire si doux, dans la journée finissante, qu’il avait l’air
d’être posé et enfoncé comme un coussin de velours brun sur le ciel
pâli qui avait cédé sous sa pression, s’était creusé légèrement pour
lui faire sa place et refluait sur ses bords; et les cris des oiseaux
qui tournaient autour de lui semblaient accroître son silence, élancer
encore sa flèche et lui donner quelque chose d’ineffable.
Même dans les courses qu’on avait à faire derrière l’église, là où on
ne la voyait pas, tout semblait ordonné par rapport au clocher surgi
ici ou là entre les maisons, peut-être plus émouvant encore quand il
apparaissait ainsi sans l’église. Et certes, il y en a bien d’autres
qui sont plus beaux vus de cette façon, et j’ai dans mon souvenir des
vignettes de clochers dépassant les toits, qui ont un autre caractère
d’art que celles que composaient les tristes rues de Combray. Je
n’oublierai jamais, dans une curieuse ville de Normandie voisine de
Balbec, deux charmants hôtels du XVIIIe siècle, qui me sont à beaucoup
d’égards chers et vénérables et entre lesquels, quand on la regarde du
beau jardin qui descend des perrons vers la rivière, la flèche
gothique d’une église qu’ils cachent s’élance, ayant l’air de
terminer, de surmonter leurs façades, mais d’une matière si
différente, si précieuse, si annelée, si rose, si vernie, qu’on voit
bien qu’elle n’en fait pas plus partie que de deux beaux galets unis,
entre lesquels elle est prise sur la plage, la flèche purpurine et
crénelée de quelque coquillage fuselé en tourelle et glacé d’émail.
Même à Paris, dans un des quartiers les plus laids de la ville, je
sais une fenêtre où on voit après un premier, un second et même un
troisième plan fait des toits amoncelés de plusieurs rues, une cloche
violette, parfois rougeâtre, parfois aussi, dans les plus nobles
«épreuves» qu’en tire l’atmosphère, d’un noir décanté de cendres,
laquelle n’est autre que le dôme Saint-Augustin et qui donne à cette
vue de Paris le caractère de certaines vues de Rome par Piranesi. Mais
comme dans aucune de ces petites gravures, avec quelque goût que ma
mémoire ait pu les exécuter elle ne put mettre ce que j’avais perdu
depuis longtemps, le sentiment qui nous fait non pas considérer une
chose comme un spectacle, mais y croire comme en un être sans
équivalent, aucune d’elles ne tient sous sa dépendance toute une
partie profonde de ma vie, comme fait le souvenir de ces aspects du
clocher de Combray dans les rues qui sont derrière l’église. Qu’on le
vît à cinq heures, quand on allait chercher les lettres à la poste, à
quelques maisons de soi, à gauche, surélevant brusquement d’une cime
isolée la ligne de faîte des toits; que si, au contraire, on voulait
entrer demander des nouvelles de Mme Sazerat, on suivît des yeux cette
ligne redevenue basse après la descente de son autre versant en
sachant qu’il faudrait tourner à la deuxième rue après le clocher;
soit qu’encore, poussant plus loin, si on allait à la gare, on le vît
obliquement, montrant de profil des arêtes et des surfaces nouvelles
comme un solide surpris à un moment inconnu de sa révolution; ou que,
des bords de la Vivonne, l’abside musculeusement ramassée et remontée
par la perspective semblât jaillir de l’effort que le clocher faisait
pour lancer sa flèche au cœur du ciel: c’était toujours à lui qu’il
fallait revenir, toujours lui qui dominait tout, sommant les maisons
d’un pinacle inattendu, levé avant moi comme le doigt de Dieu dont le
corps eût été caché dans la foule des humains sans que je le
confondisse pour cela avec elle. Et aujourd’hui encore si, dans une
grande ville de province ou dans un quartier de Paris que je connais
mal, un passant qui m’a «mis dans mon chemin» me montre au loin, comme
un point de repère, tel beffroi d’hôpital, tel clocher de couvent
levant la pointe de son bonnet ecclésiastique au coin d’une rue que je
dois prendre, pour peu que ma mémoire puisse obscurément lui trouver
quelque trait de ressemblance avec la figure chère et disparue, le
passant, s’il se retourne pour s’assurer que je ne m’égare pas, peut,
à son étonnement, m’apercevoir qui, oublieux de la promenade
entreprise ou de la course obligée, reste là, devant le clocher,
pendant des heures, immobile, essayant de me souvenir, sentant au fond
de moi des terres reconquises sur l’oubli qui s’assèchent et se
rebâtissent; et sans doute alors, et plus anxieusement que tout à
l’heure quand je lui demandais de me renseigner, je cherche encore mon
chemin, je tourne une rue...mais...c’est dans mon cœur...
En rentrant de la messe, nous rencontrions souvent M. Legrandin qui,
retenu à Paris par sa profession d’ingénieur, ne pouvait, en dehors
des grandes vacances, venir à sa propriété de Combray que du samedi
soir au lundi matin. C’était un de ces hommes qui, en dehors d’une
carrière scientifique où ils ont d’ailleurs brillamment réussi,
possèdent une culture toute différente, littéraire, artistique, que
leur spécialisation professionnelle n’utilise pas et dont profite leur
conversation. Plus lettrés que bien des littérateurs (nous ne savions
pas à cette époque que M. Legrandin eût une certaine réputation comme
écrivain et nous fûmes très étonnés de voir qu’un musicien célèbre
avait composé une mélodie sur des vers de lui), doués de plus de
«facilité» que bien des peintres, ils s’imaginent que la vie qu’ils
mènent n’est pas celle qui leur aurait convenu et apportent à leurs
occupations positives soit une insouciance mêlée de fantaisie, soit
une application soutenue et hautaine, méprisante, amère et
consciencieuse. Grand, avec une belle tournure, un visage pensif et
fin aux longues moustaches blondes, au regard bleu et désenchanté,
d’une politesse raffinée, causeur comme nous n’en avions jamais
entendu, il était aux yeux de ma famille qui le citait toujours en
exemple, le type de l’homme d’élite, prenant la vie de la façon la
plus noble et la plus délicate. Ma grand’mère lui reprochait seulement
de parler un peu trop bien, un peu trop comme un livre, de ne pas
avoir dans son langage le naturel qu’il y avait dans ses cravates
lavallière toujours flottantes, dans son veston droit presque
d’écolier. Elle s’étonnait aussi des tirades enflammées qu’il entamait
souvent contre l’aristocratie, la vie mondaine, le snobisme,
«certainement le péché auquel pense saint Paul quand il parle du péché
pour lequel il n’y a pas de rémission.»
L’ambition mondaine était un sentiment que ma grand’mère était si
incapable de ressentir et presque de comprendre qu’il lui paraissait
bien inutile de mettre tant d’ardeur à la flétrir. De plus elle ne
trouvait pas de très bon goût que M. Legrandin dont la sœur était
mariée près de Balbec avec un gentilhomme bas-normand se livrât à des
attaques aussi violentes encore les nobles, allant jusqu’à reprocher à
la Révolution de ne les avoir pas tous guillotinés.
--Salut, amis! nous disait-il en venant à notre rencontre. Vous êtes
heureux d’habiter beaucoup ici; demain il faudra que je rentre à
Paris, dans ma niche.
--«Oh! ajoutait-il, avec ce sourire doucement ironique et déçu, un peu
distrait, qui lui était particulier, certes il y a dans ma maison
toutes les choses inutiles. Il n’y manque que le nécessaire, un grand
morceau de ciel comme ici. Tâchez de garder toujours un morceau de
ciel au-dessus de votre vie, petit garçon, ajoutait-il en se tournant
vers moi. Vous avez une jolie âme, d’une qualité rare, une nature
d’artiste, ne la laissez pas manquer de ce qu’il lui faut.»
Quand, à notre retour, ma tante nous faisait demander si Mme Goupil
était arrivée en retard à la messe, nous étions incapables de la
renseigner. En revanche nous ajoutions à son trouble en lui disant
qu’un peintre travaillait dans l’église à copier le vitrail de Gilbert
le Mauvais. Françoise, envoyée aussitôt chez l’épicier, était revenue
bredouille par la faute de l’absence de Théodore à qui sa double
profession de chantre ayant une part de l’entretien de l’église, et de
garçon épicier donnait, avec des relations dans tous les mondes, un
savoir universel.
--«Ah! soupirait ma tante, je voudrais que ce soit déjà l’heure
d’Eulalie. Il n’y a vraiment qu’elle qui pourra me dire cela.»
Eulalie était une fille boiteuse, active et sourde qui s’était
«retirée» après la mort de Mme de la Bretonnerie où elle avait été en
place depuis son enfance et qui avait pris à côté de l’église une
chambre, d’où elle descendait tout le temps soit aux offices, soit, en
dehors des offices, dire une petite prière ou donner un coup de main à
Théodore; le reste du temps elle allait voir des personnes malades
comme ma tante Léonie à qui elle racontait ce qui s’était passé à la
messe ou aux vêpres. Elle ne dédaignait pas d’ajouter quelque casuel à
la petite rente que lui servait la famille de ses anciens maîtres en
allant de temps en temps visiter le linge du curé ou de quelque autre
personnalité marquante du monde clérical de Combray. Elle portait
au-dessus d’une mante de drap noir un petit béguin blanc, presque de
religieuse, et une maladie de peau donnait à une partie de ses joues
et à son nez recourbé, les tons rose vif de la balsamine. Ses visites
étaient la grande distraction de ma tante Léonie qui ne recevait plus
guère personne d’autre, en dehors de M. le Curé. Ma tante avait peu à
peu évincé tous les autres visiteurs parce qu’ils avaient le tort à
ses yeux de rentrer tous dans l’une ou l’autre des deux catégories de
gens qu’elle détestait. Les uns, les pires et dont elle s’était
débarrassée les premiers, étaient ceux qui lui conseillaient de ne pas
«s’écouter» et professaient, fût-ce négativement et en ne la
manifestant que par certains silences de désapprobation ou par
certains sourires de doute, la doctrine subversive qu’une petite
promenade au soleil et un bon bifteck saignant (quand elle gardait
quatorze heures sur l’estomac deux méchantes gorgées d’eau de Vichy!)
lui feraient plus de bien que son lit et ses médecines. L’autre
catégorie se composait des personnes qui avaient l’air de croire
qu’elle était plus gravement malade qu’elle ne pensait, était aussi
gravement malade qu’elle le disait. Aussi, ceux qu’elle avait laissé
monter après quelques hésitations et sur les officieuses instances de
Françoise et qui, au cours de leur visite, avaient montré combien ils
étaient indignes de la faveur qu’on leur faisait en risquant
timidement un: «Ne croyez-vous pas que si vous vous secouiez un peu
par un beau temps», ou qui, au contraire, quand elle leur avait dit:
«Je suis bien bas, bien bas, c’est la fin, mes pauvres amis», lui
avaient répondu: «Ah! quand on n’a pas la santé! Mais vous pouvez
durer encore comme ça», ceux-là, les uns comme les autres, étaient
sûrs de ne plus jamais être reçus. Et si Françoise s’amusait de l’air
épouvanté de ma tante quand de son lit elle avait aperçu dans la rue
du Saint-Esprit une de ces personnes qui avait l’air de venir chez
elle ou quand elle avait entendu un coup de sonnette, elle riait
encore bien plus, et comme d’un bon tour, des ruses toujours
victorieuses de ma tante pour arriver à les faire congédier et de leur
mine déconfite en s’en retournant sans l’avoir vue, et, au fond
admirait sa maîtresse qu’elle jugeait supérieure à tous ces gens
puisqu’elle ne voulait pas les recevoir. En somme, ma tante exigeait
à la fois qu’on l’approuvât dans son régime, qu’on la plaignît pour
ses souffrances et qu’on la rassurât sur son avenir.
C’est à quoi Eulalie excellait. Ma tante pouvait lui dire vingt fois
en une minute: «C’est la fin, ma pauvre Eulalie», vingt fois Eulalie
répondait: «Connaissant votre maladie comme vous la connaissez, madame
Octave, vous irez à cent ans, comme me disait hier encore Mme
Sazerin.» (Une des plus fermes croyances d’Eulalie et que le nombre
imposant des démentis apportés par l’expérience n’avait pas suffi à
entamer, était que Mme Sazerat s’appelait Mme Sazerin.)
--Je ne demande pas à aller à cent ans, répondait ma tante qui
préférait ne pas voir assigner à ses jours un terme précis.
Et comme Eulalie savait avec cela comme personne distraire ma tante
sans la fatiguer, ses visites qui avaient lieu régulièrement tous les
dimanches sauf empêchement inopiné, étaient pour ma tante un plaisir
dont la perspective l’entretenait ces jours-là dans un état agréable
d’abord, mais bien vite douloureux comme une faim excessive, pour peu
qu’Eulalie fût en retard. Trop prolongée, cette volupté d’attendre
Eulalie tournait en supplice, ma tante ne cessait de regarder l’heure,
bâillait, se sentait des faiblesses. Le coup de sonnette d’Eulalie,
s’il arrivait tout à la fin de la journée, quand elle ne l’espérait
plus, la faisait presque se trouver mal. En réalité, le dimanche, elle
ne pensait qu’à cette visite et sitôt le déjeuner fini, Françoise
avait hâte que nous quittions la salle à manger pour qu’elle pût
monter «occuper» ma tante. Mais (surtout à partir du moment où les
beaux jours s’installaient à Combray) il y avait bien longtemps que
l’heure altière de midi, descendue de la tour de Saint-Hilaire qu’elle
armoriait des douze fleurons momentanés de sa couronne sonore avait
retenti autour de notre table, auprès du pain bénit venu lui aussi
familièrement en sortant de l’église, quand nous étions encore assis
devant les assiettes des Mille et une Nuits, appesantis par la chaleur
et surtout par le repas. Car, au fond permanent d’œufs, de côtelettes,
de pommes de terre, de confitures, de biscuits, qu’elle ne nous
annonçait même plus, Françoise ajoutait--selon les travaux des champs
et des vergers, le fruit de la marée, les hasards du commerce, les
politesses des voisins et son propre génie, et si bien que notre menu,
comme ces quatre-feuilles qu’on sculptait au XIIIe siècle au portail
des cathédrales, reflétait un peu le rythme des saisons et les
épisodes de la vie--: une barbue parce que la marchande lui en avait
garanti la fraîcheur, une dinde parce qu’elle en avait vu une belle au
marché de Roussainville-le-Pin, des cardons à la moelle parce qu’elle
ne nous en avait pas encore fait de cette manière-là, un gigot rôti
parce que le grand air creuse et qu’il avait bien le temps de
descendre d’ici sept heures, des épinards pour changer, des abricots
parce que c’était encore une rareté, des groseilles parce que dans
quinze jours il n’y en aurait plus, des framboises que M. Swann avait
apportées exprès, des cerises, les premières qui vinssent du cerisier
du jardin après deux ans qu’il n’en donnait plus, du fromage à la
crème que j’aimais bien autrefois, un gâteau aux amandes parce
qu’elle l’avait commandé la veille, une brioche parce que c’était
notre tour de l’offrir. Quand tout cela était fini, composée
expressément pour nous, mais dédiée plus spécialement à mon père qui
était amateur, une crème au chocolat, inspiration, attention
personnelle de Françoise, nous était offerte, fugitive et légère comme
une œuvre de circonstance où elle avait mis tout son talent. Celui qui
eût refusé d’en goûter en disant: «J’ai fini, je n’ai plus faim», se
serait immédiatement ravalé au rang de ces goujats qui, même dans le
présent qu’un artiste leur fait d’une de ses œuvres, regardent au
poids et à la matière alors que n’y valent que l’intention et la
signature. Même en laisser une seule goutte dans le plat eût témoigné
de la même impolitesse que se lever avant la fin du morceau au nez du
compositeur.
Enfin ma mère me disait: «Voyons, ne reste pas ici indéfiniment, monte
dans ta chambre si tu as trop chaud dehors, mais va d’abord prendre
l’air un instant pour ne pas lier en sortant de table.» J’allais
m’asseoir près de la pompe et de son auge, souvent ornée, comme un
fond gothique, d’une salamandre, qui sculptait sur la pierre fruste le
relief mobile de son corps allégorique et fuselé, sur le banc sans
dossier ombragé d’un lilas, dans ce petit coin du jardin qui s’ouvrait
par une porte de service sur la rue du Saint-Esprit et de la terre peu
soignée duquel s’élevait par deux degrés, en saillie de la maison, et
comme une construction indépendante, l’arrière-cuisine. On apercevait
son dallage rouge et luisant comme du porphyre. Elle avait moins l’air
de l’antre de Françoise que d’un petit temple à Vénus. Elle regorgeait
des offrandes du crémier, du fruitier, de la marchande de légumes,
venus parfois de hameaux assez lointains pour lui dédier les prémices
de leurs champs. Et son faîte était toujours couronné du roucoulement
d’une colombe.
Autrefois, je ne m’attardais pas dans le bois consacré qui
l’entourait, car, avant de monter lire, j’entrais dans le petit
cabinet de repos que mon oncle Adolphe, un frère de mon grand-père,
ancien militaire qui avait pris sa retraite comme commandant, occupait
au rez-de-chaussée, et qui, même quand les fenêtres ouvertes
laissaient entrer la chaleur, sinon les rayons du soleil qui
atteignaient rarement jusque-là, dégageait inépuisablement cette odeur
obscure et fraîche, à la fois forestière et ancien régime, qui fait
rêver longuement les narines, quand on pénètre dans certains pavillons
de chasse abandonnés. Mais depuis nombre d’années je n’entrais plus
dans le cabinet de mon oncle Adolphe, ce dernier ne venant plus à
Combray à cause d’une brouille qui était survenue entre lui et ma
famille, par ma faute, dans les circonstances suivantes:
Une ou deux fois par mois, à Paris, on m’envoyait lui faire une
visite, comme il finissait de déjeuner, en simple vareuse, servi par
son domestique en veste de travail de coutil rayé violet et blanc. Il
se plaignait en ronchonnant que je n’étais pas venu depuis longtemps,
qu’on l’abandonnait; il m’offrait un massepain ou une mandarine, nous
traversions un salon dans lequel on ne s’arrêtait jamais, où on ne
faisait jamais de feu, dont les murs étaient ornés de moulures dorées,
les plafonds peints d’un bleu qui prétendait imiter le ciel et les
meubles capitonnés en satin comme chez mes grands-parents, mais jaune;
puis nous passions dans ce qu’il appelait son cabinet de «travail» aux
murs duquel étaient accrochées de ces gravures représentant sur fond
noir une déesse charnue et rose conduisant un char, montée sur un
globe, ou une étoile au front, qu’on aimait sous le second Empire
parce qu’on leur trouvait un air pompéien, puis qu’on détesta, et
qu’on recommence à aimer pour une seule et même raison, malgré les
autres qu’on donne et qui est qu’elles ont l’air second Empire. Et je
restais avec mon oncle jusqu’à ce que son valet de chambre vînt lui
demander, de la part du cocher, pour quelle heure celui-ci devait
atteler. Mon oncle se plongeait alors dans une méditation qu’aurait
craint de troubler d’un seul mouvement son valet de chambre
émerveillé, et dont il attendait avec curiosité le résultat, toujours
identique. Enfin, après une hésitation suprême, mon oncle prononçait
infailliblement ces mots: «Deux heures et quart», que le valet de
chambre répétait avec étonnement, mais sans discuter: «Deux heures et
quart? bien...je vais le dire...»
A cette époque j’avais l’amour du théâtre, amour platonique, car mes
parents ne m’avaient encore jamais permis d’y aller, et je me
représentais d’une façon si peu exacte les plaisirs qu’on y goûtait
que je n’étais pas éloigné de croire que chaque spectateur regardait
comme dans un stéréoscope un décor qui n’était que pour lui, quoique
semblable au millier d’autres que regardait, chacun pour soi, le reste
des spectateurs.
Tous les matins je courais jusqu’à la colonne Moriss pour voir les
spectacles qu’elle annonçait. Rien n’était plus désintéressé et plus
heureux que les rêves offerts à mon imagination par chaque pièce
annoncée et qui étaient conditionnés à la fois par les images
inséparables des mots qui en composaient le titre et aussi de la
couleur des affiches encore humides et boursouflées de colle sur
lesquelles il se détachait. Si ce n’est une de ces œuvres étranges
comme le Testament de César Girodot et Œdipe-Roi lesquelles
s’inscrivaient, non sur l’affiche verte de l’Opéra-Comique, mais sur
l’affiche lie de vin de la Comédie-Française, rien ne me paraissait
plus différent de l’aigrette étincelante et blanche des Diamants de la
Couronne que le satin lisse et mystérieux du Domino Noir, et, mes
parents m’ayant dit que quand j’irais pour la première fois au théâtre
j’aurais à choisir entre ces deux pièces, cherchant à approfondir
successivement le titre de l’une et le titre de l’autre, puisque
c’était tout ce que je connaissais d’elles, pour tâcher de saisir en
chacun le plaisir qu’il me promettait et de le comparer à celui que
recélait l’autre, j’arrivais à me représenter avec tant de force,
d’une part une pièce éblouissante et fière, de l’autre une pièce douce
et veloutée, que j’étais aussi incapable de décider laquelle aurait ma
préférence, que si, pour le dessert, on m’avait donné à opter encore
du riz à l’Impératrice et de la crème au chocolat.
Toutes mes conversations avec mes camarades portaient sur ces acteurs
dont l’art, bien qu’il me fût encore inconnu, était la première forme,
entre toutes celles qu’il revêt, sous laquelle se laissait pressentir
par moi, l’Art. Entre la manière que l’un ou l’autre avait de débiter,
de nuancer une tirade, les différences les plus minimes me semblaient
avoir une importance incalculable. Et, d’après ce que l’on m’avait dit
d’eux, je les classais par ordre de talent, dans des listes que je me
récitais toute la journée: et qui avaient fini par durcir dans mon
cerveau et par le gêner de leur inamovibilité.
Plus tard, quand je fus au collège, chaque fois que pendant les
classes, je correspondais, aussitôt que le professeur avait la tête
tournée, avec un nouvel ami, ma première question était toujours pour
lui demander s’il était déjà allé au théâtre et s’il trouvait que le
plus grand acteur était bien Got, le second Delaunay, etc. Et si, à
son avis, Febvre ne venait qu’après Thiron, ou Delaunay qu’après
Coquelin, la soudaine motilité que Coquelin, perdant la rigidité de la
pierre, contractait dans mon esprit pour y passer au deuxième rang, et
l’agilité miraculeuse, la féconde animation dont se voyait doué
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