Du côté de chez Swann - 19

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ce droit qu’elle lui reconnaissait de partir ensemble et auquel il
attachait plus de prix, parce que, grâce à cela, il avait l’impression
que personne ne la voyait, ne se mettait entre eux, ne l’empêchait
d’être encore avec lui, après qu’il l’avait quittée.
Ainsi revenait-elle dans la voiture de Swann; un soir comme elle
venait d’en descendre et qu’il lui disait à demain, elle cueillit
précipitamment dans le petit jardin qui précédait la maison un dernier
chrysanthème et le lui donna avant qu’il fût reparti. Il le tint serré
contre sa bouche pendant le retour, et quand au bout de quelques jours
la fleur fut fanée, il l’enferma précieusement dans son secrétaire.
Mais il n’entrait jamais chez elle. Deux fois seulement, dans
l’après-midi, il était allé participer à cette opération capitale pour
elle «prendre le thé». L’isolement et le vide de ces courtes rues
(faites presque toutes de petits hôtels contigus, dont tout à coup
venait rompre la monotonie quelque sinistre échoppe, témoignage
historique et reste sordide du temps où ces quartiers étaient encore
mal famés), la neige qui était restée dans le jardin et aux arbres, le
négligé de la saison, le voisinage de la nature, donnaient quelque
chose de plus mystérieux à la chaleur, aux fleurs qu’il avait trouvées
en entrant.
Laissant à gauche, au rez-de-chaussée surélevé, la chambre à coucher
d’Odette qui donnait derrière sur une petite rue parallèle, un
escalier droit entre des murs peints de couleur sombre et d’où
tombaient des étoffes orientales, des fils de chapelets turcs et une
grande lanterne japonaise suspendue à une cordelette de soie (mais
qui, pour ne pas priver les visiteurs des derniers conforts de la
civilisation occidentale s’éclairait au gaz), montait au salon et au
petit salon. Ils étaient précédés d’un étroit vestibule dont le mur
quadrillé d’un treillage de jardin, mais doré, était bordé dans toute
sa longueur d’une caisse rectangulaire où fleurissaient comme dans une
serre une rangée de ces gros chrysanthèmes encore rares à cette
époque, mais bien éloignés cependant de ceux que les horticulteurs
réussirent plus tard à obtenir. Swann était agacé par la mode qui
depuis l’année dernière se portait sur eux, mais il avait eu plaisir,
cette fois, à voir la pénombre de la pièce zébrée de rose, d’oranger
et de blanc par les rayons odorants de ces astres éphémères qui
s’allument dans les jours gris. Odette l’avait reçu en robe de chambre
de soie rose, le cou et les bras nus. Elle l’avait fait asseoir près
d’elle dans un des nombreux retraits mystérieux qui étaient ménagés
dans les enfoncements du salon, protégés par d’immenses palmiers
contenus dans des cache-pot de Chine, ou par des paravents auxquels
étaient fixés des photographies, des nœuds de rubans et des éventails.
Elle lui avait dit: «Vous n’êtes pas confortable comme cela, attendez,
moi je vais bien vous arranger», et avec le petit rire vaniteux
qu’elle aurait eu pour quelque invention particulière à elle, avait
installé derrière la tête de Swann, sous ses pieds, des coussins de
soie japonaise qu’elle pétrissait comme si elle avait été prodigue de
ces richesses et insoucieuse de leur valeur. Mais quand le valet de
chambre était venu apporter successivement les nombreuses lampes qui,
presque toutes enfermées dans des potiches chinoises, brûlaient
isolées ou par couples, toutes sur des meubles différents comme sur
des autels et qui dans le crépuscule déjà presque nocturne de cette
fin d’après-midi d’hiver avaient fait reparaître un coucher de soleil
plus durable, plus rose et plus humain,--faisant peut-être rêver dans
la rue quelque amoureux arrêté devant le mystère de la présence que
décelaient et cachaient à la fois les vitres rallumées--, elle avait
surveillé sévèrement du coin de l’œil le domestique pour voir s’il les
posait bien à leur place consacrée. Elle pensait qu’en en mettant une
seule là où il ne fallait pas, l’effet d’ensemble de son salon eût été
détruit, et son portrait, placé sur un chevalet oblique drapé de
peluche, mal éclairé. Aussi suivait-elle avec fièvre les mouvements de
cet homme grossier et le réprimanda-t-elle vivement parce qu’il avait
passé trop près de deux jardinières qu’elle se réservait de nettoyer
elle-même dans sa peur qu’on ne les abîmât et qu’elle alla regarder de
près pour voir s’il ne les avait pas écornées. Elle trouvait à tous
ses bibelots chinois des formes «amusantes», et aussi aux orchidées,
aux catleyas surtout, qui étaient, avec les chrysanthèmes, ses fleurs
préférées, parce qu’ils avaient le grand mérite de ne pas ressembler à
des fleurs, mais d’être en soie, en satin. «Celle-là a l’air d’être
découpée dans la doublure de mon manteau», dit-elle à Swann en lui
montrant une orchidée, avec une nuance d’estime pour cette fleur si
«chic», pour cette sœur élégante et imprévue que la nature lui
donnait, si loin d’elle dans l’échelle des êtres et pourtant raffinée,
plus digne que bien des femmes qu’elle lui fit une place dans son
salon. En lui montrant tour à tour des chimères à langues de feu
décorant une potiche ou brodées sur un écran, les corolles d’un
bouquet d’orchidées, un dromadaire d’argent niellé aux yeux incrustés
de rubis qui voisinait sur la cheminée avec un crapaud de jade, elle
affectait tour à tour d’avoir peur de la méchanceté, ou de rire de la
cocasserie des monstres, de rougir de l’indécence des fleurs et
d’éprouver un irrésistible désir d’aller embrasser le dromadaire et le
crapaud qu’elle appelait: «chéris». Et ces affectations contrastaient
avec la sincérité de certaines de ses dévotions, notamment à
Notre-Dame du Laghet qui l’avait jadis, quand elle habitait Nice,
guérie d’une maladie mortelle et dont elle portait toujours sur elle
une médaille d’or à laquelle elle attribuait un pouvoir sans limites.
Odette fit à Swann «son» thé, lui demanda: «Citron ou crème?» et comme
il répondit «crème», lui dit en riant: «Un nuage!» Et comme il le
trouvait bon: «Vous voyez que je sais ce que vous aimez.» Ce thé en
effet avait paru à Swann quelque chose de précieux comme à elle-même
et l’amour a tellement besoin de se trouver une justification, une
garantie de durée, dans des plaisirs qui au contraire sans lui n’en
seraient pas et finissent avec lui, que quand il l’avait quittée à
sept heures pour rentrer chez lui s’habiller, pendant tout le trajet
qu’il fit dans son coupé, ne pouvant contenir la joie que cet
après-midi lui avait causée, il se répétait: «Ce serait bien agréable
d’avoir ainsi une petite personne chez qui on pourrait trouver cette
chose si rare, du bon thé.» Une heure après, il reçut un mot d’Odette,
et reconnut tout de suite cette grande écriture dans laquelle une
affectation de raideur britannique imposait une apparence de
discipline à des caractères informes qui eussent signifié peut-être
pour des yeux moins prévenus le désordre de la pensée, l’insuffisance
de l’éducation, le manque de franchise et de volonté. Swann avait
oublié son étui à cigarettes chez Odette. «Que n’y avez-vous oublié
aussi votre cœur, je ne vous aurais pas laissé le reprendre.»
Une seconde visite qu’il lui fit eut plus d’importance peut-être. En
se rendant chez elle ce jour-là comme chaque fois qu’il devait la voir
d’avance, il se la représentait; et la nécessité où il était pour
trouver jolie sa figure de limiter aux seules pommettes roses et
fraîches, les joues qu’elle avait si souvent jaunes, languissantes,
parfois piquées de petits points rouges, l’affligeait comme une preuve
que l’idéal est inaccessible et le bonheur médiocre. Il lui apportait
une gravure qu’elle désirait voir. Elle était un peu souffrante; elle
le reçut en peignoir de crêpe de Chine mauve, ramenant sur sa
poitrine, comme un manteau, une étoffe richement brodée. Debout à côté
de lui, laissant couler le long de ses joues ses cheveux qu’elle avait
dénoués, fléchissant une jambe dans une attitude légèrement dansante
pour pouvoir se pencher sans fatigue vers la gravure qu’elle
regardait, en inclinant la tête, de ses grands yeux, si fatigués et
maussades quand elle ne s’animait pas, elle frappa Swann par sa
ressemblance avec cette figure de Zéphora, la fille de Jéthro, qu’on
voit dans une fresque de la chapelle Sixtine. Swann avait toujours eu
ce goût particulier d’aimer à retrouver dans la peinture des maîtres
non pas seulement les caractères généraux de la réalité qui nous
entoure, mais ce qui semble au contraire le moins susceptible de
généralité, les traits individuels des visages que nous connaissons:
ainsi, dans la matière d’un buste du doge Lorédan par Antoine Rizzo,
la saillie des pommettes, l’obliquité des sourcils, enfin la
ressemblance criante de son cocher Rémi; sous les couleurs d’un
Ghirlandajo, le nez de M. de Palancy; dans un portrait de Tintoret,
l’envahissement du gras de la joue par l’implantation des premiers
poils des favoris, la cassure du nez, la pénétration du regard, la
congestion des paupières du docteur du Boulbon. Peut-être ayant
toujours gardé un remords d’avoir borné sa vie aux relations
mondaines, à la conversation, croyait-il trouver une sorte d’indulgent
pardon à lui accordé par les grands artistes, dans ce fait qu’ils
avaient eux aussi considéré avec plaisir, fait entrer dans leur œuvre,
de tels visages qui donnent à celle-ci un singulier certificat de
réalité et de vie, une saveur moderne; peut-être aussi s’était-il
tellement laissé gagner par la frivolité des gens du monde qu’il
éprouvait le besoin de trouver dans une œuvre ancienne ces allusions
anticipées et rajeunissantes à des noms propres d’aujourd’hui.
Peut-être au contraire avait-il gardé suffisamment une nature
d’artiste pour que ces caractéristiques individuelles lui causassent
du plaisir en prenant une signification plus générale, dès qu’il les
apercevait déracinées, délivrées, dans la ressemblance d’un portrait
plus ancien avec un original qu’il ne représentait pas. Quoi qu’il en
soit et peut-être parce que la plénitude d’impressions qu’il avait
depuis quelque temps et bien qu’elle lui fût venue plutôt avec l’amour
de la musique, avait enrichi même son goût pour la peinture, le
plaisir fut plus profond et devait exercer sur Swann une influence
durable, qu’il trouva à ce moment-là dans la ressemblance d’Odette
avec la Zéphora de ce Sandro di Mariano auquel on ne donne plus
volontiers son surnom populaire de Botticelli depuis que celui-ci
évoque au lieu de l’œuvre véritable du peintre l’idée banale et fausse
qui s’en est vulgarisée. Il n’estima plus le visage d’Odette selon la
plus ou moins bonne qualité de ses joues et d’après la douceur
purement carnée qu’il supposait devoir leur trouver en les touchant
avec ses lèvres si jamais il osait l’embrasser, mais comme un écheveau
de lignes subtiles et belles que ses regards dévidèrent, poursuivant
la courbe de leur enroulement, rejoignant la cadence de la nuque à
l’effusion des cheveux et à la flexion des paupières, comme en un
portrait d’elle en lequel son type devenait intelligible et clair.
Il la regardait; un fragment de la fresque apparaissait dans son
visage et dans son corps, que dès lors il chercha toujours à y
retrouver soit qu’il fût auprès d’Odette, soit qu’il pensât seulement
à elle, et bien qu’il ne tînt sans doute au chef-d’œuvre florentin que
parce qu’il le retrouvait en elle, pourtant cette ressemblance lui
conférait à elle aussi une beauté, la rendait plus précieuse. Swann se
reprocha d’avoir méconnu le prix d’un être qui eût paru adorable au
grand Sandro, et il se félicita que le plaisir qu’il avait à voir
Odette trouvât une justification dans sa propre culture esthétique. Il
se dit qu’en associant la pensée d’Odette à ses rêves de bonheur il ne
s’était pas résigné à un pis-aller aussi imparfait qu’il l’avait cru
jusqu’ici, puisqu’elle contentait en lui ses goûts d’art les plus
raffinés. Il oubliait qu’Odette n’était pas plus pour cela une femme
selon son désir, puisque précisément son désir avait toujours été
orienté dans un sens opposé à ses goûts esthétiques. Le mot d’«œuvre
florentine» rendit un grand service à Swann. Il lui permit, comme un
titre, de faire pénétrer l’image d’Odette dans un monde de rêves, où
elle n’avait pas eu accès jusqu’ici et où elle s’imprégna de noblesse.
Et tandis que la vue purement charnelle qu’il avait eue de cette
femme, en renouvelant perpétuellement ses doutes sur la qualité de son
visage, de son corps, de toute sa beauté, affaiblissait son amour, ces
doutes furent détruits, cet amour assuré quand il eut à la place pour
base les données d’une esthétique certaine; sans compter que le baiser
et la possession qui semblaient naturels et médiocres s’ils lui
étaient accordés par une chair abîmée, venant couronner l’adoration
d’une pièce de musée, lui parurent devoir être surnaturels et
délicieux.
Et quand il était tenté de regretter que depuis des mois il ne fît
plus que voir Odette, il se disait qu’il était raisonnable de donner
beaucoup de son temps à un chef-d’œuvre inestimable, coulé pour une
fois dans une matière différente et particulièrement savoureuse, en un
exemplaire rarissime qu’il contemplait tantôt avec l’humilité, la
spiritualité et le désintéressement d’un artiste, tantôt avec
l’orgueil, l’égoïsme et la sensualité d’un collectionneur.
Il plaça sur sa table de travail, comme une photographie d’Odette, une
reproduction de la fille de Jéthro. Il admirait les grands yeux, le
délicat visage qui laissait deviner la peau imparfaite, les boucles
merveilleuses des cheveux le long des joues fatiguées, et adaptant ce
qu’il trouvait beau jusque-là d’une façon esthétique à l’idée d’une
femme vivante, il le transformait en mérites physiques qu’il se
félicitait de trouver réunis dans un être qu’il pourrait posséder.
Cette vague sympathie qui nous porte vers un chef-d’œuvre que nous
regardons, maintenant qu’il connaissait l’original charnel de la fille
de Jéthro, elle devenait un désir qui suppléa désormais à celui que le
corps d’Odette ne lui avait pas d’abord inspiré. Quand il avait
regardé longtemps ce Botticelli, il pensait à son Botticelli à lui
qu’il trouvait plus beau encore et approchant de lui la photographie
de Zéphora, il croyait serrer Odette contre son cœur.
Et cependant ce n’était pas seulement la lassitude d’Odette qu’il
s’ingéniait à prévenir, c’était quelquefois aussi la sienne propre;
sentant que depuis qu’Odette avait toutes facilités pour le voir, elle
semblait n’avoir pas grand’chose à lui dire, il craignait que les
façons un peu insignifiantes, monotones, et comme définitivement
fixées, qui étaient maintenant les siennes quand ils étaient ensemble,
ne finissent par tuer en lui cet espoir romanesque d’un jour où elle
voudrait déclarer sa passion, qui seul l’avait rendu et gardé
amoureux. Et pour renouveler un peu l’aspect moral, trop figé,
d’Odette, et dont il avait peur de se fatiguer, il lui écrivait tout
d’un coup une lettre pleine de déceptions feintes et de colères
simulées qu’il lui faisait porter avant le dîner. Il savait qu’elle
allait être effrayée, lui répondre et il espérait que dans la
contraction que la peur de le perdre ferait subir à son âme,
jailliraient des mots qu’elle ne lui avait encore jamais dits; et en
effet c’est de cette façon qu’il avait obtenu les lettres les plus
tendres qu’elle lui eût encore écrites dont l’une, qu’elle lui avait
fait porter à midi de la «Maison Dorée» (c’était le jour de la fête de
Paris-Murcie donnée pour les inondés de Murcie), commençait par ces
mots: «Mon ami, ma main tremble si fort que je peux à peine écrire»,
et qu’il avait gardée dans le même tiroir que la fleur séchée du
chrysanthème. Ou bien si elle n’avait pas eu le temps de lui écrire,
quand il arriverait chez les Verdurin, elle irait vivement à lui et
lui dirait: «J’ai à vous parler», et il contemplerait avec curiosité
sur son visage et dans ses paroles ce qu’elle lui avait caché
jusque-là de son cœur.
Rien qu’en approchant de chez les Verdurin quand il apercevait,
éclairées par des lampes, les grandes fenêtres dont on ne fermait
jamais les volets, il s’attendrissait en pensant à l’être charmant
qu’il allait voir épanoui dans leur lumière d’or. Parfois les ombres
des invités se détachaient minces et noires, en écran, devant les
lampes, comme ces petites gravures qu’on intercale de place en place
dans un abat-jour translucide dont les autres feuillets ne sont que
clarté. Il cherchait à distinguer la silhouette d’Odette. Puis, dès
qu’il était arrivé, sans qu’il s’en rendit compte, ses yeux brillaient
d’une telle joie que M. Verdurin disait au peintre: «Je crois que ça
chauffe.» Et la présence d’Odette ajoutait en effet pour Swann à cette
maison ce dont n’était pourvue aucune de celles où il était reçu: une
sorte d’appareil sensitif, de réseau nerveux qui se ramifiait dans
toutes les pièces et apportait des excitations constantes à son cœur.
Ainsi le simple fonctionnement de cet organisme social qu’était le
petit «clan» prenait automatiquement pour Swann des rendez-vous
quotidiens avec Odette et lui permettait de feindre une indifférence à
la voir, ou même un désir de ne plus la voir, qui ne lui faisait pas
courir de grands risques, puisque, quoi qu’il lui eût écrit dans la
journée, il la verrait forcément le soir et la ramènerait chez elle.
Mais une fois qu’ayant songé avec maussaderie à cet inévitable retour
ensemble, il avait emmené jusqu’au bois sa jeune ouvrière pour
retarder le moment d’aller chez les Verdurin, il arriva chez eux si
tard qu’Odette, croyant qu’il ne viendrait plus, était partie. En
voyant qu’elle n’était plus dans le salon, Swann ressentit une
souffrance au cœur; il tremblait d’être privé d’un plaisir qu’il
mesurait pour la première fois, ayant eu jusque-là cette certitude de
le trouver quand il le voulait, qui pour tous les plaisirs nous
diminue ou même nous empêche d’apercevoir aucunement leur grandeur.
--«As-tu vu la tête qu’il a fait quand il s’est aperçu qu’elle n’était
pas là? dit M. Verdurin à sa femme, je crois qu’on peut dire qu’il est
pincé!»
--«La tête qu’il a fait?» demanda avec violence le docteur Cottard qui,
étant allé un instant voir un malade, revenait chercher sa femme et ne
savait pas de qui on parlait.
--«Comment vous n’avez pas rencontré devant la porte le plus beau des
Swann»?
--«Non. M. Swann est venu»?
--Oh! un instant seulement. Nous avons eu un Swann très agité, très
nerveux. Vous comprenez, Odette était partie.
--«Vous voulez dire qu’elle est du dernier bien avec lui, qu’elle lui a
fait voir l’heure du berger», dit le docteur, expérimentant avec
prudence le sens de ces expressions.
--«Mais non, il n’y a absolument rien, et entre nous, je trouve qu’elle
a bien tort et qu’elle se conduit comme une fameuse cruche, qu’elle
est du reste.»
--«Ta, ta, ta, dit M. Verdurin, qu’est-ce que tu en sais qu’il n’y a
rien, nous n’avons pas été y voir, n’est-ce pas.»
--«A moi, elle me l’aurait dit, répliqua fièrement Mme Verdurin. Je
vous dis qu’elle me raconte toutes ses petites affaires! Comme elle
n’a plus personne en ce moment, je lui ai dit qu’elle devrait coucher
avec lui. Elle prétend qu’elle ne peut pas, qu’elle a bien eu un fort
béguin pour lui mais qu’il est timide avec elle, que cela l’intimide à
son tour, et puis qu’elle ne l’aime pas de cette manière-là, que c’est
un être idéal, qu’elle a peur de déflorer le sentiment qu’elle a pour
lui, est-ce que je sais, moi. Ce serait pourtant absolument ce qu’il
lui faut.»
--«Tu me permettras de ne pas être de ton avis, dit M. Verdurin, il ne
me revient qu’à demi ce monsieur; je le trouve poseur.»
Mme Verdurin s’immobilisa, prit une expression inerte comme si elle
était devenue une statue, fiction qui lui permit d’être censée ne pas
avoir entendu ce mot insupportable de poseur qui avait l’air
d’impliquer qu’on pouvait «poser» avec eux, donc qu’on était «plus
qu’eux».
--«Enfin, s’il n’y a rien, je ne pense pas que ce soit que ce monsieur
la croit VERTUEUSE, dit ironiquement M. Verdurin. Et après tout, on ne
peut rien dire, puisqu’il a l’air de la croire intelligente. Je ne
sais si tu as entendu ce qu’il lui débitait l’autre soir sur la sonate
de Vinteuil; j’aime Odette de tout mon cœur, mais pour lui faire des
théories d’esthétique, il faut tout de même être un fameux jobard!»
--«Voyons, ne dites pas du mal d’Odette, dit Mme Verdurin en faisant
l’enfant. Elle est charmante.»
--«Mais cela ne l’empêche pas d’être charmante; nous ne disons pas du
mal d’elle, nous disons que ce n’est pas une vertu ni une
intelligence. Au fond, dit-il au peintre, tenez-vous tant que ça à ce
qu’elle soit vertueuse? Elle serait peut-être beaucoup moins
charmante, qui sait?»
Sur le palier, Swann avait été rejoint par le maître d’hôtel qui ne se
trouvait pas là au moment où il était arrivé et avait été chargé par
Odette de lui dire,--mais il y avait bien une heure déjà,--au cas où il
viendrait encore, qu’elle irait probablement prendre du chocolat chez
Prévost avant de rentrer. Swann partit chez Prévost, mais à chaque pas
sa voiture était arrêtée par d’autres ou par des gens qui
traversaient, odieux obstacles qu’il eût été heureux de renverser si
le procès-verbal de l’agent ne l’eût retardé plus encore que le
passage du piéton. Il comptait le temps qu’il mettait, ajoutait
quelques secondes à toutes les minutes pour être sûr de ne pas les
avoir faites trop courtes, ce qui lui eût laissé croire plus grande
qu’elle n’était en réalité sa chance d’arriver assez tôt et de trouver
encore Odette. Et à un moment, comme un fiévreux qui vient de dormir
et qui prend conscience de l’absurdité des rêvasseries qu’il ruminait
sans se distinguer nettement d’elles, Swann tout d’un coup aperçut en
lui l’étrangeté des pensées qu’il roulait depuis le moment où on lui
avait dit chez les Verdurin qu’Odette était déjà partie, la nouveauté
de la douleur au cœur dont il souffrait, mais qu’il constata seulement
comme s’il venait de s’éveiller. Quoi? toute cette agitation parce
qu’il ne verrait Odette que demain, ce que précisément il avait
souhaité, il y a une heure, en se rendant chez Mme Verdurin. Il fut
bien obligé de constater que dans cette même voiture qui l’emmenait
chez Prévost, il n’était plus le même, et qu’il n’était plus seul,
qu’un être nouveau était là avec lui, adhérent, amalgamé à lui, duquel
il ne pourrait peut-être pas se débarrasser, avec qui il allait être
obligé d’user de ménagements comme avec un maître ou avec une maladie.
Et pourtant depuis un moment qu’il sentait qu’une nouvelle personne
s’était ainsi ajoutée à lui, sa vie lui paraissait plus intéressante.
C’est à peine s’il se disait que cette rencontre possible chez Prévost
(de laquelle l’attente saccageait, dénudait à ce point les moments qui
la précédaient qu’il ne trouvait plus une seule idée, un seul souvenir
derrière lequel il pût faire reposer son esprit), il était probable
pourtant, si elle avait lieu, qu’elle serait comme les autres, fort
peu de chose. Comme chaque soir, dès qu’il serait avec Odette, jetant
furtivement sur son changeant visage un regard aussitôt détourné de
peur qu’elle n’y vît l’avance d’un désir et ne crût plus à son
désintéressement, il cesserait de pouvoir penser à elle, trop occupé à
trouver des prétextes qui lui permissent de ne pas la quitter tout de
suite et de s’assurer, sans avoir l’air d’y tenir, qu’il la
retrouverait le lendemain chez les Verdurin: c’est-à-dire de prolonger
pour l’instant et de renouveler un jour de plus la déception et la
torture que lui apportait la vaine présence de cette femme qu’il
approchait sans oser l’étreindre.
Elle n’était pas chez Prévost; il voulut chercher dans tous les
restaurants des boulevards. Pour gagner du temps, pendant qu’il
visitait les uns, il envoya dans les autres son cocher Rémi (le doge
Lorédan de Rizzo) qu’il alla attendre ensuite--n’ayant rien trouvé
lui-même--à l’endroit qu’il lui avait désigné. La voiture ne revenait
pas et Swann se représentait le moment qui approchait, à la fois comme
celui où Rémi lui dirait: «Cette dame est là», et comme celui où Rémi
lui dirait, «cette dame n’était dans aucun des cafés.» Et ainsi il
voyait la fin de la soirée devant lui, une et pourtant alternative,
précédée soit par la rencontre d’Odette qui abolirait son angoisse,
soit, par le renoncement forcé à la trouver ce soir, par l’acceptation
de rentrer chez lui sans l’avoir vue.
Le cocher revint, mais, au moment où il s’arrêta devant Swann,
celui-ci ne lui dit pas: «Avez-vous trouvé cette dame?» mais:
«Faites-moi donc penser demain à commander du bois, je crois que la
provision doit commencer à s’épuiser.» Peut-être se disait-il que si
Rémi avait trouvé Odette dans un café où elle l’attendait, la fin de
la soirée néfaste était déjà anéantie par la réalisation commencée de
la fin de soirée bienheureuse et qu’il n’avait pas besoin de se
presser d’atteindre un bonheur capturé et en lieu sûr, qui ne
s’échapperait plus. Mais aussi c’était par force d’inertie; il avait
dans l’âme le manque de souplesse que certains êtres ont dans le
corps, ceux-là qui au moment d’éviter un choc, d’éloigner une flamme
de leur habit, d’accomplir un mouvement urgent, prennent leur temps,
commencent par rester une seconde dans la situation où ils étaient
auparavant comme pour y trouver leur point d’appui, leur élan. Et sans
doute si le cocher l’avait interrompu en lui disant: «Cette dame est
là», il eut répondu: «Ah! oui, c’est vrai, la course que je vous avais
donnée, tiens je n’aurais pas cru», et aurait continué à lui parler
provision de bois pour lui cacher l’émotion qu’il avait eue et se
laisser à lui-même le temps de rompre avec l’inquiétude et de se
donner au bonheur.
Mais le cocher revint lui dire qu’il ne l’avait trouvée nulle part, et
ajouta son avis, en vieux serviteur:
--Je crois que Monsieur n’a plus qu’à rentrer.
Mais l’indifférence que Swann jouait facilement quand Rémi ne pouvait
plus rien changer à la réponse qu’il apportait tomba, quand il le vit
essayer de le faire renoncer à son espoir et à sa recherche:
--«Mais pas du tout, s’écria-t-il, il faut que nous trouvions cette
dame; c’est de la plus haute importance. Elle serait extrêmement
ennuyée, pour une affaire, et froissée, si elle ne m’avait pas vu.»
--«Je ne vois pas comment cette dame pourrait être froissée, répondit
Rémi, puisque c’est elle qui est partie sans attendre Monsieur,
qu’elle a dit qu’elle allait chez Prévost et qu’elle n’y était pas,»
D’ailleurs on commençait à éteindre partout. Sous les arbres des
boulevards, dans une obscurité mystérieuse, les passants plus rares
erraient, à peine reconnaissables. Parfois l’ombre d’une femme qui
s’approchait de lui, lui murmurant un mot à l’oreille, lui demandant
de la ramener, fit tressaillir Swann. Il frôlait anxieusement tous ces
corps obscurs comme si parmi les fantômes des morts, dans le royaume
sombre, il eût cherché Eurydice.
De tous les modes de production de l’amour, de tous les agents de
dissémination du mal sacré, il est bien l’un des plus efficaces, ce
grand souffle d’agitation qui parfois passe sur nous. Alors l’être
avec qui nous nous plaisons à ce moment-là, le sort en est jeté, c’est
lui que nous aimerons. Il n’est même pas besoin qu’il nous plût
jusque-là plus ou même autant que d’autres. Ce qu’il fallait, c’est
que notre goût pour lui devint exclusif. Et cette condition-là est
réalisée quand--à ce moment où il nous fait défaut--à la recherche des
plaisirs que son agrément nous donnait, s’est brusquement substitué en
nous un besoin anxieux, qui a pour objet cet être même, un besoin
absurde, que les lois de ce monde rendent impossible à satisfaire et
difficile à guérir--le besoin insensé et douloureux de le posséder.
Swann se fit conduire dans les derniers restaurants; c’est la seule
hypothèse du bonheur qu’il avait envisagée avec calme; il ne cachait
plus maintenant son agitation, le prix qu’il attachait à cette
rencontre et il promit en cas de succès une récompense à son cocher,
comme si en lui inspirant le désir de réussir qui viendrait s’ajouter
à celui qu’il en avait lui-même, il pouvait faire qu’Odette, au cas où
elle fût déjà rentrée se coucher, se trouvât pourtant dans un
restaurant du boulevard. Il poussa jusqu’à la Maison Dorée, entra deux
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