Du côté de chez Swann - 26

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elle était pour lui une femme comme les autres, comme si la vie
d’Odette n’avait pas été, dès qu’il n’était plus là, différente,
tramée en cachette de lui, ourdie contre lui.
Pourquoi croire qu’elle goûterait là-bas avec Forcheville ou avec
d’autres des plaisirs enivrants qu’elle n’avait pas connus auprès de
lui et que seule sa jalousie forgeait de toutes pièces? A Bayreuth
comme à Paris, s’il arrivait que Forcheville pensât à lui ce n’eût pu
être que comme à quelqu’un qui comptait beaucoup dans la vie d’Odette,
à qui il était obligé de céder la place, quand ils se rencontraient
chez elle. Si Forcheville et elle triomphaient d’être là-bas malgré
lui, c’est lui qui l’aurait voulu en cherchant inutilement à
l’empêcher d’y aller, tandis que s’il avait approuvé son projet,
d’ailleurs défendable, elle aurait eu l’air d’être là-bas d’après son
avis, elle s’y serait sentie envoyée, logée par lui, et le plaisir
qu’elle aurait éprouvé à recevoir ces gens qui l’avaient tant reçue,
c’est à Swann qu’elle en aurait su gré.
Et,--au lieu qu’elle allait partir brouillée avec lui, sans l’avoir
revu--, s’il lui envoyait cet argent, s’il l’encourageait à ce voyage
et s’occupait de le lui rendre agréable, elle allait accourir,
heureuse, reconnaissante, et il aurait cette joie de la voir qu’il
n’avait pas goûtée depuis près d’une semaine et que rien ne pouvait
lui remplacer. Car sitôt que Swann pouvait se la représenter sans
horreur, qu’il revoyait de la bonté dans son sourire, et que le désir
de l’enlever à tout autre, n’était plus ajouté par la jalousie à son
amour, cet amour redevenait surtout un goût pour les sensations que
lui donnait la personne d’Odette, pour le plaisir qu’il avait à
admirer comme un spectacle ou à interroger comme un phénomène, le
lever d’un de ses regards, la formation d’un de ses sourires,
l’émission d’une intonation de sa voix. Et ce plaisir différent de
tous les autres, avait fini par créer en lui un besoin d’elle et
qu’elle seule pouvait assouvir par sa présence ou ses lettres, presque
aussi désintéressé, presque aussi artistique, aussi pervers, qu’un
autre besoin qui caractérisait cette période nouvelle de la vie de
Swann où à la sécheresse, à la dépression des années antérieures avait
succédé une sorte de trop-plein spirituel, sans qu’il sût davantage à
quoi il devait cet enrichissement inespéré de sa vie intérieure qu’une
personne de santé délicate qui à partir d’un certain moment se
fortifie, engraisse, et semble pendant quelque temps s’acheminer vers
une complète guérison--cet autre besoin qui se développait aussi en
dehors du monde réel, c’était celui d’entendre, de connaître de la
musique.
Ainsi, par le chimisme même de son mal, après qu’il avait fait de la
jalousie avec son amour, il recommençait à fabriquer de la tendresse,
de la pitié pour Odette. Elle était redevenue l’Odette charmante et
bonne. Il avait des remords d’avoir été dur pour elle. Il voulait
qu’elle vînt près de lui et, auparavant, il voulait lui avoir procuré
quelque plaisir, pour voir la reconnaissance pétrir son visage et
modeler son sourire.
Aussi Odette, sûre de le voir venir après quelques jours, aussi tendre
et soumis qu’avant, lui demander une réconciliation, prenait-elle
l’habitude de ne plus craindre de lui déplaire et même de l’irriter et
lui refusait-elle, quand cela lui était commode, les faveurs
auxquelles il tenait le plus.
Peut-être ne savait-elle pas combien il avait été sincère vis-à-vis
d’elle pendant la brouille, quand il lui avait dit qu’il ne lui
enverrait pas d’argent et chercherait à lui faire du mal. Peut-être ne
savait-elle pas davantage combien il l’était, vis-à-vis sinon d’elle,
du moins de lui-même, en d’autres cas où dans l’intérêt de l’avenir de
leur liaison, pour montrer à Odette qu’il était capable de se passer
d’elle, qu’une rupture restait toujours possible, il décidait de
rester quelque temps sans aller chez elle.
Parfois c’était après quelques jours où elle ne lui avait pas causé de
souci nouveau; et comme, des visites prochaines qu’il lui ferait, il
savait qu’il ne pouvait tirer nulle bien grande joie mais plus
probablement quelque chagrin qui mettrait fin au calme où il se
trouvait, il lui écrivait qu’étant très occupé il ne pourrait la voir
aucun des jours qu’il lui avait dit. Or une lettre d’elle, se croisant
avec la sienne, le priait précisément de déplacer un rendez-vous. Il
se demandait pourquoi; ses soupçons, sa douleur le reprenaient. Il ne
pouvait plus tenir, dans l’état nouveau d’agitation où il se trouvait,
l’engagement qu’il avait pris dans l’état antérieur de calme relatif,
il courait chez elle et exigeait de la voir tous les jours suivants.
Et même si elle ne lui avait pas écrit la première, si elle répondait
seulement, cela suffisait pour qu’il ne pût plus rester sans la voir.
Car, contrairement au calcul de Swann, le consentement d’Odette avait
tout changé en lui. Comme tous ceux qui possèdent une chose, pour
savoir ce qui arriverait s’il cessait un moment de la posséder, il
avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans
le même état que quand elle était là. Or l’absence d’une chose, ce
n’est pas que cela, ce n’est pas un simple manque partiel, c’est un
bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau qu’on ne peut
prévoir dans l’ancien.
Mais d’autres fois au contraire,--Odette était sur le point de partir
en voyage,--c’était après quelque petite querelle dont il choisissait
le prétexte, qu’il se résolvait à ne pas lui écrire et à ne pas la
revoir avant son retour, donnant ainsi les apparences, et demandant le
bénéfice d’une grande brouille, qu’elle croirait peut-être définitive,
à une séparation dont la plus longue part était inévitable du fait du
voyage et qu’il faisait commencer seulement un peu plus tôt. Déjà il
se figurait Odette inquiète, affligée, de n’avoir reçu ni visite ni
lettre et cette image, en calmant sa jalousie, lui rendait facile de
se déshabituer de la voir. Sans doute, par moments, tout au bout de
son esprit où sa résolution la refoulait grâce à toute la longueur
interposée des trois semaines de séparation acceptée, c’était avec
plaisir qu’il considérait l’idée qu’il reverrait Odette à son retour:
mais c’était aussi avec si peu d’impatience qu’il commençait à se
demander s’il ne doublerait pas volontairement la durée d’une
abstinence si facile. Elle ne datait encore que de trois jours, temps
beaucoup moins long que celui qu’il avait souvent passé en ne voyant
pas Odette, et sans l’avoir comme maintenant prémédité. Et pourtant
voici qu’une légère contrariété ou un malaise physique,--en l’incitant
à considérer le moment présent comme un moment exceptionnel, en dehors
de la règle, où la sagesse même admettrait d’accueillir l’apaisement
qu’apporte un plaisir et de donner congé, jusqu’à la reprise utile de
l’effort, à la volonté--suspendait l’action de celle-ci qui cessait
d’exercer sa compression; ou, moins que cela, le souvenir d’un
renseignement qu’il avait oublié de demander à Odette, si elle avait
décidé la couleur dont elle voulait faire repeindre sa voiture, ou
pour une certaine valeur de bourse, si c’était des actions ordinaires
ou privilégiées qu’elle désirait acquérir (c’était très joli de lui
montrer qu’il pouvait rester sans la voir, mais si après ça la
peinture était à refaire ou si les actions ne donnaient pas de
dividende, il serait bien avancé), voici que comme un caoutchouc tendu
qu’on lâche ou comme l’air dans une machine pneumatique qu’on
entr’ouvre, l’idée de la revoir, des lointains où elle était
maintenue, revenait d’un bond dans le champ du présent et des
possibilités immédiates.
Elle y revenait sans plus trouver de résistance, et d’ailleurs si
irrésistible que Swann avait eu bien moins de peine à sentir
s’approcher un à un les quinze jours qu’il devait rester séparé
d’Odette, qu’il n’en avait à attendre les dix minutes que son cocher
mettait pour atteler la voiture qui allait l’emmener chez elle et
qu’il passait dans des transports d’impatience et de joie où il
ressaisissait mille fois pour lui prodiguer sa tendresse cette idée de
la retrouver qui, par un retour si brusque, au moment où il la croyait
si loin, était de nouveau près de lui dans sa plus proche conscience.
C’est qu’elle ne trouvait plus pour lui faire obstacle le désir de
chercher sans plus tarder à lui résister qui n’existait plus chez
Swann depuis que s’étant prouvé à lui-même,--il le croyait du
moins,--qu’il en était si aisément capable, il ne voyait plus aucun
inconvénient à ajourner un essai de séparation qu’il était certain
maintenant de mettre à exécution dès qu’il le voudrait. C’est aussi
que cette idée de la revoir revenait parée pour lui d’une nouveauté,
d’une séduction, douée d’une virulence que l’habitude avait émoussées,
mais qui s’étaient retrempées dans cette privation non de trois jours
mais de quinze (car la durée d’un renoncement doit se calculer, par
anticipation, sur le terme assigné), et de ce qui jusque-là eût été un
plaisir attendu qu’on sacrifie aisément, avait fait un bonheur
inespéré contre lequel on est sans force. C’est enfin qu’elle y
revenait embellie par l’ignorance où était Swann de ce qu’Odette avait
pu penser, faire peut-être en voyant qu’il ne lui avait pas donné
signe de vie, si bien que ce qu’il allait trouver c’était la
révélation passionnante d’une Odette presque inconnue.
Mais elle, de même qu’elle avait cru que son refus d’argent n’était
qu’une feinte, ne voyait qu’un prétexte dans le renseignement que
Swann venait lui demander, sur la voiture à repeindre, ou la valeur à
acheter. Car elle ne reconstituait pas les diverses phases de ces
crises qu’il traversait et dans l’idée qu’elle s’en faisait, elle
omettait d’en comprendre le mécanisme, ne croyant qu’à ce qu’elle
connaissait d’avance, à la nécessaire, à l’infaillible et toujours
identique terminaison. Idée incomplète,--d’autant plus profonde
peut-être--si on la jugeait du point de vue de Swann qui eût sans doute
trouvé qu’il était incompris d’Odette, comme un morphinomane ou un
tuberculeux, persuadés qu’ils ont été arrêtés, l’un par un événement
extérieur au moment où il allait se délivrer de son habitude
invétérée, l’autre par une indisposition accidentelle au moment où il
allait être enfin rétabli, se sentent incompris du médecin qui
n’attache pas la même importance qu’eux à ces prétendues contingences,
simples déguisements, selon lui, revêtus, pour redevenir sensibles à
ses malades, par le vice et l’état morbide qui, en réalité, n’ont pas
cessé de peser incurablement sur eux tandis qu’ils berçaient des rêves
de sagesse ou de guérison. Et de fait, l’amour de Swann en était
arrivé à ce degré où le médecin et, dans certaines affections, le
chirurgien le plus audacieux, se demandent si priver un malade de son
vice ou lui ôter son mal, est encore raisonnable ou même possible.
Certes l’étendue de cet amour, Swann n’en avait pas une conscience
directe. Quand il cherchait à le mesurer, il lui arrivait parfois
qu’il semblât diminué, presque réduit à rien; par exemple, le peu de
goût, presque le dégoût que lui avaient inspiré, avant qu’il aimât
Odette, ses traits expressifs, son teint sans fraîcheur, lui revenait
à certains jours. «Vraiment il y a progrès sensible, se disait-il le
lendemain; à voir exactement les choses, je n’avais presque aucun
plaisir hier à être dans son lit, c’est curieux je la trouvais même
laide.» Et certes, il était sincère, mais son amour s’étendait bien
au-delà des régions du désir physique. La personne même d’Odette n’y
tenait plus une grande place. Quand du regard il rencontrait sur sa
table la photographie d’Odette, ou quand elle venait le voir, il avait
peine à identifier la figure de chair ou de bristol avec le trouble
douloureux et constant qui habitait en lui. Il se disait presque avec
étonnement: «C’est elle» comme si tout d’un coup on nous montrait
extériorisée devant nous une de nos maladies et que nous ne la
trouvions pas ressemblante à ce que nous souffrons. «Elle», il
essayait de se demander ce que c’était; car c’est une ressemblance de
l’amour et de la mort, plutôt que celles si vagues, que l’on redit
toujours, de nous faire interroger plus avant, dans la peur que sa
réalité se dérobe, le mystère de la personnalité. Et cette maladie
qu’était l’amour de Swann avait tellement multiplié, il était si
étroitement mêlé à toutes les habitudes de Swann, à tous ses actes, à
sa pensée, à sa santé, à son sommeil, à sa vie, même à ce qu’il
désirait pour après sa mort, il ne faisait tellement plus qu’un avec
lui, qu’on n’aurait pas pu l’arracher de lui sans le détruire lui-même
à peu près tout entier: comme on dit en chirurgie, son amour n’était
plus opérable.
Par cet amour Swann avait été tellement détaché de tous les intérêts,
que quand par hasard il retournait dans le monde en se disant que ses
relations comme une monture élégante qu’elle n’aurait pas d’ailleurs
su estimer très exactement, pouvaient lui rendre à lui-même un peu de
prix aux yeux d’Odette (et ç’aurait peut-être été vrai en effet si
elles n’avaient été avilies par cet amour même, qui pour Odette
dépréciait toutes les choses qu’il touchait par le fait qu’il semblait
les proclamer moins précieuses), il y éprouvait, à côté de la détresse
d’être dans des lieux, au milieu de gens qu’elle ne connaissait pas,
le plaisir désintéressé qu’il aurait pris à un roman ou à un tableau
où sont peints les divertissements d’une classe oisive, comme, chez
lui, il se complaisait à considérer le fonctionnement de sa vie
domestique, l’élégance de sa garde-robe et de sa livrée, le bon
placement de ses valeurs, de la même façon qu’à lire dans Saint-Simon,
qui était un de ses auteurs favoris, la mécanique des journées, le
menu des repas de Mme de Maintenon, ou l’avarice avisée et le grand
train de Lulli. Et dans la faible mesure où ce détachement n’était pas
absolu, la raison de ce plaisir nouveau que goûtait Swann, c’était de
pouvoir émigrer un moment dans les rares parties de lui-même restées
presque étrangères à son amour, à son chagrin. A cet égard cette
personnalité, que lui attribuait ma grand’tante, de «fils Swann»,
distincte de sa personnalité plus individuelle de Charles Swann, était
celle où il se plaisait maintenant le mieux. Un jour que, pour
l’anniversaire de la princesse de Parme (et parce qu’elle pouvait
souvent être indirectement agréable à Odette en lui faisant avoir des
places pour des galas, des jubilés), il avait voulu lui envoyer des
fruits, ne sachant pas trop comment les commander, il en avait chargé
une cousine de sa mère qui, ravie de faire une commission pour lui,
lui avait écrit, en lui rendant compte qu’elle n’avait pas pris tous
les fruits au même endroit, mais les raisins chez Crapote dont c’est
la spécialité, les fraises chez Jauret, les poires chez Chevet où
elles étaient plus belles, etc., «chaque fruit visité et examiné un
par un par moi». Et en effet, par les remerciements de la princesse,
il avait pu juger du parfum des fraises et du moelleux des poires.
Mais surtout le «chaque fruit visité et examiné un par un par moi»
avait été un apaisement à sa souffrance, en emmenant sa conscience
dans une région où il se rendait rarement, bien qu’elle lui appartînt
comme héritier d’une famille de riche et bonne bourgeoisie où
s’étaient conservés héréditairement, tout prêts à être mis à son
service dès qu’il le souhaitait, la connaissance des «bonnes adresses»
et l’art de savoir bien faire une commande.
Certes, il avait trop longtemps oublié qu’il était le «fils Swann»
pour ne pas ressentir quand il le redevenait un moment, un plaisir
plus vif que ceux qu’il eût pu éprouver le reste du temps et sur
lesquels il était blasé; et si l’amabilité des bourgeois, pour
lesquels il restait surtout cela, était moins vive que celle de
l’aristocratie (mais plus flatteuse d’ailleurs, car chez eux du moins
elle ne se sépare jamais de la considération), une lettre d’altesse,
quelques divertissements princiers qu’elle lui proposât, ne pouvait
lui être aussi agréable que celle qui lui demandait d’être témoin, ou
seulement d’assister à un mariage dans la famille de vieux amis de ses
parents dont les uns avaient continué à le voir--comme mon grand-père
qui, l’année précédente, l’avait invité au mariage de ma mère--et dont
certains autres le connaissaient personnellement à peine mais se
croyaient des devoirs de politesse envers le fils, envers le digne
successeur de feu M. Swann.
Mais, par les intimités déjà anciennes qu’il avait parmi eux, les gens
du monde, dans une certaine mesure, faisaient aussi partie de sa
maison, de son domestique et de sa famille. Il se sentait, à
considérer ses brillantes amitiés, le même appui hors de lui-même, le
même confort, qu’à regarder les belles terres, la belle argenterie, le
beau linge de table, qui lui venaient des siens. Et la pensée que s’il
tombait chez lui frappé d’une attaque ce serait tout naturellement le
duc de Chartres, le prince de Reuss, le duc de Luxembourg et le baron
de Charlus, que son valet de chambre courrait chercher, lui apportait
la même consolation qu’à notre vieille Françoise de savoir qu’elle
serait ensevelie dans des draps fins à elle, marqués, non reprisés (ou
si finement que cela ne donnait qu’une plus haute idée du soin de
l’ouvrière), linceul de l’image fréquente duquel elle tirait une
certaine satisfaction, sinon de bien-être, au moins d’amour-propre.
Mais surtout, comme dans toutes celles de ses actions, et de ses
pensées qui se rapportaient à Odette, Swann était constamment dominé
et dirigé par le sentiment inavoué qu’il lui était peut-être pas moins
cher, mais moins agréable à voir que quiconque, que le plus ennuyeux
fidèle des Verdurin, quand il se reportait à un monde pour qui il
était l’homme exquis par excellence, qu’on faisait tout pour attirer,
qu’on se désolait de ne pas voir, il recommençait à croire à
l’existence d’une vie plus heureuse, presque à en éprouver l’appétit,
comme il arrive à un malade alité depuis des mois, à la diète, et qui
aperçoit dans un journal le menu d’un déjeuner officiel ou l’annonce
d’une croisière en Sicile.
S’il était obligé de donner des excuses aux gens du monde pour ne pas
leur faire de visites, c’était de lui en faire qu’il cherchait à
s’excuser auprès d’Odette. Encore les payait-il (se demandant à la fin
du mois, pour peu qu’il eût un peu abusé de sa patience et fût allé
souvent la voir, si c’était assez de lui envoyer quatre mille francs),
et pour chacune trouvait un prétexte, un présent à lui apporter, un
renseignement dont elle avait besoin, M. de Charlus qu’elle avait
rencontré allant chez elle, et qui avait exigé qu’il l’accompagnât. Et
à défaut d’aucun, il priait M. de Charlus de courir chez elle, de lui
dire comme spontanément, au cours de la conversation, qu’il se
rappelait avoir à parler à Swann, qu’elle voulût bien lui faire
demander de passer tout de suite chez elle; mais le plus souvent Swann
attendait en vain et M. de Charlus lui disait le soir que son moyen
n’avait pas réussi. De sorte que si elle faisait maintenant de
fréquentes absences, même à Paris, quand elle y restait, elle le
voyait peu, et elle qui, quand elle l’aimait, lui disait: «Je suis
toujours libre» et «Qu’est-ce que l’opinion des autres peut me
faire?», maintenant, chaque fois qu’il voulait la voir, elle invoquait
les convenances ou prétextait des occupations. Quand il parlait
d’aller à une fête de charité, à un vernissage, à une première, où
elle serait, elle lui disait qu’il voulait afficher leur liaison,
qu’il la traitait comme une fille. C’est au point que pour tâcher de
n’être pas partout privé de la rencontrer, Swann qui savait qu’elle
connaissait et affectionnait beaucoup mon grand-oncle Adolphe dont il
avait été lui-même l’ami, alla le voir un jour dans son petit
appartement de la rue de Bellechasse afin de lui demander d’user de
son influence sur Odette. Comme elle prenait toujours, quand elle
parlait à Swann, de mon oncle, des airs poétiques, disant: «Ah! lui,
ce n’est pas comme toi, c’est une si belle chose, si grande, si jolie,
que son amitié pour moi. Ce n’est pas lui qui me considérerait assez
peu pour vouloir se montrer avec moi dans tous les lieux publics»,
Swann fut embarrassé et ne savait pas à quel ton il devait se hausser
pour parler d’elle à mon oncle. Il posa d’abord l’excellence a priori
d’Odette, l’axiome de sa supra-humanité séraphique, la révélation de
ses vertus indémontrables et dont la notion ne pouvait dériver de
l’expérience. «Je veux parler avec vous. Vous, vous savez quelle femme
au-dessus de toutes les femmes, quel être adorable, quel ange est
Odette. Mais vous savez ce que c’est que la vie de Paris. Tout le
monde ne connaît pas Odette sous le jour où nous la connaissons vous
et moi. Alors il y a des gens qui trouvent que je joue un rôle un peu
ridicule; elle ne peut même pas admettre que je la rencontre dehors,
au théâtre. Vous, en qui elle a tant de confiance, ne pourriez-vous
lui dire quelques mots pour moi, lui assurer qu’elle s’exagère le tort
qu’un salut de moi lui cause?»
Mon oncle conseilla à Swann de rester un peu sans voir Odette qui ne
l’en aimerait que plus, et à Odette de laisser Swann la retrouver
partout où cela lui plairait. Quelques jours après, Odette disait à
Swann qu’elle venait d’avoir une déception en voyant que mon oncle
était pareil à tous les hommes: il venait d’essayer de la prendre de
force. Elle calma Swann qui au premier moment voulait aller provoquer
mon oncle, mais il refusa de lui serrer la main quand il le rencontra.
Il regretta d’autant plus cette brouille avec mon oncle Adolphe qu’il
avait espéré, s’il l’avait revu quelquefois et avait pu causer en
toute confiance avec lui, tâcher de tirer au clair certains bruits
relatifs à la vie qu’Odette avait menée autrefois à Nice. Or mon oncle
Adolphe y passait l’hiver. Et Swann pensait que c’était même peut-être
là qu’il avait connu Odette. Le peu qui avait échappé à quelqu’un
devant lui, relativement à un homme qui aurait été l’amant d’Odette
avait bouleversé Swann. Mais les choses qu’il aurait avant de les
connaître, trouvé le plus affreux d’apprendre et le plus impossible de
croire, une fois qu’il les savait, elles étaient incorporées à tout
jamais à sa tristesse, il les admettait, il n’aurait plus pu
comprendre qu’elles n’eussent pas été. Seulement chacune opérait sur
l’idée qu’il se faisait de sa maîtresse une retouche ineffaçable. Il
crut même comprendre, une fois, que cette légèreté des mœurs d’Odette
qu’il n’eût pas soupçonnée, était assez connue, et qu’à Bade et à
Nice, quand elle y passait jadis plusieurs mois, elle avait eu une
sorte de notoriété galante. Il chercha, pour les interroger, à se
rapprocher de certains viveurs; mais ceux-ci savaient qu’il
connaissait Odette; et puis il avait peur de les faire penser de
nouveau à elle, de les mettre sur ses traces. Mais lui à qui jusque-là
rien n’aurait pu paraître aussi fastidieux que tout ce qui se
rapportait à la vie cosmopolite de Bade ou de Nice, apprenant
qu’Odette avait peut-être fait autrefois la fête dans ces villes de
plaisir, sans qu’il dût jamais arriver à savoir si c’était seulement
pour satisfaire à des besoins d’argent que grâce à lui elle n’avait
plus, ou à des caprices qui pouvaient renaître, maintenant il se
penchait avec une angoisse impuissante, aveugle et vertigineuse vers
l’abîme sans fond où étaient allées s’engloutir ces années du début du
Septennat pendant lesquelles on passait l’hiver sur la promenade des
Anglais, l’été sous les tilleuls de Bade, et il leur trouvait une
profondeur douloureuse mais magnifique comme celle que leur eût prêtée
un poète; et il eût mis à reconstituer les petits faits de la
chronique de la Côte d’Azur d’alors, si elle avait pu l’aider à
comprendre quelque chose du sourire ou des regards--pourtant si
honnêtes et si simples--d’Odette, plus de passion que l’esthéticien qui
interroge les documents subsistant de la Florence du XVe siècle pour
tâcher d’entrer plus avant dans l’âme de la Primavera, de la bella
Vanna, ou de la Vénus, de Botticelli. Souvent sans lui rien dire il la
regardait, il songeait; elle lui disait: «Comme tu as l’air triste!»
Il n’y avait pas bien longtemps encore, de l’idée qu’elle était une
créature bonne, analogue aux meilleures qu’il eût connues, il avait
passé à l’idée qu’elle était une femme entretenue; inversement il lui
était arrivé depuis de revenir de l’Odette de Crécy, peut-être trop
connue des fêtards, des hommes à femmes, à ce visage d’une expression
parfois si douce, à cette nature si humaine. Il se disait: «Qu’est-ce
que cela veut dire qu’à Nice tout le monde sache qui est Odette de
Crécy? Ces réputations-là, même vraies, sont faites avec les idées des
autres»; il pensait que cette légende--fût-elle authentique--était
extérieure à Odette, n’était pas en elle comme une personnalité
irréductible et malfaisante; que la créature qui avait pu être amenée
à mal faire, c’était une femme aux bons yeux, au cœur plein de pitié
pour la souffrance, au corps docile qu’il avait tenu, qu’il avait
serré dans ses bras et manié, une femme qu’il pourrait arriver un jour
à posséder toute, s’il réussissait à se rendre indispensable à elle.
Elle était là, souvent fatiguée, le visage vidé pour un instant de la
préoccupation fébrile et joyeuse des choses inconnues qui faisaient
souffrir Swann; elle écartait ses cheveux avec ses mains; son front,
sa figure paraissaient plus larges; alors, tout d’un coup, quelque
pensée simplement humaine, quelque bon sentiment comme il en existe
dans toutes les créatures, quand dans un moment de repos ou de
repliement elles sont livrées à elles-mêmes, jaillissait dans ses yeux
comme un rayon jaune. Et aussitôt tout son visage s’éclairait comme
une campagne grise, couverte de nuages qui soudain s’écartent, pour sa
transfiguration, au moment du soleil couchant. La vie qui était en
Odette à ce moment-là, l’avenir même qu’elle semblait rêveusement
regarder, Swann aurait pu les partager avec elle; aucune agitation
mauvaise ne semblait y avoir laissé de résidu. Si rares qu’ils
devinssent, ces moments-là ne furent pas inutiles. Par le souvenir
Swann reliait ces parcelles, abolissait les intervalles, coulait comme
en or une Odette de bonté et de calme pour laquelle il fit plus tard
(comme on le verra dans la deuxième partie de cet ouvrage) des
sacrifices que l’autre Odette n’eût pas obtenus. Mais que ces moments
étaient rares, et que maintenant il la voyait peu! Même pour leur
rendez-vous du soir, elle ne lui disait qu’à la dernière minute si
elle pourrait le lui accorder car, comptant qu’elle le trouverait
toujours libre, elle voulait d’abord être certaine que personne
d’autre ne lui proposerait de venir. Elle alléguait qu’elle était
obligée d’attendre une réponse de la plus haute importance pour elle,
et même si après qu’elle avait fait venir Swann des amis demandaient à
Odette, quand la soirée était déjà commencée, de les rejoindre au
théâtre ou à souper, elle faisait un bond joyeux et s’habillait à la
hâte. Au fur et à mesure qu’elle avançait dans sa toilette, chaque
mouvement qu’elle faisait rapprochait Swann du moment où il faudrait
la quitter, où elle s’enfuirait d’un élan irrésistible; et quand,
enfin prête, plongeant une dernière fois dans son miroir ses regards
tendus et éclairés par l’attention, elle remettait un peu de rouge à
ses lèvres, fixait une mèche sur son front et demandait son manteau de
soirée bleu ciel avec des glands d’or, Swann avait l’air si triste
qu’elle ne pouvait réprimer un geste d’impatience et disait: «Voilà
comme tu me remercies de t’avoir gardé jusqu’à la dernière minute. Moi
qui croyais avoir fait quelque chose de gentil. C’est bon à savoir
pour une autre fois!» Parfois, au risque de la fâcher, il se
promettait de chercher à savoir où elle était allée, il rêvait d’une
alliance avec Forcheville qui peut-être aurait pu le renseigner.
D’ailleurs quand il savait avec qui elle passait la soirée, il était
bien rare qu’il ne pût pas découvrir dans toutes ses relations à lui
quelqu’un qui connaissait fût-ce indirectement l’homme avec qui elle
était sortie et pouvait facilement en obtenir tel ou tel
renseignement. Et tandis qu’il écrivait à un de ses amis pour lui
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