Du côté de chez Swann - 25

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Physiquement, elle traversait une mauvaise phase: elle épaississait;
et le charme expressif et dolent, les regards étonnés et rêveurs
qu’elle avait autrefois semblaient avoir disparu avec sa première
jeunesse. De sorte qu’elle était devenue si chère à Swann au moment
pour ainsi dire où il la trouvait précisément bien moins jolie. Il la
regardait longuement pour tâcher de ressaisir le charme qu’il lui
avait connu, et ne le retrouvait pas. Mais savoir que sous cette
chrysalide nouvelle, c’était toujours Odette qui vivait, toujours la
même volonté fugace, insaisissable et sournoise, suffisait à Swann
pour qu’il continuât de mettre la même passion à chercher à la capter.
Puis il regardait des photographies d’il y avait deux ans, il se
rappelait comme elle avait été délicieuse. Et cela le consolait un peu
de se donner tant de mal pour elle.
Quand les Verdurin l’emmenaient à Saint-Germain, à Chatou, à Meulan,
souvent, si c’était dans la belle saison, ils proposaient, sur place,
de rester à coucher et de ne revenir que le lendemain. Mme Verdurin
cherchait à apaiser les scrupules du pianiste dont la tante était
restée à Paris.
--Elle sera enchantée d’être débarrassée de vous pour un jour. Et
comment s’inquiéterait-elle, elle vous sait avec nous? d’ailleurs je
prends tout sous mon bonnet.
Mais si elle n’y réussissait pas, M. Verdurin partait en campagne,
trouvait un bureau de télégraphe ou un messager et s’informait de ceux
des fidèles qui avaient quelqu’un à faire prévenir. Mais Odette le
remerciait et disait qu’elle n’avait de dépêche à faire pour personne,
car elle avait dit à Swann une fois pour toutes qu’en lui en envoyant
une aux yeux de tous, elle se compromettrait. Parfois c’était pour
plusieurs jours qu’elle s’absentait, les Verdurin l’emmenaient voir
les tombeaux de Dreux, ou à Compiègne admirer, sur le conseil du
peintre, des couchers de soleil en forêt et on poussait jusqu’au
château de Pierrefonds.
--«Penser qu’elle pourrait visiter de vrais monuments avec moi qui ai
étudié l’architecture pendant dix ans et qui suis tout le temps
supplié de mener à Beauvais ou à Saint-Loup-de-Naud des gens de la
plus haute valeur et ne le ferais que pour elle, et qu’à la place elle
va avec les dernières des brutes s’extasier successivement devant les
déjections de Louis-Philippe et devant celles de Viollet-le-Duc! Il me
semble qu’il n’y a pas besoin d’être artiste pour cela et que, même
sans flair particulièrement fin, on ne choisit pas d’aller
villégiaturer dans des latrines pour être plus à portée de respirer
des excréments.»
Mais quand elle était partie pour Dreux ou pour Pierrefonds,--hélas,
sans lui permettre d’y aller, comme par hasard, de son côté, car «cela
ferait un effet déplorable», disait-elle,--il se plongeait dans le plus
enivrant des romans d’amour, l’indicateur des chemins de fer, qui lui
apprenait les moyens de la rejoindre, l’après-midi, le soir, ce matin
même! Le moyen? presque davantage: l’autorisation. Car enfin
l’indicateur et les trains eux-mêmes n’étaient pas faits pour des
chiens. Si on faisait savoir au public, par voie d’imprimés, qu’à huit
heures du matin partait un train qui arrivait à Pierrefonds à dix
heures, c’est donc qu’aller à Pierrefonds était un acte licite, pour
lequel la permission d’Odette était superflue; et c’était aussi un
acte qui pouvait avoir un tout autre motif que le désir de rencontrer
Odette, puisque des gens qui ne la connaissaient pas l’accomplissaient
chaque jour, en assez grand nombre pour que cela valût la peine de
faire chauffer des locomotives.
En somme elle ne pouvait tout de même pas l’empêcher d’aller à
Pierrefonds s’il en avait envie! Or, justement, il sentait qu’il en
avait envie, et que s’il n’avait pas connu Odette, certainement il y
serait allé. Il y avait longtemps qu’il voulait se faire une idée plus
précise des travaux de restauration de Viollet-le-Duc. Et par le temps
qu’il faisait, il éprouvait l’impérieux désir d’une promenade dans la
forêt de Compiègne.
Ce n’était vraiment pas de chance qu’elle lui défendît le seul endroit
qui le tentait aujourd’hui. Aujourd’hui! S’il y allait, malgré son
interdiction, il pourrait la voir aujourd’hui même! Mais, alors que,
si elle eût retrouvé à Pierrefonds quelque indifférent, elle lui eût
dit joyeusement: «Tiens, vous ici!», et lui aurait demandé d’aller la
voir à l’hôtel où elle était descendue avec les Verdurin, au contraire
si elle l’y rencontrait, lui, Swann, elle serait froissée, elle se
dirait qu’elle était suivie, elle l’aimerait moins, peut-être se
détournerait-elle avec colère en l’apercevant. «Alors, je n’ai plus le
droit de voyager!», lui dirait-elle au retour, tandis qu’en somme
c’était lui qui n’avait plus le droit de voyager!
Il avait eu un moment l’idée, pour pouvoir aller à Compiègne et à
Pierrefonds sans avoir l’air que ce fût pour rencontrer Odette, de s’y
faire emmener par un de ses amis, le marquis de Forestelle, qui avait
un château dans le voisinage. Celui-ci, à qui il avait fait part de
son projet sans lui en dire le motif, ne se sentait pas de joie et
s’émerveillait que Swann, pour la première fois depuis quinze ans,
consentît enfin à venir voir sa propriété et, quoiqu’il ne voulait pas
s’y arrêter, lui avait-il dit, lui promît du moins de faire ensemble
des promenades et des excursions pendant plusieurs jours. Swann
s’imaginait déjà là-bas avec M. de Forestelle. Même avant d’y voir
Odette, même s’il ne réussissait pas à l’y voir, quel bonheur il
aurait à mettre le pied sur cette terre où ne sachant pas l’endroit
exact, à tel moment, de sa présence, il sentirait palpiter partout la
possibilité de sa brusque apparition: dans la cour du château, devenu
beau pour lui parce que c’était à cause d’elle qu’il était allé le
voir; dans toutes les rues de la ville, qui lui semblait romanesque;
sur chaque route de la forêt, rosée par un couchant profond et
tendre;--asiles innombrables et alternatifs, où venait simultanément se
réfugier, dans l’incertaine ubiquité de ses espérances, son cœur
heureux, vagabond et multiplié. «Surtout, dirait-il à M. de
Forestelle, prenons garde de ne pas tomber sur Odette et les Verdurin;
je viens d’apprendre qu’ils sont justement aujourd’hui à Pierrefonds.
On a assez le temps de se voir à Paris, ce ne serait pas la peine de
le quitter pour ne pas pouvoir faire un pas les uns sans les autres.»
Et son ami ne comprendrait pas pourquoi une fois là-bas il changerait
vingt fois de projets, inspecterait les salles à manger de tous les
hôtels de Compiègne sans se décider à s’asseoir dans aucune de celles
où pourtant on n’avait pas vu trace de Verdurin, ayant l’air de
rechercher ce qu’il disait vouloir fuir et du reste le fuyant dès
qu’il l’aurait trouvé, car s’il avait rencontré le petit groupe, il
s’en serait écarté avec affectation, content d’avoir vu Odette et
qu’elle l’eût vu, surtout qu’elle l’eût vu ne se souciant pas d’elle.
Mais non, elle devinerait bien que c’était pour elle qu’il était là.
Et quand M. de Forestelle venait le chercher pour partir, il lui
disait: «Hélas! non, je ne peux pas aller aujourd’hui à Pierrefonds,
Odette y est justement.» Et Swann était heureux malgré tout de sentir
que, si seul de tous les mortels il n’avait pas le droit en ce jour
d’aller à Pierrefonds, c’était parce qu’il était en effet pour Odette
quelqu’un de différent des autres, son amant, et que cette restriction
apportée pour lui au droit universel de libre circulation, n’était
qu’une des formes de cet esclavage, de cet amour qui lui était si
cher. Décidément il valait mieux ne pas risquer de se brouiller avec
elle, patienter, attendre son retour. Il passait ses journées penché
sur une carte de la forêt de Compiègne comme si ç’avait été la carte
du Tendre, s’entourait de photographies du château de Pierrefonds. Dés
que venait le jour où il était possible qu’elle revînt, il rouvrait
l’indicateur, calculait quel train elle avait dû prendre, et si elle
s’était attardée, ceux qui lui restaient encore. Il ne sortait pas de
peur de manquer une dépêche, ne se couchait pas, pour le cas où,
revenue par le dernier train, elle aurait voulu lui faire la surprise
de venir le voir au milieu de la nuit. Justement il entendait sonner à
la porte cochère, il lui semblait qu’on tardait à ouvrir, il voulait
éveiller le concierge, se mettait à la fenêtre pour appeler Odette si
c’était elle, car malgré les recommandations qu’il était descendu
faire plus de dix fois lui-même, on était capable de lui dire qu’il
n’était pas là. C’était un domestique qui rentrait. Il remarquait le
vol incessant des voitures qui passaient, auquel il n’avait jamais
fait attention autrefois. Il écoutait chacune venir au loin,
s’approcher, dépasser sa porte sans s’être arrêtée et porter plus loin
un message qui n’était pas pour lui. Il attendait toute la nuit, bien
inutilement, car les Verdurin ayant avancé leur retour, Odette était à
Paris depuis midi; elle n’avait pas eu l’idée de l’en prévenir; ne
sachant que faire elle avait été passer sa soirée seule au théâtre et
il y avait longtemps qu’elle était rentrée se coucher et dormait.
C’est qu’elle n’avait même pas pensé à lui. Et de tels moments où elle
oubliait jusqu’à l’existence de Swann étaient plus utiles à Odette,
servaient mieux à lui attacher Swann, que toute sa coquetterie. Car
ainsi Swann vivait dans cette agitation douloureuse qui avait déjà été
assez puissante pour faire éclore son amour le soir où il n’avait pas
trouvé Odette chez les Verdurin et l’avait cherchée toute la soirée.
Et il n’avait pas, comme j’eus à Combray dans mon enfance, des
journées heureuses pendant lesquelles s’oublient les souffrances qui
renaîtront le soir. Les journées, Swann les passait sans Odette; et
par moments il se disait que laisser une aussi jolie femme sortir
ainsi seule dans Paris était aussi imprudent que de poser un écrin
plein de bijoux au milieu de la rue. Alors il s’indignait contre tous
les passants comme contre autant de voleurs. Mais leur visage
collectif et informe échappant à son imagination ne nourrissait pas sa
jalousie. Il fatiguait la pensée de Swann, lequel, se passant la main
sur les yeux, s’écriait: «À la grâce de Dieu», comme ceux qui après
s’être acharnés à étreindre le problème de la réalité du monde
extérieur ou de l’immortalité de l’âme accordent la détente d’un acte
de foi à leur cerveau lassé. Mais toujours la pensée de l’absente
était indissolublement mêlée aux actes les plus simples de la vie de
Swann,--déjeuner, recevoir son courrier, sortir, se coucher,--par la
tristesse même qu’il avait à les accomplir sans elle, comme ces
initiales de Philibert le Beau que dans l’église de Brou, à cause du
regret qu’elle avait de lui, Marguerite d’Autriche entrelaça partout
aux siennes. Certains jours, au lieu de rester chez lui, il allait
prendre son déjeuner dans un restaurant assez voisin dont il avait
apprécié autrefois la bonne cuisine et où maintenant il n’allait plus
que pour une de ces raisons, à la fois mystiques et saugrenues, qu’on
appelle romanesques; c’est que ce restaurant (lequel existe encore)
portait le même nom que la rue habitée par Odette: Lapérouse.
Quelquefois, quand elle avait fait un court déplacement ce n’est
qu’après plusieurs jours qu’elle songeait à lui faire savoir qu’elle
était revenue à Paris. Et elle lui disait tout simplement, sans plus
prendre comme autrefois la précaution de se couvrir à tout hasard d’un
petit morceau emprunté à la vérité, qu’elle venait d’y rentrer à
l’instant même par le train du matin. Ces paroles étaient mensongères;
du moins pour Odette elles étaient mensongères, inconsistantes,
n’ayant pas, comme si elles avaient été vraies, un point d’appui dans
le souvenir de son arrivée à la gare; même elle était empêchée de se
les représenter au moment où elle les prononçait, par l’image
contradictoire de ce qu’elle avait fait de tout différent au moment où
elle prétendait être descendue du train. Mais dans l’esprit de Swann
au contraire ces paroles qui ne rencontraient aucun obstacle venaient
s’incruster et prendre l’inamovibilité d’une vérité si indubitable que
si un ami lui disait être venu par ce train et ne pas avoir vu Odette
il était persuadé que c’était l’ami qui se trompait de jour ou d’heure
puisque son dire ne se conciliait pas avec les paroles d’Odette.
Celles-ci ne lui eussent paru mensongères que s’il s’était d’abord
défié qu’elles le fussent. Pour qu’il crût qu’elle mentait, un soupçon
préalable était une condition nécessaire. C’était d’ailleurs aussi une
condition suffisante. Alors tout ce que disait Odette lui paraissait
suspect. L’entendait-il citer un nom, c’était certainement celui d’un
de ses amants; une fois cette supposition forgée, il passait des
semaines à se désoler; il s’aboucha même une fois avec une agence de
renseignements pour savoir l’adresse, l’emploi du temps de l’inconnu
qui ne le laisserait respirer que quand il serait parti en voyage, et
dont il finit par apprendre que c’était un oncle d’Odette mort depuis
vingt ans.
Bien qu’elle ne lui permît pas en général de la rejoindre dans des
lieux publics disant que cela ferait jaser, il arrivait que dans une
soirée où il était invité comme elle,--chez Forcheville, chez le
peintre, ou à un bal de charité dans un ministère,--il se trouvât en
même temps qu’elle. Il la voyait mais n’osait pas rester de peur de
l’irriter en ayant l’air d’épier les plaisirs qu’elle prenait avec
d’autres et qui--tandis qu’il rentrait solitaire, qu’il allait se
coucher anxieux comme je devais l’être moi-même quelques années plus
tard les soirs où il viendrait dîner à la maison, à Combray--lui
semblaient illimités parce qu’il n’en avait pas vu la fin. Et une fois
ou deux il connut par de tels soirs de ces joies qu’on serait tenté,
si elles ne subissaient avec tant de violence le choc en retour de
l’inquiétude brusquement arrêtée, d’appeler des joies calmes, parce
qu’elles consistent en un apaisement: il était allé passer un instant
à un raout chez le peintre et s’apprêtait à le quitter; il y laissait
Odette muée en une brillante étrangère, au milieu d’hommes à qui ses
regards et sa gaieté qui n’étaient pas pour lui, semblaient parler de
quelque volupté, qui serait goûtée là ou ailleurs (peut-être au «Bal
des Incohérents» où il tremblait qu’elle n’allât ensuite) et qui
causait à Swann plus de jalousie que l’union charnelle même parce
qu’il l’imaginait plus difficilement; il était déjà prêt à passer la
porte de l’atelier quand il s’entendait rappeler par ces mots (qui en
retranchant de la fête cette fin qui l’épouvantait, la lui rendaient
rétrospectivement innocente, faisaient du retour d’Odette une chose
non plus inconcevable et terrible, mais douce et connue et qui
tiendrait à côté de lui, pareille à un peu de sa vie de tous les
jours, dans sa voiture, et dépouillait Odette elle-même de son
apparence trop brillante et gaie, montraient que ce n’était qu’un
déguisement qu’elle avait revêtu un moment, pour lui-même, non en vue
de mystérieux plaisirs, et duquel elle était déjà lasse), par ces mots
qu’Odette lui jetait, comme il était déjà sur le seuil: «Vous ne
voudriez pas m’attendre cinq minutes, je vais partir, nous
reviendrions ensemble, vous me ramèneriez chez moi.»
Il est vrai qu’un jour Forcheville avait demandé à être ramené en même
temps, mais comme, arrivé devant la porte d’Odette il avait sollicité
la permission d’entrer aussi, Odette lui avait répondu en montrant
Swann: «Ah! cela dépend de ce monsieur-là, demandez-lui. Enfin, entrez
un moment si vous voulez, mais pas longtemps parce que je vous
préviens qu’il aime causer tranquillement avec moi, et qu’il n’aime
pas beaucoup qu’il y ait des visites quand il vient. Ah! si vous
connaissiez cet être-là autant que je le connais; n’est-ce pas, my
love, il n’y a que moi qui vous connaisse bien?»
Et Swann était peut-être encore plus touché de la voir ainsi lui
adresser en présence de Forcheville, non seulement ces paroles de
tendresse, de prédilection, mais encore certaines critiques comme: «Je
suis sûre que vous n’avez pas encore répondu à vos amis pour votre
dîner de dimanche. N’y allez pas si vous ne voulez pas, mais soyez au
moins poli», ou: «Avez-vous laissé seulement ici votre essai sur Ver
Meer pour pouvoir l’avancer un peu demain? Quel paresseux! Je vous
ferai travailler, moi!» qui prouvaient qu’Odette se tenait au courant
de ses invitations dans le monde et de ses études d’art, qu’ils
avaient bien une vie à eux deux. Et en disant cela elle lui adressait
un sourire au fond duquel il la sentait toute à lui.
Alors à ces moments-là, pendant qu’elle leur faisait de l’orangeade,
tout d’un coup, comme quand un réflecteur mal réglé d’abord promène
autour d’un objet, sur la muraille, de grandes ombres fantastiques qui
viennent ensuite se replier et s’anéantir en lui, toutes les idées
terribles et mouvantes qu’il se faisait d’Odette s’évanouissaient,
rejoignaient le corps charmant que Swann avait devant lui. Il avait le
brusque soupçon que cette heure passée chez Odette, sous la lampe,
n’était peut-être pas une heure factice, à son usage à lui (destinée à
masquer cette chose effrayante et délicieuse à laquelle il pensait
sans cesse sans pouvoir bien se la représenter, une heure de la vraie
vie d’Odette, de la vie d’Odette quand lui n’était pas là), avec des
accessoires de théâtre et des fruits de carton, mais était peut-être
une heure pour de bon de la vie d’Odette, que s’il n’avait pas été là
elle eût avancé à Forcheville le même fauteuil et lui eût versé non un
breuvage inconnu, mais précisément cette orangeade; que le monde
habité par Odette n’était pas cet autre monde effroyable et surnaturel
où il passait son temps à la situer et qui n’existait peut-être que
dans son imagination, mais l’univers réel, ne dégageant aucune
tristesse spéciale, comprenant cette table où il allait pouvoir écrire
et cette boisson à laquelle il lui serait permis de goûter, tous ces
objets qu’il contemplait avec autant de curiosité et d’admiration que
de gratitude, car si en absorbant ses rêves ils l’en avaient délivré,
eux en revanche, s’en étaient enrichis, ils lui en montraient la
réalisation palpable, et ils intéressaient son esprit, ils prenaient
du relief devant ses regards, en même temps qu’ils tranquillisaient
son cœur. Ah! si le destin avait permis qu’il pût n’avoir qu’une seule
demeure avec Odette et que chez elle il fût chez lui, si en demandant
au domestique ce qu’il y avait à déjeuner c’eût été le menu d’Odette
qu’il avait appris en réponse, si quand Odette voulait aller le matin
se promener avenue du Bois-de-Boulogne, son devoir de bon mari l’avait
obligé, n’eût-il pas envie de sortir, à l’accompagner, portant son
manteau quand elle avait trop chaud, et le soir après le dîner si elle
avait envie de rester chez elle en déshabillé, s’il avait été forcé de
rester là près d’elle, à faire ce qu’elle voudrait; alors combien tous
les riens de la vie de Swann qui lui semblaient si tristes, au
contraire parce qu’ils auraient en même temps fait partie de la vie
d’Odette auraient pris, même les plus familiers,--et comme cette lampe,
cette orangeade, ce fauteuil qui contenaient tant de rêve, qui
matérialisaient tant de désir--une sorte de douceur surabondante et de
densité mystérieuse.
Pourtant il se doutait bien que ce qu’il regrettait ainsi c’était un
calme, une paix qui n’auraient pas été pour son amour une atmosphère
favorable. Quand Odette cesserait d’être pour lui une créature
toujours absente, regrettée, imaginaire, quand le sentiment qu’il
aurait pour elle ne serait plus ce même trouble mystérieux que lui
causait la phrase de la sonate, mais de l’affection, de la
reconnaissance quand s’établiraient entre eux des rapports normaux qui
mettraient fin à sa folie et à sa tristesse, alors sans doute les
actes de la vie d’Odette lui paraîtraient peu intéressants en
eux-mêmes--comme il avait déjà eu plusieurs fois le soupçon qu’ils
étaient, par exemple le jour où il avait lu à travers l’enveloppe la
lettre adressée à Forcheville. Considérant son mal avec autant de
sagacité que s’il se l’était inoculé pour en faire l’étude, il se
disait que, quand il serait guéri, ce que pourrait faire Odette lui
serait indifférent. Mais du sein de son état morbide, à vrai dire, il
redoutait à l’égal de la mort une telle guérison, qui eût été en effet
la mort de tout ce qu’il était actuellement.
Après ces tranquilles soirées, les soupçons de Swann étaient calmés;
il bénissait Odette et le lendemain, dès le matin, il faisait envoyer
chez elle les plus beaux bijoux, parce que ces bontés de la veille
avaient excité ou sa gratitude, ou le désir de les voir se renouveler,
ou un paroxysme d’amour qui avait besoin de se dépenser.
Mais, à d’autres moments, sa douleur le reprenait, il s’imaginait
qu’Odette était la maîtresse de Forcheville et que quand tous deux
l’avaient vu, du fond du landau des Verdurin, au Bois, la veille de la
fête de Chatou où il n’avait pas été invité, la prier vainement, avec
cet air de désespoir qu’avait remarqué jusqu’à son cocher, de revenir
avec lui, puis s’en retourner de son côté, seul et vaincu, elle avait
dû avoir pour le désigner à Forcheville et lui dire: «Hein! ce qu’il
rage!» les mêmes regards, brillants, malicieux, abaissés et sournois,
que le jour où celui-ci avait chassé Saniette de chez les Verdurin.
Alors Swann la détestait. «Mais aussi, je suis trop bête, se
disait-il, je paie avec mon argent le plaisir des autres. Elle fera
tout de même bien de faire attention et de ne pas trop tirer sur la
corde, car je pourrais bien ne plus rien donner du tout. En tous cas,
renonçons provisoirement aux gentillesses supplémentaires! Penser que
pas plus tard qu’hier, comme elle disait avoir envie d’assister à la
saison de Bayreuth, j’ai eu la bêtise de lui proposer de louer un des
jolis châteaux du roi de Bavière pour nous deux dans les environs. Et
d’ailleurs elle n’a pas paru plus ravie que cela, elle n’a encore dit
ni oui ni non; espérons qu’elle refusera, grand Dieu! Entendre du
Wagner pendant quinze jours avec elle qui s’en soucie comme un poisson
d’une pomme, ce serait gai!» Et sa haine, tout comme son amour, ayant
besoin de se manifester et d’agir, il se plaisait à pousser de plus en
plus loin ses imaginations mauvaises, parce que, grâce aux perfidies
qu’il prêtait à Odette, il la détestait davantage et pourrait si--ce
qu’il cherchait à se figurer--elles se trouvaient être vraies, avoir
une occasion de la punir et d’assouvir sur elle sa rage grandissante.
Il alla ainsi jusqu’à supposer qu’il allait recevoir une lettre d’elle
où elle lui demanderait de l’argent pour louer ce château près de
Bayreuth, mais en le prévenant qu’il n’y pourrait pas venir, parce
qu’elle avait promis à Forcheville et aux Verdurin de les inviter. Ah!
comme il eût aimé qu’elle pût avoir cette audace. Quelle joie il
aurait à refuser, à rédiger la réponse vengeresse dont il se
complaisait à choisir, à énoncer tout haut les termes, comme s’il
avait reçu la lettre en réalité.
Or, c’est ce qui arriva le lendemain même. Elle lui écrivit que les
Verdurin et leurs amis avaient manifesté le désir d’assister à ces
représentations de Wagner et que, s’il voulait bien lui envoyer cet
argent, elle aurait enfin, après avoir été si souvent reçue chez eux,
le plaisir de les inviter à son tour. De lui, elle ne disait pas un
mot, il était sous-entendu que leur présence excluait la sienne.
Alors cette terrible réponse dont il avait arrêté chaque mot la veille
sans oser espérer qu’elle pourrait servir jamais il avait la joie de
la lui faire porter. Hélas! il sentait bien qu’avec l’argent qu’elle
avait, ou qu’elle trouverait facilement, elle pourrait tout de même
louer à Bayreuth puisqu’elle en avait envie, elle qui n’était pas
capable de faire de différence entre Bach et Clapisson. Mais elle y
vivrait malgré tout plus chichement. Pas moyen comme s’il lui eût
envoyé cette fois quelques billets de mille francs, d’organiser chaque
soir, dans un château, de ces soupers fins après lesquels elle se
serait peut-être passé la fantaisie,--qu’il était possible qu’elle
n’eût jamais eue encore--, de tomber dans les bras de Forcheville. Et
puis du moins, ce voyage détesté, ce n’était pas lui, Swann, qui le
paierait!--Ah! s’il avait pu l’empêcher, si elle avait pu se fouler le
pied avant de partir, si le cocher de la voiture qui l’emmènerait à la
gare avait consenti, à n’importe quel prix, à la conduire dans un lieu
où elle fût restée quelque temps séquestrée, cette femme perfide, aux
yeux émaillés par un sourire de complicité adressé à Forcheville,
qu’Odette était pour Swann depuis quarante-huit heures.
Mais elle ne l’était jamais pour très longtemps; au bout de quelques
jours le regard luisant et fourbe perdait de son éclat et de sa
duplicité, cette image d’une Odette exécrée disant à Forcheville: «Ce
qu’il rage!» commençait à pâlir, à s’effacer. Alors, progressivement
reparaissait et s’élevait en brillant doucement, le visage de l’autre
Odette, de celle qui adressait aussi un sourire à Forcheville, mais un
sourire où il n’y avait pour Swann que de la tendresse, quand elle
disait: «Ne restez pas longtemps, car ce monsieur-là n’aime pas
beaucoup que j’aie des visites quand il a envie d’être auprès de moi.
Ah! si vous connaissiez cet être-là autant que je le connais!», ce
même sourire qu’elle avait pour remercier Swann de quelque trait de sa
délicatesse qu’elle prisait si fort, de quelque conseil qu’elle lui
avait demandé dans une de ces circonstances graves où elle n’avait
confiance qu’en lui.
Alors, à cette Odette-là, il se demandait comment il avait pu écrire
cette lettre outrageante dont sans doute jusqu’ici elle ne l’eût pas
cru capable, et qui avait dû le faire descendre du rang élevé, unique,
que par sa bonté, sa loyauté, il avait conquis dans son estime. Il
allait lui devenir moins cher, car c’était pour ces qualités-là,
qu’elle ne trouvait ni à Forcheville ni à aucun autre, qu’elle
l’aimait. C’était à cause d’elles qu’Odette lui témoignait si souvent
une gentillesse qu’il comptait pour rien au moment où il était jaloux,
parce qu’elle n’était pas une marque de désir, et prouvait même plutôt
de l’affection que de l’amour, mais dont il recommençait à sentir
l’importance au fur et à mesure que la détente spontanée de ses
soupçons, souvent accentuée par la distraction que lui apportait une
lecture d’art ou la conversation d’un ami, rendait sa passion moins
exigeante de réciprocités.
Maintenant qu’après cette oscillation, Odette était naturellement
revenue à la place d’où la jalousie de Swann l’avait un moment
écartée, dans l’angle où il la trouvait charmante, il se la figurait
pleine de tendresse, avec un regard de consentement, si jolie ainsi,
qu’il ne pouvait s’empêcher d’avancer les lèvres vers elle comme si
elle avait été là et qu’il eût pu l’embrasser; et il lui gardait de ce
regard enchanteur et bon autant de reconnaissance que si elle venait
de l’avoir réellement et si cela n’eût pas été seulement son
imagination qui venait de le peindre pour donner satisfaction à son
désir.
Comme il avait dû lui faire de la peine! Certes il trouvait des
raisons valables à son ressentiment contre elle, mais elles n’auraient
pas suffi à le lui faire éprouver s’il ne l’avait pas autant aimée.
N’avait-il pas eu des griefs aussi graves contre d’autres femmes,
auxquelles il eût néanmoins volontiers rendu service aujourd’hui,
étant contre elles sans colère parce qu’il ne les aimait plus. S’il
devait jamais un jour se trouver dans le même état d’indifférence
vis-à-vis d’Odette, il comprendrait que c’était sa jalousie seule qui
lui avait fait trouver quelque chose d’atroce, d’impardonnable, à ce
désir, au fond si naturel, provenant d’un peu d’enfantillage et aussi
d’une certaine délicatesse d’âme, de pouvoir à son tour, puisqu’une
occasion s’en présentait, rendre des politesses aux Verdurin, jouer à
la maîtresse de maison.
Il revenait à ce point de vue--opposé à celui de son amour et de sa
jalousie et auquel il se plaçait quelquefois par une sorte d’équité
intellectuelle et pour faire la part des diverses probabilités--d’où il
essayait de juger Odette comme s’il ne l’avait pas aimée, comme si
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