Du côté de chez Swann - 29

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l’entendre dire au général. «Pourquoi? Qu’en savez-vous? Cela leur
serait peut-être tout ce qu’il y a de plus désagréable. Moi je ne sais
pas, mais si j’en juge par moi, cela m’ennuie déjà tant de voir les
personnes que je connais, je crois que s’il fallait voir des gens que
je ne connais pas, «même héroïques», je deviendrais folle. D’ailleurs,
voyons, sauf lorsqu’il s’agit de vieux amis comme vous qu’on connaît
sans cela, je ne sais pas si l’héroïsme serait d’un format très
portatif dans le monde. Ça m’ennuie déjà souvent de donner des dîners,
mais s’il fallait offrir le bras à Spartacus pour aller à table... Non
vraiment, ce ne serait jamais à Vercingétorix que je ferais signe
comme quatorzième. Je sens que je le réserverais pour les grandes
soirées. Et comme je n’en donne pas...»
--Ah! princesse, vous n’êtes pas Guermantes pour des prunes. Le
possédez-vous assez, l’esprit des Guermantes!
--Mais on dit toujours l’esprit des Guermantes, je n’ai jamais pu
comprendre pourquoi. Vous en connaissez donc d’autres qui en aient,
ajouta-t-elle dans un éclat de rire écumant et joyeux, les traits de
son visage concentrés, accouplés dans le réseau de son animation, les
yeux étincelants, enflammés d’un ensoleillement radieux de gaîté que
seuls avaient le pouvoir de faire rayonner ainsi les propos,
fussent-ils tenus par la princesse elle-même, qui étaient une louange
de son esprit ou de sa beauté. Tenez, voilà Swann qui a l’air de
saluer votre Cambremer; là... il est à côté de la mère Saint-Euverte,
vous ne voyez pas! Demandez-lui de vous présenter. Mais dépêchez-vous,
il cherche à s’en aller!
--Avez-vous remarqué quelle affreuse mine il a? dit le général.
--Mon petit Charles! Ah! enfin il vient, je commençais à supposer qu’il
ne voulait pas me voir!
Swann aimait beaucoup la princesse des Laumes, puis sa vue lui
rappelait Guermantes, terre voisine de Combray, tout ce pays qu’il
aimait tant et où il ne retournait plus pour ne pas s’éloigner
d’Odette. Usant des formes mi-artistes, mi-galantes, par lesquelles il
savait plaire à la princesse et qu’il retrouvait tout naturellement
quand il se retrempait un instant dans son ancien milieu,--et voulant
d’autre part pour lui-même exprimer la nostalgie qu’il avait de la
campagne:
--Ah! dit-il à la cantonade, pour être entendu à la fois de Mme de
Saint-Euverte à qui il parlait et de Mme des Laumes pour qui il
parlait, voici la charmante princesse! Voyez, elle est venue tout
exprès de Guermantes pour entendre le Saint-François d’Assise de Liszt
et elle n’a eu le temps, comme une jolie mésange, que d’aller piquer
pour les mettre sur sa tête quelques petits fruits de prunier des
oiseaux et d’aubépine; il y a même encore de petites gouttes de rosée,
un peu de la gelée blanche qui doit faire gémir la duchesse. C’est
très joli, ma chère princesse.
--Comment la princesse est venue exprès de Guermantes? Mais c’est trop!
Je ne savais pas, je suis confuse, s’écrie naïvement Mme de
Saint-Euverte qui était peu habituée au tour d’esprit de Swann. Et
examinant la coiffure de la princesse: Mais c’est vrai, cela imite...
comment dirais-je, pas les châtaignes, non, oh! c’est une idée
ravissante, mais comment la princesse pouvait-elle connaître mon
programme. Les musiciens ne me l’ont même pas communiqué à moi.
Swann, habitué quand il était auprès d’une femme avec qui il avait
gardé des habitudes galantes de langage, de dire des choses délicates
que beaucoup de gens du monde ne comprenaient pas, ne daigna pas
expliquer à Mme de Saint-Euverte qu’il n’avait parlé que par
métaphore. Quant à la princesse, elle se mit à rire aux éclats, parce
que l’esprit de Swann était extrêmement apprécié dans sa coterie et
aussi parce qu’elle ne pouvait entendre un compliment s’adressant à
elle sans lui trouver les grâces les plus fines et une irrésistible
drôlerie.
--Hé bien! je suis ravie, Charles, si mes petits fruits d’aubépine vous
plaisent. Pourquoi est-ce que vous saluez cette Cambremer, est-ce que
vous êtes aussi son voisin de campagne?
Mme de Saint-Euverte voyant que la princesse avait l’air content de
causer avec Swann s’était éloignée.
--Mais vous l’êtes vous-même, princesse.
--Moi, mais ils ont donc des campagnes partout, ces gens! Mais comme
j’aimerais être à leur place!
--Ce ne sont pas les Cambremer, c’étaient ses parents à elle; elle est
une demoiselle Legrandin qui venait à Combray. Je ne sais pas si vous
savez que vous êtes la comtesse de Combray et que le chapitre vous
doit une redevance.
--Je ne sais pas ce que me doit le chapitre mais je sais que je suis
tapée de cent francs tous les ans par le curé, ce dont je me
passerais. Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit
juste à temps, mais il finit mal! dit-elle en riant.
--Il ne commence pas mieux, répondit Swann.
--En effet cette double abréviation!...
--C’est quelqu’un de très en colère et de très convenable qui n’a pas
osé aller jusqu’au bout du premier mot.
--Mais puisqu’il ne devait pas pouvoir s’empêcher de commencer le
second, il aurait mieux fait d’achever le premier pour en finir une
bonne fois. Nous sommes en train de faire des plaisanteries d’un goût
charmant, mon petit Charles, mais comme c’est ennuyeux de ne plus vous
voir, ajouta-t-elle d’un ton câlin, j’aime tant causer avec vous.
Pensez que je n’aurais même pas pu faire comprendre à cet idiot de
Froberville que le nom de Cambremer était étonnant. Avouez que la vie
est une chose affreuse. Il n’y a que quand je vous vois que je cesse
de m’ennuyer.
Et sans doute cela n’était pas vrai. Mais Swann et la princesse
avaient une même manière de juger les petites choses qui avait pour
effet--à moins que ce ne fût pour cause--une grande analogie dans la
façon de s’exprimer et jusque dans la prononciation. Cette
ressemblance ne frappait pas parce que rien n’était plus différent que
leurs deux voix. Mais si on parvenait par la pensée à ôter aux propos
de Swann la sonorité qui les enveloppait, les moustaches d’entre
lesquelles ils sortaient, on se rendait compte que c’étaient les mêmes
phrases, les mêmes inflexions, le tour de la coterie Guermantes. Pour
les choses importantes, Swann et la princesse n’avaient les mêmes
idées sur rien. Mais depuis que Swann était si triste, ressentant
toujours cette espèce de frisson qui précède le moment où l’on va
pleurer, il avait le même besoin de parler du chagrin qu’un assassin a
de parler de son crime. En entendant la princesse lui dire que la vie
était une chose affreuse, il éprouva la même douceur que si elle lui
avait parlé d’Odette.
--Oh! oui, la vie est une chose affreuse. Il faut que nous nous
voyions, ma chère amie. Ce qu’il y a de gentil avec vous, c’est que
vous n’êtes pas gaie. On pourrait passer une soirée ensemble.
--Mais je crois bien, pourquoi ne viendriez-vous pas à Guermantes, ma
belle-mère serait folle de joie. Cela passe pour très laid, mais je
vous dirai que ce pays ne me déplaît pas, j’ai horreur des pays
«pittoresques».
--Je crois bien, c’est admirable, répondit Swann, c’est presque trop
beau, trop vivant pour moi, en ce moment; c’est un pays pour être
heureux. C’est peut-être parce que j’y ai vécu, mais les choses m’y
parlent tellement. Dès qu’il se lève un souffle d’air, que les blés
commencent à remuer, il me semble qu’il y a quelqu’un qui va arriver,
que je vais recevoir une nouvelle; et ces petites maisons au bord de
l’eau... je serais bien malheureux!
--Oh! mon petit Charles, prenez garde, voilà l’affreuse Rampillon qui
m’a vue, cachez-moi, rappelez-moi donc ce qui lui est arrivé, je
confonds, elle a marié sa fille ou son amant, je ne sais plus;
peut-être les deux... et ensemble!... Ah! non, je me rappelle, elle a
été répudiée par son prince... ayez l’air de me parler pour que cette
Bérénice ne vienne pas m’inviter à dîner. Du reste, je me sauve.
Ecoutez, mon petit Charles, pour une fois que je vous vois, vous ne
voulez pas vous laisser enlever et que je vous emmène chez la
princesse de Parme qui serait tellement contente, et Basin aussi qui
doit m’y rejoindre. Si on n’avait pas de vos nouvelles par Mémé...
Pensez que je ne vous vois plus jamais!
Swann refusa; ayant prévenu M. de Charlus qu’en quittant de chez Mme
de Saint-Euverte il rentrerait directement chez lui, il ne se souciait
pas en allant chez la princesse de Parme de risquer de manquer un mot
qu’il avait tout le temps espéré se voir remettre par un domestique
pendant la soirée, et que peut-être il allait trouver chez son
concierge. «Ce pauvre Swann, dit ce soir-là Mme des Laumes à son mari,
il est toujours gentil, mais il a l’air bien malheureux. Vous le
verrez, car il a promis de venir dîner un de ces jours. Je trouve
ridicule au fond qu’un homme de son intelligence souffre pour une
personne de ce genre et qui n’est même pas intéressante, car on la dit
idiote», ajouta-t-elle avec la sagesse des gens non amoureux qui
trouvent qu’un homme d’esprit ne devrait être malheureux que pour une
personne qui en valût la peine; c’est à peu près comme s’étonner qu’on
daigne souffrir du choléra par le fait d’un être aussi petit que le
bacille virgule.
Swann voulait partir, mais au moment où il allait enfin s’échapper, le
général de Froberville lui demanda à connaître Mme de Cambremer et il
fut obligé de rentrer avec lui dans le salon pour la chercher.
--Dites donc, Swann, j’aimerais mieux être le mari de cette femme-là
que d’être massacré par les sauvages, qu’en dites-vous?
Ces mots «massacré par les sauvages» percèrent douloureusement le cœur
de Swann; aussitôt il éprouva le besoin de continuer la conversation
avec le général:
--«Ah! lui dit-il, il y a eu de bien belles vies qui ont fini de cette
façon... Ainsi vous savez... ce navigateur dont Dumont d’Urville
ramena les cendres, La Pérouse...(et Swann était déjà heureux comme
s’il avait parlé d’Odette.) «C’est un beau caractère et qui
m’intéresse beaucoup que celui de La Pérouse, ajouta-t-il d’un air
mélancolique.»
--Ah! parfaitement, La Pérouse, dit le général. C’est un nom connu. Il
a sa rue.
--Vous connaissez quelqu’un rue La Pérouse? demanda Swann d’un air
agité.
--Je ne connais que Mme de Chanlivault, la sœur de ce brave
Chaussepierre. Elle nous a donné une jolie soirée de comédie l’autre
jour. C’est un salon qui sera un jour très élégant, vous verrez!
--Ah! elle demeure rue La Pérouse. C’est sympathique, c’est une jolie
rue, si triste.
--Mais non; c’est que vous n’y êtes pas allé depuis quelque temps; ce
n’est plus triste, cela commence à se construire, tout ce quartier-là.
Quand enfin Swann présenta M. de Froberville à la jeune Mme de
Cambremer, comme c’était la première fois qu’elle entendait le nom du
général, elle esquissa le sourire de joie et de surprise qu’elle
aurait eu si on n’en avait jamais prononcé devant elle d’autre que
celui-là, car ne connaissant pas les amis de sa nouvelle famille, à
chaque personne qu’on lui amenait, elle croyait que c’était l’un
d’eux, et pensant qu’elle faisait preuve de tact en ayant l’air d’en
avoir tant entendu parler depuis qu’elle était mariée, elle tendait la
main d’un air hésitant destiné à prouver la réserve apprise qu’elle
avait à vaincre et la sympathie spontanée qui réussissait à en
triompher. Aussi ses beaux-parents, qu’elle croyait encore les gens
les plus brillants de France, déclaraient-ils qu’elle était un ange;
d’autant plus qu’ils préféraient paraître, en la faisant épouser à
leur fils, avoir cédé à l’attrait plutôt de ses qualités que de sa
grande fortune.
--On voit que vous êtes musicienne dans l’âme, madame, lui dit le
général en faisant inconsciemment allusion à l’incident de la bobèche.
Mais le concert recommença et Swann comprit qu’il ne pourrait pas s’en
aller avant la fin de ce nouveau numéro du programme. Il souffrait de
rester enfermé au milieu de ces gens dont la bêtise et les ridicules
le frappaient d’autant plus douloureusement qu’ignorant son amour,
incapables, s’ils l’avaient connu, de s’y intéresser et de faire autre
chose que d’en sourire comme d’un enfantillage ou de le déplorer comme
une folie, ils le lui faisaient apparaître sous l’aspect d’un état
subjectif qui n’existait que pour lui, dont rien d’extérieur ne lui
affirmait la réalité; il souffrait surtout, et au point que même le
son des instruments lui donnait envie de crier, de prolonger son exil
dans ce lieu où Odette ne viendrait jamais, où personne, où rien ne la
connaissait, d’où elle était entièrement absente.
Mais tout à coup ce fut comme si elle était entrée, et cette
apparition lui fut une si déchirante souffrance qu’il dut porter la
main à son cœur. C’est que le violon était monté à des notes hautes où
il restait comme pour une attente, une attente qui se prolongeait sans
qu’il cessât de les tenir, dans l’exaltation où il était d’apercevoir
déjà l’objet de son attente qui s’approchait, et avec un effort
désespéré pour tâcher de durer jusqu’à son arrivée, de l’accueillir
avant d’expirer, de lui maintenir encore un moment de toutes ses
dernières forces le chemin ouvert pour qu’il pût passer, comme on
soutient une porte qui sans cela retomberait. Et avant que Swann eût
eu le temps de comprendre, et de se dire: «C’est la petite phrase de
la sonate de Vinteuil, n’écoutons pas!» tous ses souvenirs du temps où
Odette était éprise de lui, et qu’il avait réussi jusqu’à ce jour à
maintenir invisibles dans les profondeurs de son être, trompés par ce
brusque rayon du temps d’amour qu’ils crurent revenu, s’étaient
réveillés, et à tire d’aile, étaient remontés lui chanter éperdument,
sans pitié pour son infortune présente, les refrains oubliés du
bonheur.
Au lieu des expressions abstraites «temps où j’étais heureux», «temps
où j’étais aimé», qu’il avait souvent prononcées jusque-là et sans
trop souffrir, car son intelligence n’y avait enfermé du passé que de
prétendus extraits qui n’en conservaient rien, il retrouva tout ce qui
de ce bonheur perdu avait fixé à jamais la spécifique et volatile
essence; il revit tout, les pétales neigeux et frisés du chrysanthème
qu’elle lui avait jeté dans sa voiture, qu’il avait gardé contre ses
lèvres--l’adresse en relief de la «Maison Dorée» sur la lettre où il
avait lu: «Ma main tremble si fort en vous écrivant»--le rapprochement
de ses sourcils quand elle lui avait dit d’un air suppliant: «Ce n’est
pas dans trop longtemps que vous me ferez signe?», il sentit l’odeur
du fer du coiffeur par lequel il se faisait relever sa «brosse»
pendant que Lorédan allait chercher la petite ouvrière, les pluies
d’orage qui tombèrent si souvent ce printemps-là, le retour glacial
dans sa victoria, au clair de lune, toutes les mailles d’habitudes
mentales, d’impressions saisonnières, de créations cutanées, qui
avaient étendu sur une suite de semaines un réseau uniforme dans
lequel son corps se trouvait repris. A ce moment-là, il satisfaisait
une curiosité voluptueuse en connaissant les plaisirs des gens qui
vivent par l’amour. Il avait cru qu’il pourrait s’en tenir là, qu’il
ne serait pas obligé d’en apprendre les douleurs; comme maintenant le
charme d’Odette lui était peu de chose auprès de cette formidable
terreur qui le prolongeait comme un trouble halo, cette immense
angoisse de ne pas savoir à tous moments ce qu’elle avait fait, de ne
pas la posséder partout et toujours! Hélas, il se rappela l’accent
dont elle s’était écriée: «Mais je pourrai toujours vous voir, je suis
toujours libre!» elle qui ne l’était plus jamais! l’intérêt, la
curiosité qu’elle avait eus pour sa vie à lui, le désir passionné
qu’il lui fit la faveur,--redoutée au contraire par lui en ce temps-là
comme une cause d’ennuyeux dérangements--de l’y laisser pénétrer; comme
elle avait été obligée de le prier pour qu’il se laissât mener chez
les Verdurin; et, quand il la faisait venir chez lui une fois par
mois, comme il avait fallu, avant qu’il se laissât fléchir, qu’elle
lui répétât le délice que serait cette habitude de se voir tous les
jours dont elle rêvait alors qu’elle ne lui semblait à lui qu’un
fastidieux tracas, puis qu’elle avait prise en dégoût et
définitivement rompue, pendant qu’elle était devenue pour lui un si
invincible et si douloureux besoin. Il ne savait pas dire si vrai
quand, à la troisième fois qu’il l’avait vue, comme elle lui répétait:
«Mais pourquoi ne me laissez-vous pas venir plus souvent», il lui
avait dit en riant, avec galanterie: «par peur de souffrir».
Maintenant, hélas! il arrivait encore parfois qu’elle lui écrivît d’un
restaurant ou d’un hôtel sur du papier qui en portait le nom imprimé;
mais c’était comme des lettres de feu qui le brûlaient. «C’est écrit
de l’hôtel Vouillemont? Qu’y peut-elle être allée faire! avec qui? que
s’y est-il passé?» Il se rappela les becs de gaz qu’on éteignait
boulevard des Italiens quand il l’avait rencontrée contre tout espoir
parmi les ombres errantes dans cette nuit qui lui avait semblé presque
surnaturelle et qui en effet--nuit d’un temps où il n’avait même pas à
se demander s’il ne la contrarierait pas en la cherchant, en la
retrouvant, tant il était sûr qu’elle n’avait pas de plus grande joie
que de le voir et de rentrer avec lui,--appartenait bien à un monde
mystérieux où on ne peut jamais revenir quand les portes s’en sont
refermées. Et Swann aperçut, immobile en face de ce bonheur revécu, un
malheureux qui lui fit pitié parce qu’il ne le reconnut pas tout de
suite, si bien qu’il dut baisser les yeux pour qu’on ne vît pas qu’ils
étaient pleins de larmes. C’était lui-même.
Quand il l’eut compris, sa pitié cessa, mais il fut jaloux de l’autre
lui-même qu’elle avait aimé, il fut jaloux de ceux dont il s’était dit
souvent sans trop souffrir, «elle les aime peut-être», maintenant
qu’il avait échangé l’idée vague d’aimer, dans laquelle il n’y a pas
d’amour, contre les pétales du chrysanthème et l’«en tête» de la
Maison d’Or, qui, eux en étaient pleins. Puis sa souffrance devenant
trop vive, il passa sa main sur son front, laissa tomber son monocle,
en essuya le verre. Et sans doute s’il s’était vu à ce moment-là, il
eut ajouté à la collection de ceux qu’il avait distingués le monocle
qu’il déplaçait comme une pensée importune et sur la face embuée
duquel, avec un mouchoir, il cherchait à effacer des soucis.
Il y a dans le violon,--si ne voyant pas l’instrument, on ne peut pas
rapporter ce qu’on entend à son image laquelle modifie la sonorité--des
accents qui lui sont si communs avec certaines voix de contralto,
qu’on a l’illusion qu’une chanteuse s’est ajoutée au concert. On lève
les yeux, on ne voit que les étuis, précieux comme des boîtes
chinoises, mais, par moment, on est encore trompé par l’appel décevant
de la sirène; parfois aussi on croit entendre un génie captif qui se
débat au fond de la docte boîte, ensorcelée et frémissante, comme un
diable dans un bénitier; parfois enfin, c’est, dans l’air, comme un
être surnaturel et pur qui passe en déroulant son message invisible.
Comme si les instrumentistes, beaucoup moins jouaient la petite phrase
qu’ils n’exécutaient les rites exigés d’elle pour qu’elle apparût, et
procédaient aux incantations nécessaires pour obtenir et prolonger
quelques instants le prodige de son évocation, Swann, qui ne pouvait
pas plus la voir que si elle avait appartenu à un monde ultra-violet,
et qui goûtait comme le rafraîchissement d’une métamorphose dans la
cécité momentanée dont il était frappé en approchant d’elle, Swann la
sentait présente, comme une déesse protectrice et confidente de son
amour, et qui pour pouvoir arriver jusqu’à lui devant la foule et
l’emmener à l’écart pour lui parler, avait revêtu le déguisement de
cette apparence sonore. Et tandis qu’elle passait, légère, apaisante
et murmurée comme un parfum, lui disant ce qu’elle avait à lui dire et
dont il scrutait tous les mots, regrettant de les voir s’envoler si
vite, il faisait involontairement avec ses lèvres le mouvement de
baiser au passage le corps harmonieux et fuyant. Il ne se sentait plus
exilé et seul puisque, elle, qui s’adressait à lui, lui parlait à
mi-voix d’Odette. Car il n’avait plus comme autrefois l’impression
qu’Odette et lui n’étaient pas connus de la petite phrase. C’est que
si souvent elle avait été témoin de leurs joies! Il est vrai que
souvent aussi elle l’avait averti de leur fragilité. Et même, alors
que dans ce temps-là il devinait de la souffrance dans son sourire,
dans son intonation limpide et désenchantée, aujourd’hui il y trouvait
plutôt la grâce d’une résignation presque gaie. De ces chagrins dont
elle lui parlait autrefois et qu’il la voyait, sans qu’il fût atteint
par eux, entraîner en souriant dans son cours sinueux et rapide, de
ces chagrins qui maintenant étaient devenus les siens sans qu’il eût
l’espérance d’en être jamais délivré, elle semblait lui dire comme
jadis de son bonheur: «Qu’est-ce, cela? tout cela n’est rien.» Et la
pensée de Swann se porta pour la première fois dans un élan de pitié
et de tendresse vers ce Vinteuil, vers ce frère inconnu et sublime qui
lui aussi avait dû tant souffrir; qu’avait pu être sa vie? au fond de
quelles douleurs avait-il puisé cette force de dieu, cette puissance
illimitée de créer? Quand c’était la petite phrase qui lui parlait de
la vanité de ses souffrances, Swann trouvait de la douceur à cette
même sagesse qui tout à l’heure pourtant lui avait paru intolérable,
quand il croyait la lire dans les visages des indifférents qui
considéraient son amour comme une divagation sans importance. C’est
que la petite phrase au contraire, quelque opinion qu’elle pût avoir
sur la brève durée de ces états de l’âme, y voyait quelque chose, non
pas comme faisaient tous ces gens, de moins sérieux que la vie
positive, mais au contraire de si supérieur à elle que seul il valait
la peine d’être exprimé. Ces charmes d’une tristesse intime, c’était
eux qu’elle essayait d’imiter, de recréer, et jusqu’à leur essence qui
est pourtant d’être incommunicables et de sembler frivoles à tout
autre qu’à celui qui les éprouve, la petite phrase l’avait captée,
rendue visible. Si bien qu’elle faisait confesser leur prix et goûter
leur douceur divine, par tous ces mêmes assistants--si seulement ils
étaient un peu musiciens--qui ensuite les méconnaîtraient dans la vie,
en chaque amour particulier qu’ils verraient naître près d’eux. Sans
doute la forme sous laquelle elle les avait codifiés ne pouvait pas se
résoudre en raisonnements. Mais depuis plus d’une année que lui
révélant à lui-même bien des richesses de son âme, l’amour de la
musique était pour quelque temps au moins né en lui, Swann tenait les
motifs musicaux pour de véritables idées, d’un autre monde, d’un autre
ordre, idées voilées de ténèbres, inconnues, impénétrables à
l’intelligence, mais qui n’en sont pas moins parfaitement distinctes
les unes des autres, inégales entre elles de valeur et de
signification. Quand après la soirée Verdurin, se faisant rejouer la
petite phrase, il avait cherché à démêler comment à la façon d’un
parfum, d’une caresse, elle le circonvenait, elle l’enveloppait, il
s’était rendu compte que c’était au faible écart entre les cinq notes
qui la composaient et au rappel constant de deux d’entre elles
qu’était due cette impression de douceur rétractée et frileuse; mais
en réalité il savait qu’il raisonnait ainsi non sur la phrase
elle-même mais sur de simples valeurs, substituées pour la commodité
de son intelligence à la mystérieuse entité qu’il avait perçue, avant
de connaître les Verdurin, à cette soirée où il avait entendu pour la
première fois la sonate. Il savait que le souvenir même du piano
faussait encore le plan dans lequel il voyait les choses de la
musique, que le champ ouvert au musicien n’est pas un clavier mesquin
de sept notes, mais un clavier incommensurable, encore presque tout
entier inconnu, où seulement çà et là, séparées par d’épaisses
ténèbres inexplorées, quelques-unes des millions de touches de
tendresse, de passion, de courage, de sérénité, qui le composent,
chacune aussi différente des autres qu’un univers d’un autre univers,
ont été découvertes par quelques grands artistes qui nous rendent le
service, en éveillant en nous le correspondant du thème qu’ils ont
trouvé, de nous montrer quelle richesse, quelle variété, cache à notre
insu cette grande nuit impénétrée et décourageante de notre âme que
nous prenons pour du vide et pour du néant. Vinteuil avait été l’un de
ces musiciens. En sa petite phrase, quoiqu’elle présentât à la raison
une surface obscure, on sentait un contenu si consistant, si
explicite, auquel elle donnait une force si nouvelle, si originale,
que ceux qui l’avaient entendue la conservaient en eux de plain-pied
avec les idées de l’intelligence. Swann s’y reportait comme à une
conception de l’amour et du bonheur dont immédiatement il savait aussi
bien en quoi elle était particulière, qu’il le savait pour la
«Princesse de Clèves», ou pour «René», quand leur nom se présentait à
sa mémoire. Même quand il ne pensait pas à la petite phrase, elle
existait latente dans son esprit au même titre que certaines autres
notions sans équivalent, comme les notions de la lumière, du son, du
relief, de la volupté physique, qui sont les riches possessions dont
se diversifie et se pare notre domaine intérieur. Peut-être les
perdrons-nous, peut-être s’effaceront-elles, si nous retournons au
néant. Mais tant que nous vivons nous ne pouvons pas plus faire que
nous ne les ayons connues que nous ne le pouvons pour quelque objet
réel, que nous ne pouvons, par exemple, douter de la lumière de la
lampe qu’on allume devant les objets métamorphosés de notre chambre
d’où s’est échappé jusqu’au souvenir de l’obscurité. Par là, la phrase
de Vinteuil avait, comme tel thème de Tristan par exemple, qui nous
représente aussi une certaine acquisition sentimentale, épousé notre
condition mortelle, pris quelque chose d’humain qui était assez
touchant. Son sort était lié à l’avenir, à la réalité de notre âme
dont elle était un des ornements les plus particuliers, les mieux
différenciés. Peut-être est-ce le néant qui est le vrai et tout notre
rêve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu’il faudra que ces
phrases musicales, ces notions qui existent par rapport à lui, ne
soient rien non plus. Nous périrons mais nous avons pour otages ces
captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a
quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moins
probable.
Swann n’avait donc pas tort de croire que la phrase de la sonate
existât réellement. Certes, humaine à ce point de vue, elle
appartenait pourtant à un ordre de créatures surnaturelles et que nous
n’avons jamais vues, mais que malgré cela nous reconnaissons avec
ravissement quand quelque explorateur de l’invisible arrive à en
capter une, à l’amener, du monde divin où il a accès, briller quelques
instants au-dessus du nôtre. C’est ce que Vinteuil avait fait pour la
petite phrase. Swann sentait que le compositeur s’était contenté, avec
ses instruments de musique, de la dévoiler, de la rendre visible, d’en
suivre et d’en respecter le dessin d’une main si tendre, si prudente,
si délicate et si sûre que le son s’altérait à tout moment,
s’estompant pour indiquer une ombre, revivifié quand il lui fallait
suivre à la piste un plus hardi contour. Et une preuve que Swann ne se
trompait pas quand il croyait à l’existence réelle de cette phrase,
c’est que tout amateur un peu fin se fût tout de suite aperçu de
l’imposture, si Vinteuil ayant eu moins de puissance pour en voir et
en rendre les formes, avait cherché à dissimuler, en ajoutant çà et là
des traits de son cru, les lacunes de sa vision ou les défaillances de
sa main.
Elle avait disparu. Swann savait qu’elle reparaîtrait à la fin du
dernier mouvement, après tout un long morceau que le pianiste de Mme
Verdurin sautait toujours. Il y avait là d’admirables idées que Swann
n’avait pas distinguées à la première audition et qu’il percevait
maintenant, comme si elles se fussent, dans le vestiaire de sa
mémoire, débarrassées du déguisement uniforme de la nouveauté. Swann
écoutait tous les thèmes épars qui entreraient dans la composition de
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