Du côté de chez Swann - 02

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veillée jour et nuit. Mon grand-père qui ne l’avait pas vu depuis
longtemps était accouru auprès de lui dans la propriété que les Swann
possédaient aux environs de Combray, et avait réussi, pour qu’il
n’assistât pas à la mise en bière, à lui faire quitter un moment, tout
en pleurs, la chambre mortuaire. Ils firent quelques pas dans le parc
où il y avait un peu de soleil. Tout d’un coup, M. Swann prenant mon
grand-père par le bras, s’était écrié: «Ah! mon vieil ami, quel
bonheur de se promener ensemble par ce beau temps. Vous ne trouvez pas
ça joli tous ces arbres, ces aubépines et mon étang dont vous ne
m’avez jamais félicité? Vous avez l’air comme un bonnet de nuit.
Sentez-vous ce petit vent? Ah! on a beau dire, la vie a du bon tout de
même, mon cher Amédée!» Brusquement le souvenir de sa femme morte lui
revint, et trouvant sans doute trop compliqué de chercher comment il
avait pu à un pareil moment se laisser aller à un mouvement de joie,
il se contenta, par un geste qui lui était familier chaque fois qu’une
question ardue se présentait à son esprit, de passer la main sur son
front, d’essuyer ses yeux et les verres de son lorgnon. Il ne put
pourtant pas se consoler de la mort de sa femme, mais pendant les deux
années qu’il lui survécut, il disait à mon grand-père: «C’est drôle,
je pense très souvent à ma pauvre femme, mais je ne peux y penser
beaucoup à la fois.» «Souvent, mais peu à la fois, comme le pauvre
père Swann», était devenu une des phrases favorites de mon grand-père
qui la prononçait à propos des choses les plus différentes. Il
m’aurait paru que ce père de Swann était un monstre, si mon grand-père
que je considérais comme meilleur juge et dont la sentence faisant
jurisprudence pour moi, m’a souvent servi dans la suite à absoudre des
fautes que j’aurais été enclin à condamner, ne s’était récrié: «Mais
comment? c’était un cœur d’or!»
Pendant bien des années, où pourtant, surtout avant son mariage, M.
Swann, le fils, vint souvent les voir à Combray, ma grand’tante et mes
grands-parents ne soupçonnèrent pas qu’il ne vivait plus du tout dans
la société qu’avait fréquentée sa famille et que sous l’espèce
d’incognito que lui faisait chez nous ce nom de Swann, ils
hébergeaient,--avec la parfaite innocence d’honnêtes hôteliers qui ont
chez eux, sans le savoir, un célèbre brigand,--un des membres les plus
élégants du Jockey-Club, ami préféré du comte de Paris et du prince de
Galles, un des hommes les plus choyés de la haute société du faubourg
Saint-Germain.
L’ignorance où nous étions de cette brillante vie mondaine que menait
Swann tenait évidemment en partie à la réserve et à la discrétion de
son caractère, mais aussi à ce que les bourgeois d’alors se faisaient
de la société une idée un peu hindoue et la considéraient comme
composée de castes fermées où chacun, dès sa naissance, se trouvait
placé dans le rang qu’occupaient ses parents, et d’où rien, à moins
des hasards d’une carrière exceptionnelle ou d’un mariage inespéré, ne
pouvait vous tirer pour vous faire pénétrer dans une caste supérieure.
M. Swann, le père, était agent de change; le «fils Swann» se trouvait
faire partie pour toute sa vie d’une caste où les fortunes, comme dans
une catégorie de contribuables, variaient entre tel et tel revenu. On
savait quelles avaient été les fréquentations de son père, on savait
donc quelles étaient les siennes, avec quelles personnes il était «en
situation» de frayer. S’il en connaissait d’autres, c’étaient
relations de jeune homme sur lesquelles des amis anciens de sa
famille, comme étaient mes parents, fermaient d’autant plus
bienveillamment les yeux qu’il continuait, depuis qu’il était
orphelin, à venir très fidèlement nous voir; mais il y avait fort à
parier que ces gens inconnus de nous qu’il voyait, étaient de ceux
qu’il n’aurait pas osé saluer si, étant avec nous, il les avait
rencontrés. Si l’on avait voulu à toute force appliquer à Swann un
coefficient social qui lui fût personnel, entre les autres fils
d’agents de situation égale à celle de ses parents, ce coefficient eût
été pour lui un peu inférieur parce que, très simple de façon et ayant
toujours eu une «toquade» d’objets anciens et de peinture, il
demeurait maintenant dans un vieil hôtel où il entassait ses
collections et que ma grand’mère rêvait de visiter, mais qui était
situé quai d’Orléans, quartier que ma grand’tante trouvait infamant
d’habiter. «Êtes-vous seulement connaisseur? je vous demande cela dans
votre intérêt, parce que vous devez vous faire repasser des croûtes
par les marchands», lui disait ma grand’tante; elle ne lui supposait
en effet aucune compétence et n’avait pas haute idée même au point de
vue intellectuel d’un homme qui dans la conversation évitait les
sujets sérieux et montrait une précision fort prosaïque non seulement
quand il nous donnait, en entrant dans les moindres détails, des
recettes de cuisine, mais même quand les sœurs de ma grand’mère
parlaient de sujets artistiques. Provoqué par elles à donner son avis,
à exprimer son admiration pour un tableau, il gardait un silence
presque désobligeant et se rattrapait en revanche s’il pouvait fournir
sur le musée où il se trouvait, sur la date où il avait été peint, un
renseignement matériel. Mais d’habitude il se contentait de chercher à
nous amuser en racontant chaque fois une histoire nouvelle qui venait
de lui arriver avec des gens choisis parmi ceux que nous connaissions,
avec le pharmacien de Combray, avec notre cuisinière, avec notre
cocher. Certes ces récits faisaient rire ma grand’tante, mais sans
qu’elle distinguât bien si c’était à cause du rôle ridicule que s’y
donnait toujours Swann ou de l’esprit qu’il mettait à les conter: «On
peut dire que vous êtes un vrai type, monsieur Swann!» Comme elle
était la seule personne un peu vulgaire de notre famille, elle avait
soin de faire remarquer aux étrangers, quand on parlait de Swann,
qu’il aurait pu, s’il avait voulu, habiter boulevard Haussmann ou
avenue de l’Opéra, qu’il était le fils de M. Swann qui avait dû lui
laisser quatre ou cinq millions, mais que c’était sa fantaisie.
Fantaisie qu’elle jugeait du reste devoir être si divertissante pour
les autres, qu’à Paris, quand M. Swann venait le 1er janvier lui
apporter son sac de marrons glacés, elle ne manquait pas, s’il y avait
du monde, de lui dire: «Eh bien! M. Swann, vous habitez toujours près
de l’Entrepôt des vins, pour être sûr de ne pas manquer le train quand
vous prenez le chemin de Lyon?» Et elle regardait du coin de l’œil,
par-dessus son lorgnon, les autres visiteurs.
Mais si l’on avait dit à ma grand’mère que ce Swann qui, en tant que
fils Swann était parfaitement «qualifié» pour être reçu par toute la
«belle bourgeoisie», par les notaires ou les avoués les plus estimés
de Paris (privilège qu’il semblait laisser tomber un peu en
quenouille), avait, comme en cachette, une vie toute différente; qu’en
sortant de chez nous, à Paris, après nous avoir dit qu’il rentrait se
coucher, il rebroussait chemin à peine la rue tournée et se rendait
dans tel salon que jamais l’œil d’aucun agent ou associé d’agent ne
contempla, cela eût paru aussi extraordinaire à ma tante qu’aurait pu
l’être pour une dame plus lettrée la pensée d’être personnellement
liée avec Aristée dont elle aurait compris qu’il allait, après avoir
causé avec elle, plonger au sein des royaumes de Thétis, dans un
empire soustrait aux yeux des mortels et où Virgile nous le montre
reçu à bras ouverts; ou, pour s’en tenir à une image qui avait plus de
chance de lui venir à l’esprit, car elle l’avait vue peinte sur nos
assiettes à petits fours de Combray--d’avoir eu à dîner Ali-Baba,
lequel quand il se saura seul, pénétrera dans la caverne, éblouissante
de trésors insoupçonnés.
Un jour qu’il était venu nous voir à Paris après dîner en s’excusant
d’être en habit, Françoise ayant, après son départ, dit tenir du
cocher qu’il avait dîné «chez une princesse»,--«Oui, chez une princesse
du demi-monde!» avait répondu ma tante en haussant les épaules sans
lever les yeux de sur son tricot, avec une ironie sereine.
Aussi, ma grand’tante en usait-elle cavalièrement avec lui. Comme elle
croyait qu’il devait être flatté par nos invitations, elle trouvait
tout naturel qu’il ne vînt pas nous voir l’été sans avoir à la main un
panier de pêches ou de framboises de son jardin et que de chacun de
ses voyages d’Italie il m’eût rapporté des photographies de
chefs-d’œuvre.
On ne se gênait guère pour l’envoyer quérir dès qu’on avait besoin
d’une recette de sauce gribiche ou de salade à l’ananas pour des
grands dîners où on ne l’invitait pas, ne lui trouvant pas un prestige
suffisant pour qu’on pût le servir à des étrangers qui venaient pour
la première fois. Si la conversation tombait sur les princes de la
Maison de France: «des gens que nous ne connaîtrons jamais ni vous ni
moi et nous nous en passons, n’est-ce pas», disait ma grand’tante à
Swann qui avait peut-être dans sa poche une lettre de Twickenham; elle
lui faisait pousser le piano et tourner les pages les soirs où la sœur
de ma grand’mère chantait, ayant pour manier cet être ailleurs si
recherché, la naïve brusquerie d’un enfant qui joue avec un bibelot de
collection sans plus de précautions qu’avec un objet bon marché. Sans
doute le Swann que connurent à la même époque tant de clubmen était
bien différent de celui que créait ma grand’tante, quand le soir, dans
le petit jardin de Combray, après qu’avaient retenti les deux coups
hésitants de la clochette, elle injectait et vivifiait de tout ce
qu’elle savait sur la famille Swann, l’obscur et incertain personnage
qui se détachait, suivi de ma grand’mère, sur un fond de ténèbres, et
qu’on reconnaissait à la voix. Mais même au point de vue des plus
insignifiantes choses de la vie, nous ne sommes pas un tout
matériellement constitué, identique pour tout le monde et dont chacun
n’a qu’à aller prendre connaissance comme d’un cahier des charges ou
d’un testament; notre personnalité sociale est une création de la
pensée des autres. Même l’acte si simple que nous appelons «voir une
personne que nous connaissons» est en partie un acte intellectuel.
Nous remplissons l’apparence physique de l’être que nous voyons, de
toutes les notions que nous avons sur lui et dans l’aspect total que
nous nous représentons, ces notions ont certainement la plus grande
part. Elles finissent par gonfler si parfaitement les joues, par
suivre en une adhérence si exacte la ligne du nez, elles se mêlent si
bien de nuancer la sonorité de la voix comme si celle-ci n’était
qu’une transparente enveloppe, que chaque fois que nous voyons ce
visage et que nous entendons cette voix, ce sont ces notions que nous
retrouvons, que nous écoutons. Sans doute, dans le Swann qu’ils
s’étaient constitué, mes parents avaient omis par ignorance de faire
entrer une foule de particularités de sa vie mondaine qui étaient
cause que d’autres personnes, quand elles étaient en sa présence,
voyaient les élégances régner dans son visage et s’arrêter à son nez
busqué comme à leur frontière naturelle; mais aussi ils avaient pu
entasser dans ce visage désaffecté de son prestige, vacant et
spacieux, au fond de ces yeux dépréciés, le vague et doux
résidu,--mi-mémoire, mi-oubli,--des heures oisives passées ensemble
après nos dîners hebdomadaires, autour de la table de jeu ou au
jardin, durant notre vie de bon voisinage campagnard. L’enveloppe
corporelle de notre ami en avait été si bien bourrée, ainsi que de
quelques souvenirs relatifs à ses parents, que ce Swann-là était
devenu un être complet et vivant, et que j’ai l’impression de quitter
une personne pour aller vers une autre qui en est distincte, quand,
dans ma mémoire, du Swann que j’ai connu plus tard avec exactitude je
passe à ce premier Swann,--à ce premier Swann dans lequel je retrouve
les erreurs charmantes de ma jeunesse, et qui d’ailleurs ressemble
moins à l’autre qu’aux personnes que j’ai connues à la même époque,
comme s’il en était de notre vie ainsi que d’un musée où tous les
portraits d’un même temps ont un air de famille, une même tonalité--à
ce premier Swann rempli de loisir, parfumé par l’odeur du grand
marronnier, des paniers de framboises et d’un brin d’estragon.
Pourtant un jour que ma grand’mère était allée demander un service à
une dame qu’elle avait connue au Sacré-Cœur (et avec laquelle, à cause
de notre conception des castes elle n’avait pas voulu rester en
relations malgré une sympathie réciproque), la marquise de
Villeparisis, de la célèbre famille de Bouillon, celle-ci lui avait
dit: «Je crois que vous connaissez beaucoup M. Swann qui est un grand
ami de mes neveux des Laumes». Ma grand’mère était revenue de sa
visite enthousiasmée par la maison qui donnait sur des jardins et où
Mme de Villeparisis lui conseillait de louer, et aussi par un giletier
et sa fille, qui avaient leur boutique dans la cour et chez qui elle
était entrée demander qu’on fît un point à sa jupe qu’elle avait
déchirée dans l’escalier. Ma grand’mère avait trouvé ces gens
parfaits, elle déclarait que la petite était une perle et que le
giletier était l’homme le plus distingué, le mieux qu’elle eût jamais
vu. Car pour elle, la distinction était quelque chose d’absolument
indépendant du rang social. Elle s’extasiait sur une réponse que le
giletier lui avait faite, disant à maman: «Sévigné n’aurait pas mieux
dit!» et en revanche, d’un neveu de Mme de Villeparisis qu’elle avait
rencontré chez elle: «Ah! ma fille, comme il est commun!»
Or le propos relatif à Swann avait eu pour effet non pas de relever
celui-ci dans l’esprit de ma grand’tante, mais d’y abaisser Mme de
Villeparisis. Il semblait que la considération que, sur la foi de ma
grand’mère, nous accordions à Mme de Villeparisis, lui créât un devoir
de ne rien faire qui l’en rendît moins digne et auquel elle avait
manqué en apprenant l’existence de Swann, en permettant à des parents
à elle de le fréquenter. «Comment elle connaît Swann? Pour une
personne que tu prétendais parente du maréchal de Mac-Mahon!» Cette
opinion de mes parents sur les relations de Swann leur parut ensuite
confirmée par son mariage avec une femme de la pire société, presque
une cocotte que, d’ailleurs, il ne chercha jamais à présenter,
continuant à venir seul chez nous, quoique de moins en moins, mais
d’après laquelle ils crurent pouvoir juger--supposant que c’était là
qu’il l’avait prise--le milieu, inconnu d’eux, qu’il fréquentait
habituellement.
Mais une fois, mon grand-père lut dans un journal que M. Swann était
un des plus fidèles habitués des déjeuners du dimanche chez le duc de
X..., dont le père et l’oncle avaient été les hommes d’État les plus
en vue du règne de Louis-Philippe. Or mon grand-père était curieux de
tous les petits faits qui pouvaient l’aider à entrer par la pensée
dans la vie privée d’hommes comme Molé, comme le duc Pasquier, comme
le duc de Broglie. Il fut enchanté d’apprendre que Swann fréquentait
des gens qui les avaient connus. Ma grand’tante au contraire
interpréta cette nouvelle dans un sens défavorable à Swann: quelqu’un
qui choisissait ses fréquentations en dehors de la caste où il était
né, en dehors de sa «classe» sociale, subissait à ses yeux un fâcheux
déclassement. Il lui semblait qu’on renonçât d’un coup au fruit de
toutes les belles relations avec des gens bien posés, qu’avaient
honorablement entretenues et engrangées pour leurs enfants les
familles prévoyantes; (ma grand’tante avait même cessé de voir le fils
d’un notaire de nos amis parce qu’il avait épousé une altesse et était
par là descendu pour elle du rang respecté de fils de notaire à celui
d’un de ces aventuriers, anciens valets de chambre ou garçons
d’écurie, pour qui on raconte que les reines eurent parfois des
bontés). Elle blâma le projet qu’avait mon grand-père d’interroger
Swann, le soir prochain où il devait venir dîner, sur ces amis que
nous lui découvrions. D’autre part les deux sœurs de ma grand’mère,
vieilles filles qui avaient sa noble nature mais non son esprit,
déclarèrent ne pas comprendre le plaisir que leur beau-frère pouvait
trouver à parler de niaiseries pareilles. C’étaient des personnes
d’aspirations élevées et qui à cause de cela même étaient incapables
de s’intéresser à ce qu’on appelle un potin, eût-il même un intérêt
historique, et d’une façon générale à tout ce qui ne se rattachait pas
directement à un objet esthétique ou vertueux. Le désintéressement de
leur pensée était tel, à l’égard de tout ce qui, de près ou de loin
semblait se rattacher à la vie mondaine, que leur sens auditif,--ayant
fini par comprendre son inutilité momentanée dès qu’à dîner la
conversation prenait un ton frivole ou seulement terre à terre sans
que ces deux vieilles demoiselles aient pu la ramener aux sujets qui
leur étaient chers,--mettait alors au repos ses organes récepteurs et
leur laissait subir un véritable commencement d’atrophie. Si alors mon
grand-père avait besoin d’attirer l’attention des deux sœurs, il
fallait qu’il eût recours à ces avertissements physiques dont usent
les médecins aliénistes à l’égard de certains maniaques de la
distraction: coups frappés à plusieurs reprises sur un verre avec la
lame d’un couteau, coïncidant avec une brusque interpellation de la
voix et du regard, moyens violents que ces psychiatres transportent
souvent dans les rapports courants avec des gens bien portants, soit
par habitude professionnelle, soit qu’ils croient tout le monde un peu
fou.
Elles furent plus intéressées quand la veille du jour où Swann devait
venir dîner, et leur avait personnellement envoyé une caisse de vin
d’Asti, ma tante, tenant un numéro du Figaro où à côté du nom d’un
tableau qui était à une Exposition de Corot, il y avait ces mots: «de
la collection de M. Charles Swann», nous dit: «Vous avez vu que Swann
a «les honneurs» du Figaro?»--«Mais je vous ai toujours dit qu’il avait
beaucoup de goût», dit ma grand’mère. «Naturellement toi, du moment
qu’il s’agit d’être d’un autre avis que nous», répondit ma grand’tante
qui, sachant que ma grand’mère n’était jamais du même avis qu’elle, et
n’étant bien sûre que ce fût à elle-même que nous donnions toujours
raison, voulait nous arracher une condamnation en bloc des opinions de
ma grand’mère contre lesquelles elle tâchait de nous solidariser de
force avec les siennes. Mais nous restâmes silencieux. Les sœurs de ma
grand’mère ayant manifesté l’intention de parler à Swann de ce mot du
Figaro, ma grand’tante le leur déconseilla. Chaque fois qu’elle voyait
aux autres un avantage si petit fût-il qu’elle n’avait pas, elle se
persuadait que c’était non un avantage mais un mal et elle les
plaignait pour ne pas avoir à les envier. «Je crois que vous ne lui
feriez pas plaisir; moi je sais bien que cela me serait très
désagréable de voir mon nom imprimé tout vif comme cela dans le
journal, et je ne serais pas flattée du tout qu’on m’en parlât.» Elle
ne s’entêta pas d’ailleurs à persuader les sœurs de ma grand’mère; car
celles-ci par horreur de la vulgarité poussaient si loin l’art de
dissimuler sous des périphrases ingénieuses une allusion personnelle
qu’elle passait souvent inaperçue de celui même à qui elle
s’adressait. Quant à ma mère elle ne pensait qu’à tâcher d’obtenir de
mon père qu’il consentît à parler à Swann non de sa femme mais de sa
fille qu’il adorait et à cause de laquelle disait-on il avait fini par
faire ce mariage. «Tu pourrais ne lui dire qu’un mot, lui demander
comment elle va. Cela doit être si cruel pour lui.» Mais mon père se
fâchait: «Mais non! tu as des idées absurdes. Ce serait ridicule.»
Mais le seul d’entre nous pour qui la venue de Swann devint l’objet
d’une préoccupation douloureuse, ce fut moi. C’est que les soirs où
des étrangers, ou seulement M. Swann, étaient là, maman ne montait pas
dans ma chambre. Je ne dînais pas à table, je venais après dîner au
jardin, et à neuf heures je disais bonsoir et allais me coucher. Je
dînais avant tout le monde et je venais ensuite m’asseoir à table,
jusqu’à huit heures où il était convenu que je devais monter; ce
baiser précieux et fragile que maman me confiait d’habitude dans mon
lit au moment de m’endormir il me fallait le transporter de la salle à
manger dans ma chambre et le garder pendant tout le temps que je me
déshabillais, sans que se brisât sa douceur, sans que se répandît et
s’évaporât sa vertu volatile et, justement ces soirs-là où j’aurais eu
besoin de le recevoir avec plus de précaution, il fallait que je le
prisse, que je le dérobasse brusquement, publiquement, sans même avoir
le temps et la liberté d’esprit nécessaires pour porter à ce que je
faisais cette attention des maniaques qui s’efforcent de ne pas penser
à autre chose pendant qu’ils ferment une porte, pour pouvoir, quand
l’incertitude maladive leur revient, lui opposer victorieusement le
souvenir du moment où ils l’ont fermée. Nous étions tous au jardin
quand retentirent les deux coups hésitants de la clochette. On savait
que c’était Swann; néanmoins tout le monde se regarda d’un air
interrogateur et on envoya ma grand’mère en reconnaissance. «Pensez à
le remercier intelligiblement de son vin, vous savez qu’il est
délicieux et la caisse est énorme, recommanda mon grand-père à ses
deux belles-sœurs.» «Ne commencez pas à chuchoter, dit ma grand’tante.
Comme c’est confortable d’arriver dans une maison où tout le monde
parle bas.» «Ah! voilà M. Swann. Nous allons lui demander s’il croit
qu’il fera beau demain», dit mon père. Ma mère pensait qu’un mot
d’elle effacerait toute la peine que dans notre famille on avait pu
faire à Swann depuis son mariage. Elle trouva le moyen de l’emmener un
peu à l’écart. Mais je la suivis; je ne pouvais me décider à la
quitter d’un pas en pensant que tout à l’heure il faudrait que je la
laisse dans la salle à manger et que je remonte dans ma chambre sans
avoir comme les autres soirs la consolation qu’elle vînt m’embrasser.
«Voyons, monsieur Swann, lui dit-elle, parlez-moi un peu de votre
fille; je suis sûre qu’elle a déjà le goût des belles œuvres comme son
papa.» «Mais venez donc vous asseoir avec nous tous sous la véranda»,
dit mon grand-père en s’approchant. Ma mère fut obligée de
s’interrompre, mais elle tira de cette contrainte même une pensée
délicate de plus, comme les bons poètes que la tyrannie de la rime
force à trouver leurs plus grandes beautés: «Nous reparlerons d’elle
quand nous serons tous les deux, dit-elle à mi-voix à Swann. Il n’y a
qu’une maman qui soit digne de vous comprendre. Je suis sûre que la
sienne serait de mon avis.» Nous nous assîmes tous autour de la table
de fer. J’aurais voulu ne pas penser aux heures d’angoisse que je
passerais ce soir seul dans ma chambre sans pouvoir m’endormir; je
tâchais de me persuader qu’elles n’avaient aucune importance, puisque
je les aurais oubliées demain matin, de m’attacher à des idées
d’avenir qui auraient dû me conduire comme sur un pont au delà de
l’abîme prochain qui m’effrayait. Mais mon esprit tendu par ma
préoccupation, rendu convexe comme le regard que je dardais sur ma
mère, ne se laissait pénétrer par aucune impression étrangère. Les
pensées entraient bien en lui, mais à condition de laisser dehors tout
élément de beauté ou simplement de drôlerie qui m’eût touché ou
distrait. Comme un malade, grâce à un anesthésique, assiste avec une
pleine lucidité à l’opération qu’on pratique sur lui, mais sans rien
sentir, je pouvais me réciter des vers que j’aimais ou observer les
efforts que mon grand-père faisait pour parler à Swann du duc
d’Audiffret-Pasquier, sans que les premiers me fissent éprouver aucune
émotion, les seconds aucune gaîté. Ces efforts furent infructueux. A
peine mon grand-père eut-il posé à Swann une question relative à cet
orateur qu’une des sœurs de ma grand’mère aux oreilles de qui cette
question résonna comme un silence profond mais intempestif et qu’il
était poli de rompre, interpella l’autre: «Imagine-toi, Céline, que
j’ai fait la connaissance d’une jeune institutrice suédoise qui m’a
donné sur les coopératives dans les pays scandinaves des détails tout
ce qu’il y a de plus intéressants. Il faudra qu’elle vienne dîner ici
un soir.» «Je crois bien! répondit sa sœur Flora, mais je n’ai pas
perdu mon temps non plus. J’ai rencontré chez M. Vinteuil un vieux
savant qui connaît beaucoup Maubant, et à qui Maubant a expliqué dans
le plus grand détail comment il s’y prend pour composer un rôle. C’est
tout ce qu’il y a de plus intéressant. C’est un voisin de M. Vinteuil,
je n’en savais rien; et il est très aimable.» «Il n’y a pas que M.
Vinteuil qui ait des voisins aimables», s’écria ma tante Céline d’une
voix que la timidité rendait forte et la préméditation, factice, tout
en jetant sur Swann ce qu’elle appelait un regard significatif. En
même temps ma tante Flora qui avait compris que cette phrase était le
remerciement de Céline pour le vin d’Asti, regardait également Swann
avec un air mêlé de congratulation et d’ironie, soit simplement pour
souligner le trait d’esprit de sa sœur, soit qu’elle enviât Swann de
l’avoir inspiré, soit qu’elle ne pût s’empêcher de se moquer de lui
parce qu’elle le croyait sur la sellette. «Je crois qu’on pourra
réussir à avoir ce monsieur à dîner, continua Flora; quand on le met
sur Maubant ou sur Mme Materna, il parle des heures sans s’arrêter.»
«Ce doit être délicieux», soupira mon grand-père dans l’esprit de qui
la nature avait malheureusement aussi complètement omis d’inclure la
possibilité de s’intéresser passionnément aux coopératives suédoises
ou à la composition des rôles de Maubant, qu’elle avait oublié de
fournir celui des sœurs de ma grand’mère du petit grain de sel qu’il
faut ajouter soi-même pour y trouver quelque saveur, à un récit sur la
vie intime de Molé ou du comte de Paris. «Tenez, dit Swann à mon
grand-père, ce que je vais vous dire a plus de rapports que cela n’en
a l’air avec ce que vous me demandiez, car sur certains points les
choses n’ont pas énormément changé. Je relisais ce matin dans
Saint-Simon quelque chose qui vous aurait amusé. C’est dans le volume
sur son ambassade d’Espagne; ce n’est pas un des meilleurs, ce n’est
guère qu’un journal, mais du moins un journal merveilleusement écrit,
ce qui fait déjà une première différence avec les assommants journaux
que nous nous croyons obligés de lire matin et soir.» «Je ne suis pas
de votre avis, il y a des jours où la lecture des journaux me semble
fort agréable...», interrompit ma tante Flora, pour montrer qu’elle
avait lu la phrase sur le Corot de Swann dans le Figaro. «Quand ils
parlent de choses ou de gens qui nous intéressent!» enchérit ma tante
Céline. «Je ne dis pas non, répondit Swann étonné. Ce que je reproche
aux journaux c’est de nous faire faire attention tous les jours à des
choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans
notre vie les livres où il y a des choses essentielles. Du moment que
nous déchirons fiévreusement chaque matin la bande du journal, alors
on devrait changer les choses et mettre dans le journal, moi je ne
sais pas, les... Pensées de Pascal! (il détacha ce mot d’un ton
d’emphase ironique pour ne pas avoir l’air pédant). Et c’est dans le
volume doré sur tranches que nous n’ouvrons qu’une fois tous les dix
ans, ajouta-t-il en témoignant pour les choses mondaines ce dédain
qu’affectent certains hommes du monde, que nous lirions que la reine
de Grèce est allée à Cannes ou que la princesse de Léon a donné un bal
costumé. Comme cela la juste proportion serait rétablie.» Mais
regrettant de s’être laissé aller à parler même légèrement de choses
sérieuses: «Nous avons une bien belle conversation, dit-il
ironiquement, je ne sais pas pourquoi nous abordons ces «sommets», et
se tournant vers mon grand-père: «Donc Saint-Simon raconte que
Maulevrier avait eu l’audace de tendre la main à ses fils. Vous savez,
c’est ce Maulevrier dont il dit: «Jamais je ne vis dans cette épaisse
bouteille que de l’humeur, de la grossièreté et des sottises.»
«Épaisses ou non, je connais des bouteilles où il y a tout autre
chose», dit vivement Flora, qui tenait à avoir remercié Swann elle
aussi, car le présent de vin d’Asti s’adressait aux deux. Céline se
mit à rire. Swann interloqué reprit: «Je ne sais si ce fut ignorance
ou panneau, écrit Saint-Simon, il voulut donner la main à mes enfants.
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