Du côté de chez Swann - 33

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qu’elle s’appelait la cité des lys et sa cathédrale,
Sainte-Marie-des-Fleurs. Quant à Balbec, c’était un de ces noms où
comme sur une vieille poterie normande qui garde la couleur de la
terre d’où elle fut tirée, on voit se peindre encore la représentation
de quelque usage aboli, de quelque droit féodal, d’un état ancien de
lieux, d’une manière désuète de prononcer qui en avait formé les
syllabes hétéroclites et que je ne doutais pas de retrouver jusque
chez l’aubergiste qui me servirait du café au lait à mon arrivée, me
menant voir la mer déchaînée devant l’église et auquel je prêtais
l’aspect disputeur, solennel et médiéval d’un personnage de fabliau.
Si ma santé s’affermissait et que mes parents me permissent, sinon
d’aller séjourner à Balbec, du moins de prendre une fois, pour faire
connaissance avec l’architecture et les paysages de la Normandie ou de
la Bretagne, ce train d’une heure vingt-deux dans lequel j’étais monté
tant de fois en imagination, j’aurais voulu m’arrêter de préférence
dans les villes les plus belles; mais j’avais beau les comparer,
comment choisir plus qu’entre des êtres individuels, qui ne sont pas
interchangeables, entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle
rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa
dernière syllabe; Vitré dont l’accent aigu losangeait de bois noir le
vitrage ancien; le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du jaune
coquille d’œuf au gris perle; Coutances, cathédrale normande, que sa
diphtongue finale, grasse et jaunissante couronne par une tour de
beurre; Lannion avec le bruit, dans son silence villageois, du coche
suivi de la mouche; Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes
blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux
fluviatiles et poétiques; Benodet, nom à peine amarré que semble
vouloir entraîner la rivière au milieu de ses algues, Pont-Aven,
envolée blanche et rose de l’aile d’une coiffe légère qui se reflète
en tremblant dans une eau verdie de canal; Quimperlé, lui, mieux
attaché et, depuis le moyen âge, entre les ruisseaux dont il gazouille
et s’emperle en une grisaille pareille à celle que dessinent, à
travers les toiles d’araignées d’une verrière, les rayons de soleil
changés en pointes émoussées d’argent bruni?
Ces images étaient fausses pour une autre raison encore; c’est
qu’elles étaient forcément très simplifiées; sans doute ce à quoi
aspirait mon imagination et que mes sens ne percevaient
qu’incomplètement et sans plaisir dans le présent, je l’avais enfermé
dans le refuge des noms; sans doute, parce que j’y avais accumulé du
rêve, ils aimantaient maintenant mes désirs; mais les noms ne sont pas
très vastes; c’est tout au plus si je pouvais y faire entrer deux ou
trois des «curiosités» principales de la ville et elles s’y
juxtaposaient sans intermédiaires; dans le nom de Balbec, comme dans
le verre grossissant de ces porte-plume qu’on achète aux bains de mer,
j’apercevais des vagues soulevées autour d’une église de style persan.
Peut-être même la simplification de ces images fut-elle une des causes
de l’empire qu’elles prirent sur moi. Quand mon père eut décidé, une
année, que nous irions passer les vacances de Pâques à Florence et à
Venise, n’ayant pas la place de faire entrer dans le nom de Florence
les éléments qui composent d’habitude les villes, je fus contraint à
faire sortir une cité surnaturelle de la fécondation, par certains
parfums printaniers, de ce que je croyais être, en son essence, le
génie de Giotto. Tout au plus--et parce qu’on ne peut pas faire tenir
dans un nom beaucoup plus de durée que d’espace--comme certains
tableaux de Giotto eux-mêmes qui montrent à deux moments différents de
l’action un même personnage, ici couché dans son lit, là s’apprêtant à
monter à cheval, le nom de Florence était-il divisé en deux
compartiments. Dans l’un, sous un dais architectural, je contemplais
une fresque à laquelle était partiellement superposé un rideau de
soleil matinal, poudreux, oblique et progressif; dans l’autre (car ne
pensant pas aux noms comme à un idéal inaccessible mais comme à une
ambiance réelle dans laquelle j’irais me plonger, la vie non vécue
encore, la vie intacte et pure que j’y enfermais donnait aux plaisirs
les plus matériels, aux scènes les plus simples, cet attrait qu’ils
ont dans les œuvres des primitifs), je traversais rapidement,--pour
trouver plus vite le déjeuner qui m’attendait avec des fruits et du
vin de Chianti--le Ponte-Vecchio encombré de jonquilles, de narcisses
et d’anémones. Voilà (bien que je fusse à Paris) ce que je voyais et
non ce qui était autour de moi. Même à un simple point de vue
réaliste, les pays que nous désirons tiennent à chaque moment beaucoup
plus de place dans notre vie véritable, que le pays où nous nous
trouvons effectivement. Sans doute si alors j’avais fait moi-même plus
attention à ce qu’il y avait dans ma pensée quand je prononçais les
mots «aller à Florence, à Parme, à Pise, à Venise», je me serais rendu
compte que ce que je voyais n’était nullement une ville, mais quelque
chose d’aussi différent de tout ce que je connaissais, d’aussi
délicieux, que pourrait être pour une humanité dont la vie se serait
toujours écoulée dans des fins d’après-midi d’hiver, cette merveille
inconnue: une matinée de printemps. Ces images irréelles, fixes,
toujours pareilles, remplissant mes nuits et mes jours,
différencièrent cette époque de ma vie de celles qui l’avaient
précédée (et qui auraient pu se confondre avec elle aux yeux d’un
observateur qui ne voit les choses que du dehors, c’est-à-dire qui ne
voit rien), comme dans un opéra un motif mélodique introduit une
nouveauté qu’on ne pourrait pas soupçonner si on ne faisait que lire
le livret, moins encore si on restait en dehors du théâtre à compter
seulement les quarts d’heure qui s’écoulent. Et encore, même à ce
point de vue de simple quantité, dans notre vie les jours ne sont pas
égaux. Pour parcourir les jours, les natures un peu nerveuses, comme
était la mienne, disposent, comme les voitures automobiles, de
«vitesses» différentes. Il y a des jours montueux et malaisés qu’on
met un temps infini à gravir et des jours en pente qui se laissent
descendre à fond de train en chantant. Pendant ce mois--où je ressassai
comme une mélodie, sans pouvoir m’en rassasier, ces images de
Florence, de Venise et de Pise desquelles le désir qu’elles excitaient
en moi gardait quelque chose d’aussi profondément individuel que si
ç’avait été un amour, un amour pour une personne--je ne cessai pas de
croire qu’elles correspondaient à une réalité indépendante de moi, et
elles me firent connaître une aussi belle espérance que pouvait en
nourrir un chrétien des premiers âges à la veille d’entrer dans le
paradis. Aussi sans que je me souciasse de la contradiction qu’il y
avait à vouloir regarder et toucher avec les organes des sens, ce qui
avait été élaboré par la rêverie et non perçu par eux--et d’autant plus
tentant pour eux, plus différent de ce qu’ils connaissaient--c’est ce
qui me rappelait la réalité de ces images, qui enflammait le plus mon
désir, parce que c’était comme une promesse qu’il serait contenté. Et,
bien que mon exaltation eût pour motif un désir de jouissances
artistiques, les guides l’entretenaient encore plus que les livres
d’esthétiques et, plus que les guides, l’indicateur des chemins de
fer. Ce qui m’émouvait c’était de penser que cette Florence que je
voyais proche mais inaccessible dans mon imagination, si le trajet qui
la séparait de moi, en moi-même, n’était pas viable, je pourrais
l’atteindre par un biais, par un détour, en prenant la «voie de
terre». Certes, quand je me répétais, donnant ainsi tant de valeur à
ce que j’allais voir, que Venise était «l’école de Giorgione, la
demeure du Titien, le plus complet musée de l’architecture domestique
au moyen âge», je me sentais heureux. Je l’étais pourtant davantage
quand, sorti pour une course, marchant vite à cause du temps qui,
après quelques jours de printemps précoce était redevenu un temps
d’hiver (comme celui que nous trouvions d’habitude à Combray, la
Semaine Sainte),--voyant sur les boulevards les marronniers qui,
plongés dans un air glacial et liquide comme de l’eau, n’en
commençaient pas moins, invités exacts, déjà en tenue, et qui ne se
sont pas laissé décourager, à arrondir et à ciseler en leurs blocs
congelés, l’irrésistible verdure dont la puissance abortive du froid
contrariait mais ne parvenait pas à réfréner la progressive poussée--,
je pensais que déjà le Ponte-Vecchio était jonché à foison de
jacinthes et d’anémones et que le soleil du printemps teignait déjà
les flots du Grand Canal d’un si sombre azur et de si nobles émeraudes
qu’en venant se briser aux pieds des peintures du Titien, ils
pouvaient rivaliser de riche coloris avec elles. Je ne pus plus
contenir ma joie quand mon père, tout en consultant le baromètre et en
déplorant le froid, commença à chercher quels seraient les meilleurs
trains, et quand je compris qu’en pénétrant après le déjeuner dans le
laboratoire charbonneux, dans la chambre magique qui se chargeait
d’opérer la transmutation tout autour d’elle, on pouvait s’éveiller le
lendemain dans la cité de marbre et d’or «rehaussée de jaspe et pavée
d’émeraudes». Ainsi elle et la Cité des lys n’étaient pas seulement
des tableaux fictifs qu’on mettait à volonté devant son imagination,
mais existaient à une certaine distance de Paris qu’il fallait
absolument franchir si l’on voulait les voir, à une certaine place
déterminée de la terre, et à aucune autre, en un mot étaient bien
réelles. Elles le devinrent encore plus pour moi, quand mon père en
disant: «En somme, vous pourriez rester à Venise du 20 avril au 29 et
arriver à Florence dès le matin de Pâques», les fit sortir toutes deux
non plus seulement de l’Espace abstrait, mais de ce Temps imaginaire
où nous situons non pas un seul voyage à la fois, mais d’autres,
simultanés et sans trop d’émotion puisqu’ils ne sont que possibles,--ce
Temps qui se refabrique si bien qu’on peut encore le passer dans une
ville après qu’on l’a passé dans une autre--et leur consacra de ces
jours particuliers qui sont le certificat d’authenticité des objets
auxquels on les emploie, car ces jours uniques, ils se consument par
l’usage, ils ne reviennent pas, on ne peut plus les vivre ici quand on
les a vécus là; je sentis que c’était vers la semaine qui commençait
le lundi où la blanchisseuse devait rapporter le gilet blanc que
j’avais couvert d’encre, que se dirigeaient pour s’y absorber au
sortir du temps idéal où elles n’existaient pas encore, les deux Cités
Reines dont j’allais avoir, par la plus émouvante des géométries, à
inscrire les dômes et les tours dans le plan de ma propre vie. Mais je
n’étais encore qu’en chemin vers le dernier degré de l’allégresse; je
l’atteignis enfin (ayant seulement alors la révélation que sur les
rues clapotantes, rougies du reflet des fresques de Giorgione, ce
n’était pas, comme j’avais, malgré tant d’avertissements, continué à
l’imaginer, les hommes «majestueux et terribles comme la mer, portant
leur armure aux reflets de bronze sous les plis de leur manteau
sanglant» qui se promèneraient dans Venise la semaine prochaine, la
veille de Pâques, mais que ce pourrait être moi le personnage
minuscule que, dans une grande photographie de Saint-Marc qu’on
m’avait prêtée, l’illustrateur avait représenté, en chapeau melon,
devant les proches), quand j’entendis mon père me dire: «Il doit faire
encore froid sur le Grand Canal, tu ferais bien de mettre à tout
hasard dans ta malle ton pardessus d’hiver et ton gros veston.» A ces
mots je m’élevai à une sorte d’extase; ce que j’avais cru jusque-là
impossible, je me sentis vraiment pénétrer entre ces «rochers
d’améthyste pareils à un récif de la mer des Indes»; par une
gymnastique suprême et au-dessus de mes forces, me dévêtant comme
d’une carapace sans objet de l’air de ma chambre qui m’entourait, je
le remplaçai par des parties égales d’air vénitien, cette atmosphère
marine, indicible et particulière comme celle des rêves que mon
imagination avait enfermée dans le nom de Venise, je sentis s’opérer
en moi une miraculeuse désincarnation; elle se doubla aussitôt de la
vague envie de vomir qu’on éprouve quand on vient de prendre un gros
mal de gorge, et on dut me mettre au lit avec une fièvre si tenace,
que le docteur déclara qu’il fallait renoncer non seulement à me
laisser partir maintenant à Florence et à Venise mais, même quand je
serais entièrement rétabli, m’éviter d’ici au moins un an, tout projet
de voyage et toute cause d’agitation.
Et hélas, il défendit aussi d’une façon absolue qu’on me laissât aller
au théâtre entendre la Berma; l’artiste sublime, à laquelle Bergotte
trouvait du génie, m’aurait en me faisant connaître quelque chose qui
était peut-être aussi important et aussi beau, consolé de n’avoir pas
été à Florence et à Venise, de n’aller pas à Balbec. On devait se
contenter de m’envoyer chaque jour aux Champs-Élysées, sous la
surveillance d’une personne qui m’empêcherait de me fatiguer et qui
fut Françoise, entrée à notre service après la mort de ma tante
Léonie. Aller aux Champs-Élysées me fut insupportable. Si seulement
Bergotte les eût décrits dans un de ses livres, sans doute j’aurais
désiré de les connaître, comme toutes les choses dont on avait
commencé par mettre le «double» dans mon imagination. Elle les
réchauffait, les faisait vivre, leur donnait une personnalité, et je
voulais les retrouver dans la réalité; mais dans ce jardin public rien
ne se rattachait à mes rêves.
Un jour, comme je m’ennuyais à notre place familière, à côté des
chevaux de bois, Françoise m’avait emmené en excursion--au delà de la
frontière que gardent à intervalles égaux les petits bastions des
marchandes de sucre d’orge--, dans ces régions voisines mais étrangères
où les visages sont inconnus, où passe la voiture aux chèvres; puis
elle était revenue prendre ses affaires sur sa chaise adossée à un
massif de lauriers; en l’attendant je foulais la grande pelouse
chétive et rase, jaunie par le soleil, au bout de laquelle le bassin
est dominé par une statue quand, de l’allée, s’adressant à une
fillette à cheveux roux qui jouait au volant devant la vasque, une
autre, en train de mettre son manteau et de serrer sa raquette, lui
cria, d’une voix brève: «Adieu, Gilberte, je rentre, n’oublie pas que
nous venons ce soir chez toi après dîner.» Ce nom de Gilberte passa
près de moi, évoquant d’autant plus l’existence de celle qu’il
désignait qu’il ne la nommait pas seulement comme un absent dont on
parle, mais l’interpellait; il passa ainsi près de moi, en action pour
ainsi dire, avec une puissance qu’accroissait la courbe de son jet et
l’approche de son but;--transportant à son bord, je le sentais, la
connaissance, les notions qu’avait de celle à qui il était adressé,
non pas moi, mais l’amie qui l’appelait, tout ce que, tandis qu’elle
le prononçait, elle revoyait ou du moins, possédait en sa mémoire, de
leur intimité quotidienne, des visites qu’elles se faisaient l’une
chez l’autre, de tout cet inconnu encore plus inaccessible et plus
douloureux pour moi d’être au contraire si familier et si maniable
pour cette fille heureuse qui m’en frôlait sans que j’y puisse
pénétrer et le jetait en plein air dans un cri;--laissant déjà flotter
dans l’air l’émanation délicieuse qu’il avait fait se dégager, en les
touchant avec précision, de quelques points invisibles de la vie de
Mlle Swann, du soir qui allait venir, tel qu’il serait, après dîner,
chez elle,--formant, passager céleste au milieu des enfants et des
bonnes, un petit nuage d’une couleur précieuse, pareil à celui qui,
bombé au-dessus d’un beau jardin du Poussin, reflète minutieusement
comme un nuage d’opéra, plein de chevaux et de chars, quelque
apparition de la vie des dieux;--jetant enfin, sur cette herbe pelée, à
l’endroit où elle était un morceau à la fois de pelouse flétrie et un
moment de l’après-midi de la blonde joueuse de volant (qui ne s’arrêta
de le lancer et de le rattraper que quand une institutrice à plumet
bleu l’eut appelée), une petite bande merveilleuse et couleur
d’héliotrope impalpable comme un reflet et superposée comme un tapis
sur lequel je ne pus me lasser de promener mes pas attardés,
nostalgiques et profanateurs, tandis que Françoise me criait: «Allons,
aboutonnez voir votre paletot et filons» et que je remarquais pour la
première fois avec irritation qu’elle avait un langage vulgaire, et
hélas, pas de plumet bleu à son chapeau.
Retournerait-elle seulement aux Champs-Élysées? Le lendemain elle n’y
était pas; mais je l’y vis les jours suivants; je tournais tout le
temps autour de l’endroit où elle jouait avec ses amies, si bien
qu’une fois où elles ne se trouvèrent pas en nombre pour leur partie
de barres, elle me fit demander si je voulais compléter leur camp, et
je jouai désormais avec elle chaque fois qu’elle était là. Mais ce
n’était pas tous les jours; il y en avait où elle était empêchée de
venir par ses cours, le catéchisme, un goûter, toute cette vie séparée
de la mienne que par deux fois, condensée dans le nom de Gilberte,
j’avais senti passer si douloureusement près de moi, dans le raidillon
de Combray et sur la pelouse des Champs-Élysées. Ces jours-là, elle
annonçait d’avance qu’on ne la verrait pas; si c’était à cause de ses
études, elle disait: «C’est rasant, je ne pourrai pas venir demain;
vous allez tous vous amuser sans moi», d’un air chagrin qui me
consolait un peu; mais en revanche quand elle était invitée à une
matinée, et que, ne le sachant pas je lui demandais si elle viendrait
jouer, elle me répondait: «J’espère bien que non! J’espère bien que
maman me laissera aller chez mon amie.» Du moins ces jours-là, je
savais que je ne la verrais pas, tandis que d’autres fois, c’était à
l’improviste que sa mère l’emmenait faire des courses avec elle, et le
lendemain elle disait: «Ah! oui, je suis sortie avec maman», comme une
chose naturelle, et qui n’eût pas été pour quelqu’un le plus grand
malheur possible. Il y avait aussi les jours de mauvais temps où son
institutrice, qui pour elle-même craignait la pluie, ne voulait pas
l’emmener aux Champs-Élysées.
Aussi si le ciel était douteux, dès le matin je ne cessais de
l’interroger et je tenais compte de tous les présages. Si je voyais la
dame d’en face qui, près de la fenêtre, mettait son chapeau, je me
disais: «Cette dame va sortir; donc il fait un temps où l’on peut
sortir: pourquoi Gilberte ne ferait-elle pas comme cette dame?» Mais
le temps s’assombrissait, ma mère disait qu’il pouvait se lever
encore, qu’il suffirait pour cela d’un rayon de soleil, mais que plus
probablement il pleuvrait; et s’il pleuvait à quoi bon aller aux
Champs-Élysées? Aussi depuis le déjeuner mes regards anxieux ne
quittaient plus le ciel incertain et nuageux. Il restait sombre.
Devant la fenêtre, le balcon était gris. Tout d’un coup, sur sa pierre
maussade je ne voyais pas une couleur moins terne, mais je sentais
comme un effort vers une couleur moins terne, la pulsation d’un rayon
hésitant qui voudrait libérer sa lumière. Un instant après, le balcon
était pâle et réfléchissant comme une eau matinale, et mille reflets
de la ferronnerie de son treillage étaient venus s’y poser. Un souffle
de vent les dispersait, la pierre s’était de nouveau assombrie, mais,
comme apprivoisés, ils revenaient; elle recommençait imperceptiblement
à blanchir et par un de ces crescendos continus comme ceux qui, en
musique, à la fin d’une Ouverture, mènent une seule note jusqu’au
fortissimo suprême en la faisant passer rapidement par tous les degrés
intermédiaires, je la voyais atteindre à cet or inaltérable et fixe
des beaux jours, sur lequel l’ombre découpée de l’appui ouvragé de la
balustrade se détachait en noir comme une végétation capricieuse, avec
une ténuité dans la délinéation des moindres détails qui semblait
trahir une conscience appliquée, une satisfaction d’artiste, et avec
un tel relief, un tel velours dans le repos de ses masses sombres et
heureuses qu’en vérité ces reflets larges et feuillus qui reposaient
sur ce lac de soleil semblaient savoir qu’ils étaient des gages de
calme et de bonheur.
Lierre instantané, flore pariétaire et fugitive! la plus incolore, la
plus triste, au gré de beaucoup, de celles qui peuvent ramper sur le
mur ou décorer la croisée; pour moi, de toutes la plus chère depuis le
jour où elle était apparue sur notre balcon, comme l’ombre même de la
présence de Gilberte qui était peut-être déjà aux Champs-Élysées, et
dès que j’y arriverais, me dirait: «Commençons tout de suite à jouer
aux barres, vous êtes dans mon camp»; fragile, emportée par un
souffle, mais aussi en rapport non pas avec la saison, mais avec
l’heure; promesse du bonheur immédiat que la journée refuse ou
accomplira, et par là du bonheur immédiat par excellence, le bonheur
de l’amour; plus douce, plus chaude sur la pierre que n’est la mousse
même; vivace, à qui il suffit d’un rayon pour naître et faire éclore
de la joie, même au cœur de l’hiver.
Et jusque dans ces jours où toute autre végétation a disparu, où le
beau cuir vert qui enveloppe le tronc des vieux arbres est caché sous
la neige, quand celle-ci cessait de tomber, mais que le temps restait
trop couvert pour espérer que Gilberte sortît, alors tout d’un coup,
faisant dire à ma mère: «Tiens voilà justement qu’il fait beau, vous
pourriez peut-être essayer tout de même d’aller aux Champs-Élysées»,
sur le manteau de neige qui couvrait le balcon, le soleil apparu
entrelaçait des fils d’or et brodait des reflets noirs. Ce jour-là
nous ne trouvions personne ou une seule fillette prête à partir qui
m’assurait que Gilberte ne viendrait pas. Les chaises désertées par
l’assemblée imposante mais frileuse des institutrices étaient vides.
Seule, près de la pelouse, était assise une dame d’un certain âge qui
venait par tous les temps, toujours hanachée d’une toilette
identique, magnifique et sombre, et pour faire la connaissance de
laquelle j’aurais à cette époque sacrifié, si l’échange m’avait été
permis, tous les plus grands avantages futurs de ma vie. Car Gilberte
allait tous les jours la saluer; elle demandait à Gilberte des
nouvelles de «son amour de mère»; et il me semblait que si je l’avais
connue, j’avais été pour Gilberte quelqu’un de tout autre, quelqu’un
qui connaissait les relations de ses parents. Pendant que ses
petits-enfants jouaient plus loin, elle lisait toujours les Débats
qu’elle appelait «mes vieux Débats» et, par genre aristocratique,
disait en parlant du sergent de ville ou de la loueuse de chaises:
«Mon vieil ami le sergent de ville», «la loueuse de chaises et moi qui
sommes de vieux amis».
Françoise avait trop froid pour rester immobile, nous allâmes jusqu’au
pont de la Concorde voir la Seine prise, dont chacun et même les
enfants s’approchaient sans peur comme d’une immense baleine échouée,
sans défense, et qu’on allait dépecer. Nous revenions aux
Champs-Élysées; je languissais de douleur entre les chevaux de bois
immobiles et la pelouse blanche prise dans le réseau noir des allées
dont on avait enlevé la neige et sur laquelle la statue avait à la
main un jet de glace ajouté qui semblait l’explication de son geste.
La vieille dame elle-même ayant plié ses Débats, demanda l’heure à une
bonne d’enfants qui passait et qu’elle remercia en lui disant: «Comme
vous êtes aimable!» puis, priant le cantonnier de dire à ses petits
enfants de revenir, qu’elle avait froid, ajouta: «Vous serez mille
fois bon. Vous savez que je suis confuse!» Tout à coup l’air se
déchira: entre le guignol et le cirque, à l’horizon embelli, sur le
ciel entr’ouvert, je venais d’apercevoir, comme un signe fabuleux, le
plumet bleu de Mademoiselle. Et déjà Gilberte courait à toute vitesse
dans ma direction, étincelante et rouge sous un bonnet carré de
fourrure, animée par le froid, le retard et le désir du jeu; un peu
avant d’arriver à moi, elle se laissa glisser sur la glace et, soit
pour mieux garder son équilibre, soit parce qu’elle trouvait cela plus
gracieux, ou par affectation du maintien d’une patineuse, c’est les
bras grands ouverts qu’elle avançait en souriant, comme si elle avait
voulu m’y recevoir. «Brava! Brava! ça c’est très bien, je dirais comme
vous que c’est chic, que c’est crâne, si je n’étais pas d’un autre
temps, du temps de l’ancien régime, s’écria la vieille dame prenant la
parole au nom des Champs-Élysées silencieux pour remercier Gilberte
d’être venue sans se laisser intimider par le temps. Vous êtes comme
moi, fidèle quand même à nos vieux Champs-Élysées; nous sommes deux
intrépides. Si je vous disais que je les aime, même ainsi. Cette
neige, vous allez rire de moi, ça me fait penser à de l’hermine!» Et
la vieille dame se mit à rire.
Le premier de ces jours--auxquels la neige, image des puissances qui
pouvaient me priver de voir Gilberte, donnait la tristesse d’un jour
de séparation et jusqu’à l’aspect d’un jour de départ parce qu’il
changeait la figure et empêchait presque l’usage du lieu habituel de
nos seules entrevues maintenant changé, tout enveloppé de housses--, ce
jour fit pourtant faire un progrès à mon amour, car il fut comme un
premier chagrin qu’elle eût partagé avec moi. Il n’y avait que nous
deux de notre bande, et être ainsi le seul qui fût avec elle, c’était
non seulement comme un commencement d’intimité, mais aussi de sa
part,--comme si elle ne fût venue rien que pour moi par un temps
pareil--cela me semblait aussi touchant que si un de ces jours où elle
était invitée à une matinée, elle y avait renoncé pour venir me
retrouver aux Champs-Élysées; je prenais plus de confiance en la
vitalité et en l’avenir de notre amitié qui restait vivace au milieu
de l’engourdissement, de la solitude et de la ruine des choses
environnantes; et tandis qu’elle me mettait des boules de neige dans
le cou, je souriais avec attendrissement à ce qui me semblait à la
fois une prédilection qu’elle me marquait en me tolérant comme
compagnon de voyage dans ce pays hivernal et nouveau, et une sorte de
fidélité qu’elle me gardait au milieu du malheur. Bientôt l’une après
l’autre, comme des moineaux hésitants, ses amies arrivèrent toutes
noires sur la neige. Nous commençâmes à jouer et comme ce jour si
tristement commencé devait finir dans la joie, comme je m’approchais,
avant de jouer aux barres, de l’amie à la voix brève que j’avais
entendue le premier jour crier le nom de Gilberte, elle me dit: «Non,
non, on sait bien que vous aimez mieux être dans le camp de Gilberte,
d’ailleurs vous voyez elle vous fait signe.» Elle m’appelait en effet
pour que je vinsse sur la pelouse de neige, dans son camp, dont le
soleil en lui donnant les reflets roses, l’usure métallique des
brocarts anciens, faisait un camp du drap d’or.
Ce jour que j’avais tant redouté fut au contraire un des seuls où je
ne fus pas trop malheureux.
Car, moi qui ne pensais plus qu’à ne jamais rester un jour sans voir
Gilberte (au point qu’une fois ma grand’mère n’étant pas rentrée pour
l’heure du dîner, je ne pus m’empêcher de me dire tout de suite que si
elle avait été écrasée par une voiture, je ne pourrais pas aller de
quelque temps aux Champs-Élysées; on n’aime plus personne dès qu’on
aime) pourtant ces moments où j’étais auprès d’elle et que depuis la
veille j’avais si impatiemment attendus, pour lesquels j’avais
tremblé, auxquels j’aurais sacrifié tout le reste, n’étaient nullement
des moments heureux; et je le savais bien car c’était les seuls
moments de ma vie sur lesquels je concentrasse une attention
méticuleuse, acharnée, et elle ne découvrait pas en eux un atome de
plaisir.
Tout le temps que j’étais loin de Gilberte, j’avais besoin de la voir,
parce que cherchant sans cesse à me représenter son image, je
finissais par ne plus y réussir, et par ne plus savoir exactement à
quoi correspondait mon amour. Puis, elle ne m’avait encore jamais dit
qu’elle m’aimait. Bien au contraire, elle avait souvent prétendu
qu’elle avait des amis qu’elle me préférait, que j’étais un bon
camarade avec qui elle jouait volontiers quoique trop distrait, pas
assez au jeu; enfin elle m’avait donné souvent des marques apparentes
de froideur qui auraient pu ébranler ma croyance que j’étais pour elle
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