La Bible d'Amiens - 07

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colline jusqu'à ce que le pouvoir des Romains disparaisse.
La cité et l'autel tombent avec lui, foulés aux pieds par des tribus
sauvages; le tombeau est oublié--quand, à la fin, les Francs du nord
couvrant de leur dernier flot ces dunes de la Somme s'est arrêté ici
et ici l'étendard franc est planté, et le royaume français fondé.
9. Ici leur première capitale, ici les premiers pas[65] des Francs en
France! Réfléchissez à cela. Dans tout le sud il y a des Gaulois, des
Burgondes, des Bretons, des nations de cœur plus triste, d'esprit plus
morose. Passé leur frontière, leur limite extrême, voici enfin les
Francs, source de toute Franchise pour notre Europe. Vous avez entendu
le mot en Angleterre, avant ce jour, mais de mot anglais, il n'y en a
pas pour signifier cela. L'honnêteté nous l'avons, et elle nous vient
de nous-mêmes, mais la Franchise nous devons l'apprendre de ceux-ci;
bien plus, toutes nos nations de l'ouest seront dans quelques siècles
connues sous le nom de Franks. Franks du Paris qui doit exister, en un
temps à venir, mais le Français de Paris est, en l'an de grâce 500,
une langue aussi inconnue à Paris qu'à Stratford-att-ye-Bowe. Le
Français d'Amiens est la forme royale et le parler de cour du langage
chrétien, Paris étant encore dans la boue lutécienne pour devenir un
jour un champ de toits peut-être, en temps voulu. Ici près de la Somme
qui doucement brille, règnent Clovis et sa Clotilde.
Et auprès du tombeau de saint Firmin parle maintenant un autre doux
évangéliste et la première prière du roi franc au roi des rois, il
la lui adresse seulement comme au «Dieu de Clotilde».
10. Je suis obligé de faire appel à la patience du lecteur pour une
date ou deux et pour quelques faits arides--deux--trois--ou plus.
Clodion, le chef des premiers Francs qui passèrent définitivement le
Rhin, fraya son chemin à travers les cohortes irrégulières de Rome,
jusqu'à Amiens dont il s'empara en 445[66].
Deux ans après, à sa mort, le trône à peine affermi
tombe--peut-être inévitablement--aux mains du tuteur de ses enfants,
Mérovée dont la dynastie commence à la défaite d'Attila à Châlons.
Il mourut en 457. Son fils Childéric s'adonnant à l'amour des femmes,
et méprisé par les soldats francs, est exilé, les Francs aimant mieux
vivre sous la loi de Rome que sous un chef à eux, s'il est indigne. Il
reçoit asile à la cour du roi de Thuringe et y séjourne. Son
principal officier à Amiens, à son départ, rompt un anneau en deux,
et, lui en donnant la moitié, lui dit de revenir lorsqu'il en recevra
l'autre moitié. Et, après un grand nombre de jours, la moitié de
l'anneau rompu lui est renvoyée; il revient et les Francs l'acceptent
pour roi.
La reine de Thuringe le suit (je ne puis trouver si son mari mourut
avant--et encore moins, s'il mourut, de quelle mort), et s'offre à lui
comme épouse.
«J'ai connu ton utilité, et que tu es très puissant, et je suis venue
vivre avec toi. Si j'eusse connu au-delà de la mer quelqu'un de plus
utile que toi j'aurais cherché à vivre avec _lui._»
Il la prit pour femme et leur fils est Clovis.
11. Une histoire surprenante; jusqu'où est-elle littéralement vraie
n'est pour nous d'aucun intérêt; le mythe et sa portée réelle nous
découvrent la nature du royaume français et prophétisent sa future
destinée. Valeur personnelle, beauté personnelle, fidélité aux rois,
amour des femmes, dédain du mariage sans amour, notez que toutes ces
choses y étaient tenues pour essentielles, et que dans leur corruption
sera la fin du Franc comme dans leur force était sa gloire première.
La valeur personnelle est estimée. L'_Utilitas_, clef de voûte de
tout. La naissance rien, à moins qu'elle n'apporte avec elle la valeur;
la loi de primogéniture inconnue; et la décence de la conduite
apparemment aussi (mais rappelez-vous que nous sommes tous encore
païens).
12. Dégageons en tout cas nos dates et notre géographie du grand
«nulle part» de la mémoire confuse, et groupons-les bien avant
d'aller plus loin.
457. Mérovée meurt. L'utile Childéric, en comptant son exil et son
règne à Amiens, est roi en tout vingt-quatre ans, de 457 à 481, et
pendant son règne Odoacre met fin à l'empire romain en Italie (476).
481. Clovis n'a que quinze ans quand il succède à son père, comme roi
des Francs à Amiens. À ce moment un débris de la puissance romaine
persiste isolé dans la France centrale, pendant que quatre nations
fortes et en partie sauvages forment une croix autour de ce centre
mourant; les Francs au nord, les Bretons à l'ouest, les Burgondes à
l'est, les Wisigoths, les plus puissants de tous et les plus affinés,
de la Loire à la mer.
Tracez vous-même d'abord une carte de France de la dimension qui vous
conviendra comme dans la planche I[67] (_fig._ 1), en indiquant
seulement le court des cinq fleuves, Somme, Seine, Loire, Saône et
Rhône; puis, sommairement, vous voyez qu'elle était divisée à cette
époque comme cela est indiqué sur la figure 2: la partie
fleur-de-lysée figurant les Francs, le signe[68] les Bretons,[69] les
Burgondes,[70] les Wisigoths. Je ne sais pas exactement jusqu'où
ceux-ci entrés en Provence par le Rhône y pénétrèrent; mais je
crois que le mieux est d'indiquer la Provence comme semée de roses.
13. Maintenant sous Clovis les Francs livrèrent trois grandes
batailles. La première contre les Romains, près de Soissons, qu'ils
gagnent, et ils deviennent maîtres de la France jusqu'à la Loire.
Copiez la carte rudimentaire (_fig._ 2) et mettez la fleur de lis sur
tout le milieu, couvrant les Romains (_fig._ 3). Cette bataille fut
gagnée par Clovis, je crois, avant qu'il n'épousât Clotilde. Il gagne
par elle sa princesse; cependant, ne peut pas obtenir son joli vase pour
lui en faire présent. Retenez bien cette histoire, ainsi que la
bataille de Soissons, comme donnant le centre de la France aux Français
et mettant fin ici pour toujours à la domination romaine.
Deuxièmement, après qu'il a épousé Clotilde, les farouches Germains
venus du nord l'attaquent, lui, et il a à défendre sa vie et son
trône à Tolbiac. Ceci est la bataille dans laquelle il invoque le Dieu
de Clotilde et est délivré des Germains grâce à son appui. Sur quoi
il est couronné à Reims par saint Rémi. Et maintenant dans la
puissance nouvelle de son christianisme, de sa double victoire sur Rome
et la Germanie, et son amour pour sa reine, et son ambition pour son
peuple, il regarde souvent vers ce vaste royaume des Wisigoths situé
entre la Loire et les montagnes neigeuses. Est-ce que le Christ et les
Francs ne seront pas plus forts que de vilains Wisigoths, «qui sont
encore en plus Ariens»? Tous les Francs partagent avec lui cette
opinion. Alors il marche contre les Wisigoths, les rencontre eux et leur
Alaric à Poitiers, achève leur Alaric et leur arianisme et emmène ses
fidèles Francs vers le Pic du Midi.
14. Et maintenant il vous faut dessiner de nouveau la carte de France et
mettre la fleur de lis sur toute sa masse centrale, de Calais aux
Pyrénées. Seules restent encore en dehors la Bretagne à l'ouest, la
Burgondie à l'est et la rose blanche de Provence au-delà du Rhône. Et
maintenant le pauvre petit Amiens est devenu une simple ville frontière
comme notre Durham, et la Somme un cours d'eau frontière comme notre
Tyne. La Loire et la Seine sont maintenant les deux grands fleuves
français, et les hommes auront l'idée de bâtir des villes sur leur
cours, tandis que les plaines, bien arrosées, donnant non de la tourbe,
mais de riches pâturages, pourront se reposer sous la protection des
châteaux mutins des rochers et des tours fortifiées des îles. Mais
examinons d'un peu plus près ce que le changement des signes sur notre
carte peut signifier: cinq fleurs de lis au lieu des barres
horizontales.
Ils ne signifient certainement pas que tous les Goths sont partis, et
qu'il n'y a plus personne en France que les Francs? Les Francs n'ont pas
massacré les hommes, femmes, et enfants Wisigoths, de la Loire à la
Garonne. Bien plus, là où leur propre trône est encore assis près de
la Somme, le peuple né sur la tourbe qu'ils ont trouvé là y vit
encore, quoique assujetti. Francs, Goths, ou Romains peuvent flotter
çà et là par troupes, envahisseurs ou fuyards; mais immuable à
travers toutes les tourmentes de la guerre, le peuple rural dont ils
pillent les cabanes, dont ils ravagent les fermes, et sur les arts
duquel ils règnent, doit encore diligemment et silencieusement, et sans
avoir le temps de se plaindre, labourer, semer, nourrir les troupeaux.
Sinon, comment Francs ou Huns, Wisigoths ou Romains pourraient-ils vivre
là un mois, ou combattre un jour?
15. Quels que soient le nom ou les mœurs des maîtres, au fond, la
population laborieuse reste forcément la même; et le chevrier des
Pyrénées, le vigneron de la Garonne, la laitière de Picardie,
quelques maîtres que vous leur donniez, demeureront toujours sur leur
sol, fleurissants comme les arbres du champ, endurants comme les rochers
du désert. Et ceux-ci, la trame et la substance première de la nation,
sont divisés non par dynasties, mais par climats, et sont forts ici et
impuissants là, de par des privilèges que la tyrannie d'aucun
envahisseur ne peut abolir et des défauts que la prédication d'aucun
ermite ne peut corriger. Aussi laissons maintenant, si vous le voulez,
pour une minute ou deux, notre histoire et lisons les leçons de la
terre immuable et du ciel.
16. Dans l'ancien temps, quand on allait en poste de Calais à Paris, il
y avait environ une demi-heure de trot sur terrain plat de la porte de
Calais à la longue colline calcaire qu'il fallait gravir avant
d'arriver au village de Marquise, où était le premier relai.
Cette colline de chaux, est à vrai dire la façade de la France; le
dernier morceau de plaine qui est au nord est, l'extrémité des
Flandres; au sud, s'étend maintenant une région de chaux et de belle
pierre calcaire à bâtir; si vous ouvrez bien les yeux, vous pouvez en
voir une grande carrière à l'ouest du chemin de fer, à mi-chemin
entre Calais et Boulogne, là où fut jadis une rocheuse petite vallée
bénie, et qui s'ouvrait sur des pelouses veloutées; cette région
calcaire, élevée mais jamais montagneuse, s'étend autour du bassin
calcaire de Paris, vers Caen d'un côté et Nancy de l'autre et au sud
jusqu'à Bourges et le Limousin. Ce pays de pierre à chaux avec son air
frais et vif, labourable en tous les points de sa surface et tout en
carrières sous les prairies bien arrosées, est le vrai pays des
Français. Ici seulement leurs arts ont trouvé leur développement
original. Plus loin, au sud, ce sont des Gascons ou Limousins, ou
Auvergnats, ou autre chose d'analogue. À l'ouest, des Bretons, d'une
pâleur de granit, à l'est des Burgondes pareils aux ours des Alpes,
ici seulement sur la chaux et le marbre aux beaux grains entre, disons
Amiens et Chartres d'un côté, Caen et Reims de l'autre, vous avez la
vraie _France._
17. De laquelle avant que nous poursuivions l'histoire de sa vraie vie,
je dois demander au lecteur d'examiner un peu avec moi, comment
l'histoire, ou ce qu'on appelle ainsi, a été écrite la plupart du
temps et en quels détails on la fait ordinairement consister.
Supposons que l'histoire du roi Lear fût une histoire vraie; et qu'un
historien moderne en donnât un résumé dans un manuel scolaire
destiné à renfermer tous les faits essentiels de l'histoire
d'Angleterre qui peuvent être utiles à la jeunesse anglaise au point
de vue des concours. L'histoire serait racontée à peu près de cette
manière:
«Le règne du dernier roi de la soixante-dix-neuvième dynastie se
termina par une série d'événements dont il est pénible de salir les
pages de l'histoire. Le faible vieillard désirait partager son royaume
en douaires pour ses trois filles; mais comme il leur proposait cet
arrangement, voyant que la plus jeune l'accueillait avec froideur et
réserve, il la chassa de sa cour et partagea son royaume entre les deux
aînées.
«La plus jeune trouva asile à la cour de France où, à la fin, le
prince royal l'épousa. Mais les deux aînées étant arrivées au
pouvoir suprême traitèrent leur père d'abord avec irrespect, et
bientôt avec mépris. Se voyant à la fin refuser le soutien
nécessaire à ses déclinantes années, le vieux roi, dans un transport
de douleur, quitta son palais avec, raconte-t-on, son fou de cour comme
seul serviteur, et, en proie à une sorte de folie, il erra demi-nu, par
les tempêtes de l'hiver, dans les bois de la Bretagne.
18. «À la nouvelle de ces événements, sa plus jeune fille rassembla
en hâte une armée et envahit le territoire de ses sœurs ingrates,
dans l'intention de rétablir son père sur son trône; mais,
rencontrant une force bien disciplinée sous le commandement de l'amant
de sa sœur aînée, Edmond, fils bâtard du comte de Glocester, elle
fut elle-même vaincue, jetée en prison et bientôt après étranglée
par les ordres de sa sœur adultère. Le vieux roi mourut en recevant la
nouvelle de sa mort; et ceux qui participèrent à ces crimes reçurent
bientôt après leur récompense; car les deux méchantes reines se
disputant l'amour du bâtard, celle qu'il regardait avec le moins de
faveur empoisonna l'autre et après se tua. Edmond reçut ensuite la
mort de la main de son frère, le fils légitime de Glocester, sous
l'autorité duquel, ainsi que celle du comte de Kent, le royaume demeura
pendant plusieurs années.»
Imaginez cet exposé succinctement gracieux de ce que les historiens
considèrent être les faits, orné de gravures sur bois aux dures
oppositions de blanc et de noir qui représenteraient le moment où on
arrache les yeux à Glocester, le délire de Lear, la strangulation de
Cordelia et le suicide de Goneril, et vous avez le type de l'histoire
populaire du XIXe siècle, qui, vous pouvez vous en apercevoir après un
peu de réflexion, est une lecture aussi profitable aux jeunes personnes
(en ce qui concerne la teinte générale et la pureté de leurs
pensées) que le serait la statistique de New Gate, avec cette
circonstance infiniment aggravante que, tandis que le tableau des crimes
de la prison enseignerait à une jeunesse réfléchie les dangers d'une
vie basse et des mauvaises fréquentations, le tableau des crimes royaux
détruit son respect pour toute espèce de gouvernement et sa foi dans
les décrets de la Providence elle-même.
19. Des livres ayant de plus hautes prétentions, écrits par des
banquiers, des membres du Parlement ou des clergymens orthodoxes ne
manquent pas non plus; ils montrent que le progrès de la civilisation
consiste dans la victoire de l'usure sur le préjugé ecclésiastique ou
dans l'extension des privilèges parlementaires à quelque bourg de
Puddlecombe, ou dans l'extinction des ténébreuses superstitions de la
Papauté en la glorieuse lumière de la Réforme. Finalement vous avez
un résumé d'histoire philosophique qui vous prouve qu'il n'y a aucune
apparence que jamais, en quoi que ce soit, la Providence ait gouverné
les affaires humaines; que toutes les actions vertueuses ont des motifs
égoïstes; et qu'un égoïsme scientifique avec des communications
télégraphiques appropriées et une connaissance parfaite de toutes les
espèces de bactéries, assureront d'une manière complète le futur
bien-être des classes supérieures de la société et la résignation
respectueuse des classes inférieures.
En attendant, les deux influences laissées de côté, la Providence du
ciel et la vertu des hommes ont gouverné et gouvernent le monde, et non
de façon invisible: et elles sont les seules puissances au sujet de qui
l'histoire ait jamais à nous apprendre quelque vérité profitable.
Cachée sous toute douleur, il y a la force de la vertu; au-dessus de
toutes les ruines, la charité réparatrice de Dieu. Ce sont-elles
seules que nous avons à considérer; en elles seules nous pouvons
comprendre le passé et prédire l'avenir, la destinée des siècles.
20. Je reviens à l'histoire de Clovis, roi maintenant de toute la
France centrale. Fixez l'année 500 dans vos esprits comme la date
approximative de son baptême à Reims et du sermon que lui fait saint
Rémi lui parlant des souffrances et de la passion du Christ jusqu'à ce
que Clovis s'élance de son trône, saisissant sa lance et s'écriant:
«Si j'avais été là avec mes braves Francs j'aurais vengé ses
injures.»
«Il y a peu de doute», poursuit l'historien cockney, que la conversion
de Clovis fût affaire de politique autant que de foi. Mais l'historien
cockney ferait mieux de limiter ses remarques sur les caractères et les
croyances des hommes à ceux des curés qui sont récemment entrés dans
les ordres dans son voisinage fashionable ou des évêques qui ont
prêché, ces derniers temps, à la population de ses faubourgs
manufacturiers. Les rois francs étaient pétris d'une autre argile.
21. Le christianisme de Clovis ne produit, en effet, aucun fruit du
genre de ceux qu'on remarque chez un moderne converti. Nous n'apprenons
pas qu'il se soit repenti du moindre de ses péchés ni qu'il ait
résolu de mener une vie en quoi que ce soit nouvelle. Il n'a pas été
pénétré de la doctrine du péché à la bataille de Tolbiac; ni en
invoquant le secours du Dieu de Clotilde, il n'a senti naître en lui ni
manifesté l'intention la plus lointaine de changer son caractère ou
d'abandonner ses projets. Ce qu'il était avant qu'il crût au Dieu de
sa reine, il le resta, avec beaucoup plus de force seulement, dans sa
confiance nouvelle en l'appui surnaturel de ce Dieu auparavant inconnu.
Sa gratitude naturelle envers la Puissance Libératrice et l'orgueil
d'en être protégé, ajoutèrent seulement de la violence à ses
habitudes de soldat, et accrurent sa haine politique de toute la force
de l'indignation religieuse. Les démons n'ont jamais tendu de piège
plus dangereux à la fragilité humaine que la croyance que nos ennemis
sont aussi les ennemis de Dieu; et je conçois parfaitement que la
conduite de Clovis ait pu être plus dénuée de scrupules précisément
dans la mesure où sa foi était plus sincère.
Si Clovis ou Clotilde avaient pleinement compris les préceptes de leur
maître, l'histoire à venir de la France et de l'Europe aurait été
autre qu'elle n'est. Ce qu'ils étaient capables de comprendre ou en
tous cas ce qui leur fut enseigné, vous verrez qu'ils y obéirent, et
qu'ils furent bénis en y obéissant. Mais leur histoire est compliquée
de celle de plusieurs autres personnages relativement auxquels nous
devons noter maintenant quelques détails trop oubliés.
22. Si au pied de l'abside de la cathédrale d'Amiens, nous prenons la
rue qui conduit exactement au sud, après avoir laissé la route du
chemin de fer à gauche, elle nous amène au bas d'une côte qui monte
graduellement--à peu près la longueur d'un demi-mille; c'est une
promenade assez agréable et douce, qui se termine au niveau du terrain
le plus élevé qu'il y ait près d'Amiens; d'où, regardant en
arrière, nous voyons au-dessous de nous la cathédrale entière,
excepté la flèche, le sommet que nous avons atteint étant de niveau
avec le faîte de la cathédrale; et, au sud, la plaine de France.
C'est à peu près à cet endroit, ou sur le chemin qui va de là à
Saint-Acheul, que se trouvait l'ancienne porte romaine des Jumeaux où
l'on voyait Romulus et Rémus nourris par la louve; et par laquelle
sortit d'Amiens à cheval, un jour de dur hiver, cent soixante-dix ans
avant que Clovis fût baptisé, un soldat romain enveloppé dans son
manteau de cavalier[71], sur la chaussée qui faisait partie de la
grande route romaine de Lyon à Boulogne.
23. Et cela vaut bien aussi que, quelque jour glacé d'automne ou
d'hiver, quand le vent d'est est fort, vous restiez quelques moments à
cette place à sentir son souffle, en vous rappelant ce qui s'est passé
là, mémorable pour tous les hommes, et profitable, dans cet hiver de
l'année 332, pendant que les gens mouraient de froid dans les rues
d'Amiens; notamment ceci: que le cavalier romain, à peine sorti de la
porte de la ville, rencontra un mendiant nu, tremblant de froid; et que,
ne voyant pas d'autre moyen de l'abriter, il tira son épée, partagea
son manteau en deux, et lui en donna une moitié.
Pas un don ruineux, ni même d'une générosité enthousiaste: la coupe
d'eau fraîche de Sidney exigeait plus d'abnégation; et je suis bien
certain que plus d'un enfant chrétien de nos jours, lui-même bien
réchauffé et habillé, rencontrant un homme nu et gelé, serait prêt
à retirer son manteau de ses épaules et à le donner tout entier au
nécessiteux si sa nourrice mieux avisée, ou sa maman, le lui
laissaient faire. Mais le soldat romain n'était pas un chrétien et
accomplissait sa charité sereine en toute simplicité, et pourtant avec
prudence.
Quoi qu'il en soit, cette même nuit il contempla dans un rêve le
Seigneur Jésus, qui était devant lui, au milieu des anges, ayant sur
ses épaules la moitié du manteau dont il avait fait don au mendiant.
Et Jésus dit aux anges qui étaient autour de lui: «Savez-vous qui m'a
ainsi velu? Mon serviteur Martin, quoique non baptisé encore, a fait
cela.» Et Martin, après cette vision, s'empressa de recevoir le
baptême, étant alors dans sa vingt-deuxième année[72]. Que ces
choses se soient jamais passées ainsi, ou jusqu'à quel point elles se
sont passées ainsi, lecteur crédule ou incrédule, n'est ni votre
affaire, ni la mienne. Mais de ces choses, ce qui est et sera
éternellement _ainsi_--notamment la vérité infaillible de la leçon
ici enseignée, et les conséquences actuelles de la vie de saint Martin
sur l'esprit de la chrétienté--est, très absolument, l'affaire de
tout être raisonnable dans un royaume chrétien quelconque.
24. Vous devez d'abord comprendre avant tout que le caractère propre de
saint Martin est une charité sereine et douce envers toutes les
créatures. Il n'est pas un saint qui prêche--encore moins qui
persécute, pas même un saint inquiet. De ses prières, nous entendons
peu,--de ses vœux, rien. Ce qu'il fait toujours, c'est seulement la
chose juste au moment juste; la rectitude et la bonté ne faisant qu'un
dans son âme: un saint extrêmement exemplaire, à mon avis.
Converti, baptisé, et conscient d'avoir vu le Christ, il ne tourmente
pas ses officiers pour cela, ne cherche pas à faire de prosélytes dans
sa cohorte. «C'est l'affaire du Christ, assurément!--S'il a besoin
d'eux, il peut leur apparaître comme il m'est apparu» paraît être
son sentiment dans les jours qui suivent son baptême. Il reste
soixant-dix ans dans l'armée, toujours aussi calme. Au bout de ce
temps, pensant qu'il pourrait être bien de prendre d'autres fonctions,
il demande à l'empereur Julien d'accepter sa démission. Celui-ci,
l'ayant accusé de pusillanimité, Martin lui offre de conduire sa
cohorte au combat, sans armes et portant seulement le signe de la croix.
Julien le prend au mot, le garde jusqu'à ce que l'époque du combat
approche, mais la veille du jour où il compte le mettre ainsi à
l'épreuve, l'ennemi envoie une ambassade avec des offres de soumission
et de paix.
25. On n'insiste pas souvent sur cette histoire; jusqu'où elle est
littéralement vraie, remarquez-le de nouveau, ne nous importe pas le
moins du monde; ici la leçon est donnée pour toujours de la manière
dont un soldat chrétien devrait rencontrer ses ennemis. Leçon grâce
à laquelle, si le Mr Greatheart[73] de John Bunyan l'avait comprise,
les portes célestes se seraient ouvertes de nos jours à plus d'un
pèlerin qui n'a pas su se frayer un chemin jusqu'à elles avec l'épée
de violence.
Mais l'histoire est vraie en quelque façon pratiquement et
effectivement; car, après un certain temps, sans aucun discours, ni
anathème, ni agitation d'aucune sorte, nous trouvons le chevalier
romain fait évêque de Tours et devenant une influence de bien sans
mélange pour toute l'humanité, alors et dans la suite. Et de fait
l'histoire de son manteau de chevalier se répète pour sa robe
d'évêque, et il ne faut pas la rejeter parce qu'il est probable que
c'est une invention car il est tout aussi probable que ce fut une
action.
26. Allant dans ses plus beaux habits dire les prières à l'église,
avec un de ses diacres, il rencontra sur la route un malheureux sans
vêtements, et ordonna à son diacre de lui donner une cotte ou tunique
quelconque.
Le diacre objectant qu'il n'avait sous la main aucun habillement
profane, saint Martin, avec sa sérénité accoutumée, enlève son
étole épiscopale ou telle autre majestueuse et flottante parure que
cela pouvait être, la jette sur les épaules nues du mendiant, et,
continuant son chemin, va accomplir le service divin, incorrect, en
gilet ou tel vêtement de dessous du moyen âge qui lui restait.
Mais, comme il était debout devant l'autel, un globe de lumière parut
au-dessus de sa tête, et quand il éleva ses bras nus avec l'Hostie on
vit autour de lui les anges qui tenaient au-dessus de sa tête des
chaînes d'or et des joyaux qui n'avaient rien de terrestre.
27. Ce n'est pas croyable pour vous, ni dans la nature des choses, sage
lecteur, et trop évidemment ce n'est qu'une glose que l'extravagance
monastique donne du récit primitif.
Soit. Toutefois cette création de l'extravagance monastique comprise
par le cœur eût été le châtiment et le frein de toute forme de
l'orgueil et de la sensualité de l'Église qui, de nos jours, a
littéralement abaissé le service de Dieu et de ses pauvres au service
du clergyman et de ses riches; et fait de ce qu'était jadis pour
l'esprit découragé la parure de la louange, les paillettes des
paillasses dans une mascarade ecclésiastique.
28. Mais encore une légende, et nous en aurons assez pour voir les
racines de l'influence étrange et universelle de ce saint sur la
chrétienté.
«Ce qui distingue particulièrement saint Martin fut la sérénité
douce, sérieuse et inaltérable; personne ne l'avait jamais vu ni en
colère, ni triste, ni gai, il n'y avait rien dans son cœur que la
piété envers Dieu et la pitié envers les hommes. Le diable qui était
particulièrement jaloux de ses vertus détestait par-dessus tout son
extrême charité, parce qu'elle était le plus nuisible à sa propre
puissance et, un jour, il lui reprocha ironiquement de si vite
accueillir favorablement les pécheurs et les repentis. Mais saint
Martin lui répondit tristement: «Oh! malheureux que tu es! si _toi_
aussi tu pouvais cesser de poursuivre et de séduire de misérables
créatures, si, toi aussi, tu pouvais te repentir, tu obtiendrais de
Jésus-Christ ta grâce et ton pardon[74].»
29. Dans cette douceur était sa force; et l'on ne peut mieux en
apprécier l'efficacité pratique qu'en comparant la portée de son
œuvre à celle de l'œuvre de saint Firmin.
L'impatient missionnaire tapage et crie comme un énergumène dans les
rues d'Amiens, insulte, exhorte, persuade, baptise, met tout, comme nous
l'avons dit, sens dessus dessous pendant quarante jours: après quoi il
a la tête tranchée, et son nom n'est plus jamais prononcé _hors_
d'Amiens.
Saint Martin ne contrarie personne, ne dépense pas un souffle en une
exhortation désagréable, comprend par la première leçon du Christ à
lui-même que des gens non baptisés peuvent être aussi bons que des
baptisés si leurs cœurs sont purs; il aide, pardonne, console
(sociable jusqu'à partager la coupe de l'amitié) avec autant
d'empressement le manant que le roi; il est le patron d'une honnête
boisson[75], l'odeur de la farce de votre oie de la Saint-Martin est
agréable à ses narines et sacrés sont pour lui les rayons de l'été
qui s'en va. Et, de façon ou d'autre, près et loin, les idoles
chancellent devant lui, les dieux païens s'évanouissent, son Christ
devient le Christ de tous les hommes, son nom est invoqué au pied
d'innombrables nouveaux autels dans tous les pays, sur les hauteurs des
collines romaines comme au fond des champs anglais. Saint Augustin
baptisa les premiers Anglais qu'il convertit dans l'église de
Saint-Martin à Cantorbéry; et à Londres la station de Charing Cross
elle-même n'a pas entièrement effacé des esprits sa mémoire ou son
nom.
30. L'histoire de la Robe épiscopale est la dernière histoire relative
à saint Martin dont je me risquerai à vous dire qu'il est plus sage de
la tenir pour littéralement vraie que pour un simple mythe; bien
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