La Bible d'Amiens - 13

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superstitions comme les autres pays; mais elle fut si peu la mère de la
superstition qu'on peut dire que la foi d'aucun peuple--entre les races
imaginatives du monde entier--ne connut peut-être aussi peu le
prosélytisme que la sienne. Elle ne prévalut pas même sur le plus
proche de ses voisins pour lui faire adorer avec elle des chats et des
cobras; et je suis seul, à ce que je crois, parmi les écrivains
récents à conserver l'opinion d'Hérodote[136] sur l'influence qu'elle
a exercée sur la théologie archaïque de la Grèce. Mais cette
influence, si influence il y eut, consista seulement à en ébaucher la
forme et non à lui donner des rites; de sorte que dans aucun cas et
pour aucun pays, l'Égypte ne fut la mère de la superstition: tandis
que sans discussion possible, elle fut pour tous les peuples, et pour
toujours, la mère de la géométrie, de l'astronomie, de l'architecture
et de la chevalerie. Elle fut pour les éléments matériels et
techniques maîtresse de littérature, enseignant à des auteurs qui
auparavant ne pouvaient qu'écorcher, la cire et le bois, à fabriquer
le papier et à graver le porphyre. Elle fut la première à exposer la
loi du Jugement du Péché après la Mort. Elle fut l'Éducatrice de
Moïse; et l'Hôtesse du Christ.
28. Il est à la fois probable et naturel que dans un tel pays les
disciples de toute nouvelle doctrine spirituelle l'amenèrent à une
perfection qu'elle n'eût pas atteinte parmi les guerriers illettrés ou
dans les solitudes tourmentées par les tempêtes du Nord. Ce serait
pourtant une erreur absurde que d'attribuer à l'ardeur isolée du
monachisme égyptien la puissance future de la fraternité des
cloîtres. Les anachorètes des trois premiers siècles s'évanouissent
comme les spectres de la fièvre, lorsque les lois rationnelles,
miséricordieuses et laborieuses des sociétés chrétiennes sont
établies; et les récompenses clairement reconnaissables de la solitude
céleste sont accordées à ceux-là seulement qui cherchent le désert
pour sa rédemption[137].
29. «La récompense clairement reconnaissable», je le répète et avec
une énergie voulue. Aucun homme ne possède d'équivalent pour
apprécier, encore moins pour juger d'une manière certaine, jusqu'à ce
qu'il ait eu le courage de l'essayer lui-même, les résultats d'une vie
de renoncement sincère; mais je ne crois pas qu'aucune personne
raisonnable voulût ou osât nier les avantages à la fois de corps et
d'esprit qu'elle a ressentis durant les périodes où elle a été
accidentellement privée de luxe, ou exposée au danger. L'extrême
vanité de l'Anglais moderne qui fait de lui-même un Stylite momentané
sur la pointe d'un Horn[138] ou d'une Aiguille et sa confession
occasionnelle du charme de la solitude dans les rochers, dont il modifie
néanmoins l'âpreté en ayant son journal dans sa poche et à la
prolongation de laquelle il échappe avec reconnaissance grâce a la
plus prochaine table d'hôte, devrait nous rendre moins dédaigneux de
l'orgueil, et plus compréhensifs de l'état d'âme dans lequel les
anachorètes des montagnes d'Arabie et de Palestine se condamnaient à
une vie de retraite et de souffrance sans autre réconfort que des
visions surnaturelles ou l'espoir céleste. Que des formes pathologiques
de l'état mental soient la conséquence nécessaire d'émotions
excessives et toutes subjectives, quelles que soient d'ailleurs ces
émotions, revient à l'esprit quand on lit les légendes du désert;
mais ni les médecins ni les moralistes n'ont encore essayé de
distinguer les états morbides de l'intelligence[139] où vient finir un
noble enthousiasme de ceux qui sont les châtiments de l'ambition, de
l'avarice ou de la débauche.
30. Laissant de côté pour le moment toute question de cette nature,
mes jeunes lecteurs doivent retenir en somme, ce fait que durant tout le
IVe siècle, des multitudes d'hommes dévoués ont mené des vies de
pauvreté et de misère extrême pour s'efforcer d'arriver à une
connaissance plus intime de l'Être et de la Volonté de Dieu. Nous
n'avons aucune lumière qui nous permette de savoir utilement ni ce
qu'ils souffrirent ni ce qu'ils apprirent. Nous ne pouvons pas
apprécier l'influence édifiante ou réprobatrice de leurs exemples sur
le monde chrétien moins zélé; et Dieu seul sait jusqu'où leurs
prières furent entendues ou leurs personnes agréées. Nous pouvons
seulement constater avec respect que dans leur grand nombre pas un seul
ne semble s'être repenti d'avoir choisi cette sorte d'existence, aucun
n'a péri par mélancolie ou suicide; les souffrances auxquelles ils se
condamnèrent eux-mêmes, ils ne se les infligèrent jamais dans
l'espoir d'abréger les vies qu'elles rendent amères ou qu'elles
purifient; et les heures de rêve ou de méditation sur la montagne ou
dans la grotte paraissent rarement s'être traînées pour eux aussi
lourdement que celles que, sans vision ni réflexion, nous passons
nous-mêmes sur le quai et sous le tunnel.
31. Mais quelque jugement qu'on doive porter après un dernier et
consciencieux examen, sur les folies ou les vertus de la vie
d'anachorète, nous serions injustes envers Jérôme si nous le
regardions comme son introducteur dans l'Ouest de l'Europe. Il l'a
traversée lui-même comme une phase de la discipline spirituelle; mais
il représente dans sa nature entière et dans son œuvre finale, non
pas l'inactivité chagrine de l'Ermite, mais le labeur ardent d'un
maître et d'un pasteur bienfaisants. Son cœur est dans une continuelle
ferveur d'admiration ou d'espérance--restant jusqu'à la fin non
seulement aussi impétueux que celui d'un enfant mais aussi affectueux;
et les contradictions du point de vue protestant qui ont dénaturé ou
dissimulé son caractère se reconnaîtront dans un obscur portrait de
sa réelle personnalité lorsque nous arriverons a comprendre la
simplicité de sa foi, et sympathiser un peu avec la charité ardente
qui peut si facilement être froissée jusqu'à l'indignation et n'est
jamais contenue par le calcul.
32. Le peu de confiance que doivent nous inspirer les éditions modernes
dans lesquelles nous le lisons peut se démontrer en comparant les deux
passages dans lesquels Milman a exposé d'une façon entièrement
différente les principes dirigeants de sa conduite politique.
«Jérôme commence (!) et finit sa carrière en moine de Palestine; il
n'arriva, _il n'aspira_ à aucune dignité dans l'Église. Bien
qu'ordonné prêtre contre son gré, il échappa à la dignité
épiscopale qui fut imposée aux prêtres les plus distingués de son
temps.» (_Histoire du Christianisme_, Liv. III).
«Jérôme chérissait en secret l'espérance si même ce n'était pas
l'objet avoué de son ambition, de succéder à Damas comme évêque de
Rome. Le refus qui fut opposé à l'aspirant si singulièrement impropre
à cette situation par ses passions violentes, sa façon insolente de
traiter ses adversaires, son manque absolu d'empire sur soi-même, sa
faculté presque sans rivale d'éveiller la haine, doit-il être
attribué à la sagesse instinctive et avisée de Rome? (_Histoire du
Christianisme Latin_, Liv. I, chap. II.)
33. Vous pouvez observer comme un caractère très fréquent de la
«sagesse avisée» de l'esprit protestant clérical, qu'il suppose
instinctivement que le désir du pouvoir et d'une situation n'est pas
seulement universel dans le clergé, mais est toujours purement
égoïste dans ses motifs. L'idée qu'il soit possible de rechercher
l'influence pour l'usage bienfaisant qu'on peut en faire ne se présente
pas une fois dans les pages d'un seul historien ecclésiastique
d'époque récente. Dans nos études des temps passés nous mettrons
tranquillement hors de cause, avec la permission des lecteurs, tous les
récits des «espérances chéries en secret» et nous donnerons fort
peu d'attention aux raisons de la conduite des hommes du moyen âge qui
paraissent logiques aux rationalistes, et probables aux
politiciens[140]. Nous nous occuperons seulement de ce que ces
singuliers et fantastiques chrétiens du passé dirent d'audible et
firent de certain.
La vie de Jérôme ne commence en aucune façon comme celle d'un moine
de Palestine; Dean Milman ne nous a pas expliqué comment celle d'aucun
homme le pourrait; mais l'enfance de Jérôme en tout cas fut tout autre
que recluse, ou précocement religieuse. Il était né de riches parents
vivant de leur propre bien; c'est peut-être le nom de sa ville natale
au nord de l'Illyrie (Stridon) qui s'est adouci aujourd'hui en Strigi,
près d'Aquileja[141]. En tout cas c'était sous le climat vénitien et
en vue des Alpes et de la mer. Il avait un frère et une sœur, un bon
grand-père, un précepteur désagréable, et était encore un jeune
homme faisant ses études de grammaire à la mort de Julien en 363.
Un jeune homme de dix-huit ans qui avait été bien commencé dans tous
les établissements d'études classiques, mais très loin d'être un
moine, pas encore un chrétien ni même disposé du tout à remplir les
charges trop sévères pour lui de la vie romaine elle-même! et
contemplant sans aversion les splendeurs mondaines ou sacrées qui
brillaient à ses yeux durant les années de collège qu'il passait dans
la capitale.
Car «le prestige et la majesté du paganisme étaient encore
concentrés à Rome, les divinités de l'ancienne foi trouvaient leur
dernier refuge dans la capitale de l'Empire. Pour un étranger Rome
offrait encore l'aspect d'une cité païenne. Elle renfermait 132
temples et 180 plus petites chapelles ou autels encore consacrés à
leur Dieu tutélaire et servant à l'exercice public du culte. Le
Christianisme ne s'était jamais aventuré à s'emparer de ces quelques
monuments qui eussent pu être transformés à son usage, encore moins
avait-il le pouvoir de les détruire. Les édifices religieux étaient
sous la protection du préfet de la ville et le préfet était
habituellement un païen: en tout cas il n'eut souffert aucune atteinte
à la paix de la ville, aucune violation de la propriété publique.
«Dominant toute la ville de ses tours, le Capitole, dans sa majesté
inattaquée et solennelle, avec ses 30 temples ou autels, qui portaient
les noms les plus sacrés des annales religieuses et civiles de Rome,
ceux de Jupiter, de Mars, de Romulus, de César, de la Victoire.
Quelques années après l'avènement de Théodose à l'empire d'Orient
les sacrifices s'accomplissaient encore comme rites nationaux aux frais
du public, _les pontifes en faisaient l'offrande au nom du genre humain
tout entier._ L'orateur païen va jusqu'à déclarer que l'Empereur
aurait craint en les abolissant, de mettre en danger la sûreté de
l'État. L'empereur portait encore le titre et les insignes du Souverain
Pontife; les consuls avant d'entrer en fonctions montaient au Capitole,
les processions religieuses passaient à travers les rues encombrées et
le peuple se pressait aux fêtes et aux représentations qui faisaient
encore partie du culte païen[142].»
Là Jérôme a dû entendre parler de ce que toutes les sectes
chrétiennes tenaient pour le jugement de Dieu entre elles et leur
principal ennemi--la mort de l'empereur Julien. Mais nous ne possédons
rien qui nous permette de retracer et je ne veux pas conjecturer le
cours de ses propres pensées jusqu'au moment où la direction de sa vie
tout entière fut changée par le baptême. Nous devons à la candeur
qui est la base de son caractère une phrase de lui, relativement à ce
changement qui vaut des volumes d'une confession ordinaire. «Je quittai
non seulement mes parents et ma famille mais les habitudes luxueuses
d'une vie raffinée.»
Ces mots mettent en pleine lumière ce qui, à nos natures moins
courageuses semble l'interprétation exagérée par les nouveaux
convertis des paroles du Christ: «Celui qui aime son père et sa mère
plus que moi, n'est pas digne de moi[143].» Nous nous contentons de
quitter pour des intérêts très inférieurs notre père ou notre
mère, et ne voyons pas la nécessité d'aucun plus grand sacrifice;
nous connaîtrions plus de nous-mêmes et du christianisme si nous
avions plus souvent à soutenir l'épreuve que saint Jérôme trouvait
la plus difficile. J'ai vu que ses biographes lui donnaient çà et là
des marques de leur mépris parce qu'il est une jouissance à laquelle
il ne fut pas capable de renoncer, celle du savoir; et les railleries
habituelles sur l'ignorance et la paresse des moines se reportent dans
son cas sur la faiblesse d'un pèlerin assez luxueux pour porter sa
bibliothèque dans son havresac. Et il serait curieux de savoir (en
mettant comme il est de mode de le faire aujourd'hui l'idée de la
Providence entièrement de côté) si, sans cet enthousiasme littéraire
qui était dans une certaine mesure une faiblesse du caractère de ce
vieillard, la Bible fût jamais devenue la bibliothèque de l'Europe.
Car, c'est, remarquez-le, la signification réelle dans sa vertu
première du mot _Bible_[144]: non pas livre simplement; mais
«Bibliotheca», Trésor de Livres; et il serait, je le répète,
curieux de savoir jusqu'à quel point,--si Jérôme, au moment même où
Rome, qui l'avait instruit, était dépossédée de sa puissance
matérielle, n'avait pas fait de sa langue l'oracle de la prophétie
hébraïque, ne s'en était pas servi pour constituer une littérature
originale et une religion dégagée des terreurs de la loi
mosaïque,--l'esprit de la Bible eût pénétré dans les cœurs des
Goths, des Francs et des Saxons, sous Théodoric, Clovis et Alfred.
Le destin en avait décidé autrement et Jérôme était un instrument
si passif dans ses mains qu'il commença l'étude de l'Hébreu seulement
comme une discipline et sans aucune conception de la tâche qu'il avait
à accomplir[145] encore moins de la portée de cet accomplissement.
J'aurais de la joie à croire que les paroles du Christ: «S'ils
n'entendent pas Moïse et les Prophètes ils ne seront pas persuadés
quand même un mort ressusciterait[146]», hantèrent l'esprit du reclus
jusqu'à ce qu'il eût résolu que la voix de Moïse et des Prophètes
serait rendue audible aux églises de toute la terre. Mais, autant que
nous en avons la preuve, aucune telle volonté ni espérance n'exalta
les tranquilles instincts de son naturel studieux. Ce fut moitié par
exercice d'écrivain, moitié par récréation de vieillard qu'il se
plut à adoucir la sévérité de la langue latine, ainsi qu'un cristal
vénitien, au feu changeant de la pensée hébraïque; et le «Livre des
livres» prit la forme immuable dont tout l'art futur des nations de
l'Occident devait être une interprétation de jour en jour élargie.
Et à ce sujet vous avez à remarquer que le point capital n'est pas la
traduction des Écritures grecques et hébraïques en un langage plus
facile et plus général, mais le fait de les _avoir présentées à
l'Église comme étant d'autorité universelle._ Les premiers Gentils
parmi les chrétiens avaient naturellement une tendance à développer
oralement en l'exagérant ou en l'altérant l'enseignement de l'Apôtre
des Gentils jusqu'à ce que leur affranchissement de la servitude de la
loi judaïque fît place au doute sur son inspiration; et même après
la chute de Jérusalem, à l'interdiction épouvantée de son
observance. De sorte que, peu d'années seulement après que le reste
des Juifs exilés à Pella eut élu le Gentil Marcus comme évêque, et
obtenu l'autorisation de retourner à l'Oelia Capitolina bâtie par
Adrien sur la montagne de Sion, «ce devint un sujet de doute et de
controverse que de savoir si un homme qui sincèrement reconnaissait
Jésus comme le Messie mais qui continuait à observer la loi de Moïse
pouvait espérer le salut[147]». «Pendant que d'un autre côté les
plus instruits et les plus riches de ceux qui avaient le nom de
chrétiens, désignés généralement par l'appellation de «sachant»
(Gnostique), avaient plus insidieusement effacé l'autorité des
évangélistes en se séparant pendant le cours du IIIe siècle «en
plus de cinquante sectes distinctes dont on peut faire le compte, et
donnèrent naissance à une multitude d'ouvrages dans lesquels les actes
et les discours du Christ et de ses apôtres étaient adaptés à leurs
doctrines respectives[148].»
Ce serait une tâche d'une difficulté très grande et sans profit que
de déterminer dans quelle mesure le consentement de l'Église
générale et dans quelle mesure la vie et l'influence de Jérôme
contribuèrent à fixer dans leur harmonie et dans leur majesté
restées depuis intactes, les canons des Écritures Mosaïque et
Apostolique. Tout ce que le jeune lecteur a besoin de savoir c'est que,
quand Jérôme mourut à Bethléem, ce grand fait était virtuellement
accompli; et les suites de livres historiques et didactiques qui forment
notre Bible actuelle (en comptant les apocryphes) régnèrent dès lors
sur la pensée naissante des plus nobles races des hommes qui aient
vécu sur le globe, comme un message que leur adressait directement leur
créateur et qui,--renfermant tout ce qu'il était nécessaire pour eux
d'apprendre de ses desseins à leur égard,--leur commandait, ou
conseillait, avec une autorité divine et une infaillible sagesse ce qui
était pour eux le meilleur à faire et le plus heureux à souhaiter.
41. Et c'est seulement à ceux-là qui ont obéi sincèrement à la loi
de dire jusqu'où l'espérance qui leur a été donnée par le
dispensateur de la loi a été réalisée. Les pires «enfants de
désobéissance[149]» sont ceux qui acceptent de la parole ce qu'ils
aiment et rejettent ce qu'ils haïssent; cette perversité n'est pas
toujours consciente chez eux, car la plus grande partie des péchés de
l'Église a été engendrée en elle par l'enthousiasme qui dans la
méditation et la défense passionnée de parties de l'Écriture
facilement saisies, a négligé l'étude et finalement détruit
l'équilibre du reste. Quelles formes revêt et quel chemin suit
l'esprit d'opiniâtreté avant qu'il arrive à forcer le sens des
Écritures pour la perdition d'un homme? Ceci est à examiner pour ceux
qui ont la charge des consciences, pas pour nous. L'histoire que nous
avons à apprendre doit absolument être tenue en dehors d'un tel
débat, et l'influence de la Bible observée exclusivement sur ceux qui
reçoivent la parole avec joie et lui obéissent en vérité.
42. Il y a toujours eu cependant une plus grande difficulté à
apprécier l'influence de la Bible qu'à distinguer les lecteurs
honnêtes des lecteurs de mauvaise foi. La prise du christianisme sur
les âmes des hommes devra être considérée, quand nous viendrons à
l'étudier de près, sous trois chefs: il y a d'abord le pouvoir de la
croix elle-même, et de la théorie du salut, sur le cœur; puis
l'action des Écritures judaïques et grecques sur l'esprit; puis
l'influence sur la morale, de l'enseignement et de l'exemple de la
hiérarchie existante. Et quand on veut comparer les hommes tels qu'ils
sont et tels qu'ils pourraient avoir été, ces trois questions doivent
se poser séparément dans l'esprit: premièrement qu'eût été le
caractère de l'Europe sans la charité et le travail signifiés par
«portant la Croix»; puis, secondement, que serait devenue
l'intellectualité de l'Europe sans la littérature biblique; et enfin
que serait devenu l'ordre social de l'Europe sans la hiérarchie de
l'Église.
43. Vous voyez que j'ai réuni les mots «charité» et «travail» sous
le terme général de «portant la croix». «Si quelqu'un veut me
suivre qu'il renonce à soi-même (par la charité) et porte sa croix
(par le labeur) et me suive[150].»
L'idée a été _exactement_ renversée par le protestantisme moderne
qui voit dans la croix non pas un gibet auquel il doit être cloué mais
un radeau sur lequel lui et toutes ses propriétés de valeur[151]
seront portés sur les flots jusqu'au paradis.
44. Aussi c'est seulement aux jours où la Croix était reçue avec
courage, l'Écriture méditée avec conscience et le Pasteur écouté
avec foi, que la pure parole de Dieu, la brillante épée de
l'Esprit[152] peuvent être reconnues dans le cœur et dans la main de
la Chrétienté. L'effet de la poésie et de la légende bibliques sur
sa pensée peut se suivre plus loin à travers les âges de décadence
et dans les champs sans limites; donnant naissance pour nous au _Paradis
perdu_, non moins qu'à la _Divine Comédie_;--au _Faust_ de Gœthe et
au _Caïn_ de Byron non moins qu'à l'_Imitation de Jésus-Christ._
45. Bien plus, l'écrivain qui veut comprendre le plus complètement
possible, l'influence de la Bible sur l'humanité, doit être capable de
lire les interprétations qui en sont données par les grands arts de
l'Europe à leur apogée. Dans chaque province de la chrétienté,
proportionnellement au degré de puissance artistique qu'elle
possédait, des séries d'illustrations de la Bible parurent
progressivement, commençant par les vignettes qui illustraient les
manuscrits et, en passant par la sculpture de grandeur naturelle,
finissant par atteindre sa pleine puissance dans une peinture pleine de
vérité. Ces enseignements et ces prédications de l'Église par le
moyen de l'art, ne sont pas seulement une partie des plus importantes de
l'action apostolique générale du christianisme, mais leur étude est
une partie nécessaire de l'étude biblique, si bien qu'aucun homme ne
peut comprendre la pensée profonde de la Bible elle-même tant qu'il
n'a pas appris à lire ces commentaires nationaux et n'a pas pris
conscience de leur valeur collective. Le lecteur protestant qui croit
porter sur la Bible un jugement indépendant et l'étudier par lui-même
n'en est pas moins à la merci du premier prédicateur doué d'un organe
agréable et d'une ingénieuse imagination[153]; recevant de lui avec
reconnaissance et souvent avec respect quelque interprétation des
textes que l'agréable organe ou l'esprit alerte puisse recommander;
mais, en même temps, il ignore entièrement, et, s'il est laissé à sa
propre volonté, détruit invariablement comme injurieuses les
interprétations profondément méditées de l'Écriture qui, dans leur
essence, ont été sanctionnées par le consentement de toute l'Église
chrétienne depuis mille ans, et dont la forme a été portée à la
perfection la plus haute par l'art traditionnel et l'imagination
inspirée des plus nobles âmes qui aient jamais été enfermées dans
l'argile humaine.
46. Il y a peu de Pères de l'Église chrétienne dont les commentaires
de la Bible ou les théories personnelles de son Évangile n'aient pas
été, à l'exultation constante des ennemis de l'Église, altérés et
avilis par les fureurs de la controverse ou affaiblis et dénaturés par
une irréconciliable hérésie. Au contraire, l'enseignement biblique
donné à travers leur art par des hommes tels que Orcagna, Giotto,
Angelico, Luca della Robbia et Luini, est littéralement vierge de toute
trace terrestre des passions d'un jour. Sa patience, sa douceur et son
calme sont incapables des erreurs qui viennent de la crainte ou de la
colère; ils peuvent sans danger dire tout ce qu'ils veulent, ils sont
enchaînés par la tradition et dans une sorte de solidarité
fraternelle à la représentation par des scènes toujours identiques de
doctrines inaltérées; et ils sont forcés par la nature de leur œuvre
à une méditation et à une méthode de composition qui ont pour
résultat l'état le plus pur et l'usage le plus franc de toute la
puissance intellectuelle.
47. Je puis en une fois et sans avoir besoin de revenir sur cette
question faire ressortir la différence de dignité et de sûreté entre
l'influence sur l'esprit de la littérature et celle de l'art[154] en
vous reportant à une page qui met d'ailleurs merveilleusement en
lumière la douceur et la simplicité du caractère de saint Jérôme,
bien qu'elle soit citée, là où nous la trouvons, sans aucune
intention favorable,--à savoir dans la jolie lettre de la reine
Sophie-Charlotte (mère du père de Frédéric le Grand) au jésuite
Vota, donnée en partie par Carlyle dans son premier volume, chap. IV.
«Comment saint Jérôme, par exemple, peut-il être une clef pour
l'Écriture?--insinue-t-elle--citant de Jérôme cet aveu remarquable de
sa manière de composer un livre, spécialement de composer ce livre,
_Commentaires sur les Galates_, où il accuse saint Pierre et saint Paul
tous deux de fausseté et même d'hypocrisie. Le grand saint Augustin a
porté contre lui cette fâcheuse accusation (dit Sa Majesté qui donne
le chapitre et le paragraphe) et Jérôme répond: «J'ai suivi les
commentaires d'Origène, de...»--cinq ou six personnes différentes qui
dans la suite devinrent des hérétiques avant que Jérôme en ait fini
avec elles.--«Et pour vous confesser l'honnête vérité», continue
Jérôme, «j'ai lu tout cela et, après avoir bourré ma tête d'une
grande quantité de choses, j'ai envoyé chercher mon secrétaire et je
lui ai dicté, tantôt mes propres pensées, tantôt celles des autres
sans beaucoup me souvenir de l'ordre, quelquefois des mots, ni même du
sens.» Ailleurs (plus loin, dans le même livre[155]) il dit: «Je
n'écris pas moi-même: j'ai un secrétaire et je lui dicte ce qui me
vient aux lèvres. Si je désire réfléchir un peu, ou exprimer mieux
la chose, ou une chose meilleure, il fronce le sourcil et tout son
regard me dit assez qu'il ne peut supporter d'attendre.» Voici un vieux
gentleman sacré auquel il n'est pas bon de se fier pour interpréter
les Écritures, pense Sa Majesté; mais elle ne dit pas--laissant le
père Vota à ses réflexions.» Hélas non, reine Sophie, il ne faut
nous en rapporter pour cette sorte de chose ni au vieux saint Jérôme
ni à aucune autre lèvre ou esprit humains; mais seulement à
l'Éternelle Sophia[156], à la Puissance de Dieu et à la sagesse de
Dieu. Au moins pouvez-vous voir dans votre vieil interprète qu'il est
absolument franc, innocent, sincère, et qu'à travers un tel homme,
qu'il soit oublieux de son auteur, ou pressé par son scribe, il est
plus que probable que vous pourrez entendre ce que Dieu sait être le
meilleur pour vous; et extrêmement improbable que vous vous
pervertissiez, si peu que ce soit, tandis que par un maître prudent et
exercé aux artifices de l'art littéraire, retirent dans ses
doutes, et adroit dans ses paroles, toute espèce de préjugés et
d'erreur peut vous être présentée de façon acceptable, ou même être
irrémédiablement fixée en vous, bien qu'à aucun moment il ne vous
ait le moins du monde demandé de vous fier à son inspiration.
48. Car la seule confiance, à vrai dire, et la seule sécurité que
dans de telles matières nous puissions posséder ou espérer, résident
dans notre propre désir d'être guidés justement et dans notre bonne
volonté à suivre avec simplicité la direction accordée. Mais toutes
nos idées et nos raisonnements au sujet de l'inspiration ont été
faussées par notre habitude--d'abord de distinguer à tort ou au moins
sans nécessité entre l'inspiration des mots et des actes et
secondement par ce fait que nous attribuons une force ou une sagesse
inspirées à certaines personnes ou certains écrivains seulement au
lieu de l'accorder au corps entier des croyants pour autant qu'ils
participent à la grâce du Christ, à l'amour de Dieu, à la Communion
du Saint-Esprit[157]. Dans la mesure où chaque chrétien reçoit ou
refuse les dons multiples exprimés par cette bénédiction générale,
il entre dans l'héritage des Saints ou en est rejeté. Dans la mesure
exacte où il renie le Christ, courrouce le Père et chagrine le
Saint-Esprit, il perd l'inspiration et la sainteté; et dans la mesure
où il croit au Christ, obéit au Père, et se soumet à l'Esprit, il
devient inspiré dans le sentiment, dans l'action, dans la parole, dans
la réception de la parole, selon les capacités de sa nature. Il ne
sera pas doué d'aptitudes plus hautes, ni appelé à une fonction
nouvelle, mais rendu capable d'user des facultés naturelles qui lui ont
été accordées, là où il le faut, pour la fin la meilleure. Un
enfant est inspiré comme un enfant, et une jeune fille comme une jeune
fille; les faibles dans leur faiblesse même, et les sages seulement à
leur heure. Ceci est pour l'Église, et telle qu'on peut la dégager
avec certitude, la théorie de l'inspiration chez tous ses vrais
membres; sa vérité ne peut être reconnue qu'en la mettant à
l'épreuve, mais je crois qu'il n'y a pas souvenir d'un homme qui l'ait
éprouvée et déclarée vaine[158].
49.--Au-delà de cette théorie de l'inspiration générale il y a celle
d'un appel et d'un ordre spécial avec la dictée immédiate des actes
qui doivent être accomplis ou des paroles qui doivent être
prononcées. Je ne veux pas entrer à présent dans l'examen des
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