La Bible d'Amiens - 14

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témoignages d'une si effective élection; elle n'est pas revendiquée
par les Pères de l'Église, ni pour eux-mêmes, ni même pour le corps
entier des écrivains sacrés.
Elle est seulement attribuée à certains passages dictés à certains
moments en vue de nécessités spéciales; et il n'est pas possible
d'attacher l'idée de vérité infaillible à aucune forme de ce langage
humain dans lequel même ces passages exceptionnels nous ont été
donnés. Mais du volume entier qui les renferme tel que nous le
possédons et le lisons, tel, pour chacun de nous, qu'il peut être
rendu dans sa langue natale, on peut alarmer et démontrer que, quoique
mêlé d'un mystère qu'on ne nous demande pas d'éclaircir ou de
difficultés que nous serions insolents de vouloir résoudre, il
contient l'enseignement véritable pour les hommes de tout rang et de
toute situation dans la vie, enseignement grâce auquel, autant qu'ils y
obéissent honnêtement et implicitement, ils seront heureux et
innocents dans la pleine puissance de leur nature, et capables de
triompher de toutes les adversités, qu'elles résident dans la
tentation ou dans la douleur.
50. En effet le Psautier seul, qui pratiquement fut le livre d'offices
de l'Église pendant bien des siècles, contient, simplement dans sa
première moitié, la somme de la sagesse individuelle et sociale. Les
Ier, VIIIe, XIIe, XVe, XIXe, XXIIIe et XXIVe psaumes bien appris et crus
sont assez pour toute direction personnelle; les XLVIIIe, LXXIe et LXXVe
ont en eux la loi et la prophétie de tout gouvernement juste, et chaque
découverte de la science naturelle est anticipée dans le CIVe. Quant
au contenu du volume entier, considérez si un autre cycle de
littérature historique et didactique a une étendue qui lui soit
comparable. Il renferme:
I. L'histoire de la Chute et du Déluge, les deux plus grandes
traditions humaines fondées sur l'horreur du péché.
II. L'histoire des Patriarches, dont la vérité permanente est encore
visible aujourd'hui dans l'histoire des races juive et arabe.
III. L'histoire de Moïse avec ses résultats pour la loi morale de tout
l'univers civilisé.
IV. L'histoire des Rois--virtuellement celle de toute royauté, dans
David, et de toute la philosophie, dans Salomon, atteignant son point le
plus élevé dans les Psaumes et les Proverbes, avec la sagesse encore
plus serrée et pratique de l'Ecclésiaste et du fils de Sirach.
V. L'histoire des Prophètes--virtuellement celle du mystère le plus
profond, de la tragédie, de la fatalité perpétuellement immanente à
une existence nationale.
VI. L'histoire du Christ.
VII. La loi morale de saint Jean qui trouve à la fin dans l'Apocalypse
son accomplissement.
Demandez-vous si vous pouvez comparer sa table des matières, je ne dis
pas à aucun autre «livre», mais à aucune autre «littérature».
Essayez, autant que cela est possible à chacun de nous,--qu'il soit
adversaire ou défenseur de la foi,--de dégager votre intelligence de
l'association que l'habitude a formée entre elle et le sentiment moral
basé sur la Bible, et demandez-vous quelle littérature pourrait avoir
pris sa place ou rempli sa fonction même si toutes les bibliothèques
de l'univers étaient restées intactes et si toutes les paroles les
plus riches de vérité des maîtres avaient été écrites?
52. Je ne suis pas contempteur de la littérature profane, si peu que je
ne crois pas qu'aucune interprétation de la religion grecque ait été
jamais aussi affectueuse, aucune de la religion romaine aussi
révérente, que celle qui se trouve à la base de mon enseignement de
l'art et qui court à travers le corps entier de mes œuvres. Mais ce
fut de la Bible que j'appris les symboles d'Homère et la foi
d'Horace[159].
Le devoir qui me fut imposé dans ma première jeunesse[160] de lire
chaque mot des évangiles et des prophéties, comme s'il avait été
écrit par la main de Dieu, me donna l'habitude d'une attention
respectueuse qui, plus tard, rendit bien des passages des auteurs
profanes, frivoles pour un lecteur irréligieux, profondément graves
pour moi. Jusqu'à quel point mon esprit a été paralysé par les
fautes et les chagrins de la vie[161],--jusqu'où ma connaissance de la
vie est courte, comparée à ce que j'aurais pu apprendre si j'avais
marché plus fidèlement dans la lumière qui m'avait été départie,
dépasse ma conjecture ou ma confession. Mais comme je n'ai jamais
écrit pour mon propre plaisir ou pour ma renommée, j'ai été
préservé, comme les hommes qui écrivent ainsi le seront toujours, des
erreurs dangereuses pour les autres[162], et les expressions
fragmentaires de sentiments ou les expositions de doctrines, que de
temps en temps, j'ai été capable de donner, apparaîtront maintenant
à un lecteur attentif, comme se reliant à un système général
d'interprétation de la littérature sacrée, à la fois classique et
chrétienne, qui le rendra capable, sans injustice, de sympathiser avec
la foi des âmes candides de tous temps et de tous pays.
53. Qu'il y ait une littérature sacrée classique, suivant un cours
parallèle à celle des Hébreux et venant s'unir aux légendes
symboliques de la chrétienté au moyen âge[163], c'est un fait qui
apparaît de la manière la plus tendre et la plus expressive dans
l'influence indépendante et cependant similaire de Virgile sur le Dante
et l'évêque Gawaine Douglas. À des dates plus anciennes,
l'enseignement de chaque maître formé dans les écoles de l'Orient
était nécessairement greffé sur la sagesse de la mythologie grecque,
et ainsi l'histoire du Lion de Némée[164], vaincu avec l'aide
d'Athéné, est la véritable racine de la légende du compagnon de
saint Jérôme conquis par la douceur guérissante de l'esprit de vie.
54. Je l'appelle une légende seulement. Qu'Héraklès ait jamais tué,
ou saint Jérôme jamais chéri la créature sauvage ou blessée, est
sans importance pour nous enseigner ce que les Grecs entendaient nous
dire en représentant le grand combat sur leurs vases[165], où les
peintres chrétiens faisant leur thème de prédilection de la fermeté
de l'Ami du Lion. Une tradition plus ancienne, celle du combat de
Samson[166],--le prophète désobéissant,--de la première victoire
inspirée de David[167], et finalement du miracle opéré pour la
défense du plus favorisé et fidèle des grands prophètes[168], suit
son cours symbolique parallèlement à la fable dorienne. Mais la
légende de saint Jérôme reprend la prophétie du Millenium et
prédit, avec la Sibylle de Cumes[169], et avec Isaïe, un jour où la
crainte de l'homme ne sera plus chez les êtres inférieurs de la haine
mais s'étendra sur eux comme une bénédiction, où il ne sera plus
fait de mal ni de destruction d'aucune sorte dans toute l'étendue de la
Montagne sainte[170] et où la paix de la terre sera tirée aussi loin
de son présent chagrin, que le glorieux univers animé l'est du désert
naissant, dont les profondeurs étaient le séjour des dragons, et les
montagnes, des dômes de feu. Ce jour-là aucun homme ne le
connaît[171], mais le royaume de Dieu est déjà venu[172] pour ceux
qui ont dompté dans leur propre cœur l'ardeur sans frein de la nature
inférieure[173] et ont appris à chérir ce qui est charmant et humain
dans les enfants errants des nuages et des champs.

Avallon, 28 août 1882.

[Note 113: «On vous a appris que, puisque vous aviez des tapis..., des
«kickshaws» au lieu de bœuf pour votre nourriture, des égouts au
lieu de puits sacrés pour votre soif, vous étiez la crème de la
création et chacun de vous un Salomon» (_Pleasures of England_, p. 49,
cité par M. Bardoux, p. 237).]
[Note 114: En prenant la San, bras de la Vistule supérieure.--(Note de
l'Auteur.)]
[Note 115: Remarquez, toutefois, que généralement, la force d'une
rivière, _ceteris paribus_, doit être estimée d'après son cours
direct, les plaines (qui donnent presque toujours naissance aux
méandres) ne pouvant leur apporter aucun affluent. (Note de l'Auteur.)]
[Note 116: Les considérations sur la Vistule et le Dniester,
fleuves-fossés de l'Europe, sont reprises dans _Candida Casa_ (§ 22),
quatrième conférence du recueil _Vérona_ et premier chapitre de
_Valle Crucis. Valle Crucis_ devait prendre place dans nos _Nos Pères
nous ont dit._ Du reste cette partie de _Candida Casa_ rappelle beaucoup
par ses vues historiques et géographiques et par les citations
ironiques de Gibbon le chapitre du _Drachenfels._--(Note du
Traducteur.)]
[Note 117: «Elles» (les sept églises d'Éphèse, de Smyrne, de
Pergame, de Thyatire, de Sardes, de Philadelphie et de Laodicée) sont
bâties le long des collines, et par les plaines de Lydie, dessinant une
large courbe comme un vol d'oiseaux ou comme un tourbillon de nuages,
toutes en Lydie même ou sur la frontière, toutes de caractère
essentiellement lydien, les plus enrichies d'or, les plus délicatement
luxueuses, les plus doucement musicales, les plus tendrement sculptées
des églises d'alors. En elles s'étaient réunis les talents et les
félicités de l'Asiatique et du Grec. Si le dernier message du Christ
eût été adressé aux églises de Grèce il n'eût été que pour
l'Europe et pour une durée limitée. S'il eût été adressé aux
églises de Syrie, il n'eût été que pour l'Asie et pour une durée
limitée. Adressé à la Lydie, il est adressé à l'univers et pour
toujours» (_Fors Clavigere_, lettre LXXXIV). Ce message du Christ aux
sept églises--qui est longuement commenté dans le reste de la
lettre--est contenu, comme l'on sait, dans les trois premiers chapitres
de l'Apocalypse de saint Jean ou plus exactement dans le IIe et le IIIe
chapitres. Dans le Ier, Jésus ordonne à saint Jean d'écrire aux anges
des sept églises. Voir aussi sur les églises d'Asie Mineure, le beau
livre de M. de Voguë.--(Note du Traducteur.)]
[Note 118: «Puis prenant la parole, tu diras devant l'Éternel ton Dieu
mon Père était un pauvre Syrien prêt à périr et il descendit en
Égypte avec un petit nombre de gens et il y fit séjour et devint là
une nation grande, forte et qui s'est fort multipliée.» (Deutéronome,
XXVI, 5)--(Note du Traducteur.)]
[Note 119: Sir F. Palgrave, _Arabie_, vol. II, p. 155. J'adopte avec
reconnaissance dans le paragraphe suivant sa division des nations
asiatiques (p. 160).--(Note de l'Auteur.)]
[Note 120: Le XXXVIe chapitre de Gibbon commence par une sentence qui
peut être prise comme l'épitome de l'histoire tout entière que nous
avons à étudier. «Les trois grandes nations du monde, les Grecs, les
Sarrazins, les Francs, se rencontrèrent toutes sur le théâtre de
l'Italie.»
J'emploie le mot plus général de Goths au lieu de Francs et le mot
plus précis Arabe au lieu de Sarrasins, mais en dehors de cela le
lecteur remarquera que la division est la même que la mienne. Gibbon ne
reconnaît pas le peuple romain comme nation, mais seulement la
puissance romaine comme empire.--(Note de l'Auteur.)]
[Note 121: De récents événements ont montré la force de ces paroles
(Note de la révision, mai 1885).--(Note de l'Auteur.)]
[Note 122: Mais l'ange de l'Éternel la trouva auprès d'une fontaine
d'eau au désert, près de la fontaine qui est au chemin de Sair. Et il
lui dit: Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu, etc. (Genèse, XVI, 1
et 8.)--(Note du Traducteur.)]
[Note 123: Genèse, XII, 1.--(Note du Traducteur.)]
[Note 124: Cf. Il n'y eut jamais qu'un seul art grec, des jours
d'Homère à ceux du doge Selvo (_St-Mark's Rest_, VIII, § 92).--(Note
du Traducteur.)]
[Note 125: Dans _Crown of wild olive_ Cincinnatus symbolisait aussi la
force de Rome. «Elle fut (l'agriculture), la source de toute la force
de Rome et de toute sa tendresse, l'orgueil de Cincinnatus et
l'inspiration de Virgile (_la Couronne d'olivier sauvage_, p.
196).--(Note du Traducteur.)]
[Note 126: Milman, _Histoire du Christianisme_, vol. III, p. 36.--(Note
de l'Auteur.)]
[Note 127: Je trouve la même généralisation fournie à l'étudiant
moderne dans le terme «péninsule balkanique» qui éteint à la fois
tout rayon et toute trace de l'histoire du passé.--(Note de l'Auteur.)]
[Note 128: Gibbon dit plus clairement: «De la côte ou de l'extrémité
de Caithness et d'Ulster le souvenir de l'origine cette fut
distinctement conservé dans la ressemblance perpétuelle du langage, de
la religion et des manières, et le caractère particulier des
différentes tribus britanniques peut être naturellement attribué à
l'influence de circonstances accidentelles et locales.» Les Écossais
des plaines, «mangeurs de froment», ou vagabonds et les Irlandais,
sont entièrement identifiés par Gibbon à l'époque où commence notre
propre histoire. «_Il est certain_ (l'italique est de lui, non de moi)
qu'à l'époque du déclin de l'empire romain la Calédonie, l'Irlande
et l'île de Man étaient habitées par les Écossais» (chap. XXV, vol.
IV, p. 279). La civilisation plus avancée et le moindre courage des
_Anglais_ des plaines faisaient d'eux les victimes de l'Écosse ou les
sujets reconnaissants de Rome. Les montagnards, pictes dans les
Grampians, ou autochtones dans la Cornouailles et le pays de Galles,
n'ont jamais été instruits ni subjugués et restent aujourd'hui la
force inculte et sans peur de la race britannique.--(Note de l'Auteur.)]
[Note 129: «Le Phénix est, dès la plus haute antiquité chrétienne,
le symbole de l'immortalité» (Émile Male, _Histoire de l'art
religieux au_ XIIIe _siècle_).--(Note du Traducteur.)]
[Note 130: Voir dans _On the old road_, l'Espoir de la Résurrection,
condition nécessaire du Chant pour les chrétiens. Même dans
l'antiquité le chant d'Orphée, le chant de Philomèle, le chant du
cygne, le chant d'Alcyon, sont inspirés par un espoir obscur de
résurrection (_On the old road_, II, 45 et 46).--(Note du Traducteur.)]
[Note 131: Allusion au verset de la Genèse qui précède le Songe de
Jacob: «Il prit donc des pierres du lieu et en fit son chevet et
s'endormit au même lieu (Genèse, XXVIII, 11).--(Note du Traducteur.)]
[Note 132: Allusion à la Bible: «Alors Moïse dit: Je me détournerai
maintenant et je verrai cette grande vision et pourquoi le buisson ne se
consume pas» (Exode, III, 3).--(Note du Traducteur.)]
[Note 133: I Samuel, XVII, 28.--(Note du Traducteur.)]
[Note 134: Saint Luc, I, 80. Il s'agit de saint Jean-Baptiste.--(Note du
Traducteur.)]
[Note 135: Je dois moi-même marquer comme particulièrement fatale dans
le déclin de l'empire romain, l'heure où Julien rejette le conseil des
augures. «Pour la dernière fois les Aruspices Étrusques
accompagnèrent un empereur romain, mais par une singulière fatalité
leur interprétation défavorable des signes du ciel fut dédaignée, et
Julien suivit l'avis des philosophes qui colorèrent leur prédiction
des teintes brillantes de l'ambition de l'empereur». (Milman, _Histoire
du Christianisme_, chap. VI.)--(Note de l'Auteur.)]
[Note 136: «Je suis seul, à ce que je crois, à penser encore avec
Hérodote.» Toute personne ayant l'esprit assez fin pour être frappée
des traits caractéristiques de la physionomie d'un écrivain, et ne
s'en tenant pas au sujet de Ruskin à tout ce qu'on a pu lui dire, que
c'était un prophète, un voyant, un protestant et autres choses qui
n'ont pas grand sens, sentira que de tels traits, bien que certainement
secondaires, sont cependant très «ruskiniens». Ruskin vit dans une
espèce de société fraternelle avec tous les grands esprits de tous
les temps, et comme il ne s'intéresse à eux que dans la mesure où ils
peuvent répondre à des questions éternelles, il n'y a pas pour lui
d'anciens et de modernes et il pout parler d'Hérodote comme il ferait
d'un contemporain. Comme les anciens n'ont de prix pour lui que dans la
mesure où ils sont «actuels», peuvent servir d'illustration à nos
méditations quotidiennes, il ne les traite pas du tout en anciens. Mais
aussi toutes leurs paroles ne subissant pas le déchet du recul,
n'étant plus considérées comme relatives à une époque, ont une plus
grande importance pour lui, gardent en quelque sorte la valeur
scientifique qu'elles purent avoir, mais que le temps leur avait fait
perdre. De la façon dont Horace parle à la Fontaine de Bandusie,
Ruskin déduit qu'il était pieux, «à la façon de Milton». Et déjà
à onze ans, apprenant les odes d'Anacréon pour son plaisir, il y
apprit «avec certitude, ce qui me fut très utile dans mes études
ultérieures sur l'art grec, que les Grecs aimaient les colombes, les
hirondelles et les roses tout aussi tendrement que moi» (_Præterita_,
§ 81). Évidemment pour un Emerson la «culture» a la même valeur.
Mais sans même nous arrêter aux différences qui sont profondes,
notons d'abord, pour bien insister sur les traits particuliers de la
physionomie de Ruskin, que la science et l'art n'étant pas distincts à
ses yeux (Voir la Préface, p. 51-57) il parle des anciens comme savants
avec la même révérence que des anciens comme artistes. Il invoque le
104° psaume quand il s'agira de découvertes d'histoire naturelle, se
range à l'avis d'Hérodote (et l'opposerait volontiers à l'opinion
d'un savant contemporain) dans une question d'histoire religieuse,
admire une peinture de Carpaccio comme une contribution importante à
l'histoire descriptive des perroquets (_St-Mark's Rest: The Shrine of
the Slaves_). Évidemment nous rejoindrions vite ici l'idée de l'art
sacré classique (Voir plus loin les notes des pages 244, 245, 246 et
des pages 338 et 339) «il n'y a qu'un art grec, etc., saint Jérôme et
Hercule», etc., chacune de ces idées conduisant aux autres. Mais en ce
moment nous n'avons encore qu'un Ruskin aimant tendrement sa
bibliothèque, ne faisant pas de différence entre la science et l'art,
par conséquent pensant qu'une théorie scientifique peut rester vraie
comme une œuvre d'art peut demeurer belle (cette idée n'est jamais
explicitement exprimée par lui, mais elle gouverne secrètement, et
seule a pu rendre possible toutes les autres) et demandant à une ode
antique ou à un bas-relief du moyen âge un renseignement d'histoire
naturelle ou de philosophie critique, persuadé que tous les hommes
sages de tous les temps et de tous les pays sont plu» utiles à
consulter que les fous, fussent-ils d'aujourd'hui. Naturellement cette
inclination est réprimée par un sens critique si juste que nous
pouvons entièrement nous fier à lui, et il l'exagère seulement pour
le plaisir de faire de petites plaisanteries sur «l'entomologie du
XIIIe siècle», etc., etc.--(Note du Traducteur.)]
[Note 137: Même les meilleurs historiens catholiques trop habituellement
ont fermé les yeux à la connexité inéluctable entre la vertu monastique
et la règle bénédictine du travail agricole.--(Note de l'Auteur à la
révision de 1885.)]
[Note 138: Robert d'Humières me dit qu'il y a ici une allusion aux
montagnes de la Suisse, telles que le Matterhorn, etc.--(Note du
Traducteur.)]
[Note 139: La conclusion hypothétique de Gibbon relativement aux effets
de la mortification et la constatation historique qui suit doivent être
remarquées comme contenant déjà tous les systèmes des philosophes ou
des politiques modernes qui ont, depuis, changé les monastères
d'Italie en baraques et les églises de France en magasins. «Ce martyre
volontaire a forcément détruit graduellement la sensibilité, aussi
bien de l'esprit que du corps; car _on ne peut admettre_ que les
fanatiques qui se torturent eux-mêmes soient capables d'aucune
affection vive pour le reste de l'espèce humaine. _Une sorte
d'insensibilité cruelle a caractérisé les moines de toute époque et
de tout pays._»
Combien de pénétration et de jugement, dénote cette sentence,
apparaîtra, j'espère, au lecteur, à mesure que je déroulerai devant
lui l'histoire véritable de sa foi; mais étant moi-même, je crois, un
des derniers témoins de la vie recluse telle qu'elle existait encore au
commencement de ce siècle, je puis renvoyer au portrait parfait et
digne de foi dans la lettre comme dans l'esprit qui en est donné par
Scott dans l'introduction du _Monastère_; quant à moi je puis dire que
les sortes de caractères les plus doux, les plus raffinés, les plus
aimables, au sens le plus profond du mot, que j'aie jamais connus, ont
été ou ceux de moines, ou ceux de serviteurs ayant été élevés dans
la foi catholique. Et quand je formulais ce jugement je ne connaissais
pas l'Edwige de Miss Alexander (Note de la révision de 1885).--(Note de
l'Auteur.)]
[Note 140: L'habitude de supposer à la conduite d'hommes de sens et de
cœur des motifs intelligibles aux insensés et probables à ceux qui
ont l'âme basse, prévaut, chez tous les historiens vulgaires, en
partie par la satisfaction, en partie par l'orgueil qu'ils en
ressentent; et il est horrible de contempler la quantité de faux
témoignages contre leurs voisins que portent des écrivains médiocres,
simplement pour arrondir leurs jugements superficiels et leur donner
plus de force. «Jérôme admet, en effet, _avec une humilité
spécieuse mais sujette à caution_, l'infériorité du moine non
ordonné au prêtre ordonné», dit Dean Milman, dans son chapitre XI,
faisant suivre son doute gratuit sur l'humilité de Jérôme d'une
affirmation non moins gratuite de l'ambition de ses adversaires. «Le
clergé, cela est hors de doute, eut la sagesse de deviner le rival
_dangereux_, quant à l'influence et l'autorité, qui apparaissait dans
la société chrétienne.--(Note de l'Auteur.)]
[Note 141: Le meilleur endroit pour lire ce chapitre est l'église San
Giorgio dei Schiavoni à Venise. On prend une gondole et dans un calme
canal, un peu avant d'arriver à l'infini frémissant et miroitant de la
lagune on aborde à cet «Autel des Esclaves» où on peut voir (quand
le soleil les éclaire) les peintures que Carpaccio a consacrées à
saint Jérôme. Il faut avoir avec soi _Saint Mark's Rest_ et lire tout
entier le chapitre dont je donne ici un important extrait, non que ce
soit un des meilleurs de Ruskin, mais parce qu'il a été visiblement
écrit sous l'empire des mêmes préoccupations que le chapitre III de
la Bible d'Amiens,--et pour donner au «Dompteur du lion» une
illustration où l'on voie «le lion». C'est de septembre 1876 à mai
1877, c'est-à-dire deux ou trois ans avant de commencer la _Bible
d'Amiens_ que Ruskin était allé étudier Carpaccio à Venise. Voici le
passage de _Saint-Mark's Rest_:
«Mais le tableau suivant! Comment a-t-on jamais pu permettre que
pareille chose fût placée dans une église! Assurément rien ne
pourrait être plus parfait comme art comique; saint Jérôme, en
vérité, introduisant son lion novice dans la vie monastique, et
l'effet produit sur l'esprit monastique vulgaire.
«Ne vous imaginez pas un instant que Carpaccio ne voie pas le comique
de tout ceci, aussi bien que vous, peut-être même un peu mieux.
«Demandez après lui demain, croyez-moi, et vous le trouverez un homme
grave.»
«Mais aujourd'hui Mercutio lui-même n'est pas plus fantasque ni
Shakespeare lui-même plus gai dans sa fantaisie du «doux animal et
d'une bonne conscience» que n'est ici le peintre quand il dessine son
lion souriant délicatement avec sa tête penchée de côté comme un
saint du Pérugin, et sa patte gauche levée, en partie pour montrer la
blessure faite par l'épine, en partie en signe de prière:

Car si je devais, comme lion venir en lutte
En ce lieu, ce serait pitié pour ma vie.

«Les moines s'enfuyant sont tout d'abord à peine intelligibles et ne
semblent que des masses obliques blanches et bleues; et il y a eu grande
discussion entre M. Muray et moi pendant qu'il dessinait le tableau pour
le Musée de Sheffield, pour savoir si l'action de fuir était, en
réalité, bien rendue ou non: lui, maintenant que les moines couraient
réellement comme des archers olympiques...; moi, au contraire, estimant
que Carpaccio a échoué, n'ayant pas le don de représenter le
mouvement rapide. Nous avons probablement raison tous deux, je ne doute
pas que l'action de courir, du moment que M. Murray le dit, soit bien
dessinée; mais à cette époque les peintres vénitiens n'avaient
appris à représenter qu'un mouvement lent et digne, et ce n'est que
cinquante ans plus tard, sous l'influence classique, que vint la
puissance impétueuse de Véronèse et du Tintoret.
«Mais il y a beaucoup de questions bien plus profondes à se poser
relativement à ce sujet de saint Jérôme que celle de l'habileté
artistique. Le tableau, en effet, est une raillerie; mais n'est-ce
qu'une raillerie? La tradition elle-même est-elle une raillerie? ou
est-ce seulement par notre faute, et peut-être par celle de Carpaccio,
que nous la faisons telle?
«En tous cas, veuillez, en premier lieu, vous souvenir que Carpaccio,
comme je vous l'ai souvent dit, n'est pas responsable lui-même en cette
circonstance. Il commence par se préoccuper de son sujet, comptant,
sans aucun doute, l'exécuter très sérieusement. Mais son esprit n'est
pas plus tôt fixé dessus que la vision s'en présente à lui comme une
plaisanterie et il est forcé de le peindre ainsi. Forcé par les
destins... C'est à Atropos et non à Carpaccio que nous devons demander
pourquoi ce tableau nous fait rire; et pourquoi la tradition qu'il
rappelle nous paraît purement chimérique et n'est plus qu'un objet de
risée. Maintenant que ma vie touche à son déclin il n'est pas un jour
qui ne passe sans avoir augmenté mes doutes sur le bien fondé des
mépris où nous nous complaisons et mon désir anxieux de découvrir ce
qu'il y avait à la racine des récits des hommes de bien, qui sont
maintenant la fortune du moqueur.
«Et j'ai besoin de lire une bonne _Vie de saint Jérôme._ Et si je
vais chez M. Ongania je trouverai, je suppose, l'autobiographie de
George Sand, et la vie de M. Sterling peut-être; et de M. Werner,
écrit par mon propre maître et qu'en effet j'ai lu, mais j'oublie
maintenant qui furent soit M. Sterling ou M. Werner; et aussi peut-être
j'y trouverai dans la littérature religieuse la vie de M. Wilberforce
et de Mrs Fry; mais non le plus petit renseignement sur saint Jérôme.
Auquel néanmoins, toute la charité de George Sand, et toute
l'ingénuité de M. Sterling, et toute la bienfaisance de M.
Wilberforce, et une grande quantité, sans que nous le sachions, du
bonheur quotidien et de la paix de nos propres petites vies de chaque
jour, sont véritablement redevables, comme à une charmante vieille
paire de lunettes spirituelles sans lesquelles nous n'eussions jamais lu
un mot de la _Bible protestante._ Il est, toutefois, inutile de
commencer une vie de saint Jérôme à présent, et de peu d'utilité
pourtant de regarder ces tableaux sans avoir une vie de saint Jérôme,
mais il faut seulement que vous sachiez clairement ceci sur lui, qui
n'est pas le moins du monde douteux ni mythique, mais entièrement vrai,
et qui est le commencement de faits d'une importance sans limites pour
toute l'Europe moderne--à savoir, qu'il était né de bonne ou du moins
de riche famille, en Dalmatie, c'est-à-dire à mi-chemin entre l'Orient
et l'Occident; qu'il rendit le grand livre de l'Orient, la Bible,
lisible pour l'Occident, qu'il fut le premier grand maître de la
noblesse du savoir et de l'ascétisme affable et cultivé, comme
opposés à l'ascétisme barbare; le fondateur, à proprement dire, de
la cellule bien arrangée et du jardin soigné, là où avant il n'y
avait que le désert et le bois inculte,--et qu'il mourut dans le
monastère qu'il avait fondé à Bethléem.
«C'est cette union d'une vie douce et raffinée avec une noble
continence, cet amour et cette imagination illuminant la caverne de la
montagne et en faisant un cloître couvert de fresques, amenant ses
bêtes sauvages à devenir des amis domestiques, que Carpaccio a reçu
ordre de peindre pour nous, et avec un incessant raffinement
d'imagination exquise il remplit ces trois canevas d'incidents qui
signifiaient, à ce que je crois, l'histoire de toute la vie monastique,
et la mort, et la vie spirituelle pour toujours: le pouvoir de ce grand
et sage et bienfaisant esprit régnant à jamais sur toute culture
domestique; et le secours que la société des âmes des créatures
inférieures apporte avec elle à la plus haute intelligence et à la
vertu de l'homme. Et si au dernier tableau,--saint Jérôme en train de
travailler, pendant que son chien blanc» [dans _Præterita_ (III, II)
Ruskin dit que son chien Wisie était exactement pareil au chien de
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