La Bible d'Amiens - 16

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de style» dans les formes d'art qu'ont pratiquées les nations
civilisées, et il n'y en a qu'un petit nombre qui soient ignorants des
intentions distinctives et du caractère propre du gothique. Le but d'un
bon architecte gothique était d'élever, avec la pierre extraite du
lieu où il avait à bâtir, un édifice aussi haut et aussi spacieux
que possible, donnant à l'œil l'impression de la solidité que le
raisonnement et le calcul garantissaient, tout cela sans y passer un
temps trop prolongé et fatigant, et sans dépense excessive et
accablante de travail humain.
Il ne désirait pas épuiser pour l'orgueil d'une cité les énergies
d'une génération ou les ressources d'un royaume; il bâtit pour Amiens
avec les forces et les finances d'Amiens, avec la chaux des rochers de
la Somme[178] et sous la direction successive de deux évêques; dont
l'un présida aux fondations de l'édifice et l'autre y rendit grâces
pour son achèvement. Son but d'artiste, ainsi que pour tous les
architectes sacrés de son époque dans le Nord, était d'admettre
autant de lumière dans l'édifice que cela était compatible avec sa
solidité; de rendre sa structure sensible à la raison et magnifique,
mais non pas singulière ni à effet, et d'ajouter encore à la
puissance de cette structure à l'aide d'ornements suffisants à
l'embellir, sans toutefois se laisser aller dans un enthousiasme
déréglé à en exagérer la richesse, ou dans un moment d'insolente
ivresse ou d'égoïsme à faire montre de son habileté. Et enfin il
voulait faire de la sculpture de ses murs et de ses portes, un alphabet
et un épitomé de la religion dont la connaissance et l'inspiration
permît de rendre en dedans de ses portes un culte acceptable au
Seigneur dont la Crainte était dans Son Saint Temple et dont le trône
était dans le Ciel[179].
3. Il n'est pas facile au citoyen du moderne agrégat de méchantes
constructions, et de mauvaises vies tenues en respect par les
constables, que _nous_ nommons une ville--dont il est convenu que les
rues les plus larges sont consacrées à encourager le vice et les
étroites à dissimuler la misère--il n'est pas facile, dis-je, à
l'habitant d'une cité aussi méprisable de comprendre le sentiment d'un
bourgeois des âges chrétiens pour sa cathédrale. Pour lui, le texte
tout simplement et franchement cru: «Là où deux ou trois sont
assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux[180]», était étendu à
une promesse plus large, s'appliquant à un grand nombre d'honnêtes et
laborieuses personnes assemblées en son nom. «Il sera mon peuple et je
serai son Dieu[181]», et ces mots recevaient pour eux un sens plus
profond de cette croyance gracieusement locale et simplement aimante que
le Christ, comme il était un Juif au milieu des Juifs, un Galiléen au
milieu des Galiléens était aussi partout où il y avait de ses
disciples, même les plus pauvres, quelqu'un de leur pays, et que leur
propre «Beau Christ d'Amiens» était aussi réellement leur
compatriote que s'il était né d'une vierge picarde.
4. Il faut se souvenir cependant,--et ceci est un point théologique sur
lequel repose beaucoup du développement architectural des basiliques du
Nord,--que la partie de l'édifice dans laquelle on croyait que la
présence divine était constante, comme dans le Saint des Saints juif,
était seulement le chœur clos, devant lequel les bas côtés et les
transepts pouvaient devenir le Lit de Justice du roi, comme dans la
salle du trône du Christ; et dont le maître-autel était protégé
toujours des bas côtés qui l'entouraient à l'est par une clôture du
travail d'ouvrier le plus fini, tandis que, de ces bas côtés rayonnait
une suite de chapelles ou de cellules, chacune dédiée à un saint
particulier. Cette conception du Christ dans la société de ses saints
(la chapelle la plus à l'est de toutes étant celle consacrée à la
Vierge) se trouvait à la base de la disposition entière de l'abside
avec ses supports et ses séparations d'arcs-boutants et de trumeaux; et
les formes architecturales ne pourront jamais vraiment nous ravir, si
nous ne sommes pas en sympathie avec la conception spirituelle d'où
elles sont sorties[182]. Nous parlons follement et misérablement de
symboles et d'allégories: dans la vieille architecture chrétienne,
toutes les parties de l'édifice doivent être lues à la lettre; la
cathédrale est pour ses constructeurs la Maison de Dieu[183], elle est
entourée, comme celle d'un roi terrestre, de logements moindres pour
ses serviteurs; et les glorieuses sculptures du chœur, celles de son
enceinte extérieure[184], et à l'intérieur, celles de ses boiseries
que, presque instinctivement, un curé anglais croirait destinées à la
glorification des chanoines, étaient en réalité la manière du
charpentier amiénois de rendre à son Maître-Charpentier[185] la
maison confortable[186]; et non moins de montrer son talent natif et
sans rival de charpentier, devant Dieu et les hommes.
Quoi que vous vouliez voir à Amiens, ou soyez forcé de laisser de
côté sans l'avoir vu, si les écrasantes responsabilités de votre
existence et la locomotion précipitée qu'elles nécessitent
inévitablement vous laissaient seulement un quart d'heure sans être
hors d'haleine pour la contemplation de la capitale de la Picardie,
donnez-le entièrement au chœur de la cathédrale.
Les bas-côtés et les porches, les fenêtres en ogives et les roses,
vous pouvez les voir ailleurs aussi bien qu'ici, mais un tel ouvrage de
menuiserie, vous ne le pouvez pas[187]. C'est du flamboyant dans son
plein développement juste au moment où le XVe siècle vient de finir.
Cela a quelque chose de la lourdeur flamande mêlée à la plaisante
flamme française; mais sculpter le bois est la joie du Picard depuis sa
jeunesse et autant que je sache jamais rien d'aussi beau n'a été
taillé dans les bons arbres d'aucun pays du monde entier. C'est en bois
doux et d'un jeune grain, du chêne, traité et choisi pour un tel
travail, et qui résonne encore comme il y a quatre cents ans. Sous la
main du sculpteur il semble se modeler comme de l'argile, se plier comme
de la soie pousser comme de vivantes branches, jaillir comme une vivante
flamme. Les dais couronnant les dais, les clochetons jaillissant des
clochetons, cela s'élance et s'entrelace en une clairière enchantée,
inextricable, impérissable, plus pleine de feuillage qu'aucune forêt
et plus pleine d'histoire qu'aucun livre.
Je n'ai jamais été capable de décider quelle était vraiment la
meilleure manière d'approcher la cathédrale pour la première fois. Si
vous avez plein loisir, si le jour est beau et si vous n'êtes pas
effrayé par une heure de marche, la vraie chose à faire serait de
descendre la rue principale de la vieille ville, traverser la rivière
et passer tout à fait en dehors vers la colline calcaire[188], où la
citadelle plonge ses fondations et à qui elle emprunte ses murailles;
gravissez-la jusqu'au sommet et regardez en bas dans le «fossé» sec
de la citadelle ou plus véritablement la sèche vallée de la mort;
elle est à peu près aussi profonde qu'un vallon du Derbyshire (ou,
pour être plus précis, que la partie supérieure de l'_Heureuse
vallée_ à Oxford, au-dessus du Bas-Hinksey); et de là, levez les yeux
jusqu'à la cathédrale en montant les pentes de la cité. Comme cela
vous vous rendrez compte de la vraie hauteur des tours par rapport aux
maisons, puis en revenant dans la ville trouvez votre chemin pour
arriver à sa montagne de Sion[189], par n'importe quelles étroites
rues de traverse et les ponts que vous trouverez; plus les rues seront
tortueuses et sales, mieux ce sera, et que vous arriviez d'abord à la
façade ouest ou à l'abside, vous les trouverez dignes de toutes les
peines que vous aurez prises pour les atteindre.
Mais, si le jour est sombre comme cela peut quelquefois arriver, même
en France, depuis quelques années, ou si vous ne pouvez ou ne voulez
marcher, ce qui est une chose possible aussi à cause de tous nos sports
athlétiques, lawn-tennis, etc.,--ou s'il faut vraiment que vous alliez
à Paris cet après-midi et si vous voulez seulement voir tout ce que
vous pouvez en une heure ou deux--alors en supposant cela, malgré ces
faiblesses, vous êtes encore une gentille sorte de personne pour
laquelle il est de quelque importance de savoir par où elle arrivera à
une jolie chose et commencera à la regarder. J'estime que le meilleur
chemin est alors de monter à pied, de l'_Hôtel de France_ ou de la
place du Périgord, la rue des Trois-Cailloux vers la station de chemin
de fer. Arrêtez-vous un moment sur le chemin pour vous tenir en bonne
humeur, et achetez quelques tartes ou bonbons pour les enfants dans une
des charmantes boutiques de pâtissier qui sont sur la gauche. Juste
après les avoir passées, demandez le théâtre; et aussitôt après
vous trouverez également sur la gauche trois arcades ouvertes sous
lesquelles vous pourrez passer, vous laisserez derrière vous le Palais
de justice, et monterez droit au transept sud qui a vraiment en soi de
quoi plaire à tout le monde.
Il est simple et sévère en bas, délicatement ajouré et dentelé au
sommet et paraît d'un seul morceau, quoiqu'il ne le soit pas. Chacun
doit aimer l'élan et la ciselure transparente de la flèche qui est
au-dessus et qui semble se courber vers le vent d'ouest--bien que ce ne
soit pas. Du moins sa courbure est une longue habitude contractée
graduellement, avec une grâce et une soumission croissantes, pendant
ces trois derniers cents ans. Et, arrivant tout à fait au porche,
chacun doit aimer la jolie petite madone française qui en occupe le
milieu avec sa tête un peu de côté, et son nimbe mis un peu de côté
aussi comme un chapeau seyant. Elle est une madone de décadence en
dépit ou plutôt en raison de toute sa joliesse[190] et de son gai
sourire de soubrette; et elle n'a rien à faire ici non plus, car ceci
est le porche de Saint-Honoré, non le sien; rude et gris, saint Honoré
avait coutume de se tenir là pour vous recevoir; il est maintenant
banni au porche nord où jamais n'entre personne.
Cela eut lieu il y a longtemps, au XIVe siècle, quand le peuple
commença à trouver le christianisme trop grave, imagina pour la France
une foi plus joyeuse et voulut avoir partout des Madones-soubrettes aux
regards brillants, laissant sa propre Jeanne d'Arc aux yeux sombres se
faire brûler comme sorcière; et depuis lors les choses allèrent leur
joyeux train, tout droit, «ça allait, ça ira», jusqu'aux plus joyeux
jours de la guillotine. Mais pourtant ils savaient encore sculpter au
XIVe siècle, et la Madone et son linteau d'aubépine en fleurs[191]
sont dignes que vous les regardiez, et plus encore les sculptures aussi
délicates et plus calmes[192] qui sont au-dessus et qui racontent la
propre histoire de saint Honoré, dont on parle peu aujourd'hui dans le
faubourg parisien qui porte son nom.
Je ne veux pas vous retenir maintenant pour vous raconter l'histoire de
saint Honoré (trop content seulement de vous laisser à cet égard
quelque curiosité si c'était possible[193]), car certainement vous
êtes impatients d'entrer dans l'église, et vous ne pouvez pas y entrer
d'une meilleure manière que par cette porte. Car toutes les
cathédrales de quelque importance produisent à peu près le même
effet quand vous y pénétrez par la porte ouest; mais je n'en connais
pas d'autre qui montre autant de sa noblesse du transept intérieur sud;
la rose en face est d'une exquise finesse de réseau et d'un éclat
charmant; et les piliers des bas-côtés du transept forment des groupes
merveilleux avec ceux du chœur et de la nef. Vous vous rendrez aussi
mieux compte de la hauteur de l'abside, si elle se découvre à vous
comme vous allez du transept à la nef centrale que si vous la voyez
tout à coup de l'extrémité ouest de la nef; là il serait presque
possible à une personne irrévérente de trouver la nef étroite
plutôt que l'abside haute. Donc, si vous voulez me laisser vous
conduire, entrez à cette porte du transept sud et mettez un sou dans la
sébile de chacun des mendiants qui sont là à demander; cela ne vous
regarde pas de savoir s'il convient qu'ils soient là ou non--ni s'ils
méritent d'avoir le sou--sachez seulement si vous-même méritez d'en
avoir un à donner et donnez-le gentiment et non comme s'il vous
brûlait les doigts. Puis étant une fois entré, donnez-vous telle
sensation d'ensemble qu'il vous plaira--en promettant au gardien de
revenir pour voir convenablement (seulement pensez à tenir votre
promesse), et, durant le premier quart d'heure, ne voyez que ce que
votre fantaisie vous conseillera, mais du moins, comme je vous l'ai dit,
regardez l'abside de la nef et toutes les parties transversales de
l'édifice en partant de son centre. Alors vous saurez, quand vous
retournerez dehors, dans quel but a travaillé l'architecte et ce que
ses contreforts et le réseau de ses verrières signifient, car il faut
toujours se représenter l'extérieur d'une cathédrale française,
excepté sa sculpture, comme l'envers d'une étoffe qui vous aide à
comprendre comment les fils produisent le dessin tissé ou brodé du
dessus[194].
Et si vous ne vous sentez pas pris d'admiration pour ce chœur et le
cercle de lumière qui l'entoure, quand vous levez les regards vers lui
du milieu de la croix, vous n'avez pas besoin de continuer à voyager à
la recherche de cathédrales, car la salle d'attente de n'importe quelle
station est un endroit bien mieux fait pour vous; mais, s'il vous
confond et vous ravit d'abord, alors plus vous le connaîtrez, plus
votre étonnement grandira. Car il n'est pas possible à l'imagination
et aux mathématiques unies de faire avec du verre et de la pierre
quelque chose de plus noble ou de plus puissant que cette procession de
verrières, ni rien qui donne plus l'impression de la hauteur et dont la
hauteur réelle ait été déterminée par un calcul aussi réfléchi et
aussi prudent.
9. Du pavé à la clef de voûte il n'y a que 132 pieds
français--environ 130 anglais. Songez seulement, vous qui avez été en
Suisse--que la chute du Staubbach à 900 pieds[195]. Bien mieux, le
rocher de Douvres au-dessous du château, juste où finit la promenade,
est deux fois aussi haut, et les petits cokneys qui paradent sur
l'asphalte à la polka militaire, se croient, je pense, aussi grands;
mais avec les petits logements, huttes et cahutes qu'ils ont mis autour,
ils ont réussi à le faire paraître de la grandeur d'un four à chaux
moyen. Pourtant il a deux fois la hauteur de l'abside d'Amiens! et il
faut une solide construction pour qu'en ne se servant que de morceaux de
chaux comme ceux qu'on peut extraire dans le voisinage de la Somme, on
arrive à faire durer 600 ans une œuvre seulement moitié moins haute.
10. Cela demande une bonne construction, dis-je, et vous pouvez même
affirmer la meilleure qui fut jamais ou sera vraisemblablement vue de
longtemps sur le sol immuable et fécond où l'on pouvait compter que se
maintiendrait à jamais un pilier quand il avait été bien édifié, et
où des nefs de trembles, des vergers de pommes, et des touffes de
vigne, fournissaient le modèle de tout ce qui pouvait le plus
magnifiquement devenir sacré dans la permanence de la pierre sculptée.
Du bloc brut placé sur l'extrémité du Bethel druidique à _cette_
Maison du Seigneur et cette porte du Ciel au bleu vitrage[196], vous
avez le cours entier et l'accomplissement de tout l'amour et de tout
l'art des architectes religieux du nord.
11. Mais remarquez encore et attentivement que cette abside d'Amiens
n'est pas seulement la meilleure, mais la première chose exécutée
parfaitement en ce genre par la chrétienté du nord. Aux pages 323 et
327[197] du tome VI de M. Viollet-le-Duc vous trouverez l'histoire
exacte du développement de ces ogives à travers lesquelles vient
briller en ce moment à vos yeux la lumière de l'orient, depuis les
formes moins parfaites, les premières ébauches de Reims; et l'apogée
de la parfaite justesse fut si éphémère, qu'ici, de la nef au
transept, bâti seulement dix ans plus tard, il y a déjà un petit
changement dans le sens non de la décadence mais d'une précision plus
grande qu'il n'est absolument nécessaire[198]. Le point où commence la
décadence on ne peut pas, parmi les charmantes fantaisies qui
suivirent, le fixer exactement; mais exactement et indiscutablement nous
savons que cette abside d'Amiens est la première œuvre d'une parfaite
pureté de vierge--le Parthénon, encore en ce sens,--de l'architecture
gothique.
12. Qui la bâtit, demanderons-nous? Dieu et l'homme est la première et
la plus fidèle réponse. Les étoiles dans leur cours la bâtirent et
les nations. L'Athéné des Grecs a travaillé ici, et le Père des
dieux romains, Jupiter, et Mars Gardien. Le Gaulois a travaillé ici, et
le Franc, le chevalier normand, le puissant Ostrogoth, et l'Anachorète
amaigri d'Idumée.
L'homme qui la bâtit effectivement se préoccupait peu que vous le
sachiez jamais, et les historiens ne le glorifient pas; tous les blasons
possibles de coquins et de fainéants, vous pouvez les trouver dans ce
qu'ils appellent leur «histoire»; mais c'est probablement la première
fois que vous lisez le nom de Robert de Luzarches. Je dis, il se
préoccupât peu, nous ne sommes pas sûrs qu'il se préoccupât du
tout. Il ne signe son nom nulle part, autant que je sache. Vous
trouverez peut-être çà et là dans l'édifice des initiales
récemment gravées par de remarquables visiteurs anglais désireux
d'immortalité. Mais Robert le constructeur ou au moins le maître de la
construction, n'a gravé les siennes dans aucune pierre. Seulement
quand, après sa mort, la pierre angulaire de la cathédrale eût été
découverte avec des acclamations, pour célébrer cet événement on
écrivit la légende suivante, rappelant le nom de tous ceux qui avaient
eu leur part ou leur parcelle du travail,--dans le milieu du labyrinthe
qui alors existait dans les dallages de la nef. Il faut que vous la
lisiez d'une voix légère; elle fut gaiement rimée pour vous par la
pure gaieté française qui ne ressemblait pas le moins du monde à
celle du _Théâtre des Folies._

En l'an de Grâce mil deux cent
Et vingt, fut l'œuvre de cheens
Premièrement encomenchie.
A donc y ert de cheste evesquie
Evrart, evêque bénis;
Et, Roy de France, Loys
Qui fut fils Philippe le Sage.
Qui maistre y est de l'œuvre
Maistre Robert estoit només
Et de Luzarches surnomés.
Maistre Thomas fu après lui
De Cormont. Et après, son filz
Maistre-Regnault, qui mestre
Fist a chest point chi clieste lectre
Que l'incarnation valoit
Treize cent, moins douze, en faloit.

13. J'ai écrit les chiffres en lettres, autrement le mètre n'eût pas
été clair.--En réalité, ils étaient représentés ainsi «IIC et
XX» «XIIIC moins XII». Je cite l'inscription d'après l'admirable
petit livre de M. l'abbé Rozé: _Visite à la Cathédrale d'Amiens_--(Sup.
Lib. de Mgr l'Évêque d'Amiens, 1877),--que chaque voyageur
reconnaissant devrait acheter, car je vais seulement en voler un petit
morceau çà et là. Je souhaiterais seulement qu'il y eût eu aussi à
voler une traduction de la légende; car il y a un ou deux points à la
fois de doctrine et de chronologie sur lesquels j'aurais aimé avoir
l'opinion de l'abbé. Toutefois, le sens principal de la poésie vers
par vers, nous paraît être ce qui suit:

En l'an de grâce douze cent
Vingt, l'œuvre tombant alors en ruine
Fut d'abord recommencée,
Alors était de cet évêché
Éverard l'Évêque béni
Et roi de France Louis
Qui était fils de Philippe le Sage.
Celui qui était maître de l'œuvre
Était appelé Maître Robert
Et nommé de plus de Luzarche.
Maître Thomas fut après lui
De Cormont. Et après lui son fils
Maître Reginald qui pour être mis
À ce point-ci, fit ce texte
Quand l'Incarnation fut vérifiée
Treize cents moins douze qu'il s'en fallait.

De cette inscription, tandis que vous êtes là où elle était jadis
(elle a été mise ailleurs quand on a poli l'ancien pavé, dans
l'année même je le constate avec tristesse, de mon premier voyage sur
le continent, en 1828, alors que je n'avais pas encore tourné mon
attention vers l'architecture religieuse), quelques points sont à
retenir--si vous avez encore un peu de patience.
14. «L'œuvre» c'est-à-dire l'Œuvre propre d'Amiens, sa cathédrale,
était «déchéant», tombant en ruine pour la--je ne puis pas dire
tout de suite si c'était la--quatrième, cinquième ou quantième
fois--dans l'année 1220. Car c'était une chose extraordinairement
difficile pour le petit Amiens qu'un travail pareil fût bien exécuté
tant le diable travaillait durement contre lui. Il bâtit sa première
église épiscopale (guère plus que le tombeau-chapelle de
Saint-Firmin) vers l'an 330, juste à côté de l'endroit où est la
station du chemin de fer sur la route de Paris[199]. Mais après avoir
été lui-même à peu près détruit, avec sa chapelle et le reste, par
l'invasion franque, s'étant ressaisi et ayant converti ses Francs, il
en bâtit une autre, et une cathédrale proprement dite, dans
l'emplacement de l'actuelle, sous l'évêque Saint-Save (Saint-Sauve ou
Salve). Mais même cette véritable cathédrale était toute en bois, et
les Normands la brûlèrent en 881. Reconstruite, elle resta debout deux
cents ans; mais fut en grande partie détruite par la foudre en 1019.
Rebâtie de nouveau, elle et la ville furent plus ou moins brûlées
ensemble par la foudre en 1107. Mon auteur dit tranquillement: «Un
incendie provoqué par la même cause détruisit la ville, et une partie
de la cathédrale.» La «partie» ayant été rebâtie encore une fois,
le tout fut de nouveau réduit en cendres, «réduit en cendre; par le
feu du ciel en 1218, ainsi que tous les titres, les martyrologes, les
calendriers, et les archives de l'évêché et du chapitre».
C'était alors la cinquième cathédrale, d'après mon compte, qui était en
«cendres» selon M. Gilbert--en ruine certainement--déchéante--et
une ruine qui eût été l'absolu découragement pour les habitants
d'une ville moins vivante,--en 1218. Mais ce fut plutôt un grand
stimulant pour l'évêque Évrard et son peuple que la vue de ce terrain
qui s'offrait à eux dégagé comme il l'était; et la foudre (feu de
l'enfer, pas du ciel, reconnu pour une plaie diabolique, comme en
Égypte) devait être bravée jusqu'au bout. Ils ne mirent que deux ans,
vous le voyez, à se reprendre et ils se mirent à l'œuvre en 1220, eux,
et leur évêque, et leur roi, et leur Robert de Luzarches. Et cette
cathédrale qui vous reçoit en ce moment sous ses voûtes fut ce
que surent faire leurs mains dans leur puissance.
16. Leur roi était «adonc», à cette époque, Louis VIII qui est
encore désigné sous le nom de fils de Philippe-Auguste ou de Philippe
le Sage, parce que son père n'était pas mort en 1220; mais il doit
avoir abandonné le gouvernement du royaume à son fils, comme son
propre père l'avait fait pour lui; le vieux et sage roi se retirant
dans son palais et de là guidant silencieusement les mains de son fils,
très glorieusement encore pendant trois ans.
Mais, ensuite--et ceci est le point sur lequel j'aurais surtout désiré
avoir l'opinion de l'abbé--Louis VIII mourut de la fièvre à
Montpensier en 1226. Et la direction entière des travaux essentiels de
la cathédrale, et le principal honneur de sa consécration, comme nous
le verrons tout à l'heure, émana de saint Louis, pendant une durée de
quarante-quatre ans. Et l'inscription fut placée «à ce point-ci» par
le dernier architecte, six ans après la mort de Saint Louis. Comment se
fait-il que le grand et saint roi ne soit pas nommé?
Je ne dois pas, dans cet abrégé pour le voyageur, perdre du temps à
donner des réponses conjecturales aux questions que chaque pas ici fera
surgir du temple saccagé. Mais celle-ci en est une très grave; et doit
être gardée en nos cœurs jusqu'à ce que nous puissions peut-être en
avoir l'explication. D'une chose seulement nous sommes sûrs, c'est
qu'au moins l'honneur aussi bien pour les fils des rois que pour les
fils des artisans est toujours donné à leurs pères; et que,
semble-t-il, le plus grand honneur de tous, est donné ici à Philippe
le Sage. De son palais, non de parlement, mais de paix, sortit dans les
années où ce temple fut commencé d'être bâti, un édit de
véritable pacification: «Qu'il serait criminel pour tout homme de
tirer vengeance d'une insulte ou d'une injure avant quarante jours à
partir de l'offense reçue--et alors seulement avec l'approbation de
l'Évêque du Diocèse.» Ce qui était peut-être un effort plus avisé
pour mettre fin au système féodal pris dans son sens saxon[200]
qu'aucun de nos projets récents destinés à mettre fin au système
féodal pris dans son sens normand.
18. «À ce point-ci». Le point notamment du Labyrinthe incrusté dans
le pavé de la cathédrale: emblème consacré d'un grand nombre de
choses pour le peuple, qui savait que le sol sur lequel il se tenait
était saint, comme la voûte qui était au-dessus de sa tête. Surtout,
c'était pour lui un emblème de noble vie humaine,--aux portes
étroites, aux parois resserrées, avec une infinie obscurité et
l'_inextricabilis error_ de tous côtés, et, dans ses profondeurs, la
nature brutale à dompter.
19. C'est cette signification depuis les jours les plus fièrement
héroïques et les plus saintement législateurs de la Grèce, que ce
symbole a toujours apporté aux hommes versés dans ses traditions: pour
les écoles des artisans il signifiait de plus la noblesse de leur art
et sa filiation directe avec l'art divinement terrestre de Dédale, le
bâtisseur de labyrinthes, et le premier sculpteur à qui l'on doit une
représentation pathétique[201] de la vie humaine et de la mort.
20. Le caractère le plus absolument beau du pouvoir de la vraie foi
chrétienne-catholique est en ceci qu'elle reconnaît continuellement
pour ses frères--bien plus pour ses pères, les peuples aînés qui
n'avaient pas vu le Christ; mais avaient été remplis de l'Esprit de
Dieu; et avaient obéi dans la mesure de leur connaissance à sa loi non
écrite. La pure charité et l'humilité de ce caractère se voient dans
tout l'art chrétien, selon sa force et sa pureté de race, mais il
n'est nulle part aussi bien et aussi pleinement saisi et interprété
que par les trois grands poètes chrétiens-païens, le Dante, Douglas
de Dunkeld[202], et Georges Chapman. La prière par laquelle le dernier
termine l'œuvre de sa vie est, autant que je sache, la plus parfaite et
la plus profonde expression de la religion naturelle qui nous ait été
donnée en littérature; et si vous le pouvez, priez-la ici, en vous
plaçant sur l'endroit où l'architecte a écrit un jour l'histoire du
Parthénon du christianisme.
21. «Je te prie, Seigneur, père et guide de notre raison, fais que
nous puissions nous souvenir de la noblesse dont tu nous a ornés et que
tu sois toujours à notre main droite et à notre gauche[203], tandis
que se meuvent nos volontés; de sorte que nous puissions être purgés
de la contagion du corps et des affections de la brute et les dominer et
les gouverner; et en user, comme il convient aux hommes, ainsi que
d'instruments. Et alors que tu fasses cause commune avec nous pour le
redressement vigilant de notre esprit et pour sa conjonction, à la
lumière de la vérité, avec les choses qui sont vraiment.
«Et en troisième lieu, je te prie, toi le Sauveur, de dissiper
entièrement les ténèbres qui emprisonnent les yeux de nos âmes, afin
que nous puissions bien connaître qui doit être tenu pour Dieu, et qui
pour mortel. _Amen_[204].»
Et après avoir prié cette prière ou au moins l'avoir lue avec le
désir d'être meilleur (si vous ne le pouvez pas, il n'y a aucun espoir
que vous preniez à présent plaisir à aucune œuvre humaine de haute
inspiration, que ce soit poésie, peinture ou sculpture) nous pouvons
nous avancer un peu plus à l'ouest de la nef, au milieu de laquelle,
mais seulement à quelques yards de son extrémité, deux pierres plates
(le bedeau vous les montrera), l'une un peu plus en arrière que
l'autre, sont posées sur les tombes des deux grands évêques, dont
toute la force de vie fut donnée, avec celle de l'architecte, pour
élever ce temple. Leurs vraies tombes sont restées au même endroit;
mais les tombeaux élevés au-dessus d'elles, changés plusieurs fois de
place, sont maintenant à votre droite et à votre gauche quand vous
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