La Bible d'Amiens - 10

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des gnomes, chacun (comme s'il portait une baguette magique de coudrier
au lieu d'une verge cinglante), faisant surgir des souterrains
ferrugineux des sources effervescentes, salutairement salées et
chaudes.
24. Au cœur même de cette chaîne enchantée, jaillit (et la plus
bienfaisante, si on en use et la dirige bien de toutes les fontaines de
la région) la source de la plus ancienne race franque; «dans la
principauté de Waldeck», vous ne pouvez la faire remonter à aucune
plus lointaine; là elle sort de la terre.
«Frankenberg» (burg) sur la rive droite de l'Eder et à dix-neuf
milles au nord de Marbourg, clairement indiqué dans la carte numéro 13
de l'_Atlas général_ de Black, dans lequel le groupe de Montagnes
Enchantées qui l'entourent et la vallée de l'Eder, autrement
«Engel-Bach», «Ruisseau des Anges» (comme se nomme encore le village
situé plus haut dans le vallon) qui rejoint la Fulda, juste au-dessus
de Cassel, sont aussi tracés d'une manière intelligible pour des
regards mortels qui font un peu attention. Je serais gêné par les noms
si j'essayais un dessin; mais quelques traits de plume un peu minutieux
ou quelques esquisses que vous feriez vous-même à la main, vous
donneraient toutes les sources actuelles du Weser avec une clarté
suffisante, ainsi que les villes à se rappeler qui sont sur son cours
ou juste au sud sur l'autre pente de la ligne de partage vers le Mein:
Frankenberg et Waldeck sur l'Eder, Fulda et Cassel sur la Fulda,
Eisenach sur la Werra, qui forme le Weser après avoir pris la Fulda
comme épouse (comme le Tees la Greta[92]), au delà d'Eisenach, sous la
Wartbourg (dont vous avez entendu parler comme château affecté aux
missions chrétiennes, et aux besoins de la Société Biblique). Les
rues de la ville sont pavées en dure basalte (son nom--eau de
fer--rappelant les armures Thuringiennes de l'ancien temps), elle est
encore en pleine activité avec ses moulins qui servent à tout.
25. Les rochers sur tout le chemin depuis le Rhin sont jusque-là des
jaillissements et des soulèvements de basalte à travers des roches
ferrugineuses, avec un ou deux gisements de charbon vers le nord, ne
valant pas, grâce à Dieu, la peine d'être extraits; à Frankenberg
même une mine d'or; encore la pitié du ciel veut-elle qu'elle soit
assez pauvre en métal; mais du bois et du fer le pays en produit en
quantité suffisante si l'on met à l'avoir la peine voulue; et il y a
des richesses plus douces à la surface de la terre, du gibier, du blé,
des fruits, du lin, du vin, de la laine et du chanvre. Enfin couronnant
le tout, le zèle monastique dans les maisons de Fulda et de Walter que
je trouve indiquée par une croix comme ayant été bâtie par un
certain pieux Walter, chevalier de Meiningen sur le Bodenwasser «eau du
fond», c'est-à-dire une eau ayant finalement bien trouvé sa voie vers
sa chute (dans le sens où «Boden See» est dit du Rhin descendu de la
Via Mala).
26. Et ainsi, ayant bien dégagé des rochers vos sources du Weser, et
pour ainsi dire rassemblé les rênes de votre fleuve, vous pouvez
dessiner assez facilement pour votre usage personnel la partie plus
éloignée de son cours allant au nord en ligne droite, vers la mer du
Nord. Et tracez-le d'un trait énergique sur votre esquisse de la carte
d'Europe, après la frontière de la Vistule, laissant de côté l'Elbe
pour un temps. Pour le moment, vous pouvez tenir tout l'espace compris
entre le Weser et la Vistule (au nord des montagnes) pour sauvage et
barbare (Saxon et Goth); mais donnez passage à la source des Francs à
Waldeck et vous les verrez graduellement mais rapidement remplir tout
l'espace entre le Weser et les Bouches du Rhin et, écumeux dans les
montagnes, se répandre en une nappe plus tranquille sur les Pays-Bas,
où leur errante vie forestière et pastorale trouve enfin à s'endiguer
dans la culture des champs de boue, et oublie dans la brume glacée qui
flotte sur la mer l'éclat du soleil sur les rochers de basalte.
27. Sur quoi nous aussi devons-nous arrêter pour nous endiguer quelque
peu; et ayant toute autre chose, voir ce que nous pouvons comprendre à
ce nom de Francs relativement auquel Gibbon nous dit de son ton le plus
doux de sérénité morale satisfaite: «L'amour de la liberté était
la passion maîtresse de ces Germains. Ils méritèrent, ils prirent,
ils gardèrent l'épithète honorable de Francs, ou hommes libres.» Il
ne nous dit pas toutefois en quelle langue de l'époque (Chaucien,
Sicambrien, Chamave ou Catte) «Franc» a jamais signifié Libre; et je
ne puis moi-même découvrir à quelle langue, de quelque temps que ce
soit, ce mot appartient d'abord; mais je ne doute pas que Miss Yonge
(_Histoire des Noms Chrétiens_, articles sur _Frey_ et _Frank_) ne
donne la vraie racine quand elle parle de ce qu'elle appelle le
«Puissant Germain, «Frang» Free _Lord._ Nullement un libre homme du
peuple, rien de pareil; mais une personne dont la nature et le nom
impliquaient l'existence autour de lui et au-dessous de lui d'un nombre
considérable d'autres personnes qui n'étaient en rien «Frang» ni
Frangs. Son titre est un des plus fiers de ceux qui existaient alors;
consacré à la fin par la dignité de l'âge ajoutée à celle de la
valeur dans le nom de Seigneur, ou Monseigneur, pas encore dans sa
dernière forme cokney de «Mossoo» prise dans une acception tout à
fait républicaine!
28. De sorte que, en y réfléchissant bien, la qualité de franchise ne
donne que son bord plat dans la signification de «Libre», mais du
côté du tranchant et de la pointe, sans aucun doute et en tout temps
signifie brave, fort, et honnête, au-dessus des autres hommes[93].
Le vieux peuple du pays de forêts ne fut jamais en aucune méchante
acception «libre»; mais dans un sens vraiment humain il fut Franc,
pensant ce qu'il disait tout haut, et s'y tenant jusqu'à ce qu'il
l'eût réalisé. Prompts et nets dans les paroles et dans l'action,
absolument sans peur et toujours sans repos; mais sans loi,
indisciplinés par laisser-aller ou prodigues par faiblesse, cela ils ne
le sont ni en action ni en paroles. Leur franchise, si vous lisez le mot
comme un savant et un chrétien, et non comme un moderne infidèle de
demi-culture et n'ayant qu'une moitié de cerveau, ne connaissant de
toutes les langues de l'univers que son argot, est, en réalité,
opposée non à servitude, mais à timidité[94].
C'est aujourd'hui la marque de ce qu'il y a de plus doux et de plus
français dans le caractère français qu'il produit des serviteurs qui
sont tout bonnement parfaits. Infatigablement attachés à leurs
protecteurs, dans une douce adresse à tout faire, sous une tutelle
latente; les plus aimablement utiles des valets, les plus gentilles (de
mentalité et de personnalité tout à fait bonnes) des bonnes. Mais à
aucun degré, ne seront intimidés par vous. Vous aurez beau être le
duc ou la duchesse de Montaltissimo vous ne les verrez pas troublés par
votre rang élevé. Ils entameront la conversation avec vous s'ils en
ont envie.
29. Les meilleurs des serviteurs; les meilleurs des sujets aussi quand
ils ont un roi, ou un comte, ou un chef, franc aussi, pour les conduire;
ce dont nous verrons la preuve en temps voulu; mais, en ce moment, notez
encore ceci, quelque éclat accessoire de la chose appelée par eux dans
la suite Liberté que puisse suggérer le nom Frank, vous devez dès
maintenant, et toujours dans l'avenir, vous garder de confondre leurs
Libertés avec leur Puissance d'agir. Ce que l'attitude de l'armée peut
être vis-à-vis de son chef est une question; si chef ou armée peut se
tenir en repos six mois, une autre et toute différente. Il leur faut
toujours combattre quelqu'un ou aller quelque part, la vie ne leur
paraît pas valoir sans cela la peine d'être vécue; et cette
activité, cet éclat et cet éclair de vif-argent qui brille à la fois
ici et là, qui dans son essence n'est l'amour ni de la guerre ni de la
rapine, mais seulement le besoin de changer de place et d'humeur (pour
ainsi dire de modes et de temps--et d'intensité)--chez des gens qui ne
veulent jamais laisser reposer leurs éperons mais les ont toujours
brillants et aux pieds, et aiment mieux jeûner à cheval que festoyer
au repos, cette peur enfantine d'être mis dans le coin, et ce besoin
continuel d'avoir quelque chose à faire, tout cela doit être
considéré par nous avec une sympathie étonnée dans toutes ses
conséquences quelquefois éblouissantes, mais trop souvent malheureuses
et désastreuses pour la nation elle-même aussi bien que pour ses
voisins.
30. Et cette activité que nous, lourds mangeurs de bœufs que nous
sommes, nous avions l'habitude, avant que la science moderne nous eût
enseigné que nous n'étions nous-mêmes rien de mieux que des babouins,
de comparer discourtoisement à celle des tribus plus vives des singes,
fit en réalité une si grande impression sur les Hollandais (quand pour
la première fois l'irrigation franque donna quelque mouvement et
quelque courant à leurs marais) que les plus anciennes armoiries dans
lesquelles nous trouvions un blason rappelant la puissance franque,
paraissent avoir été l'œuvre d'un Hollandais qui voulait en donner
une représentation dédaigneusement satirique.
«Car, dit un très ingénieux historien, M. André Favine, «Parisien
et avocat à la Haute-Cour du Parlement français en l'an 1626», ces
peuples qui bordaient la Sala appelés «Salts» par les Allemagnes,
furent à leur descente dans les pays hollandais appelés par les
Romains «Francs Saliques» (d'où la future loi «Salique»,
remarquez-le) et par abréviation «Salii», apparemment du verbe
_salire_, c'est-à-dire «saulter», «sauter» (et dans l'avenir par
conséquent dûment aussi danser--d'une manière incomparable), être
«vif et agile du pied, bien sauter et monter, qualités tout
particulièrement requises chez ceux qui habitent des lieux humides et
marécageux. Aussi pendant que tels des Français comme ceux qui
habitaient sur le bras principal du fleuve (Rhin) étaient nommés
«Nageurs» (Swimmers), ceux des marais étaient appelés «Saulteurs»
(Leapers); c'était un sobriquet donné aux Français en raison et de
leur disposition naturelle et de leur résidence; et encore aujourd'hui,
leurs ennemis les appellent les Crapauds Français (ou Grenouilles plus
exactement), d'où est venue la fable que leurs anciens rois portaient
de telles créatures dans leurs armes.»
31. Sans aborder en ce moment la question de savoir si c'est une fable
ou non, vous vous rappellerez aisément l'épithète «Salien»,
caractérisant les gens qui sautent les fossés, traversent les fleuves
à la nage, si bien que, comme nous l'avons dit précédemment, toute la
longueur du Rhin dut être refortifiée contre eux, épithète
toutefois, où il paraît à l'origine y avoir un certain Sel délicat,
de sorte que nous pouvons justement, comme nous appelons «vieux
Salés» nos marins endurcis, songer à ces Francs plus brillants, plus
étincelants, comme à de «Jeunes Salés»; mais les Romains joueront
en quelque sorte sur le mot, et dans leur respect naturel pour la flamme
martiale et «l'élan» de ces Franks, ils en feront «Salii
exsudantes[95]» du nom même de leurs propres prêtres armés qui les
suivaient à la guerre.
Allant jusqu'à une dérivation un peu plus lointaine mais subtile, nous
pouvons considérer ce premier «Saillant» comme un promontoire en bec
d'aigle sur la France que nous connaissons, vers ce que nous appelons
aujourd'hui la France; et à jamais dans sa brillante élasticité de
tempérament, une nation à sauts et saillies, nous fournissant à nous
Anglais, car nous pouvons risquer pour cette fois ce peu d'érudition
héraldique, leur «Léopard» (non comme une créature mouchetée et
tachetée, mais naturellement élancée et bondissante) pour nos
écussons royaux et princiers.
En voilà assez sur leur nom de «Salien», mais de l'interprétation de
la Franchise nous sommes aussi loin que jamais, et il faut nous
contenter cependant d'en rester là, en notant toutefois deux idées
liées dans la suite à ce nom, qui sont pour nous d'une très grande
importance de définition.
32. «Le poète français dans les premiers livres de sa Franciade, dit
M. Favine» (mais quel poète, je ne sais, ni ne puis me renseigner
là-dessus)[96] «raconte»[97] (dans le sens de écartèle, ou peint
comme fait un héraldiste) «certaines fables sur le nom des Français
pour lequel on aurait adopté et réuni deux mots gaulois ensemble,
Phere-Encos qui signifie «Porte-Lance» (Brandit-Lance, pourrions-nous
peut-être nous risquer à traduire), une arme plus légère que la
pique commençant ici à s'agiter dans les mains de leur chevalerie et
Fere-Encos devenant assez vite dans le langage parlé «Francos»;--une
dérivation certes à ne pas accepter, mais à cause de l'idée qu'elle
donne de l'arme elle vaut qu'on y prête attention de même qu'à la
suivante: parmi les armes des anciens Français, au-dessus et à côté
de la lance, il y avait la hache d'arme qu'ils appelaient anchon, et qui
existe encore aujourd'hui dans beaucoup de provinces de France où on
l'appelle un achon; ils s'en aidaient à la guerre en le jetant au loin
sur l'ennemi dans le seul but de le mettre à découvert et pour fendre
son bouclier. Cet _achon_ était dardé avec une telle violence qu'il
pourfendait le bouclier, forçait son possesseur à abaisser le bras et
ainsi le laissait découvert et désarmé et permettait de le surprendre
plus facilement et plus vite. Il paraît que cette arme était
proprement et spécialement l'arme du soldat français, aussi bien à
pied qu'à cheval. Pour cette raison, on l'appelait _Franciscus._
Francisca, _securis oblonga, quam Franci librabant in hostes._ Car le
cavalier, outre son bouclier et sa francisca (arme commune, comme nous
l'avons dit, au fantassin et au cavalier), avait aussi la lance;
lorsqu'elle était brisée et ne pouvait plus servir, il portait la main
sur sa francisca, sur l'usage de laquelle nous renseigne l'archevêque
de Tours, dans son second livre, chapitre XXVII.»
33. Il est agréable de voir avec quel respect les leçons de
l'archevêque de Tours étaient écoutées par les chevaliers français,
et curieux de noter la préférence des meilleurs d'entre eux à user de
la francisca, non seulement aux temps de Cœur de Lion, mais même aux
jours de Poitiers. Dans le dernier engagement de cette bataille aux
portes de Poitiers: «Là, fit le roi Jehan de sa main merveilles
d'armes, et tenait une hache de guerre dont bien se dépendait et
combattait, si la quartre partie de ses gens luy eussent ressemblé, la
journée eust été pour eux.» Plus remarquable encore à ce point de
vue est l'épisode du combat que Froissart s'arrête pour nous dire
avant de commencer son récit, et qui met aux prises le Sire de Verclef
(sur la Severn) et l'écuyer Picard Jean de Helennes; l'Anglais perdant
son sabre descend pour le reprendre; sur quoi Helennes lui _jette_ le
sien avec un tel visé et une telle force «qu'il accousuit l'Anglais es
cuisses, tellement que l'épée entre dedans et le cousit tout parmi,
jusqu'au hans».
Là-dessus, le chevalier se rendant, l'écuyer bande sa plaie, et le
soigne, restant quinze jours «pour l'amour de lui», à Châtellerault,
tant que sa vie fut en danger, et ensuite lui faisant faire toute la
route en litière jusqu'à son propre château de Picardie. Sa rançon
est de 6.000 nobles. Je pense environ 25.000 livres de notre valeur
actuelle et vous pouvez tenir pour un signe particulièrement fatal du
proche déclin des temps de la chevalerie ce fait que «devint celuy
Escuyer, chevalier, pour le grand profit qu'il eut du Seigneur de
Verclef».
Je reviens volontiers à l'aube de la chevalerie, alors qu'heure par
heure, année par année, les hommes devenaient plus doux et plus sages,
alors que même au travers des pires cruautés et des pires erreurs on
pouvait voir les qualités natives de la caste la plus noble s'affirmer
d'abord, en vertu d'un principe inné, se soumettre ensuite en vue des
tâches futures.
34. Les deux principales armes, voilà tout ce que nous connaissons
jusqu'ici du Franc salien; pourtant sa silhouette commence à se
dessiner pour nous dans le brouillard du Brocken, portant la lance
légère qui deviendra le javelot; mais la hache, son arme de bûcheron,
est lourde;--pour des raisons économiques, comme la rareté du fer,
c'est l'arme préférable à toutes, donnant la plus grande force
d'impulsion et la plus grande puissance de choc avec la plus petite
quantité de métal, et le travail de forge le plus sommaire. Gibbon
leur donne aussi une «pesante» épée, suspendue à un «large»
ceinturon; mais les épithètes de Gibbon sont toujours données
gratis[98], et l'épée à ceinturon, quelle que fut sa mesure, était
probablement destinée aux chefs seulement; le ceinturon, lui-même en
or, celui-là même qui distinguait les comtes romains et sans aucun
doute adopté, à leur exemple, par les chefs francs alliés; prenant
par la suite la signification symbolique que lui donne saint Paul[99] de
ceinturon de vérité; enfin, l'emblème principal de l'Ordre de la
Chevalerie.
35. Le bouclier pour tous était rond, se maniant comme le bouclier d'un
highlander: armure qui probablement n'était rien que du cuir fortement
tanné, ou du chanvre patiemment et solidement tricoté: «Leur
costume collant», dit M. Gibbon, «figurait exactement la forme
de leurs membres», mais «costume» est seulement une expression
Miltono-Gibbonienne pour signifier «personne sait quoi». Il est plus
intelligible en ce qui concerne leurs personnes. «La stature élevée
des Francs, leurs yeux bleus, dénotaient une origine germanique; les
belliqueux barbares étaient formés dès leur première jeunesse à
courir, sauter, nager, lancer le javelot et la hache d'armes sans
manquer le but, à marcher sans hésitation contre un ennemi supérieur
en nombre, et à garder dans la vie ou la mort la réputation
d'invincibles qui était celle de leurs ancêtres» (VI, 93). Pour la
première fois, en 358, épouvanté par la victoire de l'empereur Julien
à Strasbourg, et assiégé par lui sur la Meuse, un corps de six cents
Francs «méconnut l'ancienne loi qui leur ordonnait de vaincre ou de
mourir». «Bien que l'espoir de la rapine eût pour les entraîner une
force extrême, ils professaient un amour désintéressé de la guerre
qu'ils considéraient comme le suprême honneur et la suprême
félicité de la nature humaine, et leurs esprits et leurs corps
étaient si endurcis par une activité perpétuelle, que selon la
vivante expression d'un orateur, les neiges de l'hiver étaient aussi
agréables pour eux que les fleurs du printemps» (III, 220).
36. Ces vertus morales et corporelles ou cet endurcissement étaient
probablement universels dans les rangs militaires de la nation; mais
nous apprendrons tout à l'heure avec surprise, d'un peuple si
remarquablement «libre» que seuls le Roi et la famille royale y
pouvaient porter leur chevelure comme il leur plaisait. Les rois
portaient la leur en boucles flottantes sur le closet les épaules, les
reines en tresses ondulantes jusqu'à leurs pieds, mais tout le reste de
la nation était obligé par la loi ou l'usage de se raser la partie
postérieure de la tête, de porter ses cheveux courts sur le front, et
de se contenter de l'ornement de deux petites whiskers[100].
37. Moustaches, veut dire M. Gibbon j'imagine, et je me permets de
supposer aussi que les nobles et leurs femmes pouvaient porter leurs
tresses et leurs boucles comme il leur convenait. Mais, de nouveau, il
nous ouvre un jour inattendu et gênant sur les institutions
démocratiques des Francs en nous apprenant «que les différents
commerces, les travaux de l'agriculture et les arts de la chasse et de
la pêche étaient _exercés_ par des mains _serviles_ pour un _salaire_ du
souverain».
«Servile et salaire» toutefois, quoiqu'ils donnent d'abord l'idée
terrible d'un ordre de choses injuste ne sont que les expressions
Miltono-Gibboniennes du fait général que les rois francs avaient des
laboureurs dans leurs champs, employaient des tisserands et des
forgerons pour faire leurs vêtements et leurs épées, chassaient avec
des veneurs, au faucon avec des fauconniers, et étaient sous les autres
rapports tyranniques dans la proportion où peut l'être un grand
propriétaire de terres anglais. «Le château des rois à longs cheveux
était entouré de cours commodes et d'écuries pour la volaille et le
bétail, le jardin était planté de légumes utiles, les magasins
remplis de blé, de vins, soit pour la vente, soit pour la consommation,
et toute l'administration, conduite dans les règles les plus strictes
de l'économie privée.»
38. J'ai rassemblé ces remarques souvent incomplètes et pas toujours
très consistantes, de l'aspect et du caractère des Francs, extraites
des références de M. Gibbon, pendant une période de plus de deux
siècles,--et le dernier passage cité,--qu'il accompagne de la
constatation que «cent-soixante de ces palais ruraux étaient
disséminés à travers les provinces de leur royaume», sans nous dire
quel royaume, ou à quelle époque,--doit être tenu pour descriptif des
coutumes et du système général de leur monarchie après les victoires
de Clovis. Mais dès la première heure où vous entendrez parler de
lui, le Franc, à le bien considérer, est toujours un personnage
extrêmement ingénieux, bien intentionné et industrieux; s'il est
impatient d'acquérir, il sait aussi intelligemment conserver et
édifier; il y a là tout un don d'ordonnance et de claire architecture
qui trouvera un jour sa suprême expression dans les bas-côtés
d'Amiens; et des choses en tout genre sans rivales et qui eussent été
indestructibles si ceux qui vécurent au milieu d'elles avaient eu même
force de cœur que ceux qui les avaient construites bien des années
auparavant[101].
39. Mais pour le moment il nous faut revenir sur nos pas, car
dernièrement, relisant quelques-uns de mes livres pour une édition
revue et corrigée, j'ai remarqué et non sans remords, que toutes les
fois que dans un paragraphe ou un chapitre je promets pour le chapitre
suivant un examen attentif de quelque point particulier le paragraphe
suivant n'a trait en quoi que ce soit au point promis, mais ne manque
pas de s'attacher passionnément à quelque point antithétique,
antipathique ou antipodique, dans l'hémisphère opposé; je trouve
cette façon de composer un livre extrêmement favorable à
l'impartialité et la largeur des vues; mais je puis concevoir qu'elle
doit être pour le commun des lecteurs non seulement décevante (si je
puis vraiment me flatter d'intéresser jamais suffisamment pour
décevoir) mais même capable de confirmer dans son esprit quelques-unes
des insinuations fallacieuses et absolument absurdes de critiques
hostiles, concernant mon inconsistance, mes vacillations, et ma
facilité à être influencé par les changements de température dans
mes principes ou dans mes opinions. Aussi je me propose dans ces
esquisses historiques, pour le moins de me surveiller, et j'espère de
me corriger en partie de ce travers de manquer à mes promesses, et,
dût-il en coûter aux flux et reflux variés de mon humeur, de dire
dans une certaine mesure en chaque chapitre ce que le lecteur à le
droit de compter qui y sera dit.
40. J'ai abandonné dans mon chapitre Ier après y avoir jeté un
simple coup d'œil, l'histoire du vase de Soissons. On peut la trouver
(et c'est bien à peu près la seule chose que l'on y puisse trouver
concernant la vie ou le caractère individuel du premier Louis) dans
toute histoire de France populaire à bon marché avec sa moralité
populaire à bon marché imprimée à la suite. Si j'avais le temps de
remonter à ses premières sources, peut-être prendrait-elle un autre
aspect. Mais je vous la donne telle qu'on peut la trouver partout en
vous demandant seulement d'examiner si--même lue ainsi--elle ne peut
pas porter en elle une signification quelque peu différente.
41. L'histoire dit donc que, après la bataille de Soissons, dans le
partage des dépouilles romaines ou gauloises, le roi revendiqua un vase
d'argent d'un superbe travail pour--«lui», étais-je sur le point
d'écrire,--et dans mon dernier chapitre, j'ai inexactement _supposé_
qu'il le voulait pour son meilleur lui-même, sa reine. Mais il ne le
voulait ni pour l'un ni pour l'autre, c'était pour le rendre à saint
Rémi, afin qu'il pût rester parmi les trésors consacrés à Reims.
Ceci est le premier point sur lequel les historiens populaires
n'insistent pas, et qu'un de ses guerriers qui réclama l'égal partage
du trésor préféra aussi ignorer. Le vase était demandé par le roi
en supplément de sa propre part et les chevaliers francs tout en
rendant fidèle obéissance à leur roi comme chef n'avaient pas la
moindre intention de lui accorder ce que des rois plus modernes
appellent des taxes «régaliennes» prélevées sur tout ce qu'ils
touchent. Et un de ces chevaliers ou comtes francs, un peu plus franc
que les autres et aussi incrédule à la sainteté de saint Rémi qu'un
évêque protestant ou un philosophe positiviste, prit sur lui de
discuter la prétention du roi et de l'Église, à la façon, supposez,
d'une opposition libérale à la Chambre des Communes; et la discuta
avec une telle confiance d'être soutenu par l'opinion publique du Ve
siècle, que le roi persistant dans sa requête le soldat sans peur mit
le vase en pièces avec sa hache de guerre en s'écriant: «Tu n'auras
pas plus que ta part de butin.»
42. C'est la première et nette affirmation de la «Liberté,
Fraternité et Égalité» françaises, soutenue alors comme maintenant
par la destruction qui est la seule manifestation artistique active
possible à des personnages «libres», incapables de rien créer.
Le roi ne donna pas suite à la querelle. Les poltrons penseront qu'il
en resta là par poltronnerie, et les méchants par méchanceté. Il est
certain, en tous cas c'est fort à croire, qu'il en resta là; mais il
attendit son heure; ce que la colère d'un homme fort peut toujours,
ainsi que s'échauffer plus ardemment dans l'attente, et c'est une des
principales raisons pourquoi on enseigne aux chrétiens de ne pas
laisser le soleil se coucher sur elle[102]. Précepte auquel les
chrétiens de nos jours sont parfaitement prêts à obéir si c'est
quelqu'un d'autre qui a été offensé, et en effet dans ce cas la
difficulté est habituellement de les faire penser à l'injure, même
dans la minute où le soleil n'est pas encore couché sur leur
indignation[103].
43. La suite est vraiment choquante pour la sensibilité moderne. Je la
donne dans le langage sinon poli du moins délicatement verni de
l'histoire illustrée.
«Environ un an après, passant la revue de ses troupes, il alla à
l'homme qui avait brisé le vase, et, _examinant ses armes, se
plaignit_ qu'_elles_ fussent en mauvais état!» (l'italique est de
moi) et «les jeta» (Quoi? le bouclier et l'épée?) «à terre». Le
soldat se baissa pour les ramasser et à ce moment le roi le frappa à
la tête de sa hache de guerre en s'écriant: «Ainsi fis-tu au vase de
Soissons.» L'historien moral moderne ajoute cette remarque que: «Ceci
comme document sur l'état des Francs et les liens par lesquels ils
étaient unis ne donne que l'idée d'une bande de voleurs et de leur
chef.» Ce qui est en effet autant que je puis moi-même pénétrer et
déchiffrer la nature des choses l'idée première à concevoir
relativement à la plupart des organisations royales et militaires dans
ce monde jusqu'à nos jours (à moins par hasard que ce ne soient les
Afghans et les Zoulous qui volent nos propres terres en Angleterre au
lieu de nous les leurs dans leurs pays respectifs). Mais en ce qui
regarde la manière dont fut accomplie cette exécution militaire type,
je dois pour le moment demander au lecteur la permission de rechercher
avec lui, s'il est moins royal, ou plus cruel de frapper un soldat
insolent sur la tête avec sa hache d'armes à soi, que de frapper une
personne telle que Sir Thomas More[104] sur le cou avec celle d'un
exécuteur, ayant recours au fonctionnement mécanique--comme serait
celui du couperet, de la guillotine ou de la corde, pour donner le coup
de grâce--des formes accommodantes de la loi nationale et de
l'intervention gracieusement mêlée d'un groupe élégant de nobles et
d'évêques.
44. Il y a des choses bien plus noires à dire de Clovis que celle-ci,
alors que sa vie fière tirait vers sa fin, des choses qui vous seraient
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