La Bible d'Amiens - 09

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d'un citoyen obscur, on se contente d'une homélie improvisée pour la
dixième fois par n'importe quel député intransigeant--et le
_Miserere_ est remplacé par les cris de «Vive la République»
poussés dans le cimetière.
«On n'entre plus dans les églises, mais on fréquente les brasseries
et les cabarets, on y officie, on y célèbre les mystères, on y chante
les louanges d'une prétendue république sacro-sainte, une,
indivisible, démocratique, sociale, athénienne, intransigeante,
despotique, invisible quoique étant partout. On y communie sous
différentes espèces; le matin (_matines_) on «tue le ver» avec le
vin blanc;--il y a plus tard les vêpres de l'absinthe, auxquelles on se
ferait un crime de manquer d'assiduité. On ne croit plus en Dieu, mais
on _croit_ pieusement en M. Gambetta, en MM. Marcou, Naquet, Barodet,
Tartempion, etc., et en toute une kyrielle de saints et de _dii
minores_, tels que Goutte-Noire, Polosse Bariasse et Silibat, le héros
lyonnais.
«On _croit_ à l'«immuabilité» de M. Thiers, qui a dit avec aplomb:
«Je ne change jamais», et qui aujourd'hui est à la fois le protecteur
et le protégé de ceux qu'il a passé une partie de sa vie à fusiller
et qu'il fusillait encore hier.
«On _croit_ au républicanisme immaculé de l'avocat de Cahors, qui a
jeté par-dessus bord tous les principes républicains,--qui est à la
fois de son côté le protecteur et le protégé de M. Thiers qui, hier,
l'appelait «fou furieux», déportait et fusillait ses amis.
«Tous deux, il est vrai, en même temps protecteurs hypocrites, et
protégés dupés.
«On ne croit plus aux miracles anciens, mais on _croit_ à des miracles
nouveaux.
«On _croit_ à une république sans le respect religieux et presque
fanatique des lois.
«On _croit_ qu'on peut s'enrichir en restant imprévoyants, insouciants
et paresseux, et autrement que par le travail et l'économie.
«On se _croit_ libre en obéissant aveuglément et bêtement à deux ou
trois coteries.
«On se _croit_ indépendant parce qu'on a tué ou chassé un lion, et
qu'on l'a remplacé par deux douzaines de caniches teints en jaune.
«On _croit_ avoir conquis le «suffrage universel» en votant par des
mots d'ordre qui en font le contraire du suffrage universel--mené au
vote comme on mène un troupeau au pâturage, avec cette différence que
ça ne nourrit pas.--D'ailleurs par «ce suffrage universel» qu'on
croit avoir et qu'on n'a pas, il faudrait _croire_ que les soldats
doivent commander au général, les chevaux mener le cocher, _croire_
que deux radis valent mieux qu'une truffe, deux cailloux mieux qu'un
diamant, deux crottins mieux qu'une rose.
«On se _croit_ en République, parce que quelques demi-quarterons de
farceurs occupent les mêmes places, émargent les mêmes appointements,
pratiquent, les mêmes abus que ceux qu'on a renversés à leur
bénéfice.
«On se _croit_ un peuple opprimé héroïque, qui brise ses fers, et
n'est qu'un domestique capricieux qui aime à changer de maîtres.
«On _croit_ au génie d'avocats de sixième ordre, qui ne se sont
jetés dans la politique et n'aspirent au gouvernement despotique de la
France que faute d'avoir pu gagner honnêtement, sans grand travail,
dans l'exercice d'une profession correcte, une vie obscure humectée de
chopes.
«On _croit_ que des hommes dévoyés, déclassés, décavés, fruits
secs, etc., et qui n'ont étudié que «le domino à quatre» et le
«bezigue en quinze cents» se réveillent un matin, après un sommeil
alourdi par le tabac et la bière, possédant la science de la
politique, et l'art de la guerre, et aptes à être dictateurs,
généraux, ministres, préfets, sous-préfets, etc.
«Et les soi-disant conservateurs eux-mêmes croient que la France peut
se relever et vivre tant qu'on n'aura pas fait justice de ce prétendu
suffrage universel qui est le contraire du suffrage universel.
«Les croyances ont subi le sort de ce serpent de la fable, coupé,
haché par morceaux, dont chaque tronçon devenait un serpent.
«Les croyances se sont changées en monnaie, en billon des
crédulités.
«Et pour finir la liste bien incomplète des croyances et des
crédulités, vous _croyez_, vous, qu'on ne croit à rien!»

[Note 78: Cette méthode n'est, du reste, pas suivie dans les chapitres
suivants.--(Note de l'Auteur.)]
[Note 79: Nom de la déesse Kim, une des incarnations de Siva, donné
par extension au temple et à la ville de Pouri sur la côte d'Orissa
(Coromandel).--(Note du Traducteur.)]
[Note 80: Capitale du Thibet. Aux environs de Lassa le Dalaï Lama
habite dans un monastère. C'est un lieu de pèlerinage extrêmement
fréquenté.--(Note du Traducteur.)]


CHAPITRE II

SOUS LE DRACHENFELS

Ne voulant pas recourir lâchement aux stratagèmes de la mémoire
artificielle et encore moins dédaigner ce que donne de force réelle
une mémoire ferme et réfléchie, mes jeunes lecteurs s'aperceveront
qu'il est extrêmement utile de noter tous les rapports de coïncidence,
ou autres, entre les nombres, qui aident à retenir ce qu'on pourrait
appeler les dates d'ancrage: autour d'elles, d'autres, moins
importantes, peuvent osciller au bout de câbles de longueurs variées.
Ainsi on usera d'abord d'un procédé des plus simples et des plus
commodes pour compter les années à partir de la naissance du Christ,
en les partageant par périodes de cinq siècles, c'est-à-dire par les
périodes appelées Ve, Xe et XVe siècles, et celle qui s'approche de
nous maintenant, le XXe siècle.
Et cette division, qui paraît au premier abord formelle et
arithmétique, nous la verrons, à mesure que nous en ferons usage,
recevoir une signification singulière d'événements qui marquent un
changement notable dans le savoir, la discipline et la morale du genre
humain.
Toute date, il faudra plus loin s'en souvenir, appartenant au Ve
siècle, commencera par le nombre 4 (401, 402, etc.). Toute date du Xe
siècle, par le nombre 9 (901,902, etc.) et toute date du XVe siècle,
par le nombre 14 (1401, 1402, etc.).
Dans le sujet qui fait nôtre étude immédiate, nous avons à nous
occuper du premier de ces siècles, le Ve, dont je vais, en
conséquence, vous demander d'observer deux divisions très
intéressantes.
Toutes les dates, nous l'avons dit, doivent dans ce siècle commencer
par le nombre 4.
Si vous mettez la moitié de ce nombre comme second chiffre vous avez
42.
Et si vous en mettez à la place le double, vous avez 48; ajoutez 1
comme troisième chiffre à chacun de ces nombres et vous avez 421 et
481, deux dates que vous voudrez bien fixer dans vos têtes sans vous
permettre le moindre vague à leur égard.
Car la première est la date de la naissance de Venise elle-même et de
son duché (Voyez _le Repos de saint Marc_, Ire partie, p. 30); et la
seconde est la date de la naissance de la Venise française et de son
royaume, Clovis étant, cette année-là, couronné à Amiens.
3. Ce sont les deux grands anniversaires de naissance, «jours de
naissance», de nations, au Ve siècle; leurs anniversaires de mort,
nous en donnerons les dates une autre fois.
Et ce n'est pas seulement à cause du duché du sombre Rialto, ni à
cause du beau royaume de France, que ces deux dates doivent dominer
toutes les autres dans le farouche Ve siècle, mais parce qu'elles sont
aussi les années de naissance d'une grande dame et d'un plus grand
seigneur, de toute la future chrétienté, sainte Geneviève et saint
Benoît[81].
Geneviève, «la vague blanche» (Eau riante), la plus pure de toutes
les vierges qui aient tiré leur nom de l'écume de la mer ou des
bouillons du ruisseau, sans tache, non la troublée et troublante
Aphrodite, mais la Leucothéa d'Ulysse, la vague qui conduit à la
délivrance.
Vague blanche sur le bleu du lac ou de la mer ensoleillée qui sont
depuis les couleurs de France, lis d'argent sur champ d'azur; elle est
à jamais le type de la pureté, dans l'active splendeur de l'âme
entière et de la vie (distincte en cela de l'innocence plus tranquille
et plus réservée de sainte Agnès) et toutes les légendes de chagrin
dans l'épreuve ou de chute de toute âme noble de femme sont liées à
son nom, en Italien Ginevra devenant l'Imogène de Shakespeare; et
Guinevere[82], la vague torrentueuse des eaux des montagnes de la
Grande-Bretagne de la pollution desquelles vos modernes ménestrels
sentimentaux se lamentent dans leurs chants lugubrement inutiles; mais
aucun ne vous dit rien, autant que je sache, de la victoire et de la
puissance de cette blanche vague de France.
4. Elle était bergère, une chétive créature, nu-pieds, nu-tête,
telle que vous en pouvez voir courant dans leur inculte innocence et
dont on s'occupe moins que de leur troupeau, sur bien des collines de
France et d'Italie. Assez chétive, âgée de sept ans, c'est tout ce
qui en est dit quand on entend d'abord parler d'elle: «Sept fois 1 font
7 (je suis vieille, tu peux me croire, linotte, linotte[83]) et tout
autour d'elle, déchaînées comme les Furies, farouches comme les vents
du ciel, les armées gothes, dont le tonnerre retentit sur les ruines de
l'Univers.
5. À deux lieues de Paris (le Paris Romain appelé à bientôt
disparaître avec Rome elle-même), la petite créature garde son
troupeau, pas même le sien propre, ni le troupeau de son père, comme
David; elle est la servante louée d'un riche fermier de Nanterre. Qui
peut me dire quoi que ce soit sur Nanterre? Quel pèlerin de notre
époque omni-spéculante, omni-ignorante, a eu la pensée d'aller voir
quelles reliques il peut y avoir encore là? Je ne sais pas même de
quel côté de Paris ce lieu est situé[84], ni sous quel amas de
poussière charbonneuse de chemin de fer et de fer, il faut se
représenter les pâturages et les champs fleuris de cette sainte
Phyllis de féerie[85]. Il y avait encore de tels champs, même de mon
temps, entre Paris et Saint-Denis (voyez le plus joli de tous les
chapitres des _Mystères de Paris_, où Fleur-de-Marie y court librement
pour la première fois); mais, à présent, je suppose que la terre
natale de sainte Phyllis a servi toute à élever des bastions et des
glacis (profitables et bénis de tous les saints et d'elle comme ils en
ont depuis donné la preuve), ou est couverte de manufactures et de
cabarets.
Elle avait sept ans quand, allant d'Auxerre en Angleterre, saint Germain
s'arrêta une nuit dans son village, et, parmi les enfants qui, le
matin, le mirent dans son chemin d'une manière plus aimable que
l'escorte d'Élisée, remarqua celle-ci qui le regardait de ses yeux
plus écarquillés par le respect que ceux des autres; il la fit venir
à lui, la questionna, et il lui fut répondu par elle avec douceur
qu'elle serait contente d'être la servante du Christ. Et il suspendit
à son cou une petite pièce de cuivre marquée de la croix. À partir
de ce moment Geneviève se tint pour «séparée du monde».
Il n'en advint pas ainsi cependant. Bien au contraire, il vous faut
penser à elle au lieu de cela comme à la première des Parisiennes.
Reine de la Foire aux Vanités, voilà ce que devait devenir la
tranquille pauvre sainte Phyllis avec son liard de cuivre marqué de la
croix autour du cou! Plus que Nicotris ne fut pour l'Égypte, plus que
Sémiramis pour Ninive, plus que Zénobie pour la cité des palmiers,
voilà ce que cette bergère de sept ans devint pour Paris et sa France.
Vous n'avez jamais entendu parler d'elle sous cet aspect? Non, comment
l'auriez-vous pu? Car elle ne conduisit pas d'armées, mais les arrêta,
et toute sa puissance fut dans la paix.
7. Il y a cependant quelque vingt-sept ou vingt-huit vies d'elle, je
crois, dans la littérature desquelles je ne puis ni n'ai besoin
d'entrer, toutes s'étant montrées également impuissantes à éveiller
d'elle une image claire dans l'esprit des Français ou Anglais
d'aujourd'hui, et je laisse les pauvres sagacités et imaginations de
chacun toucher à sa sainteté, la modeler et lui donner une forme
intelligible, je ne dis pas croyable, car il n'est pas question ici de
croyance, la créature est aussi réelle que Jeanne d'Arc et a en elle
beaucoup plus de puissance. Elle se distingue par le calme de sa force
(exactement comme saint Martin par sa patience se distingue des prélats
combatifs)--de la foule digne de pitié des saintes femmes martyres.
Il y a des milliers de jeunes filles pieuses qui n'ont jamais figuré
dans aucun calendrier, mais qui ont passé et gâché leur vie dans la
désolation, Dieu sait pourquoi, car nous ne le savons pas, mais en
voici une, en tout cas, qui ne soupire pas après le martyre et ne se
consume pas dans les tourments, mais devient une Tour du Troupeau[86] et
toute sa vie lui construit un bercail.
8. La première chose ensuite que vous avez à remarquer à son sujet
c'est qu'elle est absolument gauloise de naissance. Elle ne vient pas
comme missionnaire de Hongrie ou d'Illyrie, ou d'Égypte, ou de quelque
région mystérieuse dont on ne dit pas le nom, mais elle grandit à
Nanterre, comme une marguerite dans la rosée, la première «Reine
Blanche» de Gaule.
Je n'ai pas encore fait usage de ce vilain mot «Gaule», et nous devons
tout de suite nous bien assurer de sa signification, bien que cela doive
nous coûter une longue parenthèse.
9. Au temps de la puissance grandissante de Rome, son peuple appelait
Gaulois tous ceux qui vivaient au nord des sources du Tibre. Si cette
définition générale ne vous suffit pas, vous pouvez lire l'article
_Gallia_ dans le _Dictionnaire_ de Smith qui tient soixante et onze
colonnes d'impression serrée, chacune de la longueur de trois de mes
pages: et il vous dit à la fin: «Quoique long, ce n'est pas complet.»
Vous pouvez cependant, après une lecture attentive, en tirer à peu
près autant que je vous en ai dit plus haut.
Mais dès le IIe siècle après le Christ et, d'une manière beaucoup
plus nette à l'époque dont nous nous occupons--le Ve siècle--les
nations barbares ennemies de Rome, en partie subjuguées ou tenues en
échec par elle, s'étaient constituées en deux masses distinctes,
appartenant à deux latitudes distinctes. L'une ayant fixé sa demeure
dans l'agréable zone tempérée d'Europe: l'Angleterre avec ses
montagnes occidentales, les salubres plateaux calcaires et les montagnes
granitiques de France, les labyrinthes germaniques de montagnes boisées
et de vallées sinueuses du Tyrol au Harz, et tout le vaste bassin
fermé des Carpathes avec le réseau de vallées qui en rayonnent.
Rappelez-vous ces quatre contrées d'une manière succincte et claire en
les appelant la «Bretagne», la «Gaule», la «Germanie» et la
«Dacie».
10. Au nord de ces populations sédentaires, frustes mais endurantes,
possédant des champs et des vergers, des troupeaux paisibles, des homes
à leur manière, des mœurs et des traditions qui n'étaient pas sans
grandeur, habitait, ou plutôt flottait à la dérive et s'agitait une
chaîne, çà et là interrompue, de tribus plus tristes, surtout
pillardes et déprédatrices, essentiellement nomades; sans loyer, par
la force des choses, ne trouvant ni repos, ni réconfort dans la terre
et le ciel triste; errant désespérément le long des sables arides et
des eaux marécageuses du pays plat qui s'étend des bouches du Rhin à
celles de la Vistule, et, au delà de la Vistule, nul ne sait où, ni
n'a besoin de le savoir. Des sables déserts et des marécages à fleur
de sol, telle était leur part; une prison de glace et l'ombre des
nuages pendant de longs jours de la rigoureuse année, des flaques sans
profondeur, les infiltrations ou les méandres de cours d'eau ralentis,
le noir dépérissement des bois en friche, pays difficile à habiter,
impossible à aimer. Depuis cette époque l'intérieur des terres ne
s'est guère amélioré[87]. Et des temps encore plus tristes sont
maintenant venus pour leurs habitants.
11. Car au Ve siècle ils avaient des troupeaux de bétail[88] à
conduire et à manger, des terres qui étaient de vraies chasses non
gardées, pleines de gibier et de cerfs et aussi des rennes
apprivoisables, même dans le sud, des sangliers fougueux bons pour le
combat, comme au temps de Méléagre, et ensuite pour le lard;
d'innombrables bêtes à fourrures dont on utilisait la chair et le
pelage. Les poissons de la mer infinie à rompre leurs filets, des
oiseaux innombrables, errant dans les cieux, comme cibles à leurs
flèches aux pointes aiguës, des chevaux dressés à recevoir un
cavalier, des vaisseaux, et non de taille médiocre, et de toutes
sortes, à fond plat pour les flaques boueuses, à quille et à pont
pour l'impétueux courant de l'Elbe et la furieuse Baltique d'un côté,
au sud pour le Danube, qui fend les montagnes et le lac noir de Colchos.
12. Et ils étaient dans tout leur aspect extérieur et aussi dans toute
leur force éprouvée, les puissances vivantes du monde, dans cette
longue heure de sa transfiguration. Tout le reste qui avait été tenu
à une époque pour redoutable était devenu formalisme, démence ou
infamie. Les armées romaines rien qu'un mécanisme armé d'une épée,
s'abattant en désordre chaque épée contre l'épée amie;--la Rome
civile une multitude mêlée d'esclaves, de maîtres d'esclaves, et de
prostituées. L'Orient, séparé de l'Europe par les Grecs impuissants.
Ces troupes affamées des forêts Noires et des mers Blanches,
elles-mêmes à moitié loups, à moitié bois flottants (comme nous
nous appelions Cœurs de Lion, Cœurs de Chêne, eux faisaient de même)
sans pitié comme le chien du troupeau, endurants comme le bouleau et le
pin sauvages. Vous n'entendez guère parler que d'eux pendant les cinq
siècles encore à venir; Wisigoths, à l'ouest de la Vistule;
Ostrogoths, à l'est de la Vistule, et, rayonnant autour de la petite
Holy Island (Heligoland), nos propres Saxons et Hamlet le Danois, et en
traîneau sur la glace, son ennemi le Polonais, tous ceux-ci au sud de
la Baltique; et jetant sans arrêter par-dessus la Baltique sa force,
issue des montagnes, la Scandinavie,--jusqu'à ce qu'enfin pour un temps
_elle_ gouverne tout, et que le nom de Normand, voie son autorité
incontestée du Cap Nord à Jérusalem.
13. Ceci est l'histoire apparente, ceci est la seule histoire connue du
monde, comme je l'ai dit, pour les cinq siècles qui vont venir. Et
cependant ce n'est que la surface, au-dessous de laquelle se passe
l'histoire réelle.
Les armées errantes ne sont, en réalité, que de la grêle et du
tonnerre et du feu vivants sur la terre. Mais la Vie Souffrante, le
cœur profond de l'humanité primitive, se développant dans une
éternelle douceur et bien que ravagée, oubliée, dépouillée,
elle-même restant sur place et jamais dévastatrice, ni meurtrière,
mais ne pouvant être vaincue par la douleur, ni par la mort,--devint la
semence de tout l'amour qui était appelé à naître et le moment venu
donna alors à l'humanité mortelle ce qu'elle était capable de
recevoir d'espérance, de joie ou de génie et,--s'il y a une
immortalité--amena, par-delà le tombeau, à l'Église ses Saints
protecteurs et au Ciel ses Anges secourables.
14. De cet ordre de créatures d'humble condition, silencieuses,
inoffensives, infiniment soumises, infiniment dévouées, aucun
historien ne s'occupe jamais le moins du monde, excepté quand elles
sont volées ou tuées. Je ne puis vous en donner aucune image, en
amener jusqu'à votre oreille aucun murmure, aucun cri. Je puis
seulement vous montrer l'absolu «doit avoir été» de leur passé non
récompensé, et l'idée que tous nous nous sommes faite d'elles, et les
choses qui nous en ont été dites reposent sur des faits plus profonds
de leur histoire, qui n'ont jamais été ni conçus, ni racontés.
15. La grande masse de cette innocente et invincible vie paysanne, est,
comme je vous l'ai dit plus haut, groupée dans les districts féconds
et tempérés (relativement) de l'Europe montagneuse, allant, de l'ouest
à l'est, de l'extrémité du pays de Cornouailles à l'embouchure du
Danube.
Déjà, dans les temps dont nous nous occupons en ce moment, elle était
pleine d'une ardeur naturellement généreuse et d'une intelligence
ouverte à tout. La Dacie donne à Rome ses quatre derniers grands
empereurs[89]; la Bretagne donne à la chrétienté les premiers
exploits et les légendes dernières de sa chevalerie; la Germanie à
tous les hommes la sincérité et la flamme du Franc; la Gaule, à
toutes les femmes la patience et la force de sainte Geneviève.
16. La _sincérité_ et la flamme du Franc, il faut que je le répète
avec insistance, car mes plus jeunes lecteurs ont été probablement
habitués à penser que les Français étaient plus polis que sincères.
Ils trouveront, s'ils approfondissent la matière, que la sincérité
seule peut être policée, et que tout ce que nous reconnaissons de
beauté, de délicatesse et de proportions dans les manières, le
langage ou l'architecture des Français, vient d'une pure sincérité de
leur nature, que vous sentirez bientôt dans les créatures vivantes
elles-mêmes si vous les aimez; et si vous comprenez sainement jusqu'à
leurs pires fautes, vous verrez, que leur Révolution elle-même fut une
révolte contre les mensonges, et la révolte de l'amour trahi. Jamais
peuple ne fut si vainement loyal.
17. Qu'ils aient été à l'origine, des Germains, eux-mêmes je suppose
seraient bien aises de l'oublier maintenant; mais comment ils
secouèrent de leurs pieds la poussière de Germanie et se donnèrent un
nom nouveau est le premier des phénomènes que nous ayons maintenant à
observer attentivement en ce qui les concerne. «Les critiques les plus
sagaces», dit M. Gibbon dans son Xe chapitre, «_admettent_ que _vers_
l'an 240 environ» (nous _admettrons_ alors, pour plus de commodité, que
ce fut _vers_ l'an 250 environ, à moitié chemin de la fin du Ve siècle,
là où nous sommes,--dix ans de plus ou de moins dans les cas de
«admettons que vers... environ», importent peu, mais nous aurons au
moins quelque bouée flottante de date à la portée de la main).
«Vers A. D. 250, donc, «une nouvelle confédération» fut formée
sous le nom de Francs par les anciens habitants du Bas-Rhin et du
Weser.»
18. Ma propre impression relativement aux anciens habitants du Bas-Rhin
et du Weser, eût été qu'ils se composaient surtout de poissons, avec
des grenouilles et des canards à la surface, mais une note ajoutée par
Gibbon, à ce passage, nous fait savoir que la nouvelle confédération
se composait de créatures humaines, dans les items suivants:
1° Les Chauces, qui vivaient on ne nous dit pas où;
2° Les Sicambres,» dans la Principauté de Waldeck;
3° Les Attuarii,» dans le duché de Berg;
4° Les Bructères,» sur les bords de la Lippe;
5° Les Chamaves,» dans le pays des Bructères;
6° Les Cattes,» en Hesse.
Tout cela sera, je crois, plutôt plus clair dans vos têtes si vous
l'oubliez que si vous vous le rappelez; mais, s'il vous plaît de lire
ou relire (ou le mieux de tout, de trouver pour vous lire quelque
réelle Miss Isabelle Wardour[90]) l'histoire de Martin Waldeck dans
l'_Antiquaire_, vous y gagnerez une notion suffisante du caractère
principal de «la principauté de Waldeck», certainement lié à cet
important mot germain «woody» (c'est-à-dire «woodish», je
suppose?)--descriptif de rochers et de forêts à moitié poussées; en
même temps qu'un respect salutaire pour les bases profondes que Scott
donne instinctivement aux noms propres dans son œuvre.
Mais ne perdons pas de vue notre but. Le plus pressé est de revenir
sérieusement maintenant à nos cartes, et de situer les choses dans un
espace déterminé par des limites linéaires.
Toutes les cartes de Germanie que j'ai personnellement l'avantage de
posséder, deviennent extrêmement confuses juste au nord de Francfort,
et ressemblent alors à un vitrail peint qui aurait été brisé en
mille morceaux par la rancune puritaine, et restauré par d'ingénieux
gardiens d'église qui auraient remis chaque morceau à l'envers, cette
curieuse vitrerie se proposant de représenter les soixante,
soixante-dix, quatre-vingts ou quatre-vingt-dix duchés, marquisats,
comtés, baronnies, électorats, etc., héréditaires, en lesquels s'est
craquelée et morcelée l'Allemania, sous cette latitude.
Mais sous les couleurs bigarrées et à travers les alphabets
interpolés et surchargés de dignités tronquées auxquelles s'ajoutent
les trois réseaux des chemins de fer mis sur le tout, réseaux non pas
unis, mais hérissés de jambes comme des myriapodes, un dur travail
d'une journée avec une bonne loupe vous met en état de découvrir
approximativement le cours du Weser, et les noms de certaines villes
voisines de ses sources, lesquels méritent d'être retenus.
20. Au cas où vous n'avez pas à disposer d'un après midi, ni votre
vue à user, vous devrez vous contenter de ceci, qui est forcément un
simple abrégé: à savoir que du Drachenfels[91] et de ses six frères
Fels, se dirigeant de l'est au nord, court et s'étend une troupe
éparpillée de petits rochers noueux, de mystérieuses crêtes qui
surplombent, sourcilleuses, des vallées bordées de petits bois, où un
torrent met tantôt sa fureur et tantôt sa mélodie; les crêtes, la
plupart couronnées de châteaux par la piété chrétienne des vieux
âges dans des buts lointains ou chimériques; les vallées résonnant
du bruit des bûcherons, et creusées par les mineurs, habitées sous la
terre par les gnomes et dessus par les génies sylvestres et autres. Le
pays entier agrafant rocher par rocher, rattachant de vallon en vallon
pendant quelque 150 milles (avec des intervalles) la montagne du Dragon,
au-dessus du Rhin à la montagne Résine, le «Harz», encore obscur
aujourd'hui, vers le sud des terrains foulés par les noirs
Brunswickois, de réalité corporelle indiscutable; anciennement
obscurci par la forêt «Hercynienne» (haie ou barrière) d'où par
corruption Harz, où se trouve aujourd'hui le Harz ou la forêt Résine,
hantée de sombres forestiers, de souche au moins résineuse, pour ne
pas dire sulfureuse.
21. Cent cinquante milles de l'est à l'ouest, disons moitié autant du
nord au sud, environ dix mille milles carrés en tout de montagnes
métallifères, conifères et fantomifères, fluidifiées et diffluant
pour nous, au moyen âge et dans les temps modernes, en l'huile
la plus essentielle de térébenthine, et cette myrrhe, ou cet
encens, de l'imagination et du caractère que produit naturellement
la Germanie et dont l'huile de térébenthine est le symbole. Je songe
particulièrement au développement qu'ont pris les usages les plus
délicats de la résine, en tant qu'indispensable à l'archet du violon,
depuis les jours de sainte Élisabeth de Marbourg, à ceux de saint
Méphistophélès de Weimar.
22. Autant que je sache, ce bouquet de rochers capricieux et de vallées
n'a pas de nom général comme groupe de collines; et il est tout à
fait impossible de découvrir ses différentes ramifications sur aucune
des cartes que je peux me procurer, mais nous pouvons nous rappeler
facilement, et utilement, que c'est _tout_ le nord du Mein, qu'il
s'appuie sur le Drachenfels à une extrémité, et s'élance tout à
coup par voûtes vers la lumière du matin, jusqu'au Harz (sommet du
Brocken 3.700 pieds au-dessus de la mer, c'est le plus haut), avec un
large espace réservé au cours du Weser, dont nous parlerons tout à
l'heure.
23. Nous appellerons ceci désormais la chaîne ou le groupe des
Montagnes Enchantées; et alors nous les relierons d'autant plus
facilement aux montagnes des Géants, Riesen Gebirge, quand nous aurons
besoin d'elles; mais celles-ci sont toutes plus hautes, plus sévères,
et nous n'avons pas encore à les approcher; celles plus proches au
travers desquelles se trouve notre route, nous pourrions peut-être plus
justement les nommer les montagnes des Démons; mais ce ne serait guère
respectueux pour sainte Élisabeth ni pour les innombrables jolies
châtelaines des tours, ou pour les princesses du parc et de la vallée,
qui ont rendu les mœurs domestiques germaines douces et exemplaires et
ont coulé le flot transparent et léger de leur vie jusqu'au bas des
vallées des âges avant que l'enchantement prenne une forme peut être
trop canonique dans l'Almanach de Gotha.
Nous les appellerons donc les Montagnes Enchantées, non les Démons;
remarquant aussi avec reconnaissance que les esprits de leurs rochers
ont réellement beaucoup plus du caractère des fées guérissantes que
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