Cadio - 12

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ne m'avilissez pas par un amour sans lendemain. J'aime mieux mourir,--et
je me tuerais! Vous savez bien que, si j'ai l'esprit timide, je n'ai pas
le coeur lâche.
SAINT-GUELTAS. Et c'est pour cette chasteté craintive, c'est pour cette
fierté tremblante que je t'adore, moi, ne le vois-tu pas? Tu t'es
confessée, je veux me confesser aussi. Le dépit m'a éloigné de toi plus
souvent encore que les agitations et les obligations de la guerre. J'ai
essayé, moi aussi, de t'oublier, de me distraire. Impossible! ton image
adorée me poursuivait, et, plus tard, pendant que tu voyais mon fantôme
sur la bruyère, je voyais le tien errer autour de mon lit de douleur; je
le voyais tantôt dédaigneux et méfiant, tantôt éperdu et enivré... Mais
le terme de tant d'épreuves approche, puisque, tel que je suis et
indigne de toi, j'ai la gloire et le délice d'être aimé de toi. O
Louise, laisse-moi te parler comme si tu m'appartenais déjà! Laisse-moi
te rassurer sur cet avenir qui t'épouvante! J'ai raison d'y croire, va!
Tout homme de volonté a son étoile: les uns la placent au ciel, les
autres dans leur âme seulement; moi, je la vois en toi, et je ne demande
qu'à toi la durée de mon énergie. Ce n'est pas là un rêve, et, si tu
doutes, c'est que ton attachement n'est pas encore la passion que
j'éprouve et que je veux t'inspirer. Oui, je veux que tu m'aimes
follement, c'est-à-dire tel que je suis et sans me comparer à personne,
sans me juger d'après tes propres idées, sans te souvenir qu'il existe
des êtres pires ou meilleurs. Et que t'importe que je sois bon ou
méchant, pur ou souillé, pourvu qu'il y ait en moi une force capable
d'absorber ta vie et de te la rendre décuplée par le souffle de ma
poitrine ardente? Ne vois-tu pas que je suis un type à part, un homme
que, ni dans le bien ni dans le mal, les autres hommes ne sont de taille
à mesurer? ne m'as-tu pas vu, dans ma colère, briser tout sur mon
passage comme la foudre, et, dans ma douceur, tendre le brin d'herbe à
l'insecte qui se noyait? Si j'ai tous les vices, comme on me le
reproche, j'ai peut-être aussi toutes les vertus, qui sait? N'ai-je pas
prouvé que, si je satisfaisais parfois mes passions en égoïste, je
savais les vaincre en stoïcien quand une raison supérieure parlait à mon
orgueil? Quel est après tout le résultat de cette vie délirante qui
m'emporte? N'est-ce pas jusqu'ici le sacrifice? N'ai-je pas tout donné,
ma fortune, mon repos, ma chair, mon âme à la cause que je veux faire
triompher? Je suis un fou, à ce que l'on dit, un téméraire, un prodigue;
j'engloutirai ta fortune comme j'ai englouti la mienne dans l'abîme sans
fond des dévouements romanesques. Eh bien, oui, certes, et tu me
mépriserais, si j'hésitais à le faire. Trafiquer, conserver, prévoir au
milieu de la vie d'aventures qui nous est faite, est-ce possible, est-ce
digne de nous? Ce sont là des vertus du temps passé comme l'amour timide
et matrimonial de nos grand'mères! Nous ne sommes pas nés pour ces
choses-là, nous autres. Le destin nous a jetés sur la terre au milieu
d'une tourmente, se souciant peu des faibles destinés à être broyés, et
trempant les forts pour des combats formidables. Tu vois bien que je
suis une de ces puissances fatales qui doivent tout traverser et tout
vaincre. Ma laideur caractéristique est comme le cachet de ma destinée.
Là où je passe, dans les boudoirs comme dans les halliers, le sanglier
que je suis met à néant les Apollons de l'ancienne mythologie galante.
C'est qu'à travers ce masque bestial luit une flamme qui vient du ciel
ou de l'enfer; c'est que cette main est plus noueuse que le câble et
plus dure que le chêne; c'est que ces bras velus et ces épaules arquées
te porteraient tout un jour sans se fatiguer; c'est que tout cet être
qui t'appartient a été prédestiné aux travaux d'Hercule d'une époque de
monstres et de prodiges! Et tu parles de clémence, de pitié, de
modération à un boulet rouge lancé dans le monde pour l'épurer en le
ravageant?... C'est de l'enfantillage, ma pauvre Louise! c'est ne pas
comprendre l'horreur de la situation et la mission de ceux qui doivent
la dominer. C'est méconnaître aussi la tienne et te ravaler au niveau
des femmes lâches et bornées qui veulent pour maître un esclave et pour
compagnon un idiot. Non, non! lève les yeux plus haut! Tu as déjà vaincu
la timidité de ton sexe en traversant, éperdue mais sublime, des scènes
de carnage et de désolation. Porte dans l'amour l'enthousiasme et la foi
qui t'ont jetée dans les batailles. Affronte cette guerre-là, c'est la
plus terrible, la plus enivrante de toutes! Apprends à te mesurer avec
le lion et non à jouer avec le passereau! Sois ma vraie compagne, ma
lumière et mon ombre, mon arbitre quelquefois, mon frein au besoin... ma
complice toujours, car il faudra que tu acceptes les situations
inextricables et les résolutions désespérées qui tuent les pusillanimes,
mais où les vaillants se retrempent et forcent Dieu lui-même à se
rétracter.--Tu trembles... Qu'as-tu donc? Tu pleures encore?
LOUISE. Oui... N'importe! où tu iras, j'irai, et ce que tu voudras, je
le veux!
SAINT-GUELTAS. Viens donc sur mon coeur, et, là, dans cette solitude
enchantée, sous le regard protecteur des étoiles, dis-moi...
LOUISE, tressaillant. Écoutez! Le bateau! il aborde! Nous sommes
découverts!... Nous sommes perdus!
SAINT-GUELTAS, la poussant sous la hutte de roseaux. Reste là, ne bouge
pas, et ne crains rien! (Il s'élance vers le rivage un pistolet dans
chaque main.)

SCÈNE II.--LA KORIGANE, SAINT-GUELTAS, ROXANE.

LA KORIGANE, (faisant débarquer Roxane et restant sur le batelet qu'elle
conduit. Vite, vite! Ils sont là!) Sautez sur le sable; moi, je remise
et je cache le bateau. (Elle descend la rivière un peu plus loin.)
SAINT-GUELTAS, qui débusque de l'oseraie; à part. La tante! Ah! que le
démon te réduise en fumée, vieux fantôme! (Haut.) Comment! c'est vous,
mademoiselle de Sauvières?
ROXANE. Eh bien, oui, c'est moi, cher marquis. Ne m'attendiez-vous pas?
SAINT-GUELTAS. Non, certes, pas ici. Raboisson devait vous conduire...
ROXANE. Il s'est chargé de la Tessonnière. J'allais partir avec eux,
quand la brave petite Korigane est accourue pour me dire de votre part
de monter en bateau avec elle et de venir rejoindre ma nièce, qui ne
pouvait pas rester convenablement seule avec vous.
SAINT-GUELTAS. La Korigane! Et d'où diable sort-elle?
ROXANE. N'est-ce pas vous qui me l'avez envoyée?
SAINT-GUELTAS. Non! N'importe! Allez rejoindre Louise. Elle est là, nous
allons repartir, (Il lui montre la hutte.)
ROXANE. Ah! marquis, nous vous devrons tout!
SAINT-GUELTAS. Allez, allez! (Il fait quelques pas sur le rivage et se
trouve auprès de la Korigane, qui attache son batelet.) Quel diable à
triple queue t'amène ici avec la vieille folle?
LA KORIGANE. Maître, je t'ai suivi partout sans me montrer. Je savais
bien que tu allais chercher la jeune fille. Je t'ai amené la tante pour
te contrarier. C'est bien clair comme ça, et je ne vois pas de quoi tu
t'étonnes.
SAINT-GUELTAS. Ah! oui-da! Qui donc vous a conduites ici? Est-ce Cadio?
LA KORIGANE. Cadio? Tirefeuille l'a tué, le pauvre Cadio; il vient de me
le dire. Et c'est toi qui as commandé cela! Moi, j'ai volé un batelet,
j'ai ramé, et me voilà... à moitié morte, par exemple! Achève-moi, si tu
veux. Je n'aurais pas la force de me sauver. (Elle se jette sur le
sable.)
SAINT-GUELTAS, pensif, la regardant. Si petite, si frêle, si laide! une
espèce de singe!... et si forte, si résolue, si passionnée! Tuer cela...
oui, on écraserait d'un coup de talon cette tête plate comme celle d'une
vipère! (Il la pousse du pied.) Lève-toi, allons! Ne tente pas ma
fureur! Vas-tu dormir là, baignée de sueur et à moitié couchée dans
l'eau froide?
LA KORIGANE, se levant. Ah bah! Il y a longtemps que je suis morte! Vous
ne le saviez donc pas? C'est ma pauvre âme que vous voyez, une âme
maudite qui ne peut pas vous quitter, puisque vous êtes son enfer.
SAINT-GUELTAS. Trêve de poésie! tu n'en es pas chiche, toi, la Bretonne
endiablée! Voyons, trois mots avant de nous remettre en route. Il n'y a
pas de temps à perdre ici. Tu es décidée à contrarier mes amours?
LA KORIGANE. Oui.
SAINT-GUELTAS. C'est imbécile, ce que tu veux faire là. On peut me
contrarier une fois; mais deux fois, c'est trop, tu sais?
LA KORIGANE. Oui, vous ôtez ce qui vous gêne.
SAINT-GUELTAS. L'épine qui s'attache à mes jambes, je la brise.
LA KORIGANE. C'est vous qui êtes simple de croire que vous pourrez me
faire peur!
SAINT-GUELTAS. Nous allons voir! (Il la prend d'une seule main et la
tient au-dessus de l'eau.)
LA KORIGANE, d'une voix douce et comme épurée tout à coup. Bien, mon
doux maître! Mourir de ta main: voilà ce que je voulais!
SAINT-GUELTAS, à part. Le chant du Cygne! (La reposant à terre.) Tu
penses que je ne tuerai pas celle qui m'a sauvé la vie? Ton courage
n'est que du raisonnement. Ce n'est pas grand'chose, va, et tu ne
m'aimes guère!
LA KORIGANE. Qu'est-ce qu'il faut donc pour que tu me croies?
SAINT-GUELTAS. Il faut que tu aimes celle que j'aime, que tu la serves
comme je la sers, que tu te dévoues pour elle comme pour moi, et que, de
crainte de l'affliger, tu ne lui laisses jamais soupçonner l'amitié que
je te porte. Le jour où je verrai une larme dans ses yeux par ta faute,
tu ne seras plus rien pour moi.
LA KORIGANE. Ah!... Et qu'est-ce que je serai donc pour toi, si j'obéis
fidèlement?
SAINT-GUELTAS. Tu seras ce que tu es: l'être que j'admire le plus sur la
terre.
LA KORIGANE. Tu m'admires, moi si laide?
SAINT-GUELTAS. Eh bien, suis-je beau, moi, pour te reprocher ta
laideur?... La beauté est là, vois-tu, dans la tête, et là, dans le
coeur. C'est la volonté qui nous porte et le feu qui nous brûle. Je ne
t'aime pas d'amour, tu le sais bien. T'ai-je trompée, toi? Jamais. Seule
au monde, tu es de force à supporter la vérité, et je te l'ai dite; mais
je sais ce que tu vaux, et je ne suis pas homme à n'y pas prendre garde.
Je me connais en courage, et je te sais grande, ma pauvre souris noire,
plus grande que les déesses qui me charment... et qui me marchandent
leur amour! Je n'ai rien fait, rien dit pour avoir le tien; il ne m'a
coûté ni effort d'imagination, ni mensonge, ni subtilités de langage, ni
frais d'éloquence! Tu me l'as donné, comme si c'était une dette à me
payer. Toi seule m'as compris! Vois si tu veux garder ta supériorité,
ton prestige, et rester près de moi comme un chien que je maltraite en
public, et comme un esprit familier devant lequel mon âme surprise et
troublée se prosterne en secret.
LA KORIGANE. Ah! tu dis des paroles magiques pour m'ensorceler!
SAINT-GUELTAS. Les as-tu comprises?
LA KORIGANE. Oui, j'obéirai. Tu veux que Louise soit ta femme?
SAINT-GUELTAS. Tu sais bien que cela ne se peut pas; mais je veux
qu'elle m'appartienne, et cela sera, et il faut que tu le souffres.
LA KORIGANE. C'est bien, je le souffrirai.
SAINT-GUELTAS. Allons! c'est l'amour, cela! sans réserve, sans scrupule,
sans égoïsme! (Lui frappant rudement le front.) Ah!... si je pouvais
faire entrer ce feu sacré que tu as là, dans la tête de mes idoles!
LA KORIGANE. Tu sais que je t'aime mieux qu'elles, c'est tout ce qu'il
me faut.
SAINT-GUELTAS. En route, alors! Appelle ta jeune maîtresse--et la
vieille, dont je saurai bien me débarrasser.--Vite! Il ne faut pas que
le jour nous surprenne ici.


SIXIÈME PARTIE


PREMIER TABLEAU
A Nantes.--Une petite chambre sous les toits.--Une trappe s'ouvre au
plafond de bois en mansarde.--Une table est couverte de livres, de
cartes de géographie, de journaux et de brochures. Un grabat et deux
chaises de paille composent tout l'ameublement. La fenêtre, étroite et
longue, plongeant sur les fossés formés par l'Erdre et la Loire, occupe
le recoin d'une vieille maison très-élevée accolée à un angle de la
prison du Bouffay.--La masse noire de l'antique édifice ne laisse percer
qu'un rayon de lune qui frappe sur la guillotine, dressée en permanence
sur la place des exécutions et aperçue par une échappée de murailles
nues et sombres.--Cadio lit dans l'obscurité, où il semble voir comme un
chat.--Henri entre. Il est en petite tenue militaire.

SCÈNE PREMIÈRE.--HENRI, CADIO.

CADIO. Ah! enfin! mon ami, te voilà! je n'espérais plus te voir
aujourd'hui. Je savais pourtant que tu étais revenu sain et sauf.
HENRI. Huit jours durant, nous avons donné la chasse à MM. les chouans.
Je n'ai pas voulu me coucher sans avoir de tes nouvelles. Comment te
sens-tu? voyons!
CADIO. Très-bien; j'aurais pu aller aux manoeuvres, moi, et commencer à
m'exercer avec les nouvelles recrues.
HENRI. Non, tu es encore trop faible... Songe donc, tu as été si malade!
CADIO. Ma blessure est fermée, je n'en souffre plus.
HENRI. Je ne m'inquiète pas de la blessure, mais de la fièvre
pernicieuse. Elle t'a mis bien bas, sais-tu? j'ai été diablement inquiet
de toi!
CADIO. C'est fini. J'aurais été fâché de mourir sans avoir rien appris.
HENRI. Et tu as trouvé le moyen d'apprendre beaucoup dans ta
convalescence; c'est même ça qui a retardé la guérison, je parie! J'ai
eu tort d'apporter ces livres.
CADIO. Je n'ai rien appris là dedans.
HENRI. Rien?
CADIO. Rien que les mots dont on se sert pour dire ce que l'on pense.
HENRI. C'est quelque chose!
CADIO. Oh! j'en avais déjà lu, des livres! Il y en avait au couvent où
j'ai été. Les livres, c'est beau; mais la vérité, ça ne se lit pas, ça
se trouve en priant Dieu.
HENRI. Tu es toujours mystique, alors? Soit; mais, comme il faut te
rétablir entièrement au moral et au physique avant de t'exposer aux
fatigues du service, qui ne sont pas des plus douces dans ce temps-ci,
je vais t'envoyer passer quelques semaines à la campagne.
CADIO. Sans toi! Pourquoi ça?
HENRI. Le chirurgien du régiment, qui t'a si bien soigné et qui sait
combien je tiens à te voir guéri, dit qu'il te faut changer d'air. Celui
de Nantes est empesté, et tu es ici dans le foyer de l'infection des
prisons et des massacres. Ah! mon pauvre Cadio, je n'avais jamais
regretté la fortune, mais, en me trouvant si dénué au moment où tu étais
si malade, j'ai eu du chagrin, va! Et puis, par là-dessus, être forcé de
te quitter sans cesse!... Enfin nous voilà pour quelques jours
tranquilles, j'espère. J'irai te voir à la Prévôtière.
CADIO. Qu'est-ce que c'est que la Prévôtière?
HENRI. Une maisonnette auprès d'une petite ferme qui appartient à un de
mes camarades. Il l'a mise à ma disposition, c'est-à-dire à la tienne.
C'est à deux ou trois lieues d'ici, au milieu des bois. Tu y trouveras
des livres, et tu pourras reprendre la musique sans gêner les
délibérations du tribunal révolutionnaire, qui siége ici tout à côté et
qui ne se payerait pas de tes chansons quand il délibère.
CADIO. La musique... je n'y entendais rien! Je ne regrette pas celle que
je faisais.
HENRI. Tu l'as donc étudiée théoriquement, pour savoir que tu ne la
savais pas?
CADIO. Non! j'ai entendu chanter une femme.
HENRI. Ah! oui, à propos! la prisonnière? Tu n'avais pas rêvé ça dans le
délire de ta fièvre?
CADIO. Elle a encore chanté hier au soir: c'est la voix d'un ange!
HENRI. Je joue de malheur; elle ne dit rien quand je suis là. Est-ce
pour elle que tu as voulu rester dans cet affreux logement?
CADIO, à la fenêtre, lui montrant la guillotine. Non! c'est à cause de
ça: tiens!
HENRI. Diable! c'est moins gracieux; une drôle d'idée! Pourquoi ça?
voyons! (Il lui tâte le pouls.)
CADIO. Tu me crois fou?
HENRI. Non, certes! mais trop exalté. Je sais bien que c'est ton état
naturel, mais il ne faut pas que la fièvre s'y ajoute.
CADIO. Est-ce que je l'ai?
HENRI. Non.
CADIO. Alors, je peux te parler sans te causer d'inquiétude. Je n'aime
guère à parler, et peut-être ne sais-je pas bien encore. Pourtant il
faut que j'essaye, il le faut! Tu sais ce qui s'était passé à la ferme
du Mystère quand tu m'y as trouvé assassiné par l'ordre de M.
Saint-Gueltas?
HENRI. Ma foi, ce que tu m'as raconté était si étrange... Ce n'était pas
une divagation?
CADIO. C'était la vérité.
HENRI. Tu avais contracté une sorte de mariage avec ma cousine pour la
sauver en cas d'arrestation?
CADIO. Oui, cela est arrivé. Le mariage ne valait rien, on s'était servi
de faux noms.
HENRI. Alors, il n'eût servi à rien.
CADIO. Je ne savais pas; j'ai agi comme elle l'a voulu. J'étais content
de lui rendre service et de lui inspirer de la confiance; et puis, quand
j'ai vu que Saint-Gueltas la trompait, j'ai voulu l'avertir: on m'a
répondu par une insulte et un coup de poignard.
HENRI. Tu ne peux pas croire que Louise...
CADIO. Le coup de poignard venait de lui, l'insulte venait d'elle!
HENRI. Tu étais indigné, furieux, en effet.
CADIO. C'est la première fois de ma vie que j'ai connu la colère; mais
la colère n'est pas la fureur, qui est la folie. La colère est une bonne
chose, c'est une clarté qui se fait dans l'esprit. On dit que Dieu a
tiré l'homme d'un peu de boue. Les moines m'avaient appris cela; je me
sentais avili dans ma chair et dans mon âme par cette croyance triste et
basse. Je l'avais gardée pourtant! Vivant en plein air et dormant sans
abri, je me demandais souvent: «Quelle différence y a-t-il entre toi et
l'épine ou le caillou?» Je ne m'aimais pas, je ne me respectais pas. Si
je ne faisais pas le mal, c'est que je ne savais pas le faire. J'ai
commencé à me compter pour quelque chose le jour où tu m'as donné ton
amitié;... mais, le jour où j'ai senti la haine, j'ai porté enfin mon
existence tout entière, et j'ai compris que l'homme était, non pas une
figure de terre et d'argile, mais un esprit de feu et de flamme. J'ai
juré, ce jour-là, de me venger en devenant plus que ceux qui m'ont
dédaigné comme un faible ennemi ou comme un ami indigne. Tu m'as dit:
«Sois homme, sois soldat.» Oh! je l'ai voulu, je le veux! Mais quoi!
j'étais mourant; tu ne savais que faire de moi; tu m'avais amené ici où
ton service t'appelait. En entrant dans cette ville terrible d'où
Carrier venait de partir la veille, j'ai tremblé. Oh! je me souviens
bien! je voyais et j'entendais tout malgré le mal qui me rongeait. Tu
m'avais fait mettre sur une charrette avec d'autres malades. Nous
marchions au centre de ton régiment. C'était le soir, une nuit pâle et
froide. Tu m'avais enveloppé de ton manteau. Tu poussais ton cheval près
de moi pour voir si j'étais mort, car je n'avais plus la force de te
répondre. Nous traversions un long faubourg brûlé par les Vendéens et
devenu depuis un vrai charnier où on les fusillait par centaines. On
n'avait pas encore ramassé ceux qui étaient tombés là dans la journée;
les bras manquaient sans doute. La peste et la famine étaient ici, et
ceux qui tuaient étaient à peine plus vivants que les morts. Les chiens
affamés dévoraient les cadavres, et les roues de la charrette les
écrasaient. Mes cheveux se dressaient sur ma tête, et je me disais:
«Voilà l'enfer de la vengeance! c'est ici la fête du sang et de la
fureur!» Alors, j'ai entendu un rire exécrable qui partait de moi, et tu
as dit au chirurgien qui nous escortait: «Pauvre Cadio! c'est la mort!»
Quand je me suis éveillé à l'hôpital militaire, tu étais encore auprès
de moi, tu t'affligeais, disant: «L'épidémie est ici, il faudrait le
transporter ailleurs.» C'est alors qu'un des infirmiers m'a reconnu et
qu'il t'a dit: «Cadio est de mon pays. Je l'ai vu tout petit, je lui
veux du bien. Mon frère est logé dans la ville aux frais de la nation,
parce qu'il est employé à son service. Je vais transporter Cadio chez
lui, il n'y manquera de rien.»
HENRI. Et on m'a tenu parole, n'est-ce pas? Tu n'as pas à te plaindre de
ton hôte?
CADIO. Non! C'est un homme malheureux, mais c'est un honnête homme, et
il ne faudra pas lui parler de le payer. Il en serait offensé. Je veux
t'en parler, de cet homme-là! Il m'a beaucoup appris et beaucoup fait
réfléchir.
HENRI. C'est un maître charpentier, n'est-ce pas?
CADIO. C'est un ancien chartreux du couvent d'Auray, qui est venu ici
reprendre l'état de son père, et, quand on construisait des gabares
destinées à être englouties avec les prisonniers qu'on y entassait,
c'est lui qui commandait ces travaux et ces exécutions-là.
HENRI. Ah! je ne savais pas ce détail. Sa figure est très-douce
pourtant.
CADIO. Oui, comme la mienne; mais elle ne sourit pas. Cet homme était
cruel et intolérant autrefois. Il ne rêvait que le retour de
l'inquisition. Carrier est devenu son dieu. A présent, il ne parle pas
volontiers des choses qu'il a faites. Depuis le départ de Carrier, ces
choses ont été blâmées, et on a menacé ceux qui y ont pris part.
HENRI. Et qu'est-ce qu'un pareil fonctionnaire de la Terreur a pu
t'apprendre, à toi?
CADIO. Il m'a appris qu'il faut se méfier de soi, vu que les hommes les
plus rudes sont faibles comme des enfants. Cet homme ne dort plus et il
dépérit. Il est plus malade que moi, il meurt d'épouvante et de chagrin.
HENRI. Ma foi, c'est ce qu'il a de mieux à faire. Je comprends qu'il
existe des bêtes féroces comme Carrier et ses complices; je ne comprends
pas que le peuple se trouve toujours prêt à leur obéir. Qu'une bande de
loups se précipite sur un troupeau, c'est dans l'ordre; mais que les
moutons, pris de fureur, se mettent à se dévorer les uns les autres,
voilà ce qui m'indigne et me navre. Si ce peuple de Nantes, qui est
honnête et laborieux, avait injurié les bourreaux et sauvé les victimes
au nom de la République, la République ne se fût pas égarée; mais, à
Nantes comme à Paris, comme partout, le peuple tremblant s'est effacé,
et, parce qu'une poignée de meneurs d'émeutes s'est toujours trouvée là
pour applaudir le meurtre et demander des têtes, les meneurs de la
Convention ont mis leurs crimes sur le compte du peuple tout entier,
disant qu'on lui jetait des têtes pour apaiser sa rage. Eh bien, moi qui
ai vu les choses de près, je déclare qu'ils en ont menti, et que, s'ils
eussent, enseigné et pratiqué l'humanité, ils eussent trouvé le peuple
humain et généreux. A-t-on osé punir nos soldats parce qu'ils ont mainte
fois refusé de fusiller les prisonniers?
CADIO. Alors, selon toi, ce n'est pas le peuple qui a fait la
Révolution? Si cela est vrai, gloire aux hommes qui l'ont faite sans lui
et pour lui!
HENRI. Oui, tu as raison; mais ne peut-on faire ces grandes choses sans
les souiller par la fureur et la vengeance?
CADIO. On ne le peut pas!
HENRI. Tu es convaincu de ce que tu dis là, Cadio?
CADIO. Je le suis.
HENRI. Tu pries Dieu, dis-tu, et voilà ce qu'il t'a révélé dans la
prière?
CADIO. Dieu n'explique rien à l'homme. Il le frappe, le brise, le pétrit
et le renouvelle. On le questionne ardemment, il ne répond pas; mais, un
matin, après beaucoup de souffrance et d'agitation, on s'éveille changé
et retrempé: c'est _lui_ qui l'a voulu! Vous appelez cela la force des
choses, je veux bien; mais la force des choses, c'est Dieu qui agit en
nous et sur nous.
HENRI. Prends garde, mon cher enfant, te voilà fanatique et fataliste.
Je te voulais républicain et brave: tu dépasses le but avant d'avoir
fait le premier pas! La compagnie du maître charpentier et la vue
malsaine de cet échafaud et de cette prison te font du mal. Je
t'emmènerai demain.
CADIO. J'irai où tu voudras, mais laisse-moi te répondre. Tu me voulais
républicain, j'étais indifférent. Tu me voulais brave, j'étais lâche.
HENRI. Non certes!
CADIO. Si fait! Je savais bien accepter la mort, mais en la détestant,
et j'étais sensible; je craignais le mal des autres, je ne pouvais pas
le voir. Quand les insurgés crucifiaient leurs prisonniers au portail
des églises, quand ils les écorchaient vifs,... je m'enfuyais en fermant
les yeux, et je les ai quittés pour n'en pas voir davantage. Il me
semblait sentir dans ma propre chair les tourments qu'on faisait endurer
aux victimes. Comment donc serais-je devenu brave, si j'étais resté bon
et tendre comme une femme? Il fallait endurcir mon coeur, et j'ai
regardé comment la guillotine coupe les vertèbres et fait jaillir le
sang avec la vie. On s'est ralenti ici depuis le rappel de Carrier. On
n'a plus tué sans jugement, on n'a plus noyé; la vengeance a reculé
devant son oeuvre, ceux qui l'avaient servie ont eu peur! J'ai vu le
maître charpentier enterrer sa hache rouillée de sang dans sa cave et
s'enfuir devant son ombre, croyant voir des spectres sur la muraille.
Donc, l'homme a peur de tout, même de son énergie, et, pour devenir un
des premiers, il faut vaincre tout, l'effroi, la pitié, le remords!
HENRI. Tu veux devenir un des premiers? Méfie-toi de ces rêves
d'ambition qui ont fait tant de coupables et d'insensés parmi ceux de
ton âge!
CADIO. Tu ne m'entends pas. Je ne songe pas à la gloire et à la fortune,
je ne songe qu'à me sentir aussi fort que je me suis senti faible;
alors, je serai content.
HENRI. Et pour te rendre fort, tu cherches à te rendre inhumain?
CADIO. J'y arriverai, j'ai assez souffert pour cela. Oh! la pitié, quel
mal! quel déchirement! quelle défaillance mortelle! J'y ai passé, va!
j'ai vu tout ce qu'a fait Carrier.
HENRI. Tu l'as vu en songe, puisque tu n'étais pas ici...
CADIO. En songe? Non, je l'ai vu en réalité quand le charpentier me l'a
raconté à cette fenêtre, et depuis... Tiens! je le vois encore, et
pourtant je ne sue ni ne tremble la fièvre. Tiens, tiens!... regarde,
dans cette eau noire qui rampe et siffle sous nos pieds, vois-tu cette
tache blanche comme de l'écume? C'est une tête coupée que le flot
emporte! Elle passe, elle fuit, elle rit, elle jure! Attends! elle
cherche à mordre, elle a rencontré le cadavre d'un enfant, elle s'y
attache, elle le dévore, et le pauvre petit corps, réveillé par les
morsures, se tord avec un vagissement lamentable. Tu ne l'entends pas,
toi?
HENRI. Non, Dieu merci, je n'appelle pas de pareilles visions, et tu as
tort...
CADIO. Oh! moi, j'ai des sens qui pénètrent du présent dans l'avenir et
dans le passé. Quand j'étais faible et craintif, j'ai vu et entendu tout
cela d'avance, et tout cela se passait dans l'enfer, dont j'avais peur.
A présent que l'enfer s'est répandu sur la terre, je le vois mieux,
voilà tout.--Oh! comme je le vois! Regarde avec moi, tu verras peut-être
aussi. Là-bas, sur ces marches glissantes et boueuses, il y a une troupe
de jeunes filles pâles et nues: la plus âgée n'a pas quinze ans. Des
hommes les poussent devant eux; elles ne savent pas pourquoi. Il y en a
qui disent: «Mon Dieu, prenez donc garde, vous allez nous faire tomber
dans l'eau!» Elles ne croient pas possible qu'on les y pousse exprès. Et
cependant, on redouble; elles se rassemblent, faible barrière, elles
s'imaginent qu'en se serrant les unes contres les autres et en criant
toutes ensemble, elles résisteront et se feront comprendre. «Nous sommes
des enfants, nous n'avons fait de mal à personne, la loi nous protége,
ayez pitié!--Eh bien, oui! répondent les bourreaux; nous avons pitié;
finissons-en vite. Mourez, qu'on n'entende plus vos cris, qu'on ne voie
plus vos figures pâles!» Allons! en voilà une qui tombe dans l'eau noire
infectée de tant de cadavres, que la victime ne peut pas enfoncer, et
puis une autre dont le poids l'entraîne.--Mais qu'est-ce qui arrive? On
cesse de les pousser, on tend la main à celles qui sont à moitié
englouties, c'est le pardon peut-être? Non! c'est le comble du laid, ce
qui vient là, c'est le dernier mot de la vengeance!--Une meute de
vieilles femmes moitié louves, moitié limaces; cela rampe dans l'ordure
et cela a des yeux ardents; elles viennent demander la vie de ces
enfants. Chose atroce! on la leur accorde en riant et en disant des
choses obscènes que ces femmes seules comprennent. Et les voilà qui
payent un droit, car elles sont patentées pour livrer l'enfance à la
prostitution, et les pauvres demoiselles nobles qui sont là, condamnées
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