Cadio - 01

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CADIO
PAR
GEORGE SAND
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES ÉDITEURS
RUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15
A LA LIBRAIRIE NOUVELLE
1868
Droits de reproduction et de traduction réservés


A M. HENRI HARRISSE


Je n'ai pas voulu faire l'histoire de la Vendée; elle est faite autant
que possible, et ce n'est guère, car il y a toujours une partie de
l'histoire qui échappe aux plus consciencieuses investigations. Les
guerres civiles, comme les grandes épidémies, étouffent sous leurs flots
exterminateurs mille détails affreux ou sublimes, des vertus ignorées,
des crimes impunis. De ceux-ci, je veux citer un exemple en passant.
Aux journées de juin de notre dernière révolution, la garde nationale
d'une petite ville que je pourrais nommer, commandée par des chefs que
je ne nommerai pas, partit pour Paris sans autre projet arrêté que celui
de rétablir l'ordre, maxime élastique à l'usage de toutes les gardes
nationales, qu'elle que soit la passion qui les domine. Celle-ci était
composée de bourgeois et d'artisans de toutes les opinions et de toutes
les nuances, la plupart honnêtes gens, d'humeur douce, et pères de
famille. En arrivant à Paris au milieu de la lutte, ils ne surent que
faire, à qui se rallier et comment passer à travers les partis sans être
suspects aux uns, écrasés par les autres. Enfin, vers le soir,
rassemblés dans un poste qui leur était confié et honteux de n'avoir pu
servir à rien, ils arrêtèrent un passant qui, pour son malheur, portait
une blouse; ils étaient deux cents contre un. Sans interrogatoire, sans
jugement, ils le fusillèrent. Il fallait bien faire quelque chose pour
charmer les ennuis de la veillée. Ils étaient si peu militaires, qu'ils
ne surent même pas le tuer; étendu sur le pavé, il râla jusqu'au jour,
implorant le coup de grâce.
Quand ils rentrèrent triomphants dans leur petite cité, ils avouèrent
qu'ils n'avaient fait autre chose que d'assassiner un homme qui _avait
l'air_ d'un insurgé. Celui qui me raconta le fait me nomma l'assassin
principal, et ajouta: «Nous n'avons pas osé empêcher cela.»
Voilà pourtant un fait historique des mieux caractérisés, il résume et
dénonce une époque: aucun journal n'en a parlé, aucune plainte, aucune
réflexion n'eût été admise. La victime n'a jamais eu de nom; le crime
n'a pas été recherché; l'assassin a vécu tranquille, les bons bourgeois
et les bons artisans qui l'ont laissé déshonorer leur campagne à Paris
se portent bien, vont tous les jours au café, lisent leurs journaux,
prennent de l'embonpoint et n'ont pas de remords.
Ceci est une goutte d'eau dans l'océan d'atrocités que soulèvent les
guerres civiles. Je pourrais en remplir une coupe d'amertume; mais ces
choses sont encore trop près de nous pour être rappelées sans faire
appel aux passions et aux ressentiments; tel n'est pas le but du travail
d'un artiste.
L'art est fatalement impartial; il doit tout juger, mais aussi tout
comprendre, et rechercher dans l'enchaînement des faits celui des crises
qui s'opèrent dans les esprits. Le roman, placé dans le cadre d'une
lutte sociale aussi intense et aussi diffuse que celle de la Vendée,
peut résumer dans l'esquisse de peu d'années les transformations
intellectuelles et morales les plus inattendues. C'est à cette étude de
psychologie révolutionnaire que nous nous sommes attaché, peu soucieux
de montrer des personnages historiques diversement appréciés par tous
les partis et de raconter les événements mille fois racontés à tous les
points de vue, mais curieux de chercher dans quelques types probables le
contre-coup interne du mouvement extérieur. En rentrant dans ce
mouvement historique d'une manière générale, nous avons pu nous
dispenser de faire comparaître les morts célèbres devant nous et de leur
attribuer des sentiments et des idées complaisamment adaptés à notre
fantaisie. Nous avons tâché de reconstituer par la logique les émotions
que durent subir certaines natures placées dans des situations
inévitables, aux prises avec l'effroyable tourmente du moment et le
continuel déplacement de toutes les vraisemblances relatives. En fait
d'aventures romanesques, tout est possible à supposer, car tout ce qui
était en apparence impossible s'est produit durant cette période
extraordinaire; donc, pour tous les vices et pour toutes les vertus,
pour tous les crimes et pour tous les actes de dévouement, il y a eu des
motifs où la conscience humaine a puisé, non pas toujours selon la
lumière qu'elle avait reçue auparavant, mais selon les forces bonnes ou
mauvaises que l'électricité répandue dans l'atmosphère intellectuelle
développait en elle à son insu. A aucune autre époque, il n'y a eu moins
de libre arbitre, et il semble que tous les efforts de l'individu pour
satisfaire ses penchants naturels l'aient replongé plus fatalement dans
les courants impétueux de la vie collective.
GEORGE SAND
1er juin 1867.


CADIO


PERSONNAGES
CADIO.
LE MARQUIS SAINT-GUELTAS DE LA ROCHE-BRULÉE.
HENRI DE SAUVIÈRES.
LE COMTE DE SAUVIÈRES, son oncle.
REBEC, petit bourgeois.
LE MOREAU, municipal.
MOUCHON, bourgeois.
CHAILLAC, commandant de garde nationale.
LE CAPITAINE RAVAUD.
LE BARON DE RABOISSON.
M. DE LA TESSONNIÈRE.
LE CHEVALIER DE PRÉMOUILLARD.
MACHEBALLE, braconnier, chef de partisans.
STOCK, ancien sous-officier des Suisses.
SAPIENCE, curé.
TIREFEUILLE, } bandits.
LA MOUCHE, }
MÉZIÈRES, valet de chambre du comte de Sauvières.
MOTUS, trompette républicain.
CORNY, fermier breton, SES FILS, SES DOMESTIQUES
LE DÉLÉGUÉ DE LA CONVENTION.
PREMIER SECRÉTAIRE } du délégué.
DEUXIÈME SECRÉTAIRE }
UN CAPORAL DE GARNISAIRES, SOLDATS.
LOUISE DE SAUVIÈRES, fille du comte.
MARIE HOCHE.
ROXANE DE SAUVIÈRES, soeur du comte, vieille fille.
LA KORIGANE.
JAVOTTE, } servantes de Rebec.
MADELON, }
LA MÈRE CORNY et SES BRUS.
LA FOLLE et SON FILS.
DEUX ENFANTS.
UN CHARPENTIER.
UN NOTAIRE ET SON CLERC.
DEUX AVOCATS.
UN PERRUQUIER.
PAYSANS, PAYSANNES, ETC.


PREMIÈRE PARTIE
Au printemps, 1793.--Au château de Sauvières, en Vendée.[1]--Un grand
salon riche.--Une grande salle avec escalier au fond.

[Note 1: Les localités indiquées sont de pure convention.]
SCÈNE PREMIÈRE.--LE COMTE DE SAUVIÈRES, ROXANE, LOUISE, M. DE LA
TESSONNIÈRE, MARIE HOCHE. La Tessonnière joue aux cartes avec Louise, le
comte lit un journal, Roxane parfile, Marie brode.

LE COMTE. Non, ma soeur, non! on ne rétablira pas la monarchie avec une
poignée de paysans.
ROXANE. Une poignée! ils sont déjà plus de vingt mille sous les armes.
LE COMTE. Fussent-ils cent mille, ils n'y pourront rien. Le roi n'est
plus!--Louis XVI emporte notre dernier espoir dans sa tombe.
LOUISE. Il n'a pas même une tombe!
ROXANE. La royauté est immortelle. Le dauphin règne!
LE COMTE. Dans un cachot!
ROXANE. Délivrons-le! (Louise, émue, semble approuver sa tante. La
Tessonnière donne des signes d'impatience quand elle se distrait de son
jeu.)
LE COMTE. Le délivrer, pauvre enfant! Tenter cela serait le sûr moyen de
hâter sa mort. Ah! les émigrés auront éternellement celle du roi sur la
conscience!
ROXANE. Alors, vous ne voulez rien faire? C'est plus commode, mais c'est
lâche! Ah! ma nièce, si nous étions des hommes, souffririons-nous ce qui
se passe?
LE COMTE. Louise, réponds, mon enfant: que ferais-tu? (Louise baisse la
tête et ne répond pas.) Ton silence semble me condamner... Pourtant...
tu sais que j'ai pris des engagements...
LOUISE, soupirant. Je sais, mon père!
LA TESSONNIÈRE, avec humeur. Eh! vous mettez un _valet_ sur un _neuf_,
ça ne va pas. (Marie prend la place de Louise et continue la partie avec
la Tessonnière.)
ROXANE, à son frère. Vos engagements, vos engagements! Il ne fallait pas
les prendre.
LE COMTE. Je les ai pris; donc, ils existent. Vous-même m'avez approuvé
quand j'ai juré de défendre notre district envers et contre tous, en
acceptant le commandement de la garde nationale. (S'adressant à Louise.)
Suis-je le seul qui ait agit de la sorte? n'était-ce pas le mot d'ordre
de notre parti?
ROXANE. Le mot d'ordre, oui, à la condition de s'en moquer plus tard.
LE COMTE. Je n'ai pas accepté, moi, le sous-entendu de ce mot d'ordre.
ROXANE. Ah! tenez! si vous n'aviez pas fait vos preuves à l'armée du
roi, du temps qu'il y avait un roi et une armée, je croirais que vous
êtes un poltron! Oui, prenez-le comme vous voudrez... je dis un...
LOUISE. Ma tante!...
LE COMTE. Cela ne m'offense pas, mon enfant! Devant les arrêts de sa
propre conscience, un homme peut trembler et reculer.
ROXANE. Ainsi vous reculez? c'est décidé? Heureusement, notre neveu
Henri... Ah! celui-là,... ton fiancé, Louise, c'est l'espoir de la
famille!
LOUISE. Vous croyez que Henri...?
MARIE. Oui, certes, M. Henri vous reviendra!
LE COMTE. Il le peut, lui! Enrôlé par force, pour échapper à la terrible
liste des suspects, il a le droit de déserter.
LOUISE. Ah! vous l'approuveriez? En effet, ce serait son devoir!
Espérons qu'il le comprendra. Quand il saura dans quelle situation vous
vous trouvez, entre la bourgeoisie que vous êtes forcé de protéger, et
les paysans qui menacent de se tourner contre vous, il accourra pour
prendre un commandement dans l'armée vendéenne, et il vous fera
respecter de tous les partis.
LE COMTE. Ma pauvre Louise, tu crois donc aussi, toi, au succès de
l'insurrection?
LOUISE. Comment en douter quand on voit tout marcher à la guerre sainte,
jusqu'aux prêtres, aux femmes et aux enfants? Que cet élan est beau, et
comme le coeur s'élance vers cette croisade!...
ROXANE. Vive-Dieu, Louise! tu as raison: cela transporte, cela enivre!
Il y a des moments où j'ai envie de prendre des pistolets, de chausser
des éperons, de sauter sur un cheval, et de donner la chasse aux vilains
de la province!
LE COMTE. Vous?
ROXANE. Oui, moi! moi qui vous parle, je sens bouillir dans mes veines
le sang de ma race!
LE COMTE. Pauvre Roxane! Gardez un peu de cette vaillance pour les
événements qui menacent, car je crains bien qu'au premier coup de
fusil...
ROXANE. Vous ne me connaissez pas! je suis capable... (A Marie, lui
mettant familièrement les mains sur les épaules.) N'est-ce pas, Marie?
dites; mais j'oublie toujours que vous ne pensez pas comme nous!
MARIE. Oubliez-le, si cela vous fâche; je ne vous le rappellerai jamais!
LOUISE. On sait cela, bonne Marie! mais, au fond... (bas) tu approuves
mon père?
MARIE, aussi à voix basse. Ce qu'il dit est si noble, ce qu'il pense si
respectable!... (Louise rêve.)
MÉZIÈRES, entrant. Une lettre pour M. le comte.
LOUISE. D'Henri peut-être! Oui! (Donnant la lettre au comte.) Lisez
vite, mon père!
MÉZIÈRES. Je voyais bien ça... au timbre!... Puis-je rester pour
savoir...? (Louise fait un signe affirmatif.)
ROXANE, au comte. Il arrive, n'est-ce pas? Dites donc!
LE COMTE, qui parcourt des yeux. Il va bien, il va bien!...
MÉZIÈRES, sortant. Dieu soit béni! Ce cher enfant! il va bien! (Il
sort.)
ROXANE, au comte. Mais vous avez l'air étonné?
LE COMTE, donnant la lettre à Louise. Oui. Il ne paraît pas avoir reçu
nos lettres. Elles ont du être saisies.
ROXANE. Ou la prudence l'empêche de répondre clairement. Voyons! il faut
deviner...
LE COMTE, à Louise. Il se montre enivré de joie d'avoir battu...
ROXANE. Battu!... Qu'est-ce qu'il a donc battu?...
LOUISE. Les Prussiens.
ROXANE. Les émigrés, par conséquent?... Eh bien, alors... Mais non, mais
non! Il fait semblant! c'est très-adroit de sa part!...
LE COMTE, qui lit avec Louise. Il est officier.
LOUISE. Et il en est fier.
ROXANE. Il en est humilié, au contraire. Il faut prendre le contre-pied
de tout ce qu'il dit. Il est très-fin, il est plein d'esprit, ce
garçon-là!
LOUISE, lui donnant la lettre. Ma tante..., prenons-en notre parti, et
ne nous faisons plus d'illusions: Henri nous abandonne... Cela ne
m'étonne pas autant que vous. Il a toujours eu le caractère léger.
MARIE. Léger?... Mais non, chère Louise!
ROXANE, lisant. Ah! grand Dieu! comme il traite nos amis les étrangers!
il est donc fou?... et quel ton! «Nous leur avons flanqué une frottée!»
_Frottée!_ ça y est! C'est donc un soudard, à présent? un enfant si bien
élevé! «J'espère que ma tante Roxane sera fière de moi...» Compte
là-dessus, vaurien! «Et que, pour fêter mon épaulette, elle mettra sa
plus belle robe, sans oublier d'ajouter aux roses de son teint...»
(jetant la lettre.) Polisson!
LOUISE, ramassant la lettre. Consolez-vous, ma tante, je ne suis guère
mieux traitée. (Lisant.) «Je compte aussi que ma petite Louise se
redressera de toute sa hauteur, et qu'elle attachera un noeud d'argent
aux cheveux de sa poupée!» Il me fait l'honneur de croire que je joue
encore à la poupée, c'est flatteur!
LE COMTE. Il oublie que deux ans se sont déjà écoulés depuis son départ.
LOUISE. Il oublie les malheurs de notre parti, il ne se dit pas que,
chez nous, il n'y a plus d'enfants!
LE COMTE. Il est enfant lui-même: à vingt-deux ans!
ROXANE. Tant pis pour lui! Louise, j'espère que vous n'épouserez jamais
ce monsieur-là?
LOUISE. Je n'ai jamais désiré l'épouser, ma tante, et, si mon père me
laisse libre...
LE COMTE. Je ne te contraindrai jamais; mais tu avais de l'amitié pour
lui malgré vos petites querelles. Il était si bon pour toi... et pour
tout le monde!
LOUISE. De l'amitié..., c'est fort bien. Je lui rendrai la mienne, s'il
revient de ses erreurs; mais faut-il se marier par amitié?
MARIE. Vous ne dites pas ce que vous pensez!
LOUISE. Si fait! A ce compte-là, pourquoi n'épouserais-je pas aussi bien
M. de la Tessonnière?
LA TESSONNIÈRE. Hein? quoi?
ROXANE. Rien; continuez votre petit somme.
LA TESSONNIÈRE, montrant les cartes. Alors, la partie...?
LOUISE. Un peu plus tard, mon ami.
LA TESSONNIÈRE, à Roxane. Et vous..., vous ne voulez pas...?
ROXANE. Un peu plus tard, un peu plus tard; c'est l'heure de votre
promenade.
LA TESSONNIÈRE. Vous croyez? Je n'aime guère à me promener seul; les
paysans ont des figures si singulières à présent...
LE COMTE. Singulières? Pourquoi?
LA TESSONNIÈRE. Oui, oui... ils deviennent très-méchants!
ROXANE. Allons donc, allons donc! Allez-vous avoir peur, ici à présent?
Vous irez dans le jardin, là, près des fenêtres.
MARIE. J'irai avec vous!
LA TESSONNIÈRE. Bien, bien! (Il sort avec Marie.)
LE COMTE. Qu'est-ce qu'il veut dire? De quoi a-t-il peur?
ROXANE. De tout! c'est son habitude, vous le savez bien, puisqu'il est
venu s'installer chez nous à cause de ça.
LE COMTE. Il avait peur de ses paysans, qui lui en voulaient d'être
poltron; mais les nôtres sont si doux, si tranquilles...
ROXANE. Ne vous y fiez pas, mon cher! Ils espèrent toujours que vous
vous montrerez!... Mais voici les autres hôtes du château.

SCÈNE II.--LES MÊMES, LE BARON DE RABOISSON, LE CHEVALIER DE
PRÉMOUILLARD.

RABOISSON. Mesdames, je vous apporte des nouvelles.
ROXANE.--Ah! baron, ce mot-là me fait toujours trembler! Bonnes ou
mauvaises, vos nouvelles?
RABOISSON. Bah! pourvu qu'elles soient nouvelles! ça désennuie toujours.
L'insurrection vient nous trouver.
LOUISE. Enfin!
LE COMTE. Est-ce sérieux, Raboisson, ce que vous dites là? Comment
savez-vous...?
RABOISSON. Mon valet de chambre arrive de la ville. Il n'y est bruit que
de la marche de l'armée royale.
LE CHEVALIER. Malheureusement, c'est la douzième fois au moins que
Puy-la-Guerche est en émoi pour rien.
LE COMTE. Vous dites _malheureusement_?
LE CHEVALIER. Oui, monsieur le comte. L'inaction à laquelle, par égard
pour vous, nous nous sommes condamnés, commence à me peser plus que je
ne puis dire. J'espère qu'en présence d'une force considérable telle
qu'on l'annonce, vous ne conseillerez point à la garde nationale du
district une résistance inutile... et désastreuse!
LE COMTE. Je prendrai conseil des circonstances, chevalier. Il faut
d'abord savoir s'il s'agit ici d'une véritable armée commandée par des
chefs raisonnables, auquel cas j'engagerai les gens de la ville à se
soumettre; mais, si c'est un ramassis de bandits sans ordre et sans
mandat...
RABOISSON. J'ai envoyé à la découverte, nous saurons bientôt à quoi nous
en tenir. Le bruit du moment est que cette troupe est commandée par
Saint-Gueltas.
LE COMTE. Qui appelez-vous ainsi? Je ne me souviens pas...
RABOISSON. Eh! c'est le petit nom du fameux marquis!
LOUISE. Le marquis de la Roche-Brûlée? Ah! mon père, on le dit si
cruel!... Soyez prudent!
ROXANE. Et on le dit invincible! Mon frère, ne vous y risquez pas.
LE COMTE. Je ferai mon devoir; si cet homme agit de son chef et sans
ordre de la cour, je conseillerai et j'organiserai la résistance.
RABOISSON. Mais s'il est en règle?... et il y est, je vous en réponds...
Saint-Gueltas est aussi prudent que hardi.
LOUISE. Vous le connaissez, monsieur de Raboisson?
RABOISSON. Je l'ai connu beaucoup dans sa jeunesse.
ROXANE. Il n'est donc plus jeune?
RABOISSON, souriant. Si fait! une quarantaine d'années, comme nous!
ROXANE. On le dit charmant!
RABOISSON. Au contraire, il est laid, mais il plaît aux femmes.
LOUISE, ingénument. Pourquoi?
RABOISSON, embarrassé. Parce que... parce qu'il est laid, je ne vois pas
d'autre raison.
ROXANE, bas, à Raboisson. Et parce qu'il les aime, n'est-ce pas?
RABOISSON, de même. Chut! il les adore!
ROXANE. Alors, c'est un héros! comme César, comme le maréchal de Saxe!
LE COMTE, qui a parlé avec le chevalier. Je ne vous demande qu'une
chose, c'est de ne pas courir au-devant de l'insurrection. Ce serait
m'exposer à des soupçons... Si elle vous entraîne et vous emporte en
passant, je n'aurai de comptes à rendre à personne; mais n'oubliez pas
qu'en vous donnant asile chez moi dans ces jours de persécution, j'ai
répondu de vous sur mon propre honneur.
LE CHEVALIER. Je ne l'oublierai pas, monsieur.
RABOISSON. Quant à moi, mon cher comte, il y a une circonstance qui me
rendra aussi sage que vous pouvez le désirer: c'est que l'insurrection
est fomentée par les prêtres; or, je ne suis pas de ce côté-là:
voltairien j'ai vécu, voltairien je mourrai.
LE CHEVALIER. Il n'y a pas de quoi se vanter, monsieur!
RABOISSON. Pardonnez-moi, jeune homme! Libre à vous de donner dans les
idées contraires. Élevé pour l'Église, vous étiez abbé l'an passé. La
mort de vos aînés vous remet l'épée au flanc, et vous êtes impatient de
la tirer pour la cause que vous croyez sainte; mais, moi, j'aime la
ligne droite et ne veux pas faire les affaires du fanatisme sous
prétexte de faire celles de la monarchie.
LE CHEVALIER. Pourtant, monsieur...
ROXANE. Ah! mon Dieu! allez-vous encore vous quereller? C'est bien le
moment! Parlez-nous plutôt du charmant Saint-Gueltas...
MÉZIÈRES, entrant. Monsieur le comte, il y a là M. Le Moreau, municipal
de Puy-la-Guerche, avec M. Rebec, son adjoint..., celui qui est
aubergiste à présent, votre ancien marchand de laines.
ROXANE. Fripon sous toutes les formes! (Au comte.) Est-ce que vous allez
recevoir ces gens-là?
LE COMTE, à Mézières. Faites entrer. (Mézières sort. A sa soeur.) Le
Moreau est un très-galant homme.
ROXANE. Ça? un abominable suppôt de la gironde, qui a approuvé le
meurtre du roi?
LE COMTE. Ma soeur, soyez calme.
ROXANE. Non! je suis indignée!
LOUISE. Alors, ne restez pas ici.--Venez, ma tante.
ROXANE. Oui, oui, sortons! J'étouffe de rage! Mon frère, vous êtes un
tiède, un... (Louise lui ferme la bouche par un baiser.) Tiens, sans
toi, je crois que je deviendrais fratricide! (Elles sortent.)
RABOISSON. Devons-nous rester?
LE COMTE. Vous, certes; mais le chevalier est vif...
RABOISSON. Et jeune!
LE CHEVALIER, au comte. Je me retire, monsieur. (Il sort.)

SCÈNE III.--LE COMTE, RABOISSON, LE MOREAU, REBEC.

REBEC, (obséquieux, avec de grands saluts). Nous nous sommes permis...
LE COMTE. Soyez les bienvenus, messieurs. Qu'y a-t-il pour votre
service?
REBEC, ému. Voilà ce que c'est, citoyen comte. Les brigands sont à nos
portes.
LE COMTE, incrédule. A vos portes?
REBEC. On a signalé l'apparition de plusieurs bandes éparses dans les
bois, et même très-près d'ici on a trouvé des traces de bivac.
RABOISSON. On est sûr que c'étaient des brigands?
REBEC. Oui, citoyen baron, des paysans révoltés contre le tirage.
LE COMTE. Ont-ils fait quelque dégât?
REBEC. Aucun encore; mais...
LE COMTE. Vous vous pressez peut-être beaucoup de les traiter de
brigands!
REBEC. Ah! dame! si M. le comte croit qu'ils n'en veulent pas à nos
personnes et à nos biens..., c'est possible! moi, j'ignore... (Bas, à Le
Moreau, qui se tient digne et froid, observant avec sévérité le comte et
Raboisson.) Il ne faudrait pas le fâcher! (Haut.) Moi, j'ai des opinions
modérées... J'ai toujours été dévoué à la famille de Sauvières.
LE COMTE, avec un peu de hauteur.--Il est blessé de l'examen que lui
fait subir Le Moreau. Ma famille a toujours su reconnaître les preuves
de respect et de fidélité; mais je vous sais alarmiste, monsieur Rebec,
et je voudrais être sérieusement renseigné. Pourquoi M. Le Moreau
garde-t-il le silence?
LE MOREAU, prenant un siége et faisant sentir qu'on ne lui a pas encore
dit de s'asseoir. Monsieur le comte ne m'a pas encore fait l'honneur de
m'interroger.
LE COMTE, lui faisant signe de s'asseoir. Veuillez parler, monsieur.
LE MOREAU. Je ne suis pas aussi persuadé que M. Rebec de l'approche de
ces bandes; mais la population s'en émeut, et il faut la rassurer. Les
paysans des districts voisins, gagnés par l'exemple des districts plus
éloignés, commencent eux-mêmes à commettre des actes de brigandage, on
n'en peut plus douter. La loi du recrutement est dure pour eux, j'en
conviens, et ils n'en comprennent pas la nécessité; des suggestions
coupables, des intrigues perverses que je n'ai pas besoin de vous
signaler...
RABOISSON. Quant à cela, je ne vous dirai pas le contraire. Le clergé
des campagnes...
LE COMTE. Ne parlons pas du clergé, je le respecte.
LE MOREAU. Je le respecte aussi, quand il ne prêche pas la guerre
civile.
LE COMTE. La guerre civile! en sommes-nous là, bon Dieu?
LE MOREAU. Oui, monsieur, nous en sommes là, et, si vous l'ignorez, vous
vous faites d'étranges illusions.
LE COMTE. Le peuple n'en veut qu'aux jacobins, messieurs, et Dieu merci,
il n'y en a pas dans notre district.
LE MOREAU. Du moins, il y en a peu; mais, en revanche, il y a beaucoup
d'hommes qui pensent comme moi.
LE COMTE. Nous pensons tous de même; nous voulons tous la fin des
fureurs démagogiques.
LE MOREAU. C'est pour cela, monsieur le comte, que nous devons réprimer
toutes les démagogies, de quelque titre qu'elles se parent. Venez
commander nos gardes nationaux, et, s'il est vrai que le torrent se
dirige de notre côté, il passera auprès de notre ville sans oser la
traverser.
REBEC. Autrement, ils feront ce qu'ils ont fait à Bois-Berthaud, ils
dévasteront tout. Ils pilleront les auberges, ils gaspilleront les
provisions de bouche...
LE MOREAU. Et, chose plus grave, ils insulteront nos femmes et
menaceront nos enfants! Hâtez-vous, monsieur. Si les nouvelles sont
exactes, ils ont fait ce matin le ravage au hameau du Jardier, à six
lieues d'ici; ils peuvent être chez nous ce soir!
LE COMTE. Mais ce ne sont pas des gens de nos environs. Qui sont-ils?
d'où viennent-ils?
LE MOREAU, méfiant. Vous l'ignorez, monsieur le comte?
LE COMTE, blessé. Apparemment, puisque je le demande.
LE MOREAU. Ils viennent du bas Poitou.
RABOISSON. Et ils sont commandés...?
LE MOREAU. Par le ci-devant marquis de la Roche-Brûlée, un homme perdu
de dettes et de débauches.
RABOISSON. Vous êtes sévère pour lui... Il vaut peut-être mieux que sa
réputation.
LE MOREAU. Si vous le connaissez, monsieur, et que nous soyons réduits à
capituler, vous nous viendrez en aide, et, en nous servant
d'intermédiaire, vous n'oublierez pas la confiance que les autorités de
Puy-la-Guerche ont cru pouvoir vous témoigner; mais nous commencerons
par nous bien défendre, je vous en avertis, et j'imagine que M. le
commandant de notre garde civique ne nous abandonnera pas dans le
danger.
LE COMTE. Le doute m'offense, monsieur. Laissez-moi le temps de donner
chez moi quelques ordres, et je vous suis. (A Raboisson.) Venez, baron,
c'est à vous que je veux confier la garde du château en mon absence.
(Ils sortent.)

SCÈNE IV.--LE MOREAU, REBEC.

REBEC. Eh bien, il a tout de même l'air de vouloir faire son devoir, le
grand gentilhomme! Avez-vous vu comme il hésitait au commencement? Sans
moi, qui lui ai dit son fait...
LE MOREAU. Il hésitera encore, il faut le surveiller. Honnête homme,
timoré et humain, mais irrésolu et royaliste. Ces gens-là sont bien
embarrassés, croyez-moi, quand ils essayent de faire alliance avec nous.
Nous nous flattons quelquefois de les avoir assez compromis pour qu'ils
soient forcés de rompre avec leur parti; mais, le jour où ils peuvent
nous fausser compagnie, ils s'en tirent en disant que nous leur avons
mis le couteau sur la gorge.
REBEC. Bah! bah! celui-ci, nous le tiendrons, c'est-à-dire... (regardant
par une fenêtre) vous le tiendrez! Moi, je...
LE MOREAU. Où allez-vous?
REBEC. Je vais sur le chemin surveiller l'arrivée de mes denrées.
LE MOREAU. Quelles denrées?
REBEC. Eh bien, mes approvisionnements, mes bestiaux, mes lits, mon
linge, et mes deux servantes que je ne suis pas d'avis d'abandonner aux
hasards d'une jacquerie!
LE MOREAU. Vous prenez vos précautions; mais où menez-vous tout cela?
REBEC. Tiens! ici, pardieu!
LE MOREAU. Ici?
REBEC. Et où donc mieux? Je ne suis pas le seul qui vienne se mettre à
l'abri du pillage derrière les mâchicoulis du ci-devant seigneur de la
province. Mes voisins de la grand'rue et ceux du Vieux-Marché aussi,
enfin tous ceux qui ont quelque chose à perdre, nous sommes une
douzaine, avec nos charrettes, nos bêtes et nos gens, qui avons résolu
de nous retrancher céans, que la chose plaise ou non à M. le comte. Nous
avons fait la part du feu, et nous sauvons le meilleur dans les caves et
greniers de la féodalité. Il faut bien que ça nous serve à quelque
chose, les châteaux que nous avons laissés debout!
LE MOREAU. Vous êtes fous! Si M. de Sauvières nous trahissait...
REBEC. Raison de plus, c'est prévu, ça! S'il ne se conduit pas bien à la
ville, s'il tourne casaque, comme on dit, nous lui fermons au nez les
portes de son manoir, nous gardons ses dames et ses hôtes comme otages.
Les murs sont bons, ici, beaucoup meilleurs que l'enceinte délabrée de
Puy-la-Guerche, et, quand il s'agit de soutenir un siége, vive une
petite forteresse bien située comme celle-ci! Ah! voilà mon convoi! Je
cours...

SCÈNE V.--Les Mêmes, ROXANE, LOUISE, MARIE.

ROXANE, sans répondre aux courbettes de Rebec. Qu'est-ce qui se passe?
La cour du donjon est encombrée, la population de la ville reflue ici,
et c'est vous, messieurs, qui nous valez cet embarras et ce danger?
Croyez-vous que nous n'ayons d'autre affaire que de défendre vos ânes
crottés, vos charretées de fromage et vos vieilles hardes?
REBEC, à Le Moreau, bas. Diable! elle n'est pas polie, la vieille!
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