Cadio - 18

Total number of words is 4677
Total number of unique words is 1465
41.5 of words are in the 2000 most common words
53.0 of words are in the 5000 most common words
57.9 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
REBEC. Vous aussi, madame, vous êtes mariée; mais l'incompatibilité
d'humeur vous assure de ma part la liberté de vivre où et comme vous
voudrez.
ROXANE. C'est fort heureux! Tu ne prétends qu'à ma fortune, misérable!
REBEC. On s'arrangera, calmez-vous!
HENRI. Ceci est un tour de fripon, maître Rebec! Je ne te croyais pas si
malin et si corrompu.
REBEC. Pardon, monsieur Henri. Ma première intention n'était que de
soustraire ces dames et moi-même à la persécution; mais, quand il s'est
agi de rédiger un faux, j'ai reculé devant le déshonneur. Ces dames
pouvaient lire ce qu'elles ont signé. J'ignore si elles en ont pris la
peine. On était fort bouleversé dans ce moment-là... Elles ont signé
leurs vrais noms sur l'observation que je leur ai faite que, reconnues
pour ce qu'elles sont, elles ne seraient sauvées qu'au prix d'un mariage
bien fait. Elles doivent s'en souvenir.
HENRI. Mais Cadio lui-même m'a juré qu'on avait lu de faux noms...
REBEC. Ces dames ont été désignées, devant des témoins bénévoles et peu
attentifs, sous les noms d'emprunt qu'elles s'étaient attribués; mais
ces témoins sont morts, je m'en suis assuré. La famine et l'épidémie ont
passé par là. Il ne reste qu'un acte authentique et régulier.
ROXANE. Que tu devais détruire, lâche intrigant!
REBEC. Que je n'ai pas détruit, madame, ne voulant pas vous faire porter
le nom d'un homme condamné aux galères.
ROXANE. Ah! tu crois que je le porterai, ton ignoble nom?
REBEC. Dans la vie privée, peu m'importe; mais, dans tout acte civil,
vous serez, ne vous en déplaise, la femme Rebec ou l'acte sera nul.
SAINT-GUELTAS, qui a écouté avec calme et attention, bas à Louise,
sèchement. Et vous, ma chère, vous serez tout aussi légalement et
irrévocablement, la femme ou la veuve Cadio! Vous voyez bien qu'il faut
à tout prix rompre avec les institutions révolutionnaires et annuler la
République, au lieu de se jeter dans ses bras!
LOUISE, bas. Emmenez-moi, monsieur, veuillez me soustraire à
l'humiliante situation où je me trouve!
ROXANE, bas à Henri. Fais-nous partir, vite! J'aime mieux le donjon du
marquis que de pareilles discussions.
HENRI, haut. Ces étranges difficultés doivent être examinées plus tard,
lorsque la loi pourra être invoquée par les deux parties. Quant à
présent, comme cela est impossible, ne les soulevons pas, et
séparons-nous.
CADIO. Mais, moi, je ne suis pas hors la loi, je l'invoque; elle
sanctionne mon droit, la femme que j'ai épousée m'appartient, et, par
là, elle recouvre son état civil, elle rentre dans la loi commune.
SAINT-GUELTAS. Alors, vous persistez, vous?
CADIO. Oui, et c'est mon dernier mot.
SAINT-GUELTAS. Il est charmant! mais voici le mien. Je regarde votre
opposition comme nulle et je passe outre, car j'emmène ma femme,--ou ma
maîtresse, n'importe! Je tiens pour légitime celle qui s'est librement
confiée, et donnée à moi, et qui n'a jamais eu l'intention d'appartenir
à un autre.
LOUISE. Cet homme le sait bien. Je croyais à son dévouement, à sa
probité. Nous nous étions expliqués d'avance, il connaissait la
promesse, qui me liait à vous. Il regardait comme nul, et arraché par la
violence de la situation qui m'était faite, l'engagement que nous
allions simuler, et dont les traces écrites devaient être anéanties. Il
était simple et bon alors, cet homme qui me menace aujourd'hui. Le voilà
parvenu, ambitieux peut-être!... Non, ce n'est pas possible! Tenez,
Cadio, voici votre anneau d'argent que j'avais conservé par estime et
par amitié pour vous. Voulez-vous que je rougisse de le porter?
CADIO, ému. Gardez-le, je mérite toujours l'estime pour cela...
SAINT-GUELTAS, l'interrompant et prenant le bras de Louise. Bien! assez!
je pardonne à votre folie.--Votre serviteur, monsieur de Sauvières! (A
Cadio qui s'est placé devant la porte.) Allons, mordieu! faites place!
CADIO. A vous que couvre la parole du colonel, il le faut bien! mais à
_elle_, non. J'ai dit non, et c'est non!
SAINT-GUELTAS. Vous voulez me forcer à vous casser la tête?
HENRI. Vous ne pouvez rien ici contre personne, monsieur le marquis,
puisqu'en raison de mes engagements, personne ne peut rien ici contre
vous. Je vous prie de ne pas l'oublier!
SAINT-GUELTAS. Il paraît que l'on peut retenir ma femme prisonnière pour
la livrer à cet insensé? Vous ne pensez pas que je m'y soumettrai,
monsieur de Sauvières. Faites-nous libres sur l'heure, ou je donne un
signal qui vous livrera tous à la merci des gens que je commande. Croyez
qu'ils ne sont pas loin et que l'on ne me fera pas violence impunément.
Vous voulez sans doute éviter d'exposer nos hommes à s'égorger pour un
motif qui nous est purement personnel? Vous avez raison. Faites-donc
respecter votre autorité, et mettez aux arrêts cet officier qui se
révolte.
HENRI. C'est inutile, monsieur, il cédera à la raison et à la justice,
je le connais. Permettez-moi de l'y rappeler devant vous. Il faut que ma
cousine soit délivrée une fois pour toutes des craintes qu'une situation
si bizarre pourrait lui laisser. Soyez calme, mon devoir est de vous
protéger tous deux; je n'y manquerai pas, fallût-il sévir rigoureusement
contre mon meilleur ami. (A Cadio.) Admettons que tu aies raison en
droit, ce que j'ignore, tu as tort en fait. Il y a là une situation sans
précèdent peut-être. Un instant la législation nouvelle a pu être
méconnue par tout un parti résolu à la détruire; ma cousine appartenait
à ce parti. Elle a cru prononcer une vaine formule. Elle a eu tort, il
ne faut pas se jouer de sa parole, et certes elle ne l'eût pas fait pour
sauver sa propre vie.
LOUISE. Non, jamais!
HENRI. Elle a surmonté l'effroi de sa conscience par dévouement pour les
autres. C'est le plus grand sacrifice que puisse faire à la
reconnaissance et à l'humanité une âme comme la sienne. Tu l'as senti,
toi, tu l'as compris alors, car tu as suivi son exemple, et tous deux
vous avez commis, dans un religieux esprit d'enthousiasme, une sorte de
sacrilége; vous avez oublié que les serments au nom de l'honneur et de
la patrie sont faits à Dieu, avec ou sans autel, avec ou sans prêtre!
mais votre erreur à été sincère et complète. D'avance, tu avais tenu
mademoiselle de Sauvières quitte de tout engagement envers toi, tu me
l'as dit toi-même; elle a dû se croire libre, et, en te rétractant, tu
n'es pas seulement insensé, tu deviens coupable et parjure.
CADIO. Vous direz ce que vous voudrez, elle n'est pas légitimement
mariée avec cet homme-là! elle ne pouvait pas l'être, elle ne le sera
jamais, elle ne sera pas la mère de ses enfants. Si elle les
reconnaissait, ils seraient forcés de s'appeler comme moi.
HENRI. Soit! Elle acceptera sans honte et sans crime la douleur de cette
situation, et vivra avec celui qu'elle a voulu épouser devant Dieu,
ignorant la valeur et l'indissolubilité de l'autre engagement. Mon rôle
vis-à-vis d'elle consiste à faire respecter sa liberté morale, ne me
forcez pas à vous donner des ordres.
CADIO. Je vous y forcerai, car vous ne m'avez pas convaincu. Je proteste
contre la liberté que vous voulez lui rendre, et je vous défie de me
donner sans remords un ordre qui m'inflige le déshonneur! (A
Saint-Gueltas.) Oh! vous avez beau rire d'un air de mépris, vous! Je ne
connais pas vos codes de savoir-vivre et votre manière d'entendre les
convenances. Je ne sais qu'une chose, c'est que votre existence me pèse
et m'avilit. J'ai patienté tant que je me suis cru sans droits sur cette
femme et sans devoirs envers elle. Je sais à présent que, bon gré mal
gré, je suis responsable de son égarement, outragé par son infidélité,
empêché de me marier avec une autre et d'avoir des enfants légitimes.
Elle m'a pris ma liberté, je n'entends pas qu'elle use de la sienne.
Elle devait prévoir où nous conduirait ce mariage. Moi, j'étais un
simple, un ignorant, un sauvage; j'ai fait ce qu'elle m'a dit. Elle m'a
traité comme un idiot dont il était facile de prendre à jamais la
volonté, sans lui rien donner en échange, ni respect, ni estime, ni
ménagement. Une heure après le mariage, elle se faisait enlever par
vous. Vous avez cru vous débarrasser de moi, elle, en me jetant une
bourse, vous, en me faisant donner un coup de poignard. Voilà comment
vous avez agi envers moi, et dès lors elle s'est regardée comme libre de
devenir marquise. Elle devait pourtant savoir qu'elle ne l'était pas.
Son parti était écrasé, la République s'imposait, la loi était
consolidée. Qu'elle ne daignât pas porter le nom obscur du misérable qui
le lui avait donné pour la sauver, qu'elle ne voulût jamais revoir sa
figure chétive et méprisée, je l'aurais compris et je n'aurais jamais
songé à l'inquiéter; mon dédain eût répondu au sien; mais, avant de se
livrer à l'amour d'un autre et de s'y faire autoriser par un prêtre,
elle eût dû au moins s'assurer de son droit, savoir si son premier
mariage ne m'engageait à rien, moi, ou si, grâce à son amant, elle était
réellement veuve. Elle n'était pas à même de s'informer peut-être? Eh
bien, il fallait, dans le doute, agir en femme forte, en femme de coeur,
savoir attendre le moment où elle pourrait invoquer l'annulation de
notre mariage; j'y eusse consenti, et, si la chose eût été impossible,
il fallait subir les conséquences et conserver le mérite d'un acte de
dévouement. Il fallait faire voeu de chasteté comme moi... Oui, comme
moi; riez encore, marquis Saint-Gueltas, vous qui avez fait voeu de
libertinage, et qui, en réclamant cette femme au nom d'une religion que
vous méprisez, la condamnez à subir l'outrage de vos infidélités! La
malheureuse vous fuyait, je le sais, je sais tout! Elle veut à présent,
retourner à sa chaîne, elle aime mieux cela que d'accepter ma
protection; mais, moi qui ne puis me dispenser sans lâcheté d'exercer
cette protection, je ne veux pas qu'elle traîne plus longtemps ma honte
et la sienne à vos pieds.--Voyez, monsieur de Sauvières, si vous
consentez à y voir traîner le nom que vous portez. Quant à moi, je peux
lui pardonner l'erreur où elle a vécu jusqu'à ce jour; elle a pu croire
nos liens illusoires: en apprenant qu'ils ne le sont pas, si elle ne
quitte son amant à l'instant même, elle devient coupable de parti pris
et autorise ma vengeance.
SAINT-GUELTAS, toujours ironique. Répondez, monsieur de Sauvières! Ma
parole d'honneur, le débat devient très-curieux, et vous voyez avec
quelle attention je l'écoute.
HENRI. Est-ce sérieusement, monsieur, que vous me prenez pour arbitre?
SAINT-GUELTAS. Pour arbitre, non; mais je désire avoir votre opinion.
HENRI. Et vous, Louise?
LOUISE, abattue. Je la désire aussi, dites-la sans ménagement. Je
reconnais d'avance qu'il y a beaucoup de vrai dans les reproches qui me
sont adressés, et que j'ai eu, en tout ceci, les plus grands torts. Je
les ignorais. Je viens de les comprendre.
SAINT-GUELTAS, bas, à Louise. On ne vous en demande pas tant! ne soyez
pas si pressée de vous repentir.
LOUISE, s'éloignant de lui. Parlez, Henri!
HENRI. Louise, vous devez vivre, à partir de ce jour, éloignée des deux
hommes qui croient avoir des droits sur vous. Une amie sérieuse et digne
de confiance vous offre un asile, acceptez-le, ouvrez les yeux. Nous
touchons au triomphe définitif de la République et à une ère de paix
durable où vous pourrez demander ouvertement la rupture de celui de vos
deux mariages que vous n'avez pas librement consenti. Jusque-là, les
droits du premier époux sont douteux et ceux du second sont nuls. S'il
vous est prescrit de le quitter, n'attendez pas qu'un tel arrêt vous
surprenne dans une situation condamnable.--Voilà mon avis. J'engage M.
Saint-Gueltas à l'adopter sans appel.
LOUISE, tremblante, mais résolue. Je l'accepte, moi; oui, je déclare que
je l'accepte!
SAINT-GUELTAS. Il est très-bon à coup sûr, mais j'en ouvre un autre que
je crois meilleur, monsieur de Sauvières! Vous me voyez très-calme dans
une situation qui serait odieuse et absurde, si je n'étais homme de
résolution, rompu aux partis extrêmes et aux décisions soudaines. Je
viens d'écouter M. Cadio avec surprise, avec intérêt même. Je vois en
lui un homme très-supérieur à sa condition sociale, et le mépris que
j'avais d'abord pour son rôle vis-à-vis de moi est devenu un désir de
lutte sérieuse. J'accepte donc l'antagonisme, et il ne me déplaît pas
d'avoir devant moi un adversaire de cette valeur. Je consens à
reconnaître qu'aux termes de la législation actuelle, les droits de
monsieur sont soutenables et que les miens ne le sont pas; mais, comme
je ne puis reconnaître l'autorité morale d'une loi faite par nos ennemis
et qui blesse ma croyance politique et sociale, comme d'ailleurs la
femme qui a requis ma protection, à quelque titre que ce soit, ne peut
plus, selon moi, en invoquer une autre, il faut que le débat se termine
par la suppression de M. Cadio ou par la mienne. Je n'ai pas de sots
préjugés, moi; un duel à mort tranchera la question, et je le lui
propose sur-le-champ. Ma compagne restera près de vous, monsieur de
Sauvières. Si je succombe, je sais de reste qu'elle ne tombera pas du
pouvoir du vainqueur. Je la confie à votre honneur, à votre amitié pour
elle.
LOUISE. Oh! mon Dieu, quel châtiment pour moi qu'un pareil combat! (A
Saint-Gueltas.) Je vous supplie...
SAINT-GUELTAS, sèchement. Vous n'avez plus rien à dire. C'est à M. Cadio
de répondre.
CADIO. Ainsi, vous me faites l'honneur de vous battre en duel avec moi,
monsieur le marquis? C'est bien généreux de votre part en vérité! Vous
n'avez donc plus personne sous la main pour me faire tuer par trahison?
SAINT-GUELTAS, irrité. Vous refusez?
CADIO. Non, certes! mais je me demande lequel de nous fait honneur à
l'autre en acceptant le défi!
HENRI. N'envenimons pas la querelle par des récriminations. (Haut.)
Marchons; je serai un de tes témoins, et, pendant que monsieur ira
chercher les siens, ces dames resteront en sûreté ici sous la garde de
ton lieutenant. Viens, nous allons nous entendre sur le lieu et sur les
armes. (Cadio et Saint-Gueltas sortent.--A Louise, qui, sans pouvoir
parler, essaye de l'arrêter.) Soyez calme, Louise! ayez la force d'âme
que commande une pareille situation. Elle est inévitable! (Il
sort.--Louise, atterrée un instant, s'élance vers la porte, mais Henri
l'a refermée en dehors.)

SCÈNE XII.--LOUISE, ROXANE.

ROXANE. Alors, nous voilà prisonnières?
LOUISE. Non, pas encore! (Elle va vers la porte de l'escalier et entend
Rebec, qui est sorti par là, tourner et retirer la clef; elle revient et
se laisse tomber sur une chaise.)
ROXANE. Où irais-tu, d'ailleurs? Que ferais-tu pour empêcher ce duel?
Les hommes, en pareil cas, se soucient bien de nos frayeurs! Et puis
après? Quand le marquis serait tué, ce n'est pas moi qui l'arroserais de
mes larmes.
LOUISE. Ah! ne parlez pas, ne dites rien!... Je deviens folle!
ROXANE. Tu es folle en effet, si tu l'aimes... Et je le vois bien,
hélas! tu l'aimes toujours!
LOUISE. Qu'est-ce que j'en sais? Je n'en sais rien! J'étais mortellement
offensée, il me semblait que tout devait être rompu entre nous, et que
son infidélité, son injustice, son ingratitude, avaient comblé la
mesure. Il me semblait aussi qu'il souhaitait cette rupture, qu'il ne la
repoussait, l'orgueilleux, que pour m'empêcher d'en avoir l'initiative;
mais vous voyez bien qu'il m'aime encore, puisqu'il éloigne ma rivale,
puisqu'il trouve l'occasion de briser nos liens et qu'il s'y refuse au
péril de sa vie!...
ROXANE. Tout cela, c'est son indomptable esprit de tyrannie, sa fatuité
insatiable, qui ne veulent pas céder en face des républicains!
LOUISE. Eh bien, pour cette fierté, je l'admire encore!
ROXANE. Hélas! gare à nous, quand il va être débarrassé de ce fou de
Cadio!
LOUISE, pensive. Il va le tuer?
ROXANE. Tu penses bien qu'un insensé comme Cadio a beau être devenu
militaire, il ne tiendra pas trois minutes contre la première lame de
France! Calme-toi, puisque tu souhaites le triomphe de ton despote et la
mort...
LOUISE. Souhaiter la mort de ce malheureux!... car c'est un duel à
mort!... Ils l'ont dit! il faut que cela soit!... Oh! funeste et
misérable existence que la mienne! Je n'avais qu'une consolation, un
espoir, une raison de lutter et de vivre...
ROXANE. Ton pauvre enfant!... Oui, c'est un ange au ciel et un
malheureux de moins sur la terre!... Mais... qu'est-ce que j'entends
donc? les bleus font l'exercice à feu?
LOUISE, écoutant. Non, c'est autre chose... C'est un combat! (Elle court
à la fenêtre.) Ceux qui nous gardaient s'éloignent, ils courent... On
sonne l'alerte. Mon Dieu, que se passe-t-il? Et nous sommes enfermées
ici!

SCÈNE XIII.--Les Mêmes, LA KORIGANE.

LA KORIGANE. (Elle entre par la cuisine.) N'ayez pas peur, c'est moi. Le
marquis n'a pas pu se battre en duel. Je le suivais, je guettais. J'ai
averti les chouans. Ils l'ont enlevé de force au bout de la rue: les
bleus se sont crus trahis. Ils les poursuivent jusque dans la campagne;
mais ils ont beau avoir des chevaux, les chouans savent courir!
ROXANE. Pourquoi as-tu fait cela? Tu veux donc que mon neveu soit exposé
pour nous avoir reçues généreusement?
LA KORIGANE. Saint-Gueltas aurait tué Cadio, et je ne veux pas, moi!
ROXANE. Tu l'aimes donc toujours, ce Cadio?
LA KORIGANE. J'ai aimé les anges comme on doit les aimer et le diable
comme il veut qu'on l'aime!
ROXANE. Selon toi, Cadio est un ange? Pourquoi?
LA KORIGANE. Parce qu'il a toujours détesté le mal, parce que les nuits
je le vois en rêve, quand j'ai le mal dans l'esprit, et il me fait des
reproches, il me menace... Je le croyais mort. Je l'ai revu officier
tout à l'heure, je l'ai vu tranquille et fier... Je me suis dit: «Tu ne
mourras pas par ma faute; cette fois, j'empêcherai cela!»
LOUISE, agitée. Korigane, dis-moi, est-ce vrai que le marquis l'a fait
assassiner à la ferme du Mystère?
LA KORIGANE. C'est vrai.
LOUISE, effrayée. Avec quel sang-froid il m'a dit que ce malheureux
s'était noyé dans la Loire en voulant nous poursuivre!
ROXANE. Mais, mon Dieu! la fusillade se rapproche... Est-ce que les
bleus reculent?... Pauvre Henri! s'il lui arrivait malheur! si
Saint-Gueltas revenait nous prendre! Ah! tant pis! pour la première
fois, je fais des voeux pour les sans-culottes, moi!
LOUISE, à la Korigane. Comment donc le marquis n'empêche-t-il pas...? il
est donc sans autorité sur les chouans?
LA KORIGANE. Les chouans l'aiment pour sa renommée et le veulent pour
chef; mais ce n'est plus ça les Vendéens! Le Breton obéit comme il veut
et quand il veut!
LOUISE. Ils le retiennent prisonnier sans doute, et ils lui font jouer
un rôle odieux! C'est impossible!... J'irai les trouver. Je leur
dirai...
LA KORIGANE. Qu'est-ce que vous leur direz? Vous ne savez pas seulement
leur langue! Est-ce qu'ils vous connaissent, d'ailleurs? est-ce qu'ils
vous laisseront approcher?
LOUISE. J'essayerai; on peut toujours...
LA KORIGANE. Vous ne pouvez rien du tout, et moi, je ne peux qu'une
chose, vous cacher; mais je veux que vous me juriez d'abandonner
Saint-Gueltas.
LOUISE. Pourquoi donc es-tu si effrayée de me voir retourner avec lui?
il m'a juré, lui, que je ne retrouverais pas sa maîtresse au château; il
se repent, j'en suis sûre, il m'aime encore...
LA KORIGANE. Vous croyez ça?... Louise de Sauvières, il faut donc que je
vous dise tout? (On entend une fusillade plus proche.)
ROXANE. Ah! grand Dieu! patatras! nous y voilà encore une fois, dans la
bagarre! Fuyons!
LA KORIGANE. Nous avons encore le temps. Les bleus repoussés défendent
l'entrée du village; mais, moi, je n'ai plus le temps de rien ménager.
Louise, regardez-moi, et tremblez! C'est moi qui ai tué la première
femme de Saint-Gueltas et son fils!
LOUISE, reculant d'effroi. Toi?
ROXANE. Ah! quelle horreur! Par l'ordre de ton maître?
LA KORIGANE. Non, j'ai pris cela sur moi; il avait besoin de leur mort,
il la désirait, je m'en suis chargée. Il m'a maudite pour cela; mais il
a profité de mon crime pour vous épouser, Louise, et pourtant il ne vous
aimait déjà plus. Il voulait plaire à son parti, à ceux qui vous
protégeaient; vous avez bien deviné cela, vous le lui avez dit, vous
l'avez mortellement offensé. La grande comtesse est revenue, plus riche,
plus habile, plus puissante que vous. Il ne l'aime pas, mais il a besoin
d'elle à présent, et vous le gênez... Eh bien, le jour où cet homme-là,
qui est le démon, me dira: «Emmène Louise, fais que je ne la revoie
jamais!...» je vous tuerai, moi, il le faudra bien, ce sera plus fort
que moi... Et, comme vous avez été bonne pour moi, comme vous m'avez
montré de la confiance et qu'après vous avoir haïe, je vous ai aimée par
son ordre, je me tuerai après l'avoir encore une fois servi en vous
tuant. Ah! laissez-moi fuir avec vous, faites que je ne le revoie
jamais! Je peux encore me repentir et sauver ma pauvre âme, car je le
déteste et le maudis; mais, s'il me parle, s'il me flatte, s'il me
commande..., je ne peux pas répondre de moi! Non, vrai! je ne peux pas!
LOUISE. Ah!... Tu étais donc sa maîtresse, toi? Je ne pouvais pas le
croire!
LA KORIGANE, avec dépit. A cause que je suis laide? Eh bien, j'ai été sa
maîtresse comme vous, car vous n'êtes pas sa femme!
LOUISE. Je ne suis pas...?
LA KORIGANE. Je n'ai réussi qu'à tuer l'enfant. La femme, le fantôme que
vous avez vu le jour du mariage, parée de votre voile et de votre
couronne, la folle enfin, que je croyais avoir noyée, s'est réfugiée sur
un rocher où, au point du jour, l'abbé Sapience l'a trouvée; il l'a
emmenée dans une barque, il l'a cachée et envoyée à Nantes; elle vit, la
mort de son enfant lui a rendu la raison, à ce qu'on dit. On attend les
événements pour la faire reparaître, si Saint-Gueltas l'emporte sur
Charette. Voilà toute la vérité, je vous la dis aussi laide que je l'ai
faite... Me croirez-vous à présent?
LOUISE. Va-t'en ou tue-moi tout de suite, si tu veux! J'ai horreur de la
vie, j'ai horreur de toi, de Saint-Gueltas et de moi-même! (La fusillade
éclate plus près.)
ROXANE. Les chouans ont le dessus, tout est perdu, Louise!
LOUISE, égarée. Qu'importe?
LA KORIGANE. Venez! je peux vous cacher!
LOUISE. Emmenez ma tante: moi, je veux mourir ici! (A Roxane.) Partez!
LA KORIGANE. Venez, Louise, venez!
LOUISE. Non!
LA KORIGANE, se jetant à ses pieds. Venez! maudissez-moi, crachez-moi au
visage, mais laissez-moi vous sauver! Voyons!... si vous aimez encore le
maître, souffrez tout, acceptez tout, faites comme moi, faites le mal,
buvez la honte, et, comme moi, vous aurez au moins son amitié, comme je
l'ai eue.
LOUISE, exaltée. Son amitié! elle souillerait ma vie! garde-la pour toi
qui en es digne, et qu'il me haïsse, l'infâme! C'est assez que son
odieux amour ait flétri mon passé et détruit mon avenir. Dieu de
justice, venge-moi et frappe-le! Protége les républicains, pardonne à
l'égarement de ma croyance. Ils méritent de recevoir ta lumière plus que
ceux qui prétendent te servir et qui se croient autorisés à commettre
tous les crimes ou à en profiter, pourvu qu'ils aient un emblème sur la
poitrine et une image au chapeau! Honte et malheur sur ces bandits qui
se jouent des choses sacrées, du mariage et de l'église, de l'amour et
de la vérité! Et toi, abjecte complice de tous les forfaits de ton
maître, va lui dire ce que tu viens d'entendre. Dis-lui que, s'il
approche de cette maison, où Henri et Cadio se feront tuer pour me
défendre, je m'y ferai tuer aussi avec mon frère et mon mari!
ROXANE. Cadio, ton mari? Ah! elle devient folle!
LOUISE. Non! je vois clair à présent! c'est lui, c'est Cadio que
j'aurais dû aimer. Il est l'homme de bien, lui, l'homme sincère et pur
qui donnait sa vie pour laver la honte que je lui infligeais! Orgueil de
race, préjugés imbéciles! J'aurais cru m'avilir en portant le nom de ce
bohémien homme de coeur, et j'ai voulu le nom souillé d'un bandit de
qualité!
ROXANE. Calme-toi, Louise!... c'est du délire!
LOUISE. Non! je suis calme, je suis guérie comme sont guéris les morts.
Je n'aime plus rien, ni personne! Ah! j'ai été trop punie;... mais le
moment de l'expiation est venu, et je vais me réhabiliter... Écoutez! la
mort approche, les coups de fusil deviennent plus rares... les cris plus
sourds... Entendez-vous ces voix qui murmurent encore: «Vive la
nation!...» C'est l'hymne de mort des malheureux patriotes!... Et
là-bas, ces hurlements féroces, c'est la horde sauvage des chouans qui
me réclame! Ils viennent... (A la Korigane, lui arrachant ses pistolets
qu'elle a tirés de ses poches.) Donne-moi tes armes, Saint-Gueltas ne
m'aura pas vivante!

SCÈNE XIV.--Les Mêmes, HENRI, CADIO, MOTUS, JAVOTTE, REBEC à la fin. (La
porte de la cuisine s'ouvre avec impétuosité, Henri, Cadio et Motus
s'élancent dans la chambre.)

HENRI. Ici, nous tiendrons encore.
MOTUS. Oui, oui, nous en tuerons au moins quelques-uns! Le malheur est
que nous n'avons pas de munitions!
JAVOTTE, venant de la cuisine. Si fait! là, dans ce trou, il y a encore
des cartouches, et par là des fusils. Prenez, prenez tout!
MOTUS. Des clarinettes anglaises? Tant mieux! elles sont bonnes.
CADIO, au seuil de la cuisine. Où est Rebec?
JAVOTTE. Oh! qui sait où il s'est caché? Mais soyez tranquilles, ils ne
viendront pas par la ruelle; c'est trop étroit, vous auriez trop beau
jeu! Gardez le côté de la place; moi, je veillerai par ici.
HENRI, entrant dans la salle. Alors, vite ici une barricade! La porte de
l'escalier est solide. Ajoutons-y les meubles! Femmes, passez dans
l'autre chambre, vite!
LOUISE. Non! nous vous aiderons. Courage, Henri! Courage, Cadio! (Lui
donnant les pistolets.) Tiens! voilà des armes chargées, défends-moi,
venge-moi!
CADIO, éperdu. Vous dites?...
ROXANE. Oui, oui! mort à Saint-Gueltas! Nous allons vous aider. Ah!
Henri, mon pauvre enfant! c'est nous qui sommes cause...
MOTUS, arrêtant la Korigane, qui veut s'élancer dehors. Minute,
l'espionne! on ne s'en va pas!
CADIO. La Korigane? Laisse-la partir, nous serions forcés de la tuer.
MOTUS. Alors, filez, brimborion!
LA KORIGANE, reculant. Non! Je ne ferai rien contre Cadio! Laissez-moi
ici! (Motus assujettit les contrevents, qui, sont percés d'un coeur à
jour sur chaque battant; Henri et Cadio poussent le bahut et la table
contre la porte de l'escalier. Les femmes travaillent à rassembler les
armes et à les charger. Les hommes apportent des sacs de farine que
Javotte leur a indiqués pour consolider la barricade et garnir le bas de
la fenêtre jusqu'à la hauteur des jours.)
MOTUS, à Javotte, qui porte un sac. Courage, la belle fille! Forte comme
un garçon meunier!
HENRI, à sa tante. De grâce, emmenez Louise, allez dans l'autre chambre.
Dès que nous tirerons, il entrera ici des balles. Si nous succombons,
vous n'aurez rien à craindre des assaillants, vous, ce sont vos amis...
ROXANE. Nos amis, c'est toi, et c'est pour toi que nous allons prier.
(Elle passe dans l'autre chambre avec Louise, qui revient bientôt et se
tient sur le seuil. La Korigane, sombre et morne, s'est assise dans un
coin, ne se mêlant de rien et comme étrangère à l'événement. Les
préparatifs sont finis. On écoute. Un profond silence règne au dehors.)
HENRI, à Cadio. C'est étrange, l'ennemi aurait-il quitté la partie?.
CADIO, qui regarde par le trou du contrevent. Non, je vois là-bas les
vestes rouges que leur ont apportées les Anglais. Ils s'arrêtent, ils se
consultent. Ils n'osent pas s'engager entre les feux de nos refuges. Il
ne savent pas que nous n'en avons qu'un et que nous y sommes seuls!
MOTUS. Ah! les gueux! nous tenir comme ça bloqués, quand on aurait fait
d'ici une si belle charge de cavalerie, s'ils n'avaient pas coupé les
jarrets de nos pauvres bêtes!
CADIO. Mais les cavaliers encore montés dont nous nous sommes trouvés
séparés, comment ne se sont-ils pas repliés par ici? L'ordre était
donné...
You have read 1 text from French literature.
Next - Cadio - 19
  • Parts
  • Cadio - 01
    Total number of words is 4376
    Total number of unique words is 1470
    41.1 of words are in the 2000 most common words
    52.4 of words are in the 5000 most common words
    58.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 02
    Total number of words is 4611
    Total number of unique words is 1343
    43.3 of words are in the 2000 most common words
    54.8 of words are in the 5000 most common words
    60.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 03
    Total number of words is 4521
    Total number of unique words is 1368
    41.0 of words are in the 2000 most common words
    53.0 of words are in the 5000 most common words
    58.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 04
    Total number of words is 4619
    Total number of unique words is 1371
    43.9 of words are in the 2000 most common words
    55.0 of words are in the 5000 most common words
    60.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 05
    Total number of words is 4563
    Total number of unique words is 1458
    41.6 of words are in the 2000 most common words
    54.4 of words are in the 5000 most common words
    60.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 06
    Total number of words is 4568
    Total number of unique words is 1480
    40.0 of words are in the 2000 most common words
    52.9 of words are in the 5000 most common words
    58.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 07
    Total number of words is 4602
    Total number of unique words is 1291
    45.5 of words are in the 2000 most common words
    56.4 of words are in the 5000 most common words
    61.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 08
    Total number of words is 4556
    Total number of unique words is 1305
    43.5 of words are in the 2000 most common words
    56.9 of words are in the 5000 most common words
    62.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 09
    Total number of words is 4501
    Total number of unique words is 1379
    41.2 of words are in the 2000 most common words
    52.4 of words are in the 5000 most common words
    58.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 10
    Total number of words is 4537
    Total number of unique words is 1332
    41.5 of words are in the 2000 most common words
    54.0 of words are in the 5000 most common words
    59.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 11
    Total number of words is 4587
    Total number of unique words is 1498
    41.0 of words are in the 2000 most common words
    52.9 of words are in the 5000 most common words
    58.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 12
    Total number of words is 4862
    Total number of unique words is 1547
    39.8 of words are in the 2000 most common words
    52.8 of words are in the 5000 most common words
    58.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 13
    Total number of words is 4696
    Total number of unique words is 1491
    41.8 of words are in the 2000 most common words
    54.3 of words are in the 5000 most common words
    60.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 14
    Total number of words is 4668
    Total number of unique words is 1481
    41.6 of words are in the 2000 most common words
    54.5 of words are in the 5000 most common words
    59.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 15
    Total number of words is 4547
    Total number of unique words is 1434
    43.4 of words are in the 2000 most common words
    56.2 of words are in the 5000 most common words
    61.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 16
    Total number of words is 4642
    Total number of unique words is 1487
    41.9 of words are in the 2000 most common words
    54.5 of words are in the 5000 most common words
    59.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 17
    Total number of words is 4729
    Total number of unique words is 1429
    41.8 of words are in the 2000 most common words
    52.7 of words are in the 5000 most common words
    58.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 18
    Total number of words is 4677
    Total number of unique words is 1465
    41.5 of words are in the 2000 most common words
    53.0 of words are in the 5000 most common words
    57.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 19
    Total number of words is 4664
    Total number of unique words is 1440
    39.6 of words are in the 2000 most common words
    50.0 of words are in the 5000 most common words
    55.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 20
    Total number of words is 4645
    Total number of unique words is 1449
    41.5 of words are in the 2000 most common words
    54.3 of words are in the 5000 most common words
    60.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Cadio - 21
    Total number of words is 3345
    Total number of unique words is 1152
    44.5 of words are in the 2000 most common words
    56.9 of words are in the 5000 most common words
    61.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.