Cadio - 09

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CORNY. Eh! non, point du tout. Mes gars ont donné une fausse alerte, et
on a fait coucher la vieille au moulin, pour lui donner une petite leçon
de prudence, comme vous dites!
REBEC. Ah! vous leur donnez comme ça des peurs?...
CORNY. De temps en temps, faut ça. Sans ça, ces gens se perdraient... et
nous avec!
REBEC, malin. Et puis, si on les mettait trop en confiance, ils ne
comprendraient pas les obligations qu'ils vous ont, n'est-ce pas?
CORNY. Dame! on s'expose pour eux tout de même! Souhaitez-vous boire un
pichet de cidre, monsieur Lycurge?
REBEC. Citoyen Lycurgue donc! Non, merci, je n'ai pas besoin de ça pour
être votre ami. (A part.) C'est mon intérêt!

SCÈNE III.--Les Mêmes, ROXANE, LA TESSONNIÈRE, lisant un journal sous le
hangar.

ROXANE, (mal déguisée en paysanne, avec un reste de coquetterie.) Bonjour,
citoyen Lycurge; comment va ton commerce?
REBEC. Comme ça, comme ça, Marie-Jeanne. Les temps sont trop durs. Les
moutons d'ici n'ont que la peau et les os.
ROXANE. Allons donc, coquin! Tu es de ceux qui spéculent sur la famine!
REBEC. Moi?
ROXANE. Oui, toi, j'en mettrais ma main au feu; tu as toujours su
profiter du malheur des autres. Tu aurais aidé à brûler notre château,
si tu n'avais pas espéré que la Vendée triompherait. A présent que tu la
crois anéantie, tu regrettes bien de n'avoir pas pris ta part à la
destruction de notre pauvre manoir.
REBEC. Au diable votre manoir! C'est lui qui me force à me cacher, à
m'exiler de mes pénates!
ROXANE. Bah! tu auras fait danser l'anse du panier, monsieur le gardien
du séquestre! et la République, qui veut tout garder pour elle, t'aura
chassé! C'est la seule bonne chose qu'elle aura faite.
REBEC, à Corny qui écoute. Oh! elle est méchante, la vieille! (A
Roxane.) Citoyenne Marie-Jeanne, vous êtes sujette aux propos séditieux.
Faites attention à vous, ou je me verrai forcé de sévir et de vous faire
arrêter.
ROXANE. Je t'en défie! Tu sais bien que les princes sont en France... et
pas loin d'ici!
REBEC. Savoir!
ROXANE. C'est tout su. Nous sommes mieux informés que toi!
REBEC, à part. Si c'était vrai! (A Corny, bas.) Je m'en vas pour ne pas
me quereller. Envoyez-la souvent coucher au moulin, celle-là; elle en a
besoin. (Il sort, Corny le reconduit.)

SCÈNE IV.--ROXANE, LA TESSONNIÈRE, puis LOUISE.

LA TESSONNIÈRE, (qui lit son journal avec des lunettes d'or.) Qu'est-ce
que vous disiez donc, que les princes...?
ROXANE. Il faut toujours dire comme cela aux trembleurs qui veulent
montrer les dents.
LA TESSONNIÈRE. Vous avez tort, ma chère amie, de fâcher cet homme-là!
S'il le voulait, nous ferions, vous et moi, un vilain _mariage
républicain_ sur les bateaux de Nantes!
ROXANE. Je ne lui sais aucun gré de sa discrétion. C'est la peur d'être
compromis par nous qui le retient. Ah çà! qu'est-ce qu'il y a dans votre
journal?
LA TESSONNIÈRE. Rien de nouveau, c'est celui que je relis depuis huit
jours.
ROXANE. Vous devriez bien perdre l'habitude de lire ainsi dehors. Vous
attirez l'attention...
LA TESSONNIÈRE. Et vous, vous devriez bien ne pas vous parfumer! Au
diable le paysan qui a retrouvé dans les genêts et rapporté votre boîte
à odeurs!
ROXANE. Voulez-vous que je sente l'écurie?
LA TESSONNIÈRE. Oui, il le faudrait. Les bleus ont le nez fin.
ROXANE. Pas du tout. Les gens qui fument n'ont pas de flair.
LOUISE, sortant de l'étable. Vous avez vu Rebec? Sait-il quelque chose
de mon père, enfin?
ROXANE. Non, rien.
LOUISE. Mon Dieu, mon Dieu! ne rien savoir de lui depuis bientôt trois
mois!
ROXANE, bas, à la Tessonnière. Avez-vous brûlé le numéro du journal où
nous avons appris la mort de mon pauvre frère?
LA TESSONNIÈRE. Oui, oui. Je l'ai brûlé tout de suite. C'était peut-être
une fausse nouvelle, d'ailleurs!
LOUISE, avec angoisse. Pourquoi parlez-vous bas tous les deux? Vous me
cachez quelque chose, j'en suis sûre! (Elle s'empare du journal qu'on
lui laisse parcourir.)
ROXANE. Ma chère enfant, sois sûre que mon frère a réussi à émigrer
depuis longtemps, comme tant d'autres. Il ne peut pas t'écrire, il te
perdrait. D'ailleurs, il ne sait pas où nous sommes. Prends patience,
tout s'éclaircira. Surmonte tes inquiétudes et songe que les regrets et
les pleurs sont des crimes aux yeux des espions qui nous entourent.
LOUISE, rendant le journal. Des espions? Nous serions ingrats d'y
croire, ma tante. Il me semble, au contraire, que tout le monde s'entend
ici pour nous préserver... Mais qui vient là-bas, sur la Loire?
ROXANE. Réjouissons-nous. C'est l'ami Cadio; il saura peut-être quelque
chose, lui! (Cadio descend d'une barque qui le dépose devant la ferme et
qui s'éloigne.)
LOUISE. Il est méfiant avec vous. Laissez-moi le questionner, j'irai
vous dire ce qu'il m'aura appris.
ROXANE. Oui, oui, nous rentrons. D'ailleurs, le soleil d'hiver est
très-mauvais. Louise, tu devrais baisser ta coiffe. Tu te gâteras le
teint, ma fille, tu auras des taches de rousseur, et c'est affreux.
LOUISE. Je voudrais en avoir et vous en donner, chère tante: cela nous
déguiserait mieux que nos habits de paysannes.
ROXANE. Mais songe donc que bientôt nous irons peut-être à Versailles
faire notre cour au jeune roi!
LA TESSONNIÈRE, voyant Cadio qui entre dans la ferme. Parlez donc plus
bas! ce ménétrier est très-républicain à présent. Allons, venez! Vous
avez la voix trop forte, vous! (Il l'emmène.)

SCÈNE V.--LOUISE, CADIO.

LOUISE. Eh bien, Cadio, tu as été jusqu'à Guérande?
CADIO. Oui, j'ai des nouvelles de Saint-Gueltas. Il est vivant, guéri et
libre.
LOUISE. Et il ne m'apporte ni ne m'envoie de nouvelles de mon père? Il
n'en a donc pas? On me disait qu'il devait l'avoir emmené dans son
château du Poitou. Ah! tiens, on me trompe! Mon père n'est plus! et
Saint-Gueltas nous oublie!
CADIO. Saint-Gueltas n'a peut-être pas reçu vos lettres. N'arrive pas
qui veut dans le pays où il est!
LOUISE. Cadio, si tu y allais, toi! elles arriveraient.
CADIO. J'irais bien peut-être, mais je n'en reviendrais pas. Les
Vendéens fusillent tous ceux qui repassent la Loire, ils les traitent
d'espions et de déserteurs... pour n'avoir pas à les nourrir! La famine
est là-bas pire qu'à Nantes. D'ailleurs, Saint-Gueltas... je ne l'aime
pas, moi!
LOUISE. Pourquoi? Il ne t'a rien fait.
CADIO. Si! Il m'a fait donner la quenouille qui a fâché votre père.
J'aurai toujours ça sur le coeur.
LOUISE. Ce n'est pas lui, c'est M. Sapience.
CADIO. C'est le curé d'abord, le marquis ensuite.
LOUISE. Il l'a nié.
CADIO. Et vous croyez ce qu'il dit, vous?
LOUISE. Et toi, tu le crois capable de mentir?
CADIO. S'il n'est pas menteur, il y a bien des femmes qui mentent!
LOUISE. Comment! quelles femmes?
CADIO. Toutes celles qu'il a promis d'aimer toujours... à ce qu'elles
disent, du moins.
LOUISE, agitée. Pourquoi ne mentiraient-elles pas?
CADIO. Alors, c'est toutes des folles et des sans-coeur de s'être
données à lui sans lui faire rien promettre!--Qu'est-ce que vous avez,
demoiselle? Vous voilà triste et songeuse. Vous jouerai-je un air de
biniou?
LOUISE. Plus tard, mon enfant, merci.--Dis-moi encore... As-tu entendu
parler des bleus?
CADIO. Oui, on ne parle que de ça à la ville.
LOUISE. Où sont-ils, à présent?
CADIO. Ils sont partout. Ils font comme les Vendéens faisaient: ils
s'_égaillent_ pour les mieux prendre.
LOUISE. Et... Henri, celui que tu aimais tant?
CADIO. Je n'ai pas pu le retrouver. Peut-être bien qu'il est avec ceux
qui suivent le marquis et qui le débusquent de place en place; mais il
leur échappera. Sa bande est comme un serpent qu'on coupe par morceaux
et qui se rejoint toujours.
LOUISE. Hélas! pourquoi lutter encore quand l'armée est détruite?
CADIO. Peut-être que Saint-Gueltas veut vendre cher sa vie. Il y en a
qui disent qu'il veut vendre cher sa soumission!
LOUISE. Tu le hais... ne parlons plus de lui.
CADIO. Soit! et laissez-moi vous parler de l'autre.
LOUISE. Non! ne me parle plus d'Henri. Je sais à présent qu'il était à
la dernière affaire, celle qui nous a porté le dernier coup et qui nous
a tous dispersés si misérablement. Saint-Gueltas, lui, couvrait mon père
de son corps. Je l'ai vu! et que sais-je si Henri n'était pas un de ceux
qui tiraient sur lui?
CADIO. Moi, je crois qu'il a été fait prisonnier, et qu'Henri l'a
délivré.
LOUISE. Non, non! la crainte de passer pour un traître l'en eût empêché.
Les gens qui ont tant de vertus républicaines n'ont plus de sentimens
humains, sois-en sûr... Mais cela te fâche; tu es républicain, à
présent!
CADIO. Non, je ne suis ni pour les uns ni pour les autres. Tous sont
devenus cruels comme des bêtes sauvages, et j'aime mieux rencontrer une
bande de loups dans les bois qu'un seul homme royaliste ou patriote...
Mais lui... si vous lui écriviez...
LOUISE. Non, jamais! il m'a sacrifiée à son opinion. Il m'a appris
qu'une femme de coeur ne doit aimer que celui dont la religion est la
sienne. Je ne veux plus écrire à personne. Je supporterai le tourment de
l'incertitude, je me résignerai à attendre...
CADIO. Attendre quoi? Votre parti est fini, allez! Nous voilà pour
toujours en république. Qu'est-ce qu'il pourrait y avoir après?
LOUISE. Eh bien, si tout est fini, si je suis orpheline, séparée des
miens ou abandonnée à jamais, ruinée, proscrite, je resterai comme me
voilà... Cachée par de braves gens, je travaillerai pour m'acquitter
envers eux, oui, de tout mon coeur et de toutes mes forces! Ce n'est pas
si difficile qu'on croit de travailler.
CADIO. Je ne peux pourtant pas, moi! et ça me paraîtrait bien dur.
LOUISE. Ce n'est pas un travail que de garder des troupeaux et de filer
du chanvre ou de la laine.
CADIO. Est-ce que vous savez filer?
LOUISE. Oui; vois si ce n'est pas aussi bien qu'une autre? (Elle lui
montre son fuseau.)
CADIO, vivement. C'est mieux.
LOUISE, souriant. Tu me flattes?
CADIO. Vous devriez toujours sourire comme ça.
LOUISE. Pourquoi?
CADIO. Parce que... ça montre que vous avez du courage.
LOUISE. Il en faut, j'en aurai; mais, toi, mon pauvre Cadio, que vas-tu
devenir?
CADIO. Ce que j'ai toujours été: rien.
LOUISE. Ce n'est donc rien que d'être paysan? Moi, je vois à présent que
c'est quelque chose.
CADIO. Je ne suis pas paysan: un paysan a de la terre ou cultive celle
des autres pour en avoir un jour.
LOUISE. Cultive, travaille, et tu en auras!
CADIO. J'aime mieux ne rien avoir.
LOUISE. Que tu es singulier! Pourquoi?
CADIO. Celui qui a quelque chose veut le défendre ou l'augmenter. Ça le
rend craintif ou envieux, malheureux ou méchant. Moi, je n'ai eu qu'une
peur en ce monde, celle de mourir damné. Je ne l'ai plus, je suis
tranquille comme me voilà.
LOUISE. Qui t'a ôté cette crainte?
CADIO. Un ou deux moments de courage que j'ai eus, et des idées... à moi
tout seul! la nuit avec ses étoiles, le chant des vagues quand j'ai revu
dernièrement le pays de Carnac, plus de menaces d'enfer pesant sur moi,
les champs ravagés, les châteaux détruits, et surtout le couvent en
ruine, où le rouge-gorge chantait la semaine passée, et où j'ai cueilli
des violettes dans les fentes des tombeaux... Je regardais la croix
brisée et les pierres des anciens dieux, couchées pêle-mêle, je me
disais: «Tout passe, et Dieu reste!»
LOUISE, étonnée. Où prends-tu donc tout ce que tu dis-là, Cadio?
CADIO, montrant son biniou. Je ne sais pas: là peut-être.

SCÈNE VI.--Les Mêmes, CORNY, REBEC, LA TESSONNIÈRE, ROXANE, puis MOTUS,
HENRI, le Délégué de la Convention, premier Secrétaire, deuxième
Secrétaire, LA MÈRE CORNY, un Sous-officier.

CORNY, (accourant du dehors, suivi de Rebec. Alerte, alerte! On voit
arriver par là (il montre le chemin) des cavaliers, une voiture; on ne
sait point ce que c'est! mais faut vous en aller dans les taillis,
demoiselle, et bien vite!
LOUISE. Oui, mon ami; mais les autres?
CORNY, (montrant la Tessonnière et Roxane qui sortent de la maison.) Les
v'là! (A la Tessonnière.) Allez-vous-en vitement mener notre fumier au
pré avec Jean, par là!
LA TESSONNIÈRE. Le fumier?
REBEC, très-ému. Eh oui! eh oui! sauvez-vous; il n'est que temps!
LA TESSONNIÈRE. Au fumier!... Allons, va pour le fumier! (Il s'en va.)
ROXANE. Eh bien, et moi? Je ne peux pourtant pas mener le fumier?
REBEC. Au moulin! au moulin!
CORNY. Trop tard! Allez battre des pois dans la grange.
LOUISE. Elle ne saura pas. Je l'emmène, elle gardera les chèvres avec
moi.
ROXANE. Dieu, quelle existence! pas un jour de sécurité!
LOUISE. Venez, venez, ma tante! (Elle l'emmène.)
CORNY. Eh bien, et toi, Cadio? Je ne te savais pas là.
CADIO. Oh! moi, je ne risque rien. Je ne suis point mal avec les bleus.
Je vais seulement faire le guet derrière les buissons.
REBEC. N'ayez pas l'air de vous cacher.
CADIO. Ne craignez pas. Je connais mon affaire. (Il sort par le hangar.)
REBEC, à Corny, regardant de la barrière. Diable! cette fois, ce n'est
pas une fausse alerte; ils viennent bien par ici.
CORNY. D'accord! mais ça va passer sur le chemin. Qu'est-ce que vous
voulez que ça vienne faire chez nous?
REBEC, qui regarde toujours. C'est des militaires, Dieu me pardonne! Ils
ne sont guère plus de cinquante. C'est l'escorte de quelque général qui
va en chaise de poste bien doucement. Il faut croire qu'il est blessé.
CORNY. Les v'là, cachons-nous.
REBEC. Non pas, non pas! Mettons-nous devant la barrière, et crions:
_Vive la République!_
CORNY. Je ne veux point crier ça!
REBEC. Eh bien, agitez votre chapeau et ouvrez la bouche, je crierai
pour deux.
CORNY. Ça y est! (Il agite son chapeau, Rebec crie. Motus, à cheval,
vient sur eux.)
MOTUS. C'est bien, assez crié! Écoutez ce qu'on vous dit! (A Corny qui
se présente.) Sans te déranger, citoyen paysan, as-tu chez toi un
charron?
CORNY. Non, citoyen militaire; mais on est tous un peu charron en
campagne. (Regardant la voiture qui s'arrête devant la porte, escortée
des cavaliers.) C'est donc quelque chose à rabigancher à vot' carrosse?
MOTUS. Un timon rompu dans vos satanés chemins, soit dit sans vous
molester.
CORNY. Oh! avec quatre éclisses et un bon bout de corde, ça sera
vitement remmanché.
MOTUS. Êtes-vous tout seul? Appelez du monde!
CORNY. Oui, oui; j'ai là mes garçons, on s'y mettra tous. (Il court vers
la grange.)
LE DÉLÉGUÉ DE LA CONVENTION, mettant la tête à la portière et parlant
d'une voix âpre et impérative. Eh bien?
MOTUS. Ça sera fait à la minute, citoyen délégué; tu peux prendre un peu
de repos.
LE DÉLÉGUÉ, descendant de voiture avec l'aide de ses deux secrétaires.
Oui, je souffre beaucoup.--Où est l'officier?
HENRI, paraissant. Le voilà.
REBEC, à part. Lui? Diable!
LE DÉLÉGUÉ. Commandez la halte.
HENRI. C'est fait, monsieur.
LE DÉLÉGUÉ, à ses secrétaires. _Monsieur_, toujours _monsieur_! Ces
officiers de Kléber ne prendront jamais les manières républicaines!
Quelque fils de ci-devant, je parie! Vous lui demanderez son nom, je n'y
ai pas songé ce matin au départ.
REBEC, faisant l'empressé. Si le citoyen commissaire veut daigner entrer
dans la maison du paysan...
LE DÉLÉGUÉ, brusquement. Non, j'ai froid! je reste au soleil. Une chaise
ici.
REBEC, courant vers la maison. Des siéges; des siéges!... (La mère Corny
et sa bru accourent avec des chaises de paille sur lesquelles elles
étendent des serviettes blanches. Le délégué s'assied sans y faire
attention. Les deux secrétaires puritains ôtent les serviettes avec le
mépris marqué d'un vain luxe. Pendant ce temps, Rebec s'est glissé près
de Henri et lui parle bas.)
LE PREMIER SECRÉTAIRE, qui observe tout, s'adressant au délégué.
Pourquoi l'officier commandant l'escorte chuchote-t-il d'un air
mystérieux avec ce particulier au langage doucereux emprunté au
vocabulaire des anciens laquais?
LE DÉLÉGUÉ. Faites comparaître! (Le premier secrétaire va chercher
Rebec. La mère Corny s'approche du délégué avec un air riant et ouvert.
Le délégué, farouche et inquiet.) Que voulez-vous?
LA MÈRE CORNY. Vous offrir un rafraîchissement, monsieur not' citoyen!
un fruit, un pichet de cidre...
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Tu n'as pas de vin?
LA MÈRE CORNY. On n'en cueille point chez nous; mais on a de
l'eau-de-vie... pas bien bonne.
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Apporte toujours. (Elle obéit.)
LE PREMIER SECRÉTAIRE, amenant Rebec. Voilà le faiseur de phrases!
LE DÉLÉGUÉ, ironique. _Daigneras-tu_ nous dire qui tu es, toi, avec ta
face de renard?
REBEC, se redressant et payant d'audace. Lycurgue, municipal de cette
commune.
LE DÉLÉGUÉ, à ses secrétaires. Interrogez-le; moi, je souffre comme un
damné! (Il met la tête dans ses mains et ses coudes sur la table, que
les femmes ont apportée, ainsi qu'une bouteille et des gobelets
d'étain.)
LE PREMIER SECRÉTAIRE, à Rebec. Es-tu de ce pays?
REBEC. J'y réside depuis le temps voulu, citoyen.
LE SECRÉTAIRE. Où étais-tu auparavant?
REBEC. En Vendée, près de Puy-la-Guerche, où j'avais la commission de
faire brûler les châteaux des anciens nobles. J'en ai brûlé douze!
LE SECRÉTAIRE. Tu te vantes; on n'en a pas brûlé six en tout de ce
côté-là. Avance ici, lieutenant.
HENRI, sans bouger. Vous me parlez, monsieur?
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Le citoyen délégué veut te parler. (Henri
s'approche.)
LE DÉLÉGUÉ. Connais-tu cet homme, à qui tu parlais bas tout à l'heure?
HENRI. Oui, monsieur.
LE DÉLÉGUÉ. Où l'as-tu connu?
HENRI. A Puy-la-Guerche et aux environs.
LE SECRÉTAIRE. A-t-il brûlé réellement des châteaux?
HENRI. Je n'en sais rien.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Mais... attendez donc! Il y avait par là le
repaire du fameux rebelle Sauvières. J'ai bonne mémoire, moi. (A Rebec.)
Est-ce toi qui l'as brûlé?
REBEC, troublé, regardant Henri. Je ne me souviens pas bien si c'est moi
ou un autre...
HENRI. Tu as obéi à ta consigne. Chacun avait la sienne.
LE DÉLÉGUÉ. Tu y étais donc?
HENRI. J'y étais.
LE DÉLÉGUÉ. Qui a exécuté l'ordre de brûler Sauvières?
HENRI. C'est moi.
LE DÉLÉGUÉ. Tu te nommes?...
HENRI. Charles-Henri de Sauvières.
LE DÉLÉGUÉ. Parent du rebelle?
HENRI. Son neveu.
LE DÉLÉGUÉ. Vous étiez ennemis avant la Révolution?
HENRI. Non, monsieur. Je lui devais tout, et je chéris sa mémoire.
LE DÉLÉGUÉ. Belle action, alors! Comment n'es-tu pas capitaine?
HENRI. Je ne veux pas l'être, monsieur.
LE DÉLÉGUÉ. Pourquoi? Tu es las de servir la République?
HENRI. Non, monsieur. J'ai gagné mon épaulette en combattant l'étranger,
je ne veux pas devoir un nouveau grade à la guerre civile. Si nous avons
affaire ici aux Anglais, je serai fier de mériter mon avancement; mais
contre des Français égarés... non! Je ne veux rien! Je vous prie de vous
le rappeler.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Ta réserve est sophistique: tu n'as pas voulu de
récompense pour avoir brûlé le château de ton oncle; dis cela tout
bonnement.
HENRI, indigné. Qu'eussiez-vous fait à ma place?
LE SECRÉTAIRE. J'eusse accepté avec orgueil!
HENRI, avec mépris. Eh bien, tant pis pour vous! (Le secrétaire pâlit de
colère. Le délégué lui fait signe de se contenir.)
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE, à Henri. Si le citoyen délégué est satisfait de
tes réponses, nous devons en tolérer l'audace; mais tu as des
renseignements à donner... (Consultant un gros cahier de notes.) Le
traître Sauvières avait une fille, une soeur, des amis et des parents
qui ont porté les armes, même les femmes!
HENRI. Les femmes, non. Mon oncle et le chevalier de Prémouillard ont
été tués à l'affaire du Grand-Chêne. Je ne sais rien des autres.
LE DÉLÉGUÉ, plus doux. Étais-tu à cette affaire, jeune homme?
HENRI, triste. J'y étais.
LE PREMIER SECRÉTAIRE, l'observant. A contre-coeur sans doute?
HENRI. Plaît-il, monsieur?
LE DÉLÉGUÉ. Est-ce à regret que tu as fait ton devoir?
HENRI. Oui, certes! mais je l'ai fait.
LE DÉLÉGUÉ. Eh bien, tu vas le faire encore et nous dire où sont
réfugiés les survivants de ta famille.
HENRI. Je l'ignore absolument.
LE DÉLÉGUÉ. Tu le jures sur l'honneur?
HENRI. Je le jure sur l'honneur! J'ignore même si une seule personne de
ma famille a survécu à l'écrasement de l'armée vendéenne.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Si tu le savais... si tu connaissais leur
tanière, les dénoncerais-tu?
HENRI, fièrement. Monsieur, je ne vous reconnais pas le droit de
m'interroger en dehors des choses qui concernent mon service. Chargé par
mon colonel d'escorter le délégué de la Convention, je ferai respecter
sa personne et celle de ses employés... Voilà ma consigne, je n'en ai
pas d'autre.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Nous avons d'autres pouvoirs que ceux de votre
colonel. Tout militaire nous doit obéissance, et nous avons le droit
d'interroger toute personne suspecte.
HENRI, avec indignation, s'adressant au délégué. Et je suis une de ces
personnes, moi?
LE DÉLÉGUÉ, entraîné par sa franchise. Non, mon jeune stoïcien! Tu as
bien mérité de la patrie, et bon compte sera rendu de ta conduite! Tu es
du bois dont on fait les généraux. Va, tu peux t'occuper de ton service.
Nous avons confiance en toi. (Henri s'éloigne, Rebec veut le suivre.)
HENRI, bas. Ne me dis rien. Tu vois que c'est le tribunal de
l'inquisition en voyage! (Ils se séparent. Henri retourne à ses
cavaliers. Rebec s'esquive dans la maison. Corny et ses garçons
travaillent à réparer la chaise de poste. Le postillon fait manger
l'avoine à ses chevaux. Le délégué et ses deux acolytes restent autour
de la table. Cadio se glisse sous le hangar et les observe.)
LE PREMIER SECRÉTAIRE, au délégué. Par le saint couperet de la
guillotine, tu faiblis!
LE DÉLÉGUÉ, fatigué, à l'autre secrétaire. Qu'est-ce qu'il dit, cet
imbécile?
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Il dit que tu faiblis, et il a raison. Tout ce
qui nous entoure ou nous approche dans cette tournée est suspect et
inquiétant. Le militaire a été et sera toujours girondin. Le paysan est
et sera toujours royaliste. Ce n'est pas le moment de prendre confiance.
La mission qu'on t'a donnée de parcourir les campagnes pour connaître
l'esprit si connu des populations est probablement un piége de tes
ennemis.
LE PREMIER SECRÉTAIRE, inquiet. Le fait est que nous voilà tous les
trois seuls au milieu des paysans qui nous détestent... (Au délégué, qui
s'est versé de l'eau-de-vie et lui arrêtant la main.) Ne bois pas cela!
j'en ferai l'épreuve le premier.
LE DÉLÉGUÉ, influencé. Du poison peut-être? Bouquin, tu es un Spartiate!
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Nous t'avons suivi, connaissant bien les
embûches dont nous aurions à te préserver au péril de notre vie... et, à
présent que nous voyons la tienne entre les mains d'un Sauvières...
LE DÉLÉGUÉ, effrayé. Vous croyez qu'il me laisserait assassiner?
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Ce serait si facile! On donne le mot à une bande
de brigands qui ont bien vite dispersé cinquante hommes sans dévouement
ni conviction.
LE DÉLÉGUÉ. Non, je ne puis croire à tant de scélératesse! Vous êtes
malades de peur tous les deux!
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Peur, nous qui combattons tes instincts de
douceur et de clémence, sauf à nous faire mettre en pièces à tes côtés?
LE DÉLÉGUÉ. C'est vrai; pardon, mes enfants, vous êtes des héros, et,
moi... je suis affaibli, c'est vrai; je suis malade. Ah! cette pauvre
tête est transpercée de douleurs aiguës, quand elle m'est pas remplie de
visions effroyables!
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Voyons, où as-tu mal? tu n'en sais rien?
LE DÉLÉGUÉ, appliquant la main sur sa nuque. Là, toujours là! voilà le
siége du mal.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Un rhumatisme! Bois; à présent, tu peux boire.
Cette liqueur est innocente, (Ils se versent de l'eau-de-vie et boivent
tous les trois.)
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Sais-tu ce que disent les aristocrates à propos
du mal dont tu te plains sans cesse? Ils prétendent qu'à force de faire
tomber des têtes, tu sens la tienne près de tomber toute seule!
LE DÉLÉGUÉ. Ah! cela est étrange! Je rêve cela continuellement,... et,
dans le sommeil, la douleur devient si atroce... Oui, c'est le couperet
qui scie ma chair et mes os sans pouvoir les trancher. Et, dans ma rage,
je saisis ma tête, moi, pour l'arracher du tronc et la jeter dans le
panier... Ne parlons pas de ça... Buvons, prenons des forces factices,
puisque celles de la nature sont épuisées. (Il boit.) C'est de l'eau,
ça!
LE PREMIER SECRÉTAIRE. C'est du poivre en barres, au contraire. Tu as
donc perdu le goût?
LE DÉLÉGUÉ. Totalement.
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Eh bien, il faut boire du sang pour te
retremper.
LE DÉLÉGUÉ. Tu es brutal, toi! une folie sombre!
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Veux-tu de l'éloquence?
LE DÉLÉGUÉ. Non, j'en ai. Donnez-moi plutôt du stoïcisme.
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Tu manques de principes, nous le savons. Eh bien,
écoute; qui veut la fin veut les moyens. Détruire ou être détruit, nous
en sommes là, plus de milieu! ce que nous détruisons est le mal...
LE DÉLÉGUÉ. Je sais tout ça, flanquez-moi la paix! Je sais que, dans
toutes les grandes entreprises, il y a un moment suprême où, pour
combattre la lassitude et soutenir l'effort, il faut saisir le glaive de
la cruauté et... (Reprenant sa tête dans ses mains crispées.) Ah! je
n'en peux plus; je voudrais être mort!
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Tu n'es plus bon qu'à mourir, si tu doutes!
LE DÉLÉGUÉ, buvant encore. Et, si je doutais, vous me dénonceriez,
fanatiques enfants de la Révolution?
LE DEUXIÈME SECRÉTAIRE. Oui, certes!
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Je ferais mieux, je te poignarderais!
LE DÉLÉGUÉ, exalté, se levant et frappant son gobelet sur la table.
Allons, vous feriez bien! Moi aussi, je vous briserais, si vous ne me
souteniez pas sur l'âpre et sauvage montagne! C'est votre mission, à
vous, mes jeunes tigres! Il faut des hommes, à présent. Que dis-je! les
hommes n'ont qu'une dose limitée d'énergie, la pitié est chose
naturelle, le dégoût est chose fatale; il faut devenir des dieux! Des
dieux cabires, des essences dégagées de la matière, des forces
implacables, funestes! Eh bien, alors, brûlons nos entrailles avec le
fer rouge de l'ivresse. Éteignons en nous les dernières palpitations de
la sensibilité, soyons fer et feu, mitraille et torche, hache et
brandon! Nous tomberons épuisés, maudits, insultés, torturés peut-être!
mais la vérité triomphera, et nous laisserons une gloire immortelle...
CADIO, (malgré lui.) Non!
LE DÉLÉGUÉ. Qu'est-ce que c'est?
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Un traître! (Il tire un coup de pistolet sur le
hangar: Cadio a disparu.)
HENRI, accourant. Qu'y a-t-il?
LE DÉLÉGUÉ. Aux armes! défendez-moi!
HENRI. On a tiré sur vous?
LE SECOND SECRÉTAIRE, désignant le hangar. On nous a menacés. Courez,
fouillez les buissons. Tuez tout! allez-y tous!
HENRI, au délégué. S'il y a des ennemis ici, ma place est auprès de
vous. (A un sous-officier.) Prenez douze hommes et courez par là.
Arrêtez tous ceux que vous rencontrerez.
LE DÉLÉGUÉ. Oui, c'est cela. Restez, vous autres! (Le sous-officier
passe à cheval à travers le hangar en le brisant, ses hommes le suivent
en élargissant la brèche. Henri fait entourer la cour par ses autres
hommes.)
LE PREMIER SECRÉTAIRE. Emparez-vous de tout le monde ici.
MOTUS. Mais permets, citoyen secrétaire! j'ai fort bien vu la chose, et,
sans te contredire, je déclare que personne autre que toi n'a tiré.
LE SECRÉTAIRE. Ah! vous raisonnez, vous autres? vous entrez en
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