Cadio - 17

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CADIO. Pourquoi aurais-je de la honte ou de l'orgueil? Les idées sont
toujours entrées en moi sans la participation de ma volonté. Elles
étaient dans l'air que j'ai respiré, elles me sont venues sans être
appelées; qui peut commander à ces choses?
HENRI. Toujours fataliste?
CADIO. Je ne sais pas; je n'ai pas eu le temps de lire assez de livres
pour bien connaître le sens des noms qu'on donne aux pensées. J'ai là,
dans l'âme, un monde encore obscur, mais que des lueurs soudaines
traversent. Quand la vérité veut y entrer, elle y est la bienvenue. Elle
y pénètre comme un boulet dans un bataillon, et tout ce qui est en moi,
n'étant pas elle, n'est plus.
HENRI. Ne crains-tu pas de prendre tes instincts pour des vérités,
Cadio? On dit que tu es devenu vindicatif?
CADIO. Je ne suis pas devenu vindicatif, je suis resté inexorable, ce
n'est pas la même chose. J'ai été craintif, on m'a cru doux,... je ne
l'étais pas. Je haïssais le mal au point de haïr les hommes et de les
fuir. Dieu ne m'avait donné qu'une joie dans la solitude, un verbe
intérieur qui se traduisait par la musique inspirée que je croyais
entendre, quand mon souffle et mes doigts animaient un instrument
rustique et grossier. J'ai rêvé, dans ce temps-là, que je me mettais,
par ce chant sauvage, en contact avec la Divinité; j'étais dans
l'erreur. Dieu ne l'entendait pas; mais j'élevais mon âme jusqu'à lui,
et je faisais moi-même le miracle de la grâce. A présent, je sais que
Dieu est le foyer de la justice éternelle, et que sa bonté ne peut pas
ressembler à notre faiblesse. Il est bon quand il crée et non moins
grand quand il détruit. La mort est son ouvrage comme la vie...
Peut-être que lui-même vit et meurt comme la nature entière, à chaque
instant de sa durée indestructible. Qu'est-ce que la mort? La même chose
pour les bons et les méchants. Ce n'est pas un mal que de mourir. Le
malheur, c'est de renaître méchant quand on l'a déjà été. C'est pourquoi
il faut faire de la vie une expiation, et vaincre toute faiblesse pour
établir le règne austère de la vertu. Le passé de la France a été
souillé, il faut le purifier, c'est un devoir sacré. Moi, je n'ai qu'un
moyen, c'est de détruire la vieille idole à coups de sabre. J'use de ce
moyen avec une volonté froide, comme le faucheur qui rase tranquillement
la prairie pour qu'elle repousse plus épaisse et plus verte!
HENRI. Je ne puis te suivre dans le monde d'idées étranges que tu
évoques. J'ai une religion plus humble et plus douce. Je fais Dieu avec
ce que j'ai de plus pur et de plus idéal dans ma pensée. Je ne puis le
concevoir en dehors de ce que je conçois moi-même.--Tu souris de pitié?
Soit! Ma croyance a, du moins, de meilleurs effets que la tienne. Tu
poursuis la sauvage tradition de la vengeance; moi, je poursuis le règne
de la fraternité, et j'y travaille, même en faisant la guerre, dans
l'espoir d'assurer la paix.
CADIO, avec un soupir. Rentrons dans la réalité palpable, si tu veux. Je
pense bien que tu apportes ici les idées de clémence de tes généraux.
C'est un malheur, un grand malheur! Moi, je proteste!
HENRI. Briseras-tu ton épée, parce qu'on te défendra de la plonger dans
la poitrine du vaincu?
CADIO. Non! je sais qu'il faudra revenir à la terreur rouge ou perdre la
partie contre la terreur blanche. Jamais les aristocrates ne se rendront
de bonne foi, tu verras, Henri! ils relèvent déjà la tête bien haut!
(Montrant au loin l'escadre anglaise.) Et voilà le fruit des traités!
voilà le résultat du baiser de la Jaunaye! Je les ai vus à Nantes, ces
partisans réconciliés! Ils crachaient en public sur la cocarde
tricolore, et il fallait souffrir cela! Notre sang payera la lâcheté de
votre diplomatie, pacificateurs avides de popularité! Peu vous importe!
nous sommes les exaltés farouches dont on n'est pas fâché de se
débarrasser... Quand vous nous aurez extirpés du sol, vous n'aurez plus
à attendre qu'une chose, c'est que l'on vous crache au visage!
HENRI. Voyons, voyons, calme-toi! tu vois tout en noir. Tu as besoin de
me retrouver, moi l'espérance et la foi! Entre l'ivresse sanguinaire et
la patience des dupes, il y a un chemin possible, et jamais l'humanité
n'a été acculée à des situations morales sans issue.
CADIO. Tu te trompes, il y en a! Tu crois à ta bénigne Providence! Tu ne
connais pas la véritable action de Dieu sur les hommes; elle est plus
terrible que cela: elle a ses jours mystérieux d'implacable destruction,
comme le ciel visible a la grêle et la foudre!
HENRI. Ces ravages-là sont vite effacés, en France surtout. Le soleil y
est plus bienfaisant que la foudre n'est cruelle; il est comme Dieu, qui
a fait l'un et l'autre. Le moment va venir où nous pourrons fermer les
registres de l'homicide, et Quiberon sera peut-être la dernière de nos
tragédies. C'est alors que nous pourrons aider le gouvernement,
chancelant encore, à entrer dans la bonne voie. C'est à nous, jeunes
gens, c'est à nos généraux imberbes, c'est à des hommes comme toi et
moi, fruits précoces ou produits instantanés de la Révolution, qu'il
appartient de replanter l'arbre de la liberté tombé dans le sang. C'est
la pensée de Hoche. Tu dois l'entrevoir pour t'y conformer. Tu n'es
encore qu'un petit officier, Cadio; mais tu as voulu devenir un homme,
et tu l'es devenu. Ta conviction, ta volonté ont autant d'importance que
celles de tout autre, et ce n'est pas un temps de décadence et d'agonie,
celui où tout homme peut se dire: «J'ai reçu la lumière et je la donne;
mon esprit peut se fortifier, mon influence peut s'étendre. Je ne suis
plus une tête de bétail dans le troupeau, et je ne suis pas seulement un
chiffre dans les armées... J'aurai dans la patrie, dans l'État, dans la
société, la place, que je saurai mériter. Si les gouvernements se
trompent et s'égarent encore, je pourrai faire entendre ma voix pour les
éclairer. Renonce donc à ton fanatisme sombre! Le temps n'est plus où
cela pouvait sembler nécessaire au salut de la République: une rapide et
cruelle expérience a dû nous détromper. Plus de dictateurs hébétés par
la rage des proscriptions et des supplices, plus d'hommes ivres de
carnage pour nous diriger! Ayons une république maternelle. Ce ne serait
pas la peine d'avoir tant souffert pour n'avoir pas su donner le repos
et le bonheur à la France!
CADIO, triste. Henri! Henri! vous avez les idées d'un chevalier des
temps passés! vous ne voyez pas que nous sommes encore loin du but où
vous croyez toucher. Vous êtes un noble, vous, et peu vous importe le
gouvernement qui sortira de cette tourmente, pourvu que votre caste soit
amnistiée et réconciliée. Vous êtes si loyal et si pur, que vous croyez
cela facile! Moi, je vous dis que cela est impossible, et que, si vos
jeunes généraux se laissent entraîner à la sympathie que leur ont déjà
trop inspirée la bravoure et l'obstination des Vendéens, le règne de
l'égalité est ajourné de plusieurs siècles! Voilà ma pensée, mais je ne
peux la dire qu'à toi, et toute la liberté dont on me gratifie consiste
à me faire tuer dans cette bicoque que je suis chargé de défendre,
chacun de mes hommes contre cent!
HENRI. Je vois que cela te préoccupe. Sache que les chouans ne veulent
pas nous attaquer, aujourd'hui du moins!
CADIO. Aujourd'hui, il y aura quelque chose de grave, Henri! Je sens
cela dans ma poitrine, (Il le regarde.) Il ne t'arrivera rien, à toi,
Dieu merci!... Mais parlons d'autre chose! attends d'abord! (Il va à la
porte de la cuisine.) Tu es là, Motus?
MOTUS, approchant. Présent, mon capitaine.
CADIO. Fais seller mon cheval, je vais faire une reconnaissance.
HENRI. J'irai avec toi.
MOTUS. Le poulet d'Inde... pardon! je veux dire le cheval du colonel
sera prêt aussi dans cinq minutes. Il mange l'avoine. (Il sort.)
HENRI. Te voilà tout à coup très-ému; qu'est-ce que tu as?
CADIO. Rien! Tu me raconteras tes campagnes, n'est-ce pas? Ce doit être
bien beau, de faire la guerre à de vrais soldats!
HENRI. Tu n'as pas voulu me suivre.
CADIO. Non! ma place était ici. Les belles choses que tu as faites me
consoleront de la triste besogne à laquelle je me suis voué.
HENRI. Mon cher ami, je crois que je ne pourrai pas te les raconter. Je
les ai oubliées déjà en revoyant la femme que j'aime. C'est elle qui a
fait mes prodiges de bravoure, son influence me soutenait dans une
région d'enthousiasme où l'on peut accomplir l'impossible.
CADIO. Alors, tu as oublié... _l'autre_? Cela m'étonne; je ne croyais
pas que l'on pût aimer deux fois.
HENRI. Aimer longtemps qui vous dédaigne, est-ce possible? Ce serait de
la folie!
CADIO. Mais l'amour n'est que folie..., à ce qu'on dit du moins!
HENRI. A ce qu'on dit? Tu n'as donc pas encore aimé, toi?
CADIO. J'ai fait un voeu, Henri.
HENRI. Allons donc!
CADIO. Oui, je suis vierge, moi! J'ai juré de n'appartenir à aucune
femme avant le jour où j'aurai donné de mon sang à la République...
HENRI. Ne le donnes-tu pas tous les jours?
CADIO. Tous les jours je l'offre; mais les balles des chouans ne veulent
pas entamer ma chair, et, devant mon regard, il semble que leurs
baionnettes s'émoussent. Cela est bien étrange, n'est-ce pas? J'ai
traversé des boucheries où je suis quelquefois resté le seul intact. Je
n'ai pas eu l'honneur de recevoir une égratignure, et j'en suis honteux.
Voilà pourquoi je crois à la destinée. Il faut qu'elle me réserve une
belle mort, ou qu'elle ait décidé que je ne serais jamais digne d'offrir
à une femme la main qui a tant tué, sans avoir eu à essuyer sur mon
corps le baptême de mon sang! (Motus entre et fait le salut militaire.)
Les chevaux sont prêts?
MOTUS. Oui, mon capitaine.
CADIO, avec un trouble insurmontable. C'est bien, mon ami! (il sort arec
Henri.)
MOTUS. Fichtre!... _mon ami!_... lui qui ne dit jamais ce mot-là au
troupier!--et ce regard triste et bon!... Fichtre! Allons! mon affaire
est dans le sac! c'est réglé! c'est pour aujourd'hui. Sacredieu!
j'aurais pourtant voulu flanquer une raclée aux Anglais auparavant!
JAVOTTE, entrant pour desservir. Qu'est-ce que tu as donc, citoyen
trompette? Tu as l'air contrarié!
MOTUS. C'est une bêtise, belle Javotte; dans notre état, il faut être
toujours prêt à répondre à l'appel... Qu'un baiser fraternel de vos
lèvres de roses me soit octroyé, et je prendrai la chose en douceur.
JAVOTTE. Un baiser? Le voilà pour m'avoir dit vous! C'est gentil, un
militaire qui dit vous à une femme! (Elle lui donne un baiser sur le
front.)
REBEC, entrant. Eh bien, Javotte, eh bien!
MOTUS. Laisse-la faire, citoyen fricotier! c'est sacré, ça! Souviens-toi
ce soir de ce que je te dis ce matin: c'est sacré.
REBEC. Qu'est-ce qu'il veut dire?

SCÈNE IX. (Même local, même jour, midi.) HENRI, JAVOTTE, puis LA
KORIGANE.

HENRI, (entrant.) Où est le capitaine?
JAVOTTE, qui achève de ranger et de balayer. Par là, dans le jardin avec
mon maître, qui souhaitait lui parler. Faut-il lui dire...?
HENRI, s'approchant de la table. Non, merci. Il y a ici de quoi écrire?
JAVOTTE. Voilà!
HENRI. C'est tout ce qu'il me faut. (Javotte sort.) Chère Marie! Je
parie qu'elle est déjà inquiète de moi! (Il écrit. Au bout de quelques
instants, la Korigane entre sans bruit et le regarde. Henri se
retournant.) Que demandes-tu, petite?
LA KORIGANE. Petite je suis, c'est vrai; mais j'ai la volonté grande, et
je tiens devant Dieu autant de place que toi, Henri de Sauvières!
HENRI. Oui-da! voilà qui est bien parlé, ma fière Bretonne! Mais...
attends donc; je te connais, toi! tu es la Korigane de Saint-Gueltas!
LA KORIGANE. Tu m'as donc vue au feu, en Vendée? car tu étais à l'armée
du Nord quand j'ai été servante dans ton château.
HENRI. C'est au feu en effet que je t'ai vue... intrépide... et
atroce!... Que me veux-tu, méchante créature?
LA KORIGANE. Je veux te parler.
HENRI. Tu viens de la part de ton maître?
LA KORIGANE. Non. Je viens sans qu'il le sache, au risque de le fâcher
beaucoup!
HENRI. Ah! tu l'abandonnes ou tu fais semblant de l'abandonner?
LA KORIGANE. Je le quitte et je le hais!... Mais réponds-moi vite:
aimes-tu encore ta cousine Louise?
HENRI. Une question en vaut une autre. Qu'est-ce que cela te fait?
LA KORIGANE. Tu te méfies de moi: c'est malheureux pour elle!
HENRI. Court-elle quelque danger?
LA KORIGANE. Toi seul peux la sauver du plus grand qu'elle puisse
courir. Elle s'est enfuie de chez son mari avec sa tante; elle voulait
aller à Vannes rejoindre mademoiselle Hoche, qui l'attend. Elle a
profité de l'absence du maître, qui avait dit comme ça: «Avant d'aller à
Quiberon, j'irai aux Sables-d'Olonne rassembler des amis.» Nous avons
pris une barque et nous sommes venues à Locmariaker, à l'entrée du
Morbihan; mais à peine entrions-nous dans la ville, nous avons appris
que le marquis était là avec une bande de chouans. Nous nous sommes vite
rembarquées sur un méchant bachot, le seul qui ait voulu nous conduire
du côté des Anglais, et qui nous a posées par ici, sur la grève. Je
connais le pays, j'en suis! J'ai amené Louise dans ce bourg; je l'ai
cachée dans la maison d'une femme que j'ai autrefois servie, mais je ne
suis pas tranquille. Saint-Gueltas doit être sur nos traces. A
Locmariaker, j'ai vu la figure de Tirefeuille sur le port, et il doit
nous avoir reconnues. Louise tombait de fatigue quand nous nous sommes
réfugiées ici à l'aube du jour. Elle a dormi; moi, j'ai veillé dans une
chambre en bas, où tout à l'heure deux soldats bleus sont entrés pour
demander à boire. Je les ai servis, et ils disaient: «Le colonel le
Sauvières est arrivé, il est à l'auberge.» J'y suis venue vite sans
avertir Louise. J'ai reconnu céans Javotte, que j'avais vue dans le
temps à Puy-la-Guerche, et me voilà pour te dire: Veux-tu sauver ta
cousine? Sans toi, elle est perdue.
HENRI. Conduis-moi auprès d'elle.
LA KORIGANE. Non, on te verrait, et Saint-Gueltas n'est peut-être pas
loin. Il vous surprendrait et il vous tuerait tous les deux. Louise peut
venir ici, où tu as des soldats pour la défendre. Je vais la chercher.
HENRI. Oui, cours! Non, attends! Ceci est un piége de ta façon! Son mari
a été jaloux de moi; toi, tu es sa maîtresse ou tu l'as été: tu l'aimes
passionnément, on le sait. Tu dois haïr Louise et la trahir. C'est pour
la mieux perdre que tu veux l'attirer chez moi.
LA KORIGANE. Je ne suis plus jalouse de la pauvre Louise; le maître ne
l'aime plus!
HENRI. Tu mens! Il la poursuit, il la soupçonne, il veut la ramener chez
lui;... donc, il l'aime.
LA KORIGANE. Il veut l'empêcher de trahir sa conduite, voilà ce qu'il
veut! Madame de Roseray, son ancienne maîtresse, la belle des belles, la
maudite des maudites... oh! c'est celle-là que je hais et que je
voudrais voir morte! elle l'a repris dans ses griffes; elle règne chez
lui, elle le rend fou! Elle m'a fait chasser, moi... moi à qui le maître
devait tout!
HENRI. Tu as du dépit... un dépit tout personnel... Tu dois mentir!
LA KORIGANE, frappant du pied. Tu ne me crois pas? Misère et malheur!
Voilà ce que c'est!... Ah! je le sais bien, que, pour Saint-Gueltas, je
peux faire tout ce qu'il y a de plus mal; mais, quand je veux faire le
bien une fois dans ma vie, on me dit: «Tu mens!...» Allons! qu'il la
trouve où elle est! Sachant où vous êtes, il ne l'accusera pas moins
d'être venue ici pour vous. C'est tant pis pour toi, pauvre Louise! Dieu
sait pourtant que je te plaignais, toi si malheureuse, et que, si
j'avais pu finir par aimer quelqu'un, c'est toi que j'aurais aimée!
HENRI, frappé de la voir pleurer. Explique-toi tout à fait; dis toute la
vérité! Pourquoi quitte-t-elle son mari? L'a-t-il menacée, maltraitée?
LA KORIGANE. Il a fait pis, il l'a avilie! L'autre est venue demeurer
chez lui; elle a traité Louise comme une vraie servante. Elle a su que
par moi elle envoyait des lettres en secret: c'étaient des lettres à
mademoiselle Hoche; elle a fait croire au maître que c'étaient des
lettres pour vous.
HENRI. Il ne le croit plus; tout peut être éclairci. Va chercher Louise
et sa tante.
LA KORIGANE. J'y cours.
HENRI. Et puis tu tâcheras de trouver Saint-Gueltas; tu lui diras que je
l'attends et que sa femme est chez moi.
LA KORIGANE. Tu veux te battre avec lui?
HENRI. Je veux qu'il me rende compte de sa conduite envers elle.
LA KORIGANE. Henri de Sauvières, ne fais pas cela! on ne tue pas
Saint-Gueltas, c'est lui qui tue les autres.
HENRI. C'est-à-dire que tu ne veux pas qu'il s'expose à être tué par
moi?
LA KORIGANE, qui est sur le seuil de la rue. Je ne crains pas ça!
Saint-Gueltas ne mourra que quand il sera las de vivre. D'ailleurs, il a
plus d'hommes que toi; ne lui cherche pas querelle, fais sauver Louise
bien vite et ne dis rien... Mais... qui vient là? Louise elle-même?
Allons! c'est sa destinée! fais ce que tu voudras; moi, je vais guetter
pour dérouter Saint-Gueltas, s'il vient par ici.
HENRI. Au contraire, dis-lui que je l'attends de pied ferme! (La
Korigane sort par la cuisine, Henri va ouvrir la porte de l'escalier;
entrent Louise et sa tante, déguisées en Bretonnes.)

SCÈNE X.--HENRI, LOUISE, ROXANE, puis SAINT-GUELTAS.

HENRI. Entrez, et ne craignez rien. (Louise, pâle et tremblante, lui
tend la main sans rien dire.)
ROXANE. Nous ne craignons rien de toi, puisque nous venons te trouver.
Nous voilà comme Coriolan chez les... Je ne me souviens, plus, ça ne
fait rien!
LOUISE. Nous venons d'apprendre que vous étiez ici, nous n'avons pas
réfléchi, nous sommes accourues.
HENRI, leur serrant les mains. Vous avez bien fait, allez! merci!
ROXANE, à Louise. Je te le disais bien, que ce vaurien-là serait content
de nous voir. Ah ça! misérable jacobin, tu ne m'embrasses donc pas?
HENRI, (l'embrassant.) Ah! de tout mon coeur, chère tante; mais parlons
vite, il le faut. Est-ce vrai, tout ce que m'a dit la Korigane?
ROXANE. La Korigane? tu l'as vue?
HENRI. Elle sort d'ici.
ROXANE. Je pensais qu'elle nous avait abandonnées ou trahies. Que
t'a-t-elle dit?
HENRI. J'ose à peine le répéter devant Louise.
LOUISE. Si elle a accusé M. de la Rochebrûlée, elle a eu tort. Je quitte
sa maison parce que, le voyant lancé dans une expédition périlleuse et
décisive, que du reste je n'approuve pas, je serais pour lui une
préoccupation et un danger de plus. Quand les chefs d'insurrection
quittent leurs demeures, on les brûle, et les femmes deviennent ce
qu'elles peuvent. J'ai demandé asile à Marie pour quelques jours. De là,
je compte, avec sa protection, gagner l'Angleterre, où M. de la
Rochebrûlée viendra me rejoindre, si, comme je le crois, l'expédition
échoue par la trahison des Anglais.
HENRI. Ainsi c'est avec l'agrément de Saint-Gueltas que vous venez
toutes seules vous jeter dans un pays occupé par nous sur le pied de
guerre, au risque de n'y pas rencontrer un ami pour vous préserver?
Votre explication manque de vraisemblance, ma chère Louise, d'autant
plus que vous n'êtes pas femme à abandonner l'homme dont vous portez le
nom, à la veille de si grands événements, dans la seule crainte d'en
partager les malheurs et les dangers. Vous avez une autre raison;
quelqu'un vous chasse de chez vous, et votre mari repousse votre
dévouement.
LOUISE. Ne croyez pas...
ROXANE. Louise, c'est trop de considération pour un scélérat. Je dirai
la vérité, moi!... Je veux la dire!...
LOUISE. Ma tante, vous m'aviez juré...
ROXANE. Tant pis! j'aime mieux me parjurer, j'aime mieux mourir que de
rentrer dans cet affreux donjon où nous avons souffert tout ce que l'on
peut souffrir. Henri, tu as deviné juste, oui, si c'est là ce que t'a
dit la Korigane, elle t'a dit la pure vérité; cette fille nous est
dévouée, et elle n'est pas menteuse. On nous a humiliées, opprimées,
Saint-Gueltas l'a souffert sous prétexte d'une jalousie feinte; il nous
a laissées sous la garde de madame de Roseray et de quelques bandits
prêts à tout pour lui plaire. Notre vie, notre honneur même, étaient
menacés. Si la Korigane te l'a caché, elle n'a pas tout dit. Donne-nous
un sauf-conduit, une escorte, un moyen quelconque de gagner Vannes ou
l'Angleterre. Nous ne pouvons pas nous réfugier à Quiberon, le marquis
nous y reprendrait. Louise ne veut pas demander au commandant de
l'escadre anglaise les moyens de fuir. Ce serait accuser ouvertement son
mari et le dépouiller des honneurs qu'il ambitionne. La République seule
peut nous sauver, nous nous jetons dans ses bras. Si c'est une honte
pour nous, que le péché retombe sur la tête de l'indigne, qui nous y
force!
SAINT-GUELTAS, sortant d'un lit breton enfoncé, dans la boiserie comme
un tiroir et fermé d'une planche à jour. Merci, mademoiselle de
Sauvières! Voilà qui est bien parlé! Votre douce voix m'a réveillé d'un
profond sommeil que la peine de courir après vous m'avait rendu fort
nécessaire. Je demande pardon au colonel de m'être ainsi introduit dans
son logement pour m'y reposer en sûreté comme chez un ami; j'ai eu la
meilleure idée du monde, puisque je m'y trouve à point pour répondre à
votre éloquent plaidoyer contre moi. (Roxane et Louise se sont
instinctivement réfugiées derrière Henri. Saint-Gueltas éclate de rire.)
En vérité, monsieur le comte, ces dames vous font jouer, bien malgré
vous, je le sais, un rôle très-comique! Vous voilà constitué vengeur de
l'innocence à bien bon marché!
HENRI. Je ne sais qui joue ici un rôle de comédie, monsieur. Si vous
avez entendu ce qui s'est dit, vous savez que madame de la Rochebrûlée,
loin de vous trahir, vous défend; mais deux autres personnes, dont l'une
est digne de mon respect, vous accusent, et je vous soupçonne
sérieusement d'avoir manqué à vos devoirs envers ma parente. Je suis
l'unique appui qui lui reste, et, qu'elle l'accepte ou non, je jure
qu'elle l'aura... Justifiez-vous, ou rendez-moi raison de votre
conduite.
LOUISE, à Saint-Gueltas. Ne répondez pas, monsieur, c'est à moi de
parler. Je n'ai aucun reproche à vous faire ici. Je le déclare devant
mon cousin, et, tout en le remerciant de l'intérêt qu'il m'accorde, je
le prie de ne pas m'offrir une protection que je dois recevoir de vous
seul.
SAINT-GUELTAS. En d'autres termes, ma chère amie, vous l'engagez à ne
pas s'immiscer dans nos petites querelles de ménage? Vous avez raison.
Moi, je lui pardonne de tout mon coeur ce mouvement irréfléchi, mais
généreux. C'est un noble caractère que le sien! Nous nous connaissons
depuis ce matin, et j'aurais grand regret de l'offenser. Dites-lui donc
qu'après un accès de jalousie mal fondée, vous reconnaissez votre
injustice et rentrez volontairement sous le toit conjugal.
LOUISE, pâle et près de défaillir. Oui, mon cousin, je confirme ce que
M. de la Rochebrûlée vient de vous dire.
ROXANE. Alors, j'en ai menti, moi! Ne la crois pas. Henri! (Montrant
Saint-Gueltas avec effroi.) Préserve-nous de sa vengeance; nous sommes
perdues, si nous retournons chez lui!
SAINT-GUELTAS, moqueur. Si telle est votre pensée, ma belle dame, il me
semble que vous voilà sous l'égide de la République et que rien ne vous
force à suivre votre nièce... Quant à moi, je la reconduis chez elle, et
je la prie de vouloir bien accepter mon bras.
HENRI. Un instant, monsieur! Je vois ma tante sérieusement effrayée et
Louise près de s'évanouir. Est-ce bien chez elle que ma cousine va
rentrer?
SAINT-GUELTAS, tressaillant. Que voulez-vous dire, monsieur?
HENRI. Je veux dire qu'une femme n'est plus chez elle quand une rivale y
a plus d'autorité qu'elle-même. Je n'ai pas le droit, je le reconnais,
de juger le plus ou moins d'affection sincère que vous portez à votre
compagne; mais j'ai le droit de juger un fait extérieur et frappant. Si
une étrangère règne dans sa maison, elle n'a plus de maison. La loi juge
ainsi cette situation et donne gain de cause à l'épouse dépouillée de sa
légitime dignité. Vous vous placez, par la guerre que vous faites à
votre pays, en dehors de la loi, et Louise ne pourrait l'invoquer. C'est
à moi de la remplacer auprès d'elle, et je vous somme de me dire si vous
comptez faire sortir de chez vous madame...
SAINT-GUELTAS. Ne nommez personne, monsieur, car celle que l'on calomnie
est aussi votre parente. Elle ne sortira pas de chez moi, elle en est
sortie. En apprenant la fuite de ces dames, pour ne pas voir recommencer
pareille folie, j'ai envoyé un exprès à la Rochebrûlée. (A Louise.) Vous
ne l'y retrouverez pas, je vous en donne ma parole d'honneur... que vous
seule avez le droit de me demander! Êtes-vous satisfaite?
LOUISE. Oui, monsieur; partons!
HENRI. Louise, vous me jurez, à moi, que vous ne doutez pas de la parole
qui vous est donnée?
SAINT-GUELTAS. Diable! vous êtes obstiné, monsieur de Sauvières! Vous
abusez de la reconnaissance que je dois à vos bons procédés.
LOUISE, vivement. J'ai confiance, Henri, je vous le jure! (A Roxane.)
Adieu, ma tante!
ROXANE. Tu crois que je vais te laisser seule avec ce perfide? Non, je
mourrai avec toi!
SAINT-GUELTAS, riant. Très-bien! dévouement sublime!--Adieu, monsieur le
comte, sans rancune!
LOUISE, émue. Adieu, Henri!

SCÈNE XI.--Les Mêmes, CADIO, qui paraît au moment où Saint-Gueltas ouvre
la porte.

CADIO, (le sabre à la main.) Pardon! vous êtes prisonnier, monsieur!
SAINT-GUELTAS, méprisant. Allons donc! quelle plaisanterie!
CADIO. N'essayez pas de résister, les précautions sont prises.
Rendez-vous!
HENRI, arrêtant Saint-Gueltas, qui a porté la main à ses pistolets.
Laissez, monsieur, ceci me regarde. (A Cadio sur le seuil, devant les
militaires qui occupent la cuisine.) Il y a entre ce chef et moi des
conventions qui suspendent les hostilités quant à ce qui le concerne
personnellement. Laissez-le se retirer librement.
CADIO, à Saint-Gueltas, avec une spontanéité de soumission militaire.
Passez. (A Roxane.) Passez aussi.
SAINT-GUELTAS, le voyant arrêter Louise. Madame est ma femme!
CADIO. Non.
SAINT-GUELTAS, repassant la porte qu'il a déjà franchie. Comment, non?
Est-ce que vous êtes fou?
CADIO. Fermez cette porte, et je vais vous répondre.
SAINT-GUELTAS, refermant derrière lui. Voyons!
CADIO. Cette femme n'est pas la vôtre; elle est la mienne.
HENRI. Que dis-tu là, Cadio? c'est absurde!
SAINT-GUELTAS, très-surpris. Cadio?... (Louise et Roxane reculent,
étonnées et inquiètes.)
CADIO à Saint-Gueltas. Oui, Cadio que vous avez fait assassiner, et qui
est là, devant vous, comme un spectre, pour vous accuser et pour vous
dire: Vous n'emmènerez pas cette femme. Il ne me plaît pas qu'elle suive
davantage son amant.
HENRI. Son amant?
LOUISE. Ne m'outragez pas, Cadio! Je vous croyais mort quand un prêtre a
béni mon mariage avec monsieur...
CADIO. Je le sais; mais ce mariage-là ne compte pas sans l'autre, et
l'autre n'est pas détruit par celui-là. Votre seul mari, c'est moi,
Louise de Sauvières, et il ne me convient pas, je le répète, de vous
laisser vivre avec un amant!
SAINT-GUELTAS, ironique. Si cela est, il est temps de vous en aviser,
monsieur Cadio!
CADIO. Il n'y a pas de temps perdu. Il n'y a pas une heure que je sais
la validité de mon mariage avec elle. (Il rouvre la porte et fait un
signe. Rebec paraît.) Venez ici, vous, avancez! (Rebec entre, un peu
troublé; Cadio referme la porte.) Parlez! qu'est-ce que vous venez de me
dire?
ROXANE. Ah! c'est lui?... Qu'est-ce qu'il dit, qu'est-ce qu'il prétend,
ce coquin-là?
REBEC, reprenant de l'assurance. J'ai dit la vérité. Le mariage est
légal, les actes sont en règle, et les vrais noms des parties
contractantes y sont inscrits.
CADIO. Montrez la copie.
REBEC, la remettant à Henri. Ce n'est qu'une copie sur papier libre;
mais on peut la confronter avec la feuille du registre de la commune
dont j'étais l'officier municipal.
ROXANE. Mais cette feuille a été déchirée!
REBEC. Elle ne l'a pas été.
ROXANE. C'est une infamie! Alors, moi...?
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