Cadio - 20

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SAINT-GUELTAS. Et à présent?
LA KORIGANE. Je me repens de tout.
SAINT-GUELTAS. Ah! bon! Alors, tu connais le repentir, toi?
LA KORIGANE. Et toi, maître?...
SAINT-GUELTAS. Moi? Je n'ai pas lieu de le connaître. Je n'ai rien fait
que ma conscience ne m'ait permis de faire, et je te croyais encore plus
forte que moi de ce côté-là! Tu ne l'es pas? tu as peur de l'enfer? Tu
n'es qu'une femme comme les autres, et tu perds ton prestige. Tu ne peux
rien contre moi, rien pour moi; va-t'en, je te méprise!
LA KORIGANE. Ça, c'est la plus méchante parole que tu m'aies dite.
J'aimerais mieux la mort que ce mot-là, car c'est par l'orgueil que tu
m'as toujours menée! Eh bien, écoute, je peux encore te servir à quelque
chose. J'ai entendu ce que tu disais tout à l'heure ici; je sais tes
peines et tes colères. Veux-tu te débarrasser des deux hommes qui te
rabaissent et te persécutent? Ils sont là, tout près d'ici, oui, l'abbé
Sapience et M. de Puisaye. Ils sont seuls, personne ne les garde. On ne
soupçonnera ici personne. On croira qu'ils sont tombés à la mer. L'abbé
est faible comme une mouche, je me charge de lui. L'autre n'a pas la
moitié de ta force... L'endroit est désert. Demain, on aura besoin d'un
chef, ou sera content de te trouver, et celui qui te menace de faire
reparaître la morte ne parlera plus! M'entends-tu? faut-il te conduire?
Je peux t'aider encore, tu le vois bien!
SAINT-GUELTAS. Où sont-ils?
LA KORIGANE. Suis-moi! (Ils montent sur un rocher escarpé. La Korigane
montre un petit canot qui côtoie la rive.) Les voilà tous deux, ils
viennent de faire une reconnaissance. Ils n'ont qu'un batelier. Ils vont
aborder là-bas entre ces deux grosses pierres. Le batelier, qui est un
pêcheur de la côte, rentrera chez lui. Eux, ils traverseront ce champ
désert que tu vois là-bas, pour prendre le chemin du fort.
Surprends-les, et reviens ici; tu prendras le bateau, et je te ferai
débarquer sur un autre point de la presqu'île ou à la côte, si tu veux.
SAINT-GUELTAS, égaré. Je t'ai écoutée, et je veux te donner cette
dernière satisfaction d'apprendre que tu m'as tenté; cela te réhabilite
un peu. Tu es bien le diable, je te reconnais, à présent; mais le diable
donne de mauvais conseils quand il a été trop écouté. Il faut savoir se
délivrer de lui à temps, et... (Levant sur elle la crosse de son
pistolet.) voilà qui te prouve que je suis plus fort que le diable!
LA KORIGANE, lui arrêtant le bras. Maître, je sais qu'il faut que je
m'en aille! Tu as assez de moi, j'en ai assez aussi! Ne verse pas mon
sang,... il ne faut pas tuer qui vous aime,--on en meurt! Laisse-moi me
condamner toute seule, tu pourras penser à moi et m'estimer encore.
D'ailleurs, c'est par l'eau que je dois périr, puisque j'ai fait périr
par l'eau l'enfant innocent! Adieu! maître!--Ah!...Cadio! voilà ce que
tu m'avais prédit!... (Elle croise ses bras sur sa poitrine et s'élance
dans la mer qui bat le pied du rocher.)
SAINT-GUELTAS, la regardant disparaître. J'eusse mieux fait de
l'écouter! J'aurais sauvé l'expédition, moi! Mon scrupule perd la
royauté et rend ma vie inutile! (Il arme son pistolet pour se brûler la
cervelle; puis, après un moment d'hésitation.) Non! il me faut une
glorieuse mort!


DIXIÈME PARTIE
25 juillet 1795, entre Quiberon et Auray.--Un chemin de sable enfoncé
dans les ravines et bordé de place en place par de maigres buissons.--Un
convoi de prisonniers monte lentement un roidillon. Des soldats
républicains l'escortent à pied et à cheval.--On est arrivé en haut de
la cote. On laisse souffler les chevaux.

SCÈNE PREMIÈRE.--RABOISSON, MOTUS, LA TESSONNIÈRE, puis CADIO.

RABOISSON, (sur une charrette.) Soldats, nous sommes cruellement
entassés ici. Pourquoi nous faire souffrir inutilement?
MOTUS. Ça n'est pas notre faute, citoyen prisonnier; on n'a pas les
moyens de transport qu'il faudrait.
RABOISSON. Laissez marcher ceux de nous qui ne sont pas blessés.
MOTUS. Parle à l'officier, citoyen prisonnier: le voilà.
RABOISSON, à Cadio, qui s'est approché. D'abord, monsieur l'officier,
nous ne sommes pas prisonniers à la rigueur, puisque nous nous sommes
rendus par capitulation.
CADIO. Je crois que vous vous trompez, mais ce n'est pas à moi de
prononcer en pareille matière.
RABOISSON. C'est juste. Alors, nous avons recours à votre humanité;
laissez-nous marcher.
CADIO. Oui, à la prochaine côte.
RABOISSON. Merci, capitaine!
CADIO, aux conducteurs. En avant, allons! (Les charrettes prennent une
allure un peu plus décidée, les soldats reforment leurs rangs. Motus
reste en arrière pour visiter le pied engravé de son cheval. Cadio
revient sur ses pas pour l'appeler.) Voyons, dépêche-toi! Il ne faut pas
rester seul en arrière la nuit.
MOTUS. Ne crains rien, mon capitaine; j'ai un oeil derrière la tête...
et, avec ta permission, je vois très-bien quelque chose de noir couché
dans ce buisson.
CADIO, allant au buisson, le pistolet en main. Un homme?--Que
faites-vous là? Vous ne répondez pas? Je fais feu sur vous.
LA TESSONNIÈRE, tapi sous le buisson. Tiens! c'est toi? Si j'avais
su!... Cadio, mon garçon, fais-moi sauver. J'étais sur cette dernière
charrette qui s'en va; pendant que Raboisson te parlait pour distraire
ton attention, je me suis laissé glisser au risque de me faire grand
mal! Grâce à Dieu, je n'ai rien: aide-moi à sortir de là; c'est ça,
donne-moi la main. Merci! Indique-moi le chemin, à présent; je voudrais
retourner à mon domicile.
MOTUS, riant. Eh bien, en v'la un qui ne se gêne pas, par exemple!
LA TESSONNIÈRE. Mon cher, je ne vous parle pas, à vous; faites-moi
l'amitié de vous taire quand je m'adresse à votre supérieur!
MOTUS. Citoyen vieillard, tu as raison; je ne dis plus rien.
CADIO. Que faisiez-vous à Quiberon?
LA TESSONNIÈRE. Oh! bien sûr, je ne m'y battais pas. Ce n'est pas de mon
âge; d'ailleurs, je n'aime pas les Anglais; mais je n'avais pas d'autre
moyen pour émigrer que de m'adresser à eux.
CADIO. Avant d'aller à Quiberon, vous étiez chez Saint-Gueltas?
LA TESSONNIÈRE. Depuis longtemps je l'avais quitté. C'est un homme mal
élevé et difficile à vivre. J'étais tranquille à Ancenis; mais je
m'ennuyais, et j'avais besoin d'aller dans le Midi pour ma santé. Une
fois en Angleterre, j'aurais gagné l'Espagne. Les émigrés m'ont très-mal
reçu au fort Penthièvre. Ces gens-là n'ont ni coeur ni raison.
J'essayais de me retirer tranquillement quand vous m'avez fait
prisonnier par mégarde. Tiens, prête-moi ton cheval et dis-moi la route
d'Ancenis.
CADIO, à Motus en levant les épaules. Partons! (Ils s'éloignent an
galop.)
MOTUS, quand ils ont rejoint la queue du convoi et se remettent au pas.
Pardonne-moi, mon capitaine, et permets-moi, sans t'offenser, de rire
comme un bossu à cause de ce particulier...
CADIO. Tais-toi, mon ami. Il ne faut pas nous vanter de ce moment
d'indulgence. Ce vieillard est idiot à force d'égoïsme. Il ne
m'intéresse pas; mais il ne peut faire aucun mal, et j'aime mieux fermer
les yeux sur son évasion que d'avoir à le faire fusiller.
MOTUS. Sans te questionner, mon capitaine, crois-tu que les autres...?
CADIO. Je n'en sais rien. Es-tu sûr que Saint-Gueltas soit sur la
première charrette?
MOTUS. On me l'a dit, mon capitaine. Pas plus que toi je n'étais présent
à l'emballage.
CADIO. Avançons! Je n'ai pas envie que celui-là s'échappe.
MOTUS. Mon capitaine, permets une réflexion. Il a racheté sa lâcheté de
Carnac. Il s'est battu comme un lion sur la presqu'île; acculé à la mer,
il pouvait se sauver en s'y jetant. Il n'a pas voulu. Moi, j'aurais
souhaité être à portée de le sabrer; mais, à présent qu'il est là sur la
brouette, je ne lui en veux plus. Et toi, mon capitaine? (Cadio, sans
lui répondre, reprend le galop et gagna la tête du convoi.)

SCÈNE II.--SAINT-GUELTAS, RABOISSON, puis CADIO. (À deux lieues de là,
dans un bois.--Les officiers commandent la halte. Les prisonniers
descendent et se groupent au centre du détachement, qui a rompu les
rangs.)

SAINT-GUELTAS, (à Raboisson, bas.) Notre convoi est de mille, et
personne n'est blessé gravement. Nos gardiens ne sont pas plus de deux
cents ici.Nous allons rester deux heures dans ce bois... et la nuit est
sombre! Est-ce qu'il ne te semble pas que c'est une invitation à fuir?
RABOISSON. Pourquoi fuirions-nous? Nous sommes prisonniers sur parole;
c'est la preuve de la capitulation.
SAINT-GUELTAS. L'absence de surveillance est la preuve du contraire. On
sait que nous allons à la mort. M. Hoche, qui veut ménager tout le monde
a dû ordonner qu'on nous laissât accrochés aux buissons de la route.
RABOISSON. M. Hoche a l'âme trop haute pour employer de pareils
subterfuges. Il a juré à Sombreuil...
SAINT-GUELTAS. Il n'a rien juré. J'y étais!
RABOISSON. J'y étais aussi, ce me semble! Sombreuil nous a dit...
SAINT-GUELTAS. Sombreuil a perdu la tête! C'est un héros, mais c'est un
fou! Après avoir parlé à Hoche, il a voulu se jeter à la mer. Son cheval
a résisté. S'il eût traité avec le général, il n'eût pas cherché à fuir
ou à se tuer.
RABOISSON. Mais j'ai entendu les soldats crier: «Rendez-vous! on vous
fait grâce!»
SAINT-GUELTAS. D'autres nous disaient: «Sauvez-vous!» ce qui signifiait:
«Vous serez tués, si vous restez.» D'ailleurs, les soldats peuvent-ils
traiter avec les vaincus? Il y a eu là-bas, sur cette pointe de rocher,
un drame inénarrable, une confusion indescriptible. Les mêmes soldats
qui nous criaient de fuir tiraient sur ceux de nous qui étaient déjà à
la mer. J'étais calme, je voyais tout. Croyant mourir là, je ménageais
mes coups, tous portaient. Je sentais que j'étais le seul maître de moi,
le seul qui, n'ayant pas eu d'illusions sur cette dernière lutte,
pouvait la contempler sans rage et sans terreur. Sais-tu à combien
d'hommes nous avons cédé, nous qui étions encore trois mille cinq cents?
A sept cents fantassins que nous pouvions écraser. Nous avions tous le
vertige, ils l'avaient aussi. Tiens! j'ai senti là pour la première
fois, en voyant des Français s'égorger sous la mitraille de l'escadre
anglaise, que la guerre civile dépasse son but quand elle appelle
l'étranger. J'ai rougi du rôle qu'on nous faisait jouer. J'ai eu horreur
de la rage avec laquelle nos compagnons se tuaient les uns les autres
pour rejoindre les barques et y trouver place. Je pouvais fuir aussi, je
n'ai pas voulu, non pas tant par scrupule que par amour-propre. À
présent, je regrette d'avoir cédé à cette mauvaise honte. Ces patriotes
un instant désarmés vont nous livrer à un tribunal militaire qui ne peut
nous faire grâce, et, moi, je n'ai pas ratifié la parole que vous avez
formellement donnée de ne pas chercher à vous échapper.
RABOISSON. Essaye donc, si le coeur t'en dit; moi, j'ai juré de bonne
foi: je reste. Songe seulement que ta fuite nous expose tous au reproche
d'avoir manqué à notre serment, et qu'elle autorise contre nous toutes
les rigueurs de la vengeance.
SAINT-GUELTAS. En ce cas, je reste aussi. Pourtant... ce pays est
royaliste... Les bleus sont imprudents de nous transporter ainsi la
nuit. Si les paysans qui n'ont pas encore donné le voulaient,... te
refuserais-tu à être délivré?
RABOISSON. Non! s'ils s'exposaient pour notre délivrance, nous ne
pourrions nous refuser à les seconder.
SAINT-GUELTAS. Eh bien, attendons... Je ne puis croire que, sur cette
terre de Bretagne, il ne se trouve pas autour de nous quelques centaines
d'hommes qui veillent sur nous. Ce matin, à Carnac, on nous apportait
des fruits et des fleurs. Les femmes pleuraient en nous montrant à leurs
enfants comme des demi-dieux... Écoute!... il me semble que j'entends le
cri de la chouette... Sont-ce des ombres que je vois là-bas ramper sous
les arbres?
CADIO, qui l'écoute. Vous ne voyez rien, monsieur. Moi aussi, j'ai
l'oeil ouvert, et le cri qui résonne dans le bois, c'est réellement
l'oiseau de la nuit qui chante. Nous ne sommes pas imprudents de vous
escorter en si petit nombre. Nous savons que les paysans ne se lèvent
pas d'eux-mêmes pour la guerre civile, et qu'en perdant leurs chefs, ils
recouvrent l'amour du repos et de la sécurité. Notre indulgence pour
votre malheur n'est pas une défaillance de notre patriotisme. N'essayez
pas de fuir. Personne parmi nous ne fait semblant d'oublier son devoir.
SAINT-GUELTAS. Monsieur Cadio, je suis charmé de vous voir pour vous
dire...
CADIO. Que les chouans vous ont empêché de vous battre avec moi? Je le
sais, et je vous plains d'avoir eu pour amis les ennemis de votre
honneur.
SAINT-GUELTAS. Si vous étiez aussi héroïque que vous vous piquez de
l'être, vous feriez en sorte que je pusse vider ici avec vous cette
affaire d'honneur.
CADIO. Croyez qu'il en coûte à ma haine de ne plus pouvoir châtier
moi-même l'outrage que vous m'avez infligé. Je fais des voeux pour qu'on
vous rende la liberté; mais mon devoir m'est plus cher que ma vengeance.
Vous appartenez à la République; je ne puis rien ici ni pour vous ni
pour moi.


ONZIÈME PARTIE
À Auray, 10 août 1795.--Quatre heures du matin.--Devant la maison
d'arrêt.

SCÈNE PREMIÈRE.--CADIO, MOTUS.

MOTUS. Mon capitaine, c'est jour de marché. On va encore leur apporter
un tas de douceurs; faut-il permettre?...
CADIO. Il faut respecter les témoignages d'amitié; les sentiments sont
libres. Quant aux prisonniers, notre consigne n'est pas de les priver et
de les faire souffrir.
MOTUS. J'adhère à ton opinion, mon capitaine. C'est bien assez d'avoir à
supprimer tous les jours leur existence... De neuf cent cinquante-deux,
ils ne sont plus que trois cents à condamner.
CADIO. Pas de réflexion là-dessus!
MOTUS. Mon capitaine, si je t'offense,... tu sais bien que pour toi...
Enfin suffit! Si tu me disais que j'ai outre-passé les lignes du respect
que je te dois je me passerais mon sabre à travers le corps; mais
quelquefois tu me permets, quand on n'est pas sous les armes, de te
parler comme à un simple citoyen, et pour lors...
CADIO. Oui, en dehors du service, tu es mon égal et mon ami. Eh bien,
que veux-tu dire?
MOTUS. Que la corvée d'escorter cette denrée de cimetière est
contrariante aux coeurs sensibles, et qu'il y en a encore au moins pour
une quinzaine de jours! On fera ce qui est commandé, mais je peux bien
verser dans ton sein le déplaisir que j'en éprouve. Si j'étais blessé,
tu me soignerais de tes propres mains, comme tu l'as fait plus d'une
fois. Dès lors que mon âme saigne, tu peux m'assister d'un pansement
moral dont le besoin se fait sentir.
CADIO. Oui; écoute... Je fais partie, sous peine d'être fusillé dans les
vingt-quatre heures, du conseil de guerre qui prononce sur le sort des
prisonniers, et pour tous les chefs je prononce la mort. Crois-tu que
j'agisse ainsi pour plaire au général Lemoine, et que la crainte d'être
fusillé m'eût empêché de refuser le métier de juge, s'il eût révolté ma
conscience?
MOTUS. Non, certes, mon capitaine. J'entends la chose; tu penses que la
mort est juste.
CADIO. Oui, tant que la moitié du genre humain sera résolue à égorger
l'autre pour la réduire en esclavage, il faut frapper ceux qui servent
la cause du mal. Ils nous ont prouvé qu'ils n'avaient pas de parole, et
que le pardon était un crime envers la patrie.
MOTUS. Je ne dis plus rien, mon capitaine: la conscience d'un simple
troupier doit porter les armes à celle de son supérieur... Mais voici,
une vieille citoyenne qui veut te parler, et dont le physique ne m'est
pas inconnu, sans que je puisse dire... J'en ai tant vu!
CADIO. Je la connais, moi; laisse-nous.

SCÈNE II--CADIO, LA MÈRE CORNY.

LA MÈRE CORNY. Bonnes gens, c'est-il bien vous?... c'est-il bien toi,
Cadio? Je te savais ici, je te cherchais... Mais te voilà si changé...
CADIO. C'est moi. Comment va-t-on chez vous, mère Corny?
LA MÈRE CORNY. Hélas! mon fils, pas trop bien. Ceux qui restent sont
guéris; mais mon pauvre cher homme, ma bru, deux de nos petits-enfants
et quasi tous nos voisins sont morts, l'an passé, de la malefièvre!
CADIO. Tant pis, mère Corny, j'en ai du regret... Mais comment donc
venez-vous de si loin?...
LA MÈRE CORNY. Je suis venue pour voir les dames,... tu sais bien, la
Françoise et la Marie-Jeanne! Elles m'avaient fait savoir que je
pourrais les trouver à Vannes. J'en viens, mais elles sont ici, que l'on
m'a dit...
CADIO. Elles y étaient, elles n'y sont plus.
LA MÈRE CORNY. C'est-il bien sûr? Je m'imaginais qu'elles pourraient
bien être dans cette prison-là avec les autres malheureux...
CADIO. Elles n'y ont jamais été. Il n'y a pas là une seule femme. Tes
brigandes sont libres. Tu les retrouveras à Vannes.
LA MÈRE CORNY. Ah! bon Jésus! faut donc que j'y retourne? Me v'là au
bout de mes jambes et de mon argent!
CADIO. Est-ce que je peux vous épargner le voyage? J'écrirais ce que
vous voulez leur dire, et j'enverrais un exprès.
LA MÈRE CORNY. Dame! ça n'est pas de refus... à moins que... C'est un
gros secret, Cadio!
CADIO. Si c'est quelque chose contre la République, ne me le dites pas,
je serais forcé...
LA MÈRE CORNY. Non, non! ça n'est rien comme ça. Dis-moi, Cadio, je me
fie à ta vérité, à toi. Tu as toujours été si honnête et si juste!
Réponds-moi en franchise: étais-tu content ou fâché d'avoir consenti une
manière de mariage avec...?
CADIO. Ce mariage-là, mère Corny, a fait le malheur de ma vie!
LA MÈRE CORNY. Bien, bien!--Alors... voilà ce que c'est. Quand le
citoyen Rebec a quitté notre paroisse par la peur qu'il a eue des
menaces du délégué, encore que les bleus nous aient laissés tranquilles,
mon pauvre homme a été nommé municipal, et bien étonné qu'il a été quand
il a retrouvé au registre de l'état-civil les deux feuilles que Rebec
avait promis de déchirer.
CADIO. Je sais par lui qu'elles y sont encore.
LA MÈRE CORNY. Et ça te contrarie?
CADIO. Je voudrais qu'elles n'y eussent jamais été!
LA MÈRE CORNY. Elles n'y sont plus, les v'là.
CADIO, ému, regardant les papiers. Ah! vraiment? vous me les rendez?
LA MÈRE CORNY. Pour que tu les rendes à mes pauvres brigandes, qui les
brûleront d'accord avec toi.
CADIO. Elles sont averties?
LA MÈRE CORNY. Nenni! elles ne savent rien, sinon que je voulais les
voir.
CADIO. C'est donc votre mari qui a soustrait...?
LA MÈRE CORNY. Non! il n'eût point osé! après sa mort, on a nommé un
ancien royaliste à sa place; j'ai dit au nouveau maire en causant:
«Faudrait enlever ça, c'était promis!» Il n'a pas eu peur, lui! Il
croyait que la République allait nommer un roi. On le croyait tous,
bonnes gens, après la paix de Nantes! Mais v'là que ça ne va plus si
bien, puisque vous fusillez tous les royalistes! Tant qu'à ces feuilles,
je te les donne. Tu les remettras fidèlement, pas vrai?
CADIO. Je m'y engage, vous pouvez retournez chez vous. Pour mon compte,
je vous remercie. En quoi puis-je vous obliger?
LA MÈRE CORNY. Tu peux m'obliger grandement. J'ai un de mes gars, le
plus jeune, qui est soldat dans ton régiment, et qui est enragé, voyez
un peu! de se battre avec vous autres. Prends-le auprès de toi quand on
ira au feu, empêche-le d'y aller!
CADIO. Voilà ce que je ne peux pas vous promettre; mais je peux lui
faire avoir de l'avancement, s'il le mérite, et, en tout cas, lui
témoigner de l'intérêt. Dites-moi le nom de son bataillon.
LA MÈRE CORNY, lui donnant un autre papier. Tiens, c'est là, en écrit.
En te remerciant, Cadio; mais je vois venir Rebec. Je n'ai pas de fiance
en lui, et je me sauve: ne lui dis pas...
CADIO. Soyez tranquille, je le connais!

SCÈNE III.--CADIO, REBEC.

CADIO. Pourquoi es-tu ici? Tu m'avais promis de ne pas quitter Carnac
tant qu'il y aurait des malades et des blessés dans ton auberge?
REBEC. Un mot en secret, capitaine!
CADIO. Je t'écoute.
REBEC. Nos braves blessés vont bien, on les soigne au mieux, et bientôt
ils pourront rejoindre. Il s'agit d'une affaire... assez importante;...
mais je voudrais connaître ta façon de penser.
CADIO. Pas de préambule, je n'ai pas le temps de faire la conversation;
dis tout de suite.
REBEC. Permets, permets! Tu es toujours chargé, pour ta part, de la
garde des prisonniers et de la noble fonction de faire expédier ces
infâmes?
CADIO. Tu le sais fort bien, mais abstiens-toi des qualifications; nul
n'a le droit d'insulter les condamnés.
REBEC. Bien, capitaine, bien! vous parlez noblement... Cependant... tu
tiens à ce que tous y passent?
CADIO. Je tiens à faire mon devoir.
REBEC. Il est rude, conviens-en.
CADIO. Cela ne te regarde pas.
REBEC. Si fait. Tout citoyen éprouvé comme je le suis a le droit de
penser.
CADIO. Ne fais pas sonner si haut ta fidélité, toi qui avais des armes
et des munitions anglaises cachées dans ta maison!
REBEC. J'avais prévu qu'elles vous serviraient, et tu serais ingrat de
m'en faire un crime.
CADIO, souriant un peu. Le fait est qu'elles nous ont bien servi!
REBEC. Et puis j'ai racheté ma faute, si c'en est une, en soignant vos
blessés.
CADIO. Alors, que veux-tu? Finissons-en!
REBEC. Je disais... je disais que tous ces prisonniers ne sont pas
également coupables. Ceux qui étaient à Londres n'avaient pas ratifié le
traité de la Jaunaie.
CADIO. Ils sont solidaires des mensonges et des trahisons de leur parti.
REBEC, insinuant. Permets, permets! La preuve qu'ils ne s'entendaient
pas dans ce temps-là, c'est qu'ils n'ont pas pu s'entendre à Quiberon.
Je ne dis pas que la Convention puisse les absoudre; mais le général
Hoche... il est certain que, s'il le pouvait, il leur ferait grâce. Il
est parti bien vite, pour ne pas voir cette longue et sanglante
exécution. Il s'en lave les mains, et les vôtres sont condamnées à
verser froidement le sang des vaincus! C'est commode, conviens-en, de se
tirer comme ça des choses désagréables! On s'en va couronné des lauriers
de la victoire, adoré des populations,... et le rude militaire, l'homme
austère et résigné, comme voilà le général Lemoine... et toi-même, vous
restez chargés de la besogne du bourreau et de l'exécration des
royalistes passés, présents et à venir. L'exécution tire à sa fin, il
est temps. Vos soldats se lassent et s'attristent. Je les vois, je les
observe; ils ne rient ni ne chantent, et les cabarets, où, au
commencement, on venait, dit-on, pour s'étourdir et s'exalter, sont
muets et déserts aujourd'hui. Toi-même, capitaine Cadio, tu es pâle, tu
es malade, tu en meurs!
CADIO, troublé. N'importe, j'irai jusqu'au bout!
REBEC. Il paraît qu'ils meurent bien, ces malheureux?
CADIO. Ils n'ont que cela à faire pour se racheter de la honte.
REBEC. Alors, toi, tu es incorruptible?
CADIO, se redressant. Que signifie ce mot-là?
REBEC, embarrassé. J'ai voulu dire inflexible!
CADIO. Le mot t'a échappé, il m'éclaire! Tu me crois capable...
REBEC. Mon Dieu, mon Dieu! tu es homme comme un autre! Tu m'as écouté
quand je t'ai révélé la validité de ton mariage; tu as profité de mon
conseil pour faire valoir tes droits. Je t'ai rendu là un service que tu
ne dois pas oublier, Cadio!
CADIO. Tu as cru... Oui, je me souviens, à présent; tu as dû croire et
tu as cru que je spéculerais sur la situation comme toi, imbécile!...
REBEC, inquiet. Tu te fâches... Tu es mal disposé, je te quitte.
CADIO, le retenant. Non pas, tu es chargé de négocier la rançon de
quelque prisonnier, et tu as cru que je m'y prêterais. Tu vas te
confesser, ou bien...
REBEC, effrayé. Non, non! ne me traite pas en suspect... Diable! je n'ai
pas envie de m'exposer pour cette dame...
CADIO. Quelle dame? Réponds tout de suite!
REBEC. Je dirai tout, j'irai au-devant de tes soupçons. Je venais pour
te révéler un complot tendant à délivrer deux prisonniers condamnés à
mort dans la séance d'hier, Saint-Gueltas et Raboisson. J'avoue que le
dernier m'intéresse, mais...
CADIO. Quelle est la femme qui s'intéresse à Saint-Gueltas? Nomme-la, je
le veux!
REBEC. C'est celle que les insurgés appellent _la grand'comtesse_, c'est
la citoyenne de Roseray.
CADIO. Tu as reçu des offres?
REBEC. Je m'en suis laissé faire pour pénétrer cette infernale
machination. (Baissant la voix et observant Cadio.) Elle offrirait deux
cent mille francs...
CADIO. Voilà qui est bon à savoir.
REBEC. Il est bien entendu que tu n'es pas plus tenté que moi...
CADIO. Je ne le suis pas, mais tu l'es. Tu vas tout avouer, ou je
t'arrête.
REBEC. M'arrêter? Comme tu y vas!... Je révélerai tout ce que je sais.
Si Saint-Gueltas et Raboisson, qui sont ou seront avertis, peuvent, au
moment de l'exécution, se jeter dans la palude qui borde la prairie et
franchir le Loch à la nage, ils trouveront sur l'autre rive les moyens
de fuir.
CADIO. Tu ne sais rien de plus?
REBEC. Rien, je le jure!
CADIO, à deux soldats qui passent pour relever la garde. Mettez ce
citoyen aux arrêts.
REBEC. Tu m'empoignes quand même? Sacristi! c'est mal, cela, c'est
injuste!
CADIO. Si tu as dit la vérité, tu n'as rien à craindre, tu seras libre
dans deux heures.

SCÈNE IV.--CADIO, MOTUS, quelques Soldats. (Six heures du matin, même
jour.--Un bois qui descend en pente au bord de la rivière du Loch, à une
faible distance d'Auray.--En face est la prairie appelée aujourd'hui le
Champ des Martyrs[7]. C'est le lieu de l'exécution, encore désert.)
[Note 7: On a enclos cette prairie, et on y a élevé une chapelle
expiatoire sous la Restauration. On y va en pèlerinage, et il s'y fait
des miracles.]

CADIO, (postant ses hommes de distance en distance dans le taillis qui
borde le rivage.) Tenez-vous cachés et faites feu sur les prisonniers
qui tenteraient de s'évader par ici, à moins que la trompette ne vous
avertisse d'attendre. (À Motus.) Viens avec moi. (Ils montent un peu
plus haut dans le bois.)
MOTUS. D'ici, mon capitaine, nous verrons sans qu'on nous voie, et nous
distinguerons sans empêchement le lieu de l'exécution. La chose n'est
point gaie, quoi qu'on en dise; mais nous ne sommes point ici pour notre
plaisir.
CADIO. Non sans doute. Raboisson était un homme doux et railleur, ne
croyant pas au bien, mais n'aimant pas le mal.
MOTUS. Tu l'as connu quand tu servais, malgré toi, de trompette sur la
cornemuse, du temps de la guerre de Vendée?
CADIO. Oui, j'ai vu là plusieurs de ceux que je suis forcé de condamner
aujourd'hui.
MOTUS. Te souviens-tu, mon capitaine, du jour où je t'ai bandé les yeux
au château de Sauvières?...
CADIO. Oui certes, je m'en souviens, aujourd'hui surtout!
MOTUS. Et moi, ça me revient comme dans un rêve. On faisait semblant de
vouloir te fusiller.
CADIO. Et j'avais peur.
MOTUS. Oh! tout le monde a peur la première fois devant la gueule d'un
fusil; mais quand je pense que, sans l'humanité et la patience du
capitaine Ravaud, j'aurais fusillé comme espion l'homme le plus brave
que j'aie jamais connu?
CADIO. Je t'entends: nous fusillons là-bas des gens qui meurent mieux
que je n'aurais su mourir alors!
MOTUS. Sans t'offenser, mon capitaine, l'émigré Raboisson est un citoyen
poli que je regretterais d'abattre...
CADIO. Tu peux être tranquille là-dessus. Raboisson n'essayera pas de
fuir.
MOTUS. Alors, tant mieux. Le bandit Saint-Gueltas ne m'intéresse pas,
d'autant plus que tu lui en veux...
CADIO. A présent, non, s'il accepte son arrêt. La haine expire devant
les tombeaux. Silence! attention à ce qui se passe là-bas!
MOTUS, au bout d'un moment. Voilà le détachement. Pas un seul curieux
aujourd'hui. Ils se sont dégoûtés d'être écartés de la scène par la
prudence des camarades.
CADIO. La campagne est déserte là-bas. Les mesures d'évasion sont donc
concentrées par ici.
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