Cadio - 11

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LES MILITAIRES et LES INVITÉS. Vive le père Corny!
ROXANE. Oui, oui! allons manger des crêpes! (Bas, à Rebec.) Allons,
mauvais drôle, donne-moi le bras!
REBEC. Oui, aimable épouse; mais, essuyez donc votre rouge: ça va se
voir aux lumières, et ça donnera des soupçons... (Ils rentrent tous dans
la maison.)

SCÈNE III.--LOUISE, SAINT-GUELTAS, CADIO, qui se glisse derrière une
charrette pour les observer.

LOUISE, (que Saint-Gueltas retient.) Vous dites... de la part de mon père?
Parlez, parlez! nous sommes seuls.
SAINT-GUELTAS, soulevant son chapeau. Louise, c'est moi! votre père vous
attend.
LOUISE, étouffée par la joie. Ah! merci, merci! Il est vivant! mon Dieu,
merci! (Elle fond en larmes.)
SAINT-GUELTAS, la faisant asseoir. Il est à ses genoux. J'ai tenu ma
parole, je suis tombé mourant à ses côtés. Lui... je ne dois pas vous
cacher qu'il avait été blessé aussi.
LOUISE. Ah!, j'en étais sûre, qu'il ne pouvait pas m'écrire! Et vous?...
SAINT-GUELTAS. Je suis à peine guéri, mais j'aurai la force de vous
emmener et de vous protéger. Hâtons-nous, Louise.
LOUISE. Oui, oui!, mais... Hélas! non, pas avant demain soir! Le salut
des braves gens qui nous ont donné asile exige que je sois représentée à
un de ces misérables qui viennent nous relancer jusqu'ici.
SAINT-GUELTAS. Vous voulez attendre jusqu'à demain? Y songez-vous?
croyez-vous que je le souffrirai?
LOUISE. Puisqu'il le faut pour empêcher...
SAINT-GUELTAS. Pour empêcher M. Cadio d'être inquiété, n'est-ce pas? Ah!
Louise, quelle insigne folie que ce mariage!
LOUISE. On m'a dit...
SAINT-GUELTAS. On vous a trompée. Il ne vous préserverait pas de la
persécution et de la mort.
LOUISE. Eh bien, je dois braver cela plutôt que de perdre ces généreux
paysans...
SAINT-GUELTAS. Vous croyez que je vous laisserai au pouvoir d'un Cadio,
d'un idiot, d'un fou!
LOUISE. Il n'est rien de tout cela.
SAINT-GUELTAS, irrité et impétueux. Alors, c'est vous qui êtes insensée
de croire qu'un homme quelconque ne se prévaudrait pas en pareille
circonstance...
LOUISE. Taisez-vous! Cette pensée calomnie son dévouement, et elle
m'outrage!
CADIO, à part, répétant tout bas. Outrage!...
SAINT-GUELTAS. Ah! pardonne-moi, Louise, ma Louise adorée!... Mais
est-il possible que je ne sois pas révolté jusqu'à la fureur en songeant
qu'un autre, fût-ce un misérable imbécile, vient de te donner son nom et
de recevoir ta main dans la sienne! C'est un simulacre, je le sais, un
engagement nul, arraché par la crainte qu'exercent nos tyrans; mais il
me tarde de laver cette souillure avec mes baisers sur ta main chérie!
Viens, viens! je ne veux pas que cette brute te voie une heure, une
minute de plus!
LOUISE. Impossible avant demain!
SAINT-GUELTAS. Eh bien, vous me forcez à vous le dire... Louise! votre
père n'est pas guéri,... son état est grave,... on n'est pas certain de
le sauver. Le temps presse, il réclame vos soins!
LOUISE, qui s'est levée. Assez, assez! partons; mais il faut appeler...
SAINT-GUELTAS. Les autres, oui! Raboisson est ici, il s'en charge;
venez, j'ai là une barque, nous les rejoindrons à un endroit convenu.
LOUISE. Mais... les paysans!... Mon Dieu, que va-t-on leur faire?
Avertissons-les.
SAINT-GUELTAS. Mademoiselle de Sauvières, les moments sont précieux. Si
nous ne retrouvions pas votre père vivant, quels reproches n'auriez-vous
pas à vous faire, vous?
LOUISE. Mon pauvre père! ah! lui avant tout; emmenez-moi, courons!
SAINT-GUELTAS. Venez! (Ils vont pour sortir par le hangar.)
CADIO, qui s'est mis devant, les arrête. Non, il vous trompe, il ment!
votre père...
LOUISE. Est mort?
CADIO. Non, émigré! Il n'est pas où il vous dit.
SAINT-GUELTAS, mettant la main à sa ceinture. Comment le saurais-tu,
imbécile? (A Louise, bas.) Vous voyez bien, il est jaloux! il va parler
en maître. Remettez-le donc à sa place, ou je serai forcé...
LOUISE, lui retenant le bras. Non, non!--Adieu, Cadio. J'emporte ton
anneau d'argent, gage de ton dévouement et de ta soumission. (Montrant
Saint-Gueltas.) Voici l'époux que j'avais choisi. Tu viendras nous voir
quand nous serons mariés. Tiens, mon ami, voilà pour payer le voyage.
(Elle lui donne une bourse et disparaît avec Saint-Gueltas, qui, en
passant, fait un signe à Tirefeuille, caché dans les débris du hangar.)
CADIO, stupéfait. De l'argent! de l'argent à Cadio pour payer son
silence! celui qu'on estimait, que l'on prétendait traiter en ami! (Il
jette la bourse vers le hangar. Tirefeuille rampe et s'en saisit.) Ah!
Voilà leur coeur, à ces femmes-là! voilà leur amitié, leur
reconnaissance! Je comprends à présent ce que j'ai entendu là ce matin!
Ces trois fous, ces trois fantômes qui voulaient boire du sang, c'est
des hommes qu'on a humiliés et qui se vengent!... Mais qu'est-ce que je
peux faire, moi?... Je dois pourtant sauver la cousine d'Henri, car il
l'enlève, ce démon! (Le brouillard s'est dissipé, il voit Saint-Gueltas
et Louise, dans la barque, quitter la rive.) Ils remontent le courant!
j'irai plus vite qu'eux! Je crierai à Louise que son père est mort. Il
le faut. (Il va vers la barrière.)
TIREFEUILLE, qui le guette, lui plonge son couteau dans le flanc et
disparaît en disant: Il a son affaire! (Cadio est tombé sur le coup.)
CADIO, égaré, se soulevant. Eh bien, qu'est-ce que c'est donc? Pourquoi
ce coup de poing? Tant pis! Allons! Comment! me voilà sans force? Il m'a
fait grand mal, ce lâche! (Regardant sa main qu'il a portée à son côté.)
Du sang? est-ce du sang? Ah! l'assassin! qu'est-ce qu'il m'a fait?
N'importe, j'irai. Louise!... (Il retombe sur la paille et reste
évanoui.)

SCÈNE IV.--CORNY et REBEC sortent de la maison et passent près de CADIO
sans le voir.

CORNY. C'est drôle tout de même que les deux jeunes mariés ne se
montrent point! Faudrait pourtant qu'on les voie!
REBEC. Moi, je vois ce que c'est... Mademoiselle Louise a grand'honte de
ce mariage; elle n'est point comme sa tante, qui en rit parce qu'au bout
du compte épouser un fonctionnaire... ce n'est pas tant déroger!...
CORNY. Oui, la demoiselle rougit du cornemuseux. Elle aura ouï dire au
pays que c'est tous des sorciers et des meneux de loups. Dame, y a ben
du vrai là dedans, et Cadio a une parole, une manière, une figure, qui
ne sont pas comme celles des autres chrétiens. Pourvu qu'il l'ait pas
charmée avec quelque sortilége! ça s'est vu!
REBEC. Allons donc, Corny, vous dites des bêtises! Il ne faut plus
croire à ces superstitions-là. Moi, je pense que la demoiselle se cache
et qu'elle a dit à Cadio de s'en aller. Allons! on en fera des
plaisanteries; ça ne nous regarde pas.
CORNY. Eh! eh! des plaisanteries sur les nuits de noces, c'est ce qu'il
faut, mordi! Je vas en faire aussi!
REBEC. Oh! mais non! La vieille pourrait se fâcher et se trahir!
Croyez-moi, poussez tout votre monde à boire et à danser, ça fera
oublier les absents.
CORNY. J'vas flanquer de l'eau-de-vie dans le cidre. Allons, venez-vous?
(Il rentre.)

SCÈNE V.--REBEC, puis HENRI et CADIO.

REBEC. C'est drôle tout de même, ces mariages-là! On ne sait pas ce qui
peut arriver. S'ils étaient bons par hasard, et si ces dames rentraient
dans leurs biens?... Qu'est-ce qui rôde donc par là? Miséricorde! M.
Henri! Vient-il pour les faire sauver? Oh! pas de ça! Et la visite de
demain! Il faut l'éloigner d'ici, sans qu'il les voie! (Bas, allant à
lui.) C'est moi, ne craignez rien.
HENRI. C'est justement toi que je cherche.
REBEC. Et comment diable avez-vous fait pour lâcher votre consigne?
HENRI. J'ai risqué ma tête, voilà tout; j'ai laissé le délégué sous
bonne garde à Donges, où il passe la nuit. Je suis venu seul à bride
abattue. J'ai caché mon cheval derrière le moulin. Me voilà. Parle vite.
Louise est ici?
REBEC. Mais... non! je ne vous ai pas dit ça!
HENRI. Tu me l'as fait entendre par signes tantôt; tu me montrais ces
bois...
REBEC. Oui, le côté par où elles se sont sauvées.
HENRI. Ainsi cette Françoise, cette Marie-Jeanne, qui ont attiré les
soupçons, ce n'est pas Louise et sa tante?
REBEC. Si fait! c'est à moi qu'elles doivent leur salut. Je les ai
protégées ici pendant tout l'hiver; mais, ce soir, elles ont été
prudemment se réfugier ailleurs.
HENRI. Où ça? Dis-le donc vite!
REBEC. Vite, vite!... permettez, monsieur Henri. Ce que vous voulez
faire est une trahison envers la République!
HENRI. Ah! tu as des scrupules, à présent?
REBEC. J'en ai... j'en ai pour vous! Vous n'en avez donc plus?
HENRI. Quant à cela, non! Ce n'est plus la guerre, c'est-à-dire le
besoin de se défendre; c'est la persécution, c'est-à-dire le besoin de
se venger. Malheureusement, je n'ai ni temps ni fortune, ni liberté
d'agir pour assurer la fuite de ces deux femmes; mais je peux faire
qu'elles soient averties de quitter la France et de mettre à leur
disposition le peu que j'ai. Tu vas me dire où elles sont, et j'y cours.
REBEC. Vous auriez grand tort d'attirer l'attention sur elles. Elles ont
plus d'argent que vous. Saint-Gueltas leur en a fait tenir, et c'est en
Angleterre qu'elles se proposent d'aller.
HENRI. Est-ce bien vrai, ce que tu dis là?
REBEC. Je vous jure! Voulez-vous que, pour plus de sécurité, j'envoie un
exprès après elles, pour leur dire de filer vite?
HENRI. Vas-y toi-même!
REBEC. Oh! moi, un municipal, pas possible! mais le fermier ira.
HENRI. Vite alors! Tiens! voilà pour payer son déplacement.
REBEC. Inutile, gardez ça. Il ira par dévouement à ces dames, et il ira
plus vite que vous qui ne connaissez pas les chemins. Allez-vous-en, les
garnisaires sont par là. Je tremble qu'ils ne vous voient!
HENRI. Adieu donc! tu réponds...
REBEC, avec une dignité burlesque. Je réponds de tout. Retournez à votre
poste, citoyen lieutenant! (Henri s'éloigne.) Et nous... retournons à ma
noce! (Il rentre.)
HENRI, revenant sur ses pas. Il me trompe... Je ne sais pas pourquoi il
me semble... Ce n'est pas un méchant homme, il ne les livrerait pas;
mais il craint la mort, et, dans ces temps de fureur, quiconque tient à
la vie est capable de tout! Le temps marche, chaque instant me perd, et
je ne sais que faire pour que mon danger serve à ces pauvres femmes!
Tiens! un homme endormi... ou ivre! Cadio! tout est sauvé. (Il le secoue
et l'appelle à voix basse.) Cadio! Cadio, mon ami!
CADIO. Ah! vous me faites mal, vous!
HENRI. Es-tu malade?
CADIO. Oui, bien malade!
HENRI. Et pourquoi es-tu là, seul, couché par terre? La misère, la faim
peut-être? Il n'y a donc plus de pitié en ce monde? (Il l'aide à se
relever.) Pauvre garçon, remets-toi, voyons! Tiens, bois un peu.--(Il
lui fait boire quelques gouttes d'eau-de-vie dans une petite bouteille
plate qu'il porte sur lui en cas de blessure ou d'épuisement.) Ça
va-t-il mieux?
CADIO, qu'il a assis sur un timon de charrette. Oui; qu'est-ce que vous
voulez? Ah! c'est vous?
HENRI. Moi, celui qui te doit la vie. Je cherche Louise, et...
m'entends-tu?
CADIO. Oui, Louise, partie.
HENRI. Tant mieux, alors! Merci, Cadio.
CADIO. Oh! non, pas tant mieux! partie avec lui!
HENRI. Qui, lui?
CADIO. Saint-Gueltas! Allons, courez; moi, je ne peux pas!
HENRI, douloureusement. Et moi, je ne dois pas!
CADIO. Vous y renoncez?
HENRI. Il y a longtemps que j'ai renoncé à être heureux, Cadio! Il n'est
plus question de ça en France! Je ne voulais pas que mes parentes
fussent traînées à la boucherie nantaise au milieu des
insultes.--Saint-Gueltas est mon ennemi, mon ennemi politique et
personnel; mais Louise n'a plus que lui pour la protéger, je ne les
poursuivrai pas!
CADIO ranimé, se levant. Oh! vous n'aimez donc pas?... vous n'êtes donc
pas jaloux?
HENRI. Je n'ai pas le droit de l'être. Louise ne m'a jamais aimé.
CADIO. Qu'est-ce que ça fait, ça? Elle est aveugle, elle est trompée, et
elle veut l'être, parce qu'elle est folle, parce qu'elle est lâche!
HENRI, étonné. Qu'est-ce que tu as donc contre elle, Cadio?
CADIO. Moi? Rien! Je déteste les royalistes, voilà tout... et je veux...
je veux m'engager, à présent! J'ai l'âge! je me suis toujours caché...
je ne veux plus avoir peur! Emmenez-moi!
HENRI. Certes, de tout mon coeur. Il y a longtemps que je le voulais et
que je me tourmentais de ce que tu étais devenu. Bois encore, et viens,
car je suis pressé!
CADIO. Oui, soldat! je serai soldat! Je tuerai Saint-Gueltas!--Bonté de
Dieu! je ne peux pas marcher! Allons, laissez-moi mourir là. Je suis
blessé, voyez!
HENRI. Blessé? par qui?
CADIO. Je ne sais pas, un assassin! peut-être lui, parce que je voulais
courir après elle.
HENRI. Ce n'est peut-être rien, essaye; donne-moi le bras, mon cheval
est bon, il nous portera tous les deux.
CADIO. Où est-il?
HENRI. Là, au moulin; c'est tout près.
CADIO. Allons! (Il retombe.) Pas possible. Adieu!
HENRI. Non! je te porterai.
CADIO. Vous, me porter?
HENRI. La belle affaire!
CADIO. Ah! tenez, c'est vous que j'aime! tout le reste... il n'y a que
vous... Je marcherai!
HENRI. Eh! oui, tu marcheras! Tu apprendras à marcher à moitié mort. Je
te l'ai déjà dit au Grand-Chêne: sers ton pays et tu deviendras vite un
homme.
CADIO. C'est vrai, je me souviens! Eh bien, allons je serai un homme!
HENRI. Attends! voilà sous mes pieds quelque chose... Ne tombe pas!
CADIO, touchant avec son pied. Je sais ce que c'est! Mon biniou!
HENRI. Ah! tu y tiens? (Il veut le ramasser.)
CADIO. Non, laissez-le. C'est fini, ça! Un sabre, c'est un sabre que je
veux! (Ils s'en vont. On continue à chanter et à danser dans la maison.)


TROISIÈME TABLEAU
Un îlot couvert d'une épaisse oseraie.--Saint-Gueltas et Louise
abordent, et descendent d'une barque que conduit un paysan batelier.

SCÈNE PREMIÈRE.--SAINT-GUELTAS, LOUISE, un Batelier.

SAINT-GUELTAS, (au batelier.) Va plus loin remiser ton bachot, cache-le
bien et attends-nous. (Le batelier obéit.)
LOUISE, sur la grève. Mon Dieu, pourquoi nous arrêter déjà?
SAINT-GUELTAS. Je n'ai pas voulu vous effrayer, mais nous étions suivis.
LOUISE. Vous en êtes sûr? Je n'ai rien vu! C'est peut-être nos
compagnons!...
SAINT-GUELTAS. Impossible! Raboisson doit conduire à cheval votre tante
et M. de la Tessonnière un peu plus loin. Venez, venez! Ne restons pas
sur la rive. La nuit est claire. Par là, les buissons nous cacheront, si
l'on s'obstine à nous suivre; mais j'espère qu'on nous a perdus de vue.
(Ils ont gagné le milieu de l'îlot.) Tenez, voici une hutte de roseaux
où j'ai déjà échappé une fois aux recherches. Vous pouvez vous étendre
sur le sable sec et vous reposer, bien roulée dans mon manteau. Entrez,
il fait froid.
LOUISE. Non, je ne sens pas le froid. Je suis aguerrie. J'ai passé plus
d'une nuit d'hiver dans les genêts pour déjouer les perquisitions. Je
resterai ici, assise. Personne ne peut me voir.
SAINT-GUELTAS. Louise, vous vous méfiez de moi avec une obstination...
LOUISE. Non! Dans la position où je suis, inquiète et désolée, puis-je
penser que vous ne respecteriez pas mon malheur et mon isolement?...
Mais verrez-vous d'ici passer cette barque qui nous suit?
SAINT-GUELTAS. Elle ne peut approcher sans que je l'entende; j'ai
l'oreille exercée, et, d'ailleurs, la nuit est si calme et si belle! Cet
endroit est charmant, et le murmure de ce grand fleuve semé d'étoiles
est si doux! Ah! sans l'inquiétude qui vous oppresse, vous sentiriez
votre âme se dilater ici, n'est-ce pas?
LOUISE. Je ne sens rien, je ne vois rien. Je ne pense qu'à celui qui
m'attend. Parlez-moi de lui, de lui seul. Il est donc bien mal?
SAINT-GUELTAS. J'ai exagéré. Pardonnez-le-moi, chère enfant. Je devais
vous arracher à ce refuge périlleux, à ces protecteurs imbéciles...
LOUISE. Ah! cruel, vous jouez avec ma douleur! Est-ce vrai maintenant,
ce que vous dites? Mon père...
SAINT-GUELTAS. Il vivra, rassurez-vous; mais dites-moi, Louise, ce
mariage absurde contracté ce soir...
LOUISE. Il vous tourmente plus que de raison. Il n'existe pas. Quand
même la loi impie qui prétend le rendre sérieux sans consécration
religieuse ne serait pas déchirée au premier jour de raison et de foi
qui luira sur la France, il n'aurait aucune valeur.
SAINT-GUELTAS. Comment s'est-il fait? sous quels noms?
LOUISE. Ma tante et moi, nous avons été mariées sous des noms d'emprunt.
SAINT-GUELTAS. Vous en êtes sûre?
LOUISE. Très-sûre, j'ai bien écouté ce qu'on a lu.
SAINT-GUELTAS. Avez-vous lu ce qu'on a écrit?
LOUISE. Non; mais l'acte sera détruit. Celui qui l'a rédigé a tout
intérêt à n'en pas laisser de traces. D'ailleurs, vous m'avez promis de
faire arrêter le secrétaire du délégué, qui doit aller demain à la
municipalité pour vérifier le registre et renouveler la persécution.
Jurez-moi qu'il en sera empêché et que mes pauvres amis de la ferme ne
seront pas victimes de ma fuite précipitée.
SAINT-GUELTAS. Je vous le jure! On vous apportera, si vous le voulez,
les deux oreilles de M. le secrétaire.
LOUISE. Ne pouvez-vous me promettre de préserver mes bons paysans sans
me remettre sous les yeux les horribles représailles...
SAINT-GUELTAS. Il faut vous habituer à ces images-là, Louise. Vous
n'avez rien vu dans la guerre de Vendée, celle que nous commençons sera
autrement terrible. On a exaspéré le sentiment populaire, on a mis en
vigueur l'affreux décret de la Convention. On a brûlé les chaumières,
égorgé les femmes et les enfants des insurgés absents; on a dévasté
leurs champs, détruit leurs bestiaux. Il faudra payer cher ces
atrocités!
LOUISE. Est-ce une raison pour en commettre de pareilles?
SAINT-GUELTAS. Oui, c'est une raison pour le paysan, et nul pouvoir
humain ne le retiendra désormais. Le Breton, notre nouvel allié, est
vindicatif, et le dictateur de Nantes semble avoir pris à tâche
d'exaspérer ses passions. Si je vous parlais d'oreilles, c'est que les
patriotes nantais portent les nôtres en guise de cocarde à leur chapeau:
ne soyez donc pas surprise si vous voyez les leurs en chapelet à la
ceinture de nos chouans farouches!
LOUISE. Ah! que je ne voie pas ces horreurs, que je ne voie plus couler
le sang, que je n'entende plus le râle de l'agonie! J'en serais devenue
folle! A présent que j'ai vécu dans la solitude des champs et des bois,
je n'aspire plus qu'à me tenir cachée dans un coin avec mon pauvre père,
dussé-je mendier pour le nourrir!
SAINT-GUELTAS. Vous vivrez heureuse et en sûreté dans ma maison; séparé
de ces chefs ineptes qui ont perdu la Vendée, je me fais fort de tenir
dans mon Marais jusqu'au rétablissement de la monarchie. Les princes
eux-mêmes peuvent venir y chercher un refuge et, de là, diriger une
guerre qui embrasera la France d'un bout à l'autre. Alors, Louise, une
grande existence vous est réservée, si par crainte et découragement vous
ne séparez pas votre avenir du mien.
LOUISE. Je suis insensible à l'ambition. Si mon père consent à rester
avec vous, c'est la reconnaissance seule qu'y m'y retiendra.
SAINT-GUELTAS. Mais vous ne comptez pas rester indifférente aux grandes
choses que je suis peut-être destiné à accomplir?
LOUISE. Je crois que vous ferez encore des prodiges d'audace, de
persévérance et d'habileté, mais je ne crois plus au succès. Hélas! vous
périrez victime de votre zèle!... S'il en doit être ainsi, pourquoi
risquer dans une lutte sanglante le dernier espoir qui nous reste?
SAINT-GUELTAS. Quel est donc cet espoir, si nous abandonnons la partie?
LOUISE. Celui de voir la Révolution se dévorer elle-même et faire place
au besoin que la France éprouve de revenir à la civilisation.
SAINT-GUELTAS. La solitude vous a créé d'étranges utopies, ma chère
Louise. La civilisation que la France d'aujourd'hui appelle et désire,
c'est la négation du passé, que nous voulons rétablir. Elle veut
l'égalité, qui, selon nous, est la barbarie. Croyez-vous possible que le
bourgeois, dévoré d'ambition, renonce à un état de choses qui lui ouvre
toutes les carrières, et qu'il consente à rétablir nos priviléges, qui
l'excluaient du concours? Non, jamais plus le plébéien ne nous cédera le
pas de bonne grâce. Il faut donc nous annihiler devant lui et nous faire
plébéiens nous-mêmes, ou il faut l'écraser et le réduire au silence.
Pour ma part, j'y suis résolu, et, si je succombe, j'aime mieux la mort
qu'une vie d'abaissement et de honte.
LOUISE. C'est bien de l'orgueil! mon père ne pense pas comme vous.
SAINT-GUELTAS. Avant la Révolution, votre père, endormi, dirai-je
corrompu par la vie frivole et raisonneuse de Paris, avait admis les
idées nouvelles et fait alliance avec les philosophes. Sa piété et son
sentiment chevaleresques l'ont ramené à nous,--à nous purs et solides
enfants de la vieille France, à nous qui, retirés dans nos bastilles de
province, n'avons jamais perdu le sens de l'hérédité et la conscience de
nos droits. Nous sommes la race forte, ma chère Louise, la race qui doit
courber les races bâtardes ou périr les armes à la main. On a crié
contre nos priviléges; je le comprends, ils étaient faits pour éveiller
la jalousie des croquants, et les droits qu'ils invoquent pour nous les
ravir ne sont, comme les nôtres, basés que sur la force et la volonté.
Qu'ils essayent donc d'être les plus forts! c'est à nous de résister! Si
nous succombons, nous l'aurons mérité apparemment, nous aurons manqué
d'énergie; mais nous ne succomberons pas, allez! Tous les moyens sont
devenus bons pour combattre la Révolution, même l'appel à l'étranger,
qu'on a pris soin de nous faire accepter en nous proscrivant et en nous
jetant dans ses bras. Quant à moi, je me sens dégagé de tout scrupule,
seule condition pour devenir invincible! Est-ce que mon obstination vous
scandalise? est-ce que vous aimeriez-mieux me voir accepter à moitié la
Révolution, comme tant d'autres qui nous ont quittés durant la campagne
d'outre-Loire, pour essayer d'une opinion mixte et d'une situation
honteuse, sous prétexte de patriotisme mieux entendu? Si je n'ai pas
quitté l'armée alors, comme j'en avais le dessein, c'est pour ne pas la
démoraliser en passant pour un traître. J'ai tout sacrifié et j'ai
conseillé à votre père de tout sacrifier à l'influence, au prestige que
nous devions conserver. A présent, tout est perdu, fors l'honneur,
c'est-à-dire que rien n'est perdu, car l'honneur est tout. Nous
soulèverons les provinces de l'Ouest sur une plus vaste étendue; mais
n'oubliez pas que, pour réussir, il nous faut refuser toute concession à
l'esprit révolutionnaire et à la sensiblerie philosophique, accepter la
rudesse, la superstition, la férocité du paysan qui donne son sang à
notre cause, et le maintenir dans cet état de colère farouche où il
puise son courage, enfin accepter aussi, réclamer au besoin le secours
de l'Angleterre, et voir sans préjugé ses vaisseaux foudroyer sur nos
côtes ces nouveaux Français qui prétendent organiser une société sans
roi, sans prêtres et sans nobles, c'est-à-dire sans frein d'aucun genre,
et sans respect d'aucune supériorité.
LOUISE. Votre énergie est grande!... Je rougis d'avoir perdu beaucoup de
la mienne. Je la retrouverai peut-être... Il me semble que je la
retrouve déjà en vous écoutant.
SAINT-GUELTAS. Allons donc! il le faut! Vous avez réclamé mon appui,
chère Louise; il faut le vouloir sérieux, il faut le vouloir entier.
LOUISE. Ah! c'est que mon coeur a été brisé de tant de manières et
déchiré de tant de remords!
SAINT-GUELTAS. Des remords! quoi? comment?
LOUISE. Dites-moi... savez-vous?... Je n'ose vous interroger... Pourtant
il faut que vous me disiez... Est-il vrai que Marie Hoche ait péri sur
l'échafaud pour expier l'amitié qu'elle m'avait témoignée en me suivant
à la guerre?
SAINT-GUELTAS. Je n'en sais rien. Je croirais plutôt qu'elle a été noyée
à Nantes.
LOUISE. Ah! grands dieux! l'horrible mort! Pauvre Marie! Et c'est moi
qui l'ai envoyée à l'ennemi!
SAINT-GUELTAS. Raison de plus pour aspirer à la vengeance! Voyons,
Louise, vous pleurez! Le temps des larmes est passé; la source doit être
tarie. Il s'agit de vouloir, à présent!
LOUISE. Vous êtes cruel si vous méprisez mes pleurs. Laissez-les couler
une dernière fois, peut-être aurai-je du courage après.
SAINT-GUELTAS, l'entourant de ses bras. Eh bien, oui, pleure, chère
créature désolée! pleure et pardonne-moi ma rudesse; mais songe que te
voilà sous ma protection. Oui, je sais combien tu as souffert! Comment
as-tu surmonté tant de fatigues, de terreurs et de déchirements? Te
voilà comme une pauvre fleur roulée dans le gravier du rivage; mais
c'est le rivage, Louise! et mon sein où tu te réfugies est le port où la
tempête ne te reprendra plus. Voyons! que crains-tu? ne repousse pas mon
étreinte. Il me semble que je retrouve mon propre coeur arraché de ma
poitrine en te sentant là! Ma soeur, mon héroïne, ma fille, ma
souveraine, ma maîtresse, ma femme! oui! oui, tu es pour moi tout cela,
et je veux te tenir lieu de tout. Crois-le enfin, et dis-moi que tu le
veux aussi, ou la force d'âme qui m'a fait survivre à nos désastres
m'abandonne pour jamais!
LOUISE, se dégageant de ses bras. Écoutez-moi! Vous me l'avez dit
souvent, le temps n'est plus où l'amour voilé pouvait longtemps remplir
le coeur d'une jeune fille sans se révéler clairement à elle-même. Vous
aviez raison, je le sentais bien, moi qui n'ai pas su vous cacher
l'ascendant que vous excerciez sur moi: j'ai été sincère avec vous. Je
vous ai dit aussi l'effroi que vous m'inspiriez. Je ne vous ai pas caché
qu'en retrouvant Henri à Sauvières j'avais fait un effort désespéré pour
le rattacher à ma vie. Je ne l'aimais pas, je ne l'ai jamais aimé, et
pourtant, s'il fût revenu à nous, j'aurais réussi à vous oublier... à
être au moins pour lui une épouse fidèle et dévouée. Songez que, dans ce
temps-là, on disait autour de moi que vous n'étiez pas libre, que votre
femme vivait encore...
SAINT-GUELTAS. Vous avez cru à cette fable inventée par un prêtre dont
j'avais blessé la vanité et combattu l'influence?
LOUISE. Je n'y crois plus, puisqu'à l'affaire du Grand-Chêne, au moment
où nous pensions tous marcher à la mort, vous m'avez fait promettre
d'être votre femme, si un miracle nous faisait survivre à ce désastre.
Eh bien, depuis ce terrible jour et durant le lugubre hiver que je viens
de passer, séparée de mon parti, de mon père et de vous, j'avais renoncé
à toute espérance de bonheur. Je me croyais à jamais perdue, bannie,
misérable, oubliée, et, en songeant à vous, je me disais que vous ne
m'aviez jamais aimée, que ma méfiance avait trop longtemps rebuté votre
amour, et que, dans cette promesse de mariage que vous m'aviez arrachée,
il y avait eu le délire d'un suprême enthousiasme plutôt que
l'attachement profond d'une âme dévouée. Me suis-je trompée, dites? Il y
a des moments où je crois vous sentir plein de bonté, de douceur et de
tendresse sous votre terrible écorce, et ce contraste m'émeut et me
charme. Dans ma solitude, je me suis retracé certains moments où vous
sembliez affectueux, indulgent, paternel, comme tout à l'heure; mais je
me rappelais aussi qu'après avoir épuisé avec moi les séductions de
votre langage facile et abondant en promesses, vous aviez du dépit et
une sorte de haine... Est-ce là l'amour? Il m'attire et m'épouvante.
Irrité, je vous crains;--attendri, je vous crains plus encore... Que de
fois, assoupie sur la bruyère durant ces longues journées où je gardais
les chèvres du fermier, je vous ai vu en rêve m'accablant de reproches,
me menaçant de me tuer ou m'attirant dans le piége de vos séductions!
Plus d'une fois, égarée, j'ai couru le soir à travers la lande déserte,
croyant entendre vos pas sur les miens et sentir dans mes cheveux votre
main sanglante... Ayez pitié de moi! ne me brisez pas de douleur, mais
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