Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 18

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secondes; mais en dix paroles je le mis au fait.
Nous sautâmes dans notre voiture.
La rue Saint-Honoré était pleine de monde, tout ce monde avait un air
de fête et de joie que la population parisienne n'avait pas présenté
depuis longtemps. À peine si l'on pouvait se faire jour, tant chacun se
pressait de demander des nouvelles et de savoir où en étaient les
événements.
Mon commissaire, que je pouvais désormais appeler par son nom, ce qui me
donnait une grande facilité pour dialoguer avec lui, me remit à ma porte
et me promit de m'amener Tallien.
Quant à faire entrer à la Force les deux enfants de madame de
Beauharnais, il s'en chargeait comme d'une chose facile à lui.
Je remontai à mon entresol, n'ayant plus aucune raison de me cacher;
j'ouvris en conséquence mes persiennes toutes grandes et je me mis à la
fenêtre.
La porte de la maison des Duplay avait été fermée, soit qu'on eût enlevé
les deux personnes qui y restaient encore, soit que, lasses d'insultes
et de grossières injures, elles s'y fussent enfermées.
Je ne m'attendais à l'exécution que pour le lendemain; je fus donc bien
étonnée lorsque, vers quatre heures, j'entendis de grands cris du côté
du palais Égalité, je vis la foule se heurter, se ruer, se culbuter. La
tête et le buste des gendarmes apparaissaient au-dessus de la foule, et
dans les mains de ces archers de la mort leurs sabres flamboyaient comme
l'épée de l'ange exterminateur.
C'était la hideuse exhibition dont Fouquier-Tinville et ses juges
gratifiaient une fois encore le public.
Les cris: «Les voilà! les voilà!» se firent entendre.
Et, en effet, c'étaient les guillotineurs qui allaient à leur tour, hués
et maudits, subir la terrible loi du talion.

XXIV
Ne remarques-tu pas, mon bien-aimé Jacques, combien il semble que le
caprice de mon génie, bon ou mauvais, me fait voir tout ce qui se passe,
soit que moi-même j'aille au-devant des événements, soit que les
événements viennent au-devant de moi.
Aussi je ne saurais moi-même me rendre compte de l'ébranlement étrange
qui secoue mon cerveau. Je ne sais pas comment cela se fait, mais il me
semble que je ne suis plus complètement maîtresse de moi-même, et qu'il
y a en moi une fatalité plus forte que ma volonté qui, à un moment
donné, me poussera malgré moi sur la pente de quelque grand malheur.
J'ai parfois des espèces d'hallucinations pendant lesquelles il me
semble que, le jour où j'ai pris place dans la charrette, j'ai été
véritablement guillotinée. Je crois parfois en rêve que je sens la
douleur de la hache passant entre les vertèbres de mon cou; je me dis
que depuis ce jour je suis morte et que c'est mon ombre qui croit vivre
et s'agite encore sur la terre.
Dans ces moments de visions sépulcrales, je te cherche partout. Il me
semble que nous ne sommes séparés que par des brouillards épais, dans
lesquels nous errons tous les deux, et dans lesquels, en punition de
quelque faute que je cherche à me rappeler en vain, nous sommes
condamnés à errer continuellement sans nous retrouver jamais.
Dans ces moments-là, je crois que mon pouls ne bat plus que quinze ou
vingt fois à la minute, que mon sang se refroidit, que mon cœur
s'endort; dans ces moments-là, je serais aussi incapable de me défendre
d'un homme qui en voudrait à ma vie, que d'un homme qui en voudrait à
mon honneur. Je suis comme ces malheureux tombés en catalepsie, que l'on
croit morts, devant lesquels on discute la question de leurs
funérailles, dans quel cercueil on les mettra, de plomb ou de chêne, qui
entendent tout, dont le cœur bondit de terreur, mais qui cependant ne
peuvent s'opposer à rien.
Eh bien! j'étais en voyant apparaître les fatales charrettes, dans un de
ces moments-là: je croyais faire un rêve; tout ce que j'avais accompli
depuis huit jours n'était point des actions de la vie, mais des actes de
la mort.
Allons donc! si j'étais pour quelque chose dans les blessures, dans
l'agonie, dans le supplice de tous ces gens-là, est-ce que je me le
pardonnerais jamais?
Voilà une chose hideuse. Voilà des morts, des mourants; voilà des êtres
humains, des frères, oui, des frères,--car nul ne peut renier la
fraternité humaine,--que l'on conduit à la guillotine. Ils sont cassés,
brisés, disloqués; l'un deux est déjà entré dans la mort, les autres y
ont un pied. Et je suis pour quelque chose dans cette horreur?...
Impossible!
Moi, ton Éva, Jacques, comprends-tu? moi que tu appelais ta fleur, ton
fruit, ton oiseau chanteur, ton ruisseau, ta goutte de rosée, ton
souffle d'air!
Si fait! Je me rappelle. Mon destin m'a jetée dans une prison. Dans
cette prison j'ai connu deux femmes, belles comme des anges de lumière.
Elles aimaient. L'une était mère et avait des enfants; l'autre, d'un
amour moins pur, aimait un homme qui n'était pas son mari. Toutes deux
avaient peur de mourir; moi, qui n'avais pas peur pour moi, j'eus peur
pour elles. Je me jetai, dans ce terrible labyrinthe politique où je
n'avais jamais mis le pied.--Et moi aussi, alors, la soif du sang m'a
prise; j'ai dit: Je voudrais que ces hommes-là mourussent pour que ces
femmes-là ne mourussent point; et je vais aider à faire mourir les uns
pour faire vivre les autres.
Et dès lors j'ai oublié que j'étais une jeune fille, une femme timide;
j'ai couru les rues de Paris la nuit; j'ai porté un poignard qui
parlait; il disait: je demande à tuer! et un rhéteur lui répondait: Tue
sans phrases!
Ce poignard, le lendemain je l'ai vu briller dans la main d'un homme sur
la poitrine d'un autre homme. Il n'a pas tué, c'est vrai, mais il a dit:
Prenez garde, si vous ne tuez pas avec la voix, je tuerai avec le fer.
Et l'on a tué avec la voix. Voilà pourquoi le poignard que j'avais porté
n'a pas tué avec le fer.
Mais au reste celui que je poussais à tuer était un homme maudit, un
homme exécré, un homme dont la mort sera comme un source de vie pour des
milliers de personnes qui, s'il vivait, peut-être allaient mourir.
Mais c'est lui qui va mourir, et le voilà qui vient à moi.
Horrible! horrible! horrible! comme dit Shakespeare. Il a la tête
enveloppée d'un linge sale taché d'un sang noir. Le voilà qui vient,
écrasé, pliant le front sous sa douleur et sous les malédictions qui
courbent sa tête. Ah! tu sens donc le remords!
Mais non; sa roide attitude est la même; son œil sec est fixé sur moi.
Grand Dieu! l'approche de la mort le rend-elle voyant? Devine-t-il, sous
ce déguisement où je me cache, que c'est moi qui ai crié: «Sus au
tyran!» que c'est moi qui ai porté le poignard? Mais détourne donc les
yeux de moi, démon! ne me regarde donc plus, fantôme!!!
Ah! par bonheur, voilà quelque chose qui détourne ses yeux de moi. Il
regarde la maison de Duplay; cette maison qu'il a habitée et où sa vue,
qui partout ailleurs répandait la crainte, répandait la joie;--là on
attendait son retour avec des palpitations d'orgueil, on l'écoutait avec
délices, on l'applaudissait avec enthousiasme. Cette maison a vu les
seules heures heureuses de sa vie. La regardera-t-il en passant et ne se
rappellera-t-il pas que Dante, ce peintre des grandes douleurs, a dit:
«Le plus grand supplice qu'il y ait au monde est de se rappeler les
jours heureux pendant les jours d'infortune!»
Non-seulement il la regarde, mais les charrettes font halte. Ah! l'on va
faire pour Robespierre ce que l'on a fait pour Philippe-Egalité, on va
lui montrer une dernière fois son palais.
Ce fut alors seulement que je m'aperçus de l'effroyable affluence de
monde qui s'était agglomérée sur ce point. Sans doute on avait lancé
d'avance le programme de la funèbre comédie qui devait être jouée à
cette place, et les spectateurs y étaient accourus en foule. Pas une
fenêtre qui ne fût occupée, beaucoup avaient été louées des prix
insensés. Des parents des victimes attendaient là Robespierre pour jouer
autour de sa charrette et jusqu'au pied de l'échafaud le rôle du chœur
de la vengeance antique.
Il me passa comme un éblouissement: non-seulement j'étais pour quelque
chose dans le supplice de ces malheureux, j'étais le grain de sable,
c'est vrai, qui avait fait pencher la balance, mais encore j'étais pour
quelque chose dans l'évocation de tout ce monde qui sortait on ne sait
d'où, de ces hommes à cheveux poudrés, à habits et à culottes de soie,
qui jusque-là s'étaient contentés d'errer la nuit, comme des phalènes,
dans les rues de Paris, et qui, pour la première fois, osaient s'y
montrer le jour; de ces femmes barbouillées de rouge, coiffées de
fleurs, à quatre heures de l'après-midi, demi-nues, accoudées aux
fenêtres comme au jour de la Fête-Dieu, sur des tapis de velours et sur
des châles de pourpre; si mon mauvais génie ne m'eût point conduite à la
prison des Carmes, si je n'eusse point porté ce poignard rue de la Perle
à Tallien, tout ce monde ne serait point là, ce seraient ceux qui vont à
l'échafaud en ce moment qui y en enverraient d'autres.
Mais enfin ne pourrait-on pas les y conduire, à cet échafaud dont ils
ont frayé le chemin, sans cette augmentation de supplice? La peine de
mort est la privation de la vie, voilà tout, mais non une vengeance.
On s'était arrêté pour faire exhibition des patients; ces mêmes
gendarmes, ces sbires d'Henriot qui sabraient la veille ceux qui
voulaient sauver les condamnés, piquaient aujourd'hui les condamnateurs
d'hier de la pointe de leurs sabres et disaient à Couthon, affaissé sur
ses jambes paralysées: «Lève-toi donc, Couthon!» et à Robespierre, brisé
par une horrible blessure: «Tiens-toi donc droit, Robespierre!» Et, en
effet, la fatigue avait fait retomber celui-ci sur son banc. Mais, au
premier appel à son orgueil, il s'était redressé, avait promené sur la
foule ce regard terrible, dont j'eus ma part: il m'avait revue.
Mais aussi pourquoi n'avais-je pas quitté ma fenêtre? Qui me tenait
clouée à cette fenêtre?
Un pouvoir plus fort que ma volonté.
Je devais voir ce qui allait se passer: c'était ma punition à moi.
Cette sanglante féerie devait avoir son ballet: c'était pour cela que
l'on s'était arrêté devant la maison Duplay. Une ronde se forma. Des
femmes, si cela peut s'appeler des femmes, se mirent à danser en rond en
criant:
«À la guillotine, Robespierre! À la guillotine, Couthon! À la
guillotine, Saint-Just!»
Je n'oublierai jamais de quel calme et fier regard le beau jeune homme,
le seul qui n'eût point essayé d'échapper à la mort ou qui n'eût point
attenté à sa vie, regarda cette ronde de furies et écouta ces cris de
malédictions. C'était à tout remettre en doute; on voyait la conscience
transparaître dans ces grands yeux méprisants et pleins de dédain de la
vie.
Mais ce n'était pas le tout, et la fête devait avoir son dénoûment
immonde comme le reste. Un de ces horribles gamins qui sortent des
égouts, un de ces bâtards du ruisseau, que l'on ne voit, comme certains
reptiles, que les jours de pluie, était là avec un seau plein de sang
pris à l'abattoir. Il trempa un balai dans le sang, et se mit à peindre
en rouge l'innocente maison de Duplay.
Oh! cette dernière injure, il ne put la supporter; il plia la tête, et,
qui sait! de cet œil fixe et sec peut-être une larme tomba-t-elle!
Mais lorsque les charrettes se remirent en mouvement au cri de: À la
guillotine! à la guillotine! cette tête livide dont on ne voyait plus
que les yeux se redressa, et ses yeux se fixèrent sur moi.
Alors, tu te rappelles, mon Jacques bien-aimé, cette ballade allemande
que nous lûmes ensemble, où un fiancé mort enleva sa fiancée vivante,
dont le crime a été de blasphémer en apprenant sa mort, partout où ils
passent, à un cri que jette le sombre cavalier, tous les morts soulèvent
la pierre de leur tombeau et le suivent, contraints par une force
magique. Eh bien! ce fut ainsi que son regard me déracina pour ainsi
dire de l'endroit où j'étais, et m'entraîna par une force contre
laquelle ma volonté ne pouvait rien, à la suite de ce spectre vivant.
Je quittai ma fenêtre, je descendis dans la rue, je suivis le cortège.
J'avais les yeux sur la charrette, je ne pouvais pas les en détourner;
il y avait une foule à faire trembler, elle m'emportait avec elle sans
que je sentisse son étouffante pression. Je marchais et cependant il me
semblait que mes pieds ne touchaient pas la terre.
Arrivée à la place de la Révolution, je me trouvai, je ne sais comment
cela se fit, une des _mieux placées_.
Je vis porter Couthon, je vis monter Saint-Just. Celui-ci mourut le
sourire aux lèvres. Lorsque le bourreau montra sa tête au peuple, le
sourire n'était pas encore effacé.
Le tour de Robespierre vint. Certes cet homme ne pouvait plus aspirer
qu'à une chose: à mourir! La tombe, c'était le port où devait jeter
l'ancre ce vaisseau brisé. Il monta calme et ferme. Il me sembla que son
œil me cherchait et jetait une étincelle de haine en me rencontrant. Mon
Dieu! mon Dieu! mon Dieu! permettrez-vous que ce regard d'un mourant me
porte malheur?
Mais alors, au moment où je m'en doutais le moins, il se passa sur
l'échafaud une chose odieuse, infâme, inouïe.
Un des aides du bourreau, une bête féroce,--il y a des hommes indignes
du nom d'homme,--voyant cette rage, entendant ces malédictions, voulut
jouer son rôle dans la symphonie infernale: il saisit par un de ses
angles cette serviette qui soutenait sa mâchoire et l'arracha.
C'était plus de douleur que la machine humaine n'en pouvait supporter.
La mâchoire brisée retomba comme celle d'un squelette.
Robespierre poussa un rugissement.
Je ne vis plus rien.
J'entendis un coup sourd qui frappait dans l'ombre.
J'étais évanouie.

XXV
Lorsque je revins à moi, j'étais seule dans ma chambre et couchée sur
mon lit.
Je me levai sur mon séant, je laissa glisser mes jambes hors de mon lit
et me trouvai assise.
--Oh! murmurai-je, quel abominable rêve!
En effet, tout ce que j'avais vu en réalité se représentait à moi sous
la forme d'un rêve.
J'étais au milieu de l'obscurité la plus complète, mais je voyais se
dessiner sur la muraille tout l'effrayant spectacle auquel j'avais
assisté.
Les charrettes fatales défilaient devant moi avec ces misérables,
mutilés, disloqués, brisés. Au milieu d'eux, seul, Saint-Just sain et
sauf, la tête haute et le sourire dédaigneux, puis cette halte à la
porte du menuisier, ce misérable gamin barbouillant la porte de sang,
enfin, sur la place de la Révolution, ce valet de bourreau arrachant à
Robespierre cet appareil qui conservait seul à son visage une forme
humaine. J'entendais ce cri, ce rugissement sous lequel j'étais tombée
écrasée, me demandant par quelle fatalité, à la même place, mon cœur
avait défailli devant la victime et devant le bourreau.
Je fus tirée de cette hallucination par le bruit de ma porte qui
s'ouvrait. J'ignorais complètement où j'étais; je me crus dans un cachot
et qu'on venait me chercher pour me conduire à mon tour à la mort.
Je jetai un cri et demandai:
--Qui va là?
--Moi, me répondit la voix bien connue de Jean Munier.
--De la lumière! de la lumière! demandai-je.
Il alluma une bougie. Je m'assis sur mon lit, la main sur mes yeux
d'abord, puis je regardai où j'étais, et je reconnus mon entresol.
Alors tout me revint en mémoire.
--Ah! dis-je, eh bien! le citoyen Tallien?
--Je l'ai vu, je l'ai rassuré sur sa belle Terezia, mais je lui ai dit
que par vous seule il pouvait savoir où elle était, ne voulant pas vous
priver du bonheur de le réunir à votre amie. Par malheur il est
président de la Convention. La Convention s'est déclarée en permanence;
jusqu'à minuit il est au fauteuil; si à minuit il est parvenu à faire
remplacer ou à modifier dans son sens le comité de salut public, il aura
l'ordre de liberté.
--Mais là bas! m'écriai-je, nos deux malheureuses amies?
--Elles savent qu'elles ne seront pas guillotinées, c'est le principal.
Je retourne à la Convention, Tallien m'a fait promettre d'y revenir; je
l'attends, et, à quelque heure que ce soit, je viens vous prendre ici
avec lui. Pendant ce temps, rhabillez-vous en femme et allez chercher
votre garçon menuisier et votre apprentie lingère; avec votre habit
d'homme, peut-être ne vous les confierait-on point.
Il me sembla que mon brave commissaire pouvait bien avoir raison;
aussitôt son départ, je me hâtai de me transformer, et je descendis pour
prendre un fiacre et aller chercher les deux enfants.
Mais il n'était plus question de fiacre; la rue Saint-Honoré était en
fête et les voitures n'y circulaient pas. Il y avait des feux de joie de
vingt en vingt pas, et devant ces feux, autour de ces feux de joie, des
danseurs de toutes les classes de la société.
D'où sortaient tous ces jeunes gens en habit de velours, en culotte de
nankin, en bas de soie chinés? D'où sortaient toutes ces femmes
barbouillées de rouge comme des roues de carrosse, décolletées jusqu'à
la ceinture! Qui avait dicté les paroles, qui avait fait la musique de
ces carmagnoles royalistes plus déhanchées que la carmagnole
républicaine? Jamais je n'eusse imaginé pareille folie.
Je traversai toute cette saturnale repoussant vingt bras qui voulaient
m'entraîner dans ces rondes insensées. Sur la place du Palais-Égalité on
ne savait où mettre le pied; les fusées vous inondaient, les pétards
vous éclataient dans les jambes, la population était, aux flambeaux et
aux torches, visible comme s'il eût été grand jour.
Sans cette circonstance j'eusse bien certainement trouvé les portes de
mes deux magasins fermées; mais elles étaient toutes grandes ouvertes,
et maîtres, maîtresses et commensaux de la maison prenaient part à la
fête. De vieilles servantes qui ne pouvaient trouver de cavaliers
dansaient avec leurs balais.
J'entrai au magasin des Deux-Sergents; on me prit pour une pratique qui,
malgré l'heure avancée, venait acheter quelque objet de lingerie, et
l'on me remit au lendemain. On avait bien le temps de vendre, la terreur
était finie, le commerce allait refleurir.
Je me fis reconnaître; je dis le motif de ma visite. J'appris, chose
qu'on ne savait pas, que madame de Beauharnais n'avait point été
exécutée pendant les derniers jours, qu'elle vivait encore et qu'elle
attendait ses enfants.
La joie de ces braves gens fut grande. Ils adoraient la petite Hortense.
On l'appela à grands cris; elle s'était retirée dans sa chambre et
pleurait pendant que les autres se réjouissaient; mais à peine eut-elle
su que sa petite mère vivait toujours et qu'il ne lui était rien arrivé,
qu'elle se mit à sauter et à rire. C'était une charmante enfant de dix à
onze ans, avec une peau satinée, de beaux cheveux blonds, de grands yeux
bleus transparents comme l'éther.
On ne fit sur le billet aucune objection, et l'on s'apprêta à me
remettre l'enfant; mais pour une pareille solennité la maîtresse de la
maison voulut absolument qu'on la fit belle. On vêtit Hortense de sa
plus jolie robe et on lui mit un bouquet à la main, et pendant ce temps
j'allai chercher son frère.
Le menuisier, sa femme et tous les apprentis dansaient et chantaient
autour d'un grand feu qui brûlait dans la rue de l'Arbre-Sec; je
m'informai du jeune Beauharnais et on me le montra accoudé à une borne
et regardant tristement toute cette joie à laquelle il ne prenait aucune
part.
Mais lorsque j'eus été à lui, quand je me fus fait reconnaître, que je
lui eus dit de quelle part je venais, lui, au lieu d'éclater en rires
joyeux, il se mit à pleurer, ne prononçant que ces deux mots: Ma mère!
ma mère!
Lequel des deux enfants aimait le mieux sa mère; autant l'un que
l'autre, mais tous deux l'aimaient avec un caractère différent.
En un instant Eugène eut fait sa toilette. C'était un grand jeune homme
de seize ans, avec de beaux yeux noirs, de beaux cheveux noirs tombant
sur ses épaules. Il m'offrit son bras, je le pris, et nous nous hâtâmes
de traverser la rue pour aller prendre sa sœur.
Elle nous attendait tout habillée, son bouquet à la main; elle avait une
robe de mousseline blanche, une ceinture blanche et un chapeau de paille
rond avec un ruban bleu; de son chapeau de paille s'échappaient des
flots de cheveux blonds. Elle était charmante.
Nous reprîmes en courant la rue Saint-Honoré.
Onze heures sonnaient à l'horloge du Palais-Égalité; les feux
commençaient de s'éteindre et l'on circulait un peu plus librement. Tout
le long de la route, je n'étais occupée, à droite et à gauche, qu'à
répondre aux questions des deux enfants sur leur mère.
Nous arrivâmes à mon entresol, à la porte duquel j'avais laissé la clef,
mais mon commissaire n'était pas encore de retour. J'expliquai aux deux
enfants que j'étais obligée d'attendre le citoyen Tallien, qui pouvait
seul ouvrir les portes de la prison de leur mère. Ils le connaissaient
de nom, mais ni l'un ni l'autre n'était fort au courant de l'histoire de
la révolution, qui ne leur était venue que tamisée par le milieu
commercial dans lequel ils vivaient.
Il y avait deux fenêtres à ma chambre, les enfants se mirent à l'une,
moi à l'autre; nous attendîmes.
Il faisait un temps magnifique, un de ces temps qui font croire,
lorsqu'il arrive de grands événements, que pour leur accomplissement le
ciel donne la main à la terre. J'entendais le jeune homme, qui avait
quelques notions d'astronomie, dire à sa sœur le nom des étoiles.
Puis tout à coup, un peu après minuit sonné, le roulement d'un fiacre se
fit entendre, venant par la petite rue qui longe la grille de
l'Ascension, et il s'arrêta à notre porte.
La portière s'ouvrit, deux hommes sautèrent sur le pavé.
C'étaient Tallien et le commissaire.
Celui-ci leva le nez, m'aperçut à la fenêtre, arrêta Tallien qui allait
se lancer dans l'allée, et m'appela.
Puis, se retournant vers Tallien:
--Inutile de perdre son temps à monter, dit-il, elle descend.
En effet, je descendais avec les deux enfants.
--Ah! mademoiselle, me dit Tallien, je sais tout ce que je vous dois.
Croyez que Terezia et moi ne l'oublierons jamais.
--Vous vous aimez, vous allez vous revoir, vous allez être heureux, lui
dis-je, ce sera pour moi une bien douce récompense.
Il serra mes mains dans les siennes et me montra la portière du fiacre
ouverte; j'y montai, pris Hortense sur mes genoux, mais notre
complaisant commissaire déclara que, pour ne pas nous gêner, il montait
sur le siège avec le cocher.
Peut-être n'était-il pas fâché de me laisser le temps de causer avec
Tallien au moment où le feu de la reconnaissance n'avait pas encore eu
le temps de s'attiédir.
Si c'était là son intention; il devina juste. À peine la portière
refermée, le cocher eût-il pris au galop le chemin de la Force, que
j'entamai le chapitre des faits et gestes de messire Jean Munier.--Un
mot que je dirais tout bas à Terezia, lui ferait ajouter ses
recommandations aux miennes.
Les chevaux ne cessaient d'aller au galop, et cependant Tallien, passant
sa tête à la portière, criait à chaque instant:
--Plus vite! plus vite!
Nous arrivâmes à la Force. Il y avait à la porte les restes d'un
rassemblement qui s'y était tenu toute la journée; c'étaient des parents
et des amis dont les amis et les parents étaient enfermés dans la
prison. On avait craint que, comme la veille, les charrettes ne
continuassent de fonctionner, et chacun était venu avec une arme
quelconque pour s'opposer en ce cas au départ des prisonniers. L'heure
passée, le rassemblement avait continué d'avoir lieu la nuit sans que
l'on sût pourquoi et par la seule raison qu'il avait eu lieu le jour.
On regarda curieusement les personnes qui descendaient du fiacre, et
j'entendis tout bas murmurer le nom de Tallien par une personne qui
avait reconnu l'ex-proconsul de Bordeaux.
Mais comme Tallien avait frappé en maître à la porte de la Force, la
porte s'était ouverte rapidement, et rapidement s'était refermée.
Le commissaire nous servait de guide. J'eusse pu en faire autant, car je
commençais à être familière avec la prison, et le père Ferney m'appelait
en riant sa _petite pensionnaire_.
Tallien laissa au guichet le commissaire avec les papiers nécessaires à
l'élargissement des prisonniers, et s'élança par les escaliers, ne
voulant pas être retardé par ces formalités.
Le père Ferney nous donna un guichetier; mais, comme je connaissais le
chemin aussi bien que lui et que j'étais plus légère, j'étais avant lui
à la porte.
--C'est nous! criai-je en frappant trois coups.
Deux cris me répondirent, et des pas légers s'élancèrent vers la porte
accourant au devant de moi.
--Et Tallien? dit la voix de Terezia.
--Il est là, répondis-je.
--Et mes enfants? demanda la voix de Joséphine.
--Eux aussi, ils y sont!
Une double exclamation monta au ciel.
Je démasquai la porte.
La clef grinça dans la serrure, la porte roula sur ses gonds, le flot se
précipita dans la chambre, l'amant vers l'amante, les enfants vers la
mère.
Je n'étais ni amante ni mère. J'allai m'asseoir sur le lit, je m'aperçus
que seule j'étais seule! et je pleurai.
--Où étais-tu? mon Jacques bien-aimé!
Pendant quelques secondes on n'entendit que des baisers, des cris de
joie, des mots entrecoupés: Ma mère! Mes enfants! Ma Terezia! Mon
Tallien!
Puis, égoïstes à force d'amour, ne voyant plus qu'eux au monde, les
prisonniers sortirent en deux groupes, sans s'inquiéter de celle qui
restait derrière eux.
La chambre demeura vide. Oh! elle avait vu sans doute de grandes
tristesses cette chambre, elle avait entendu sans doute de bien
douloureux sanglots; elle avait vu des enfants s'arracher aux bras de
leur mère, des femmes à ceux de leur époux, des pères à ceux de leurs
filles. Eh bien! elle n'avait rien entendu de pareil, j'en suis sûre, au
soupir que je poussai en me renversant sur ce lit.
Je fermai les yeux; j'aurais voulu me croire morte. Sous cette terre
insensible j'avais plus de parents et plus d'amis que dans ce monde
d'oublieux et d'ingrats.
C'était la seconde fois que je regrettais que la guillotine n'eût pas
voulu de moi.
Je tombai dans un état de torpeur impossible à décrire.
Une voix connue me tira de mon abattement.
Elle disait:
--Eh bien! vous ne venez donc pas, vous?
Je rouvris les yeux; c'était mon commissaire qui venait me chercher.
Il ne m'avait pas oubliée, lui!
Il avait encore besoin de moi.

XXVI
Je le suivis la mort dans l'âme!
À la porte nous cherchâmes vainement une voiture, celle qui nous avait
amenés avait disparu. Tallien, qui, je l'ai dit, avait été reconnu en
entrant, avait trouvé en sortant une foule immense. On savait la part
qu'il avait eue à la chute de Robespierre; on lui avait préparé une
ovation. La voiture qui contenait les cinq prisonniers et leur
libérateur fut escortée aux flambeaux; elle traversa Paris au cri de:
Mort au dictateur! vive Tallien! vive la république! Ce fut le
commencement de ses triomphes!
Rien ne laisse après soi plus d'obscurité que la lumière; rien ne laisse
plus de silence que le bruit.
Nous avions l'air, Jean Munier et moi, de deux ombres errant dans une
ville morte.
De temps en temps nous entendions au loin devant nous les hourras
poussés par la foule.
Comme elle devait être heureuse cette amante qui revenait à la vie au
milieu des cris du triomphe de son amant! Qu'elle devait être heureuse
cette mère qui ressuscitait dans les bras de ses enfants, qu'elle avait
cru ne revoir jamais.
Nous traversâmes Paris dans la moitié de sa longueur, de la Force à
l'Ascension. Là je pris congé de mon compagnon, et je remontai chez moi,
seule et désespérée.
Je me jetai tout habillée sur mon lit. Je ne m'y couchais point pour
dormir, mais pour pleurer.
Le sommeil ou plutôt l'évanouissement de mes facultés vint au milieu des
larmes et sans que je m'en aperçusse. Je continuais de pleurer en
dormant.
Le lendemain, il me sembla entendre quelque bruit dans ma chambre, et,
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