Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 25

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de la fauvette. Le rossignol essayait d'égrener ses notes comme des
perles, mais tout à coup il s'arrêtait, un reste de froid étreignait son
chant mélodieux et le forçait de s'arrêter.
Les hirondelles avaient reparu.
Pas un des symptômes de ce retour à la vie et à l'amour n'échappait à
Éva; c'était bien plus un oiseau qu'une femme, un être sensitif qu'un
être raisonneur. Le vent, le soleil, la pluie avaient leur reflet en
elle; elle éprouvait une partie des modifications de la nature. Parfois
elle surprenait de son côté Jacques Mérey l'œil fixé sur toutes ces
transformations végétales et animales qui accompagnent le réveil de la
nature. Sans doute y trouvait-il le même charme qu'elle, mais, comme
s'il eût condamné sa bouche à ne plus sourire aux douces émotions, dès
qu'il s'apercevait qu'il était épié, il poussait un soupir et rentrait
chez lui.
Cependant de temps en temps il reprenait avec Éva les conversations
longues et suivies. C'était alors qu'il lui racontait comment il avait
fait du château de Chazelay un hospice modèle où les vieillards, les
femmes et les enfants pauvres auraient bon air, bonne nourriture et beau
soleil. Alors Éva demandait à voir et à suivre ces travaux
philanthropiques; mais Jacques lui répondait toujours:
--Je vous y conduirai lorsqu'il sera temps, et vous aurez tout le loisir
de vous livrer à cette sainte occupation.
Vers la fin du mois de mai, Éva vit revenir le même homme au carton qui
était déjà venu une fois. C'était M. Fontaine, qui venait s'assurer par
ses propres yeux que ses travaux s'exécutaient avec ponctualité et
intelligence.
On mit les chevaux à la voiture et Jacques Mérey et lui repartirent
comme ils avaient déjà fait.
La petite maison du bois Joseph était complètement achevée, et Jacques
venait pour recevoir les bouquets qu'offrent les maçons aux
propriétaires lorsqu'ils n'ont plus rien à faire à l'œuvre entreprise
par eux.
Jacques n'avait cessé d'y donner ses soins, quoi qu'il eût dit à M.
Fontaine, aussi n'y avait-il pas un détail dans la sculpture et
l'architecture qui fît défaut.
Malgré son horreur pour les toits aigus, l'architecte avait compris que
dans notre belle France, où il neige un tiers de l'année, où il pleut
l'autre, les toits en terrasse ne sont bons qu'à faire des réservoirs au
sommet des maisons.
Comme toutes les boiseries avaient été taillées et sculptées en même
temps que la maison était bâtie, il n'y eut qu'à mettre des gonds aux
ouvertures et à y appliquer les portes et fenêtres. Jacques Mérey
choisit les couleurs des papiers. M. Fontaine se chargea de les envoyer
de Paris avec des ouvriers habitués à coller les tentures, non point par
rouleaux, mais par larges bandes et par larges placards.
Puis il s'en alla enchanté de la façon dont la besogne avait marché,
promettant de revenir sous quinze jours pour voir la maison dans son
ensemble d'achèvement.
Jacques Mérey lui avait fait en même temps le plan de la maison de Paris
et l'avait chargé d'acheter un terrain du côté du faubourg Saint-Honoré
ou de la rue de l'Arcade.
Quatre ou cinq jours après, ouvriers et tentures arrivaient, si bien
qu'en dix jours, papier, rideaux et portières furent posés.
Jacques avait choisi des papiers foncés pour faire valoir les tableaux,
et, lorsque M. Fontaine revint, il fut forcé d'avouer qu'il n'y avait au
monde qu'un seul peintre, nommé Raphaël, mais que l'école flamande, que
l'école vénitienne, l'école napolitaine, l'école florentine, l'école
espagnole, l'école hollandaise et même l'école française ont bien aussi
leur mérite.
Jacques Mérey n'avait pas utilisé pour sa maison du bois Joseph les deux
tiers des tableaux que lui fournissait le château de Chazelay. Il lui en
restait le double de ce qu'il avait employé et de ce qu'il emploierait
dans sa maison de Paris, tous les tableaux de sainteté étant réservés
pour la petite église de l'hôpital. Il y avait surtout une chambre dans
la petite maison du bois Joseph qu'il avait traitée avec un soin tout
particulier: c'était celle où il avait placé en face du lit le portrait
de madame la marquise de Chazelay, la mère d'Éva, celle-là qui avait si
malheureusement péri par le feu.
Tout ce qu'il y avait de plus jolis meubles en bois de rose et en ébène
incrusté d'ivoire, tout ce qu'il y avait de plus finement travaillé en
meubles de Boule étaient réunis dans cette chambre. Les vases de la
cheminée et la pendule étaient du saxe le plus ingénieusement travaillé,
les cadres des glaces étaient en saxe et la cheminée elle-même en
porcelaine de Dresde.
Tout cela ressortait admirablement, le portrait de la marquise de
Chazelay compris, sur une tenture de velours grenat.
Il va sans dire que les tapis des chambres étaient assortis à leurs
tentures.
Cette chambre, qui se trouvait au centre même du bâtiment, juste
au-dessus de l'endroit où Jacques, conduit par Scipion, avait trouvé la
petite Hélène, avait sa vue sur le charmant paysage que nous avons
décrit et qui lui donnait le château de Chazelay pour son horizon de
gauche et la vallée de la Creuse pour son horizon de droite.
En face de ses deux fenêtres du milieu était une large ouverture à
travers le bois qui permettait d'apercevoir Argenton et, avec une
lunette d'approche, de distinguer la maison du docteur avec son
laboratoire.
La chambre du docteur, au contraire, attenant à celle que nous venons de
décrire, d'un côté par un cabinet de toilette et de l'autre par un
corridor, était d'une sévérité tout antique. C'était celle de Cicéron,
exécutée à Cumes sur le modèle des plus belles fabriques retrouvées à
Pompéi. Elle donnait d'un côté dans une bibliothèque et de l'autre dans
un salon moderne meublé tout entier dans le goût Louis XV, avec tous les
objets de cette époque que lui avait fournis le château de Chazelay. Les
peintures du cabinet, imitées de celles de Pompéi, étaient exécutées par
des élèves de David.
Il y avait une salle à manger d'hiver, dans une serre toute plantée de
fleurs exotiques, et une salle à manger d'été donnant sur un charmant
parterre de nos fleurs d'Occident les plus vives et les plus parfumées.
Jacques avait fait enfermer le bois tout entier, de sorte que l'on
passait sans s'en apercevoir du jardin dans la forêt.
L'hôpital était non moins avancé que la maison de campagne. Toutes les
séparations étaient faites, tout était peint à la détrempe en gris perle
avec des encadrements cerise. Dans chaque cellule, il y avait pour tout
ornement un crucifix, que les fenêtres en s'ouvrant inondaient de
lumière. Des jalousies qui se serraient et se desserraient à volonté,
donnaient le degré de jour que le médecin jugeait nécessaire au malade.
Il y avait place déjà pour quarante ou cinquante lits, une vingtaine de
cellules vides s'offraient dans le cas où ces quarante ou cinquante lits
seraient insuffisants.
Le brave Jean Munier surveillait tout cela avec un soin à la fois
égoïste et reconnaissante.
Les cellules vides renfermaient pour le moment la partie de
l'ameublement et des tableaux qui n'avait pas encore été employée.
Nous avons dit que les tableaux de sainteté avaient été réservés pour
l'église. C'est que, quoique toutes les églises eussent été fermées à
Paris, il n'en était point ainsi en province. Certaines localités plus
religieuses que les autres, et l'on connaît la sincérité des Berrichons
à leur culte, avaient non-seulement conservé leurs églises, mais leurs
prêtres.
Ainsi le prêtre du château de Chazelay, brave homme, fils d'un paysan à
qui M. de Chazelay avait fait donner une éducation religieuse dans un
séminaire de Bourges, ne s'était point inquiété de la proscription des
prêtres ni du serment qu'on, avait exigé d'eux. Personne n'était venu
lui demander le serment constitutionnel et il n'avait été l'offrir à
personne; il était resté avec les serviteurs du, château, conservant son
habit moitié ecclésiastique, moitié paysan, et personne n'avait fait
attention à lui. Il n'était pas assez important en bien ou en mal pour
qu'on songeât à le dénoncer, son peu d'importance le sauva.
Lorsqu'on lui dit que les biens du château de Chazelay étaient rendus
après la mort du marquis à sa fille, il vint la féliciter et lui faire
une visite, en demandant de rester attaché à la maison au même titre et
aux mêmes conditions où il était auparavant.
Éva s'était parfaitement rappelé le digne homme, elle l'avait vu dans le
court séjour qu'elle avait fait au château, il s'était approché d'elle
et lui avait offert les secours de la religion, mais elle l'avait
remercié, elle ignorait en quoi les secours de la religion pouvaient
l'aider à supporter un malheur qu'elle regardait comme irréparable,
puisqu'elle se croyait à tout jamais séparée de l'homme qu'elle aimait.
--D'abord, lui avait-elle dit lors de la visite qu'il lui avait faite à
Argenton, le château était destiné à devenir un hospice, et dans un
hospice plus encore que dans un château on avait besoin d'un bon prêtre,
parlant à la fois la langue simple et naïve de la religion, puisqu'il
s'adressait à des paysans, c'est-à-dire à des hommes simples et naïfs.
Plusieurs fois Jacques Mérey, dans ses voyages au château, avait causé
avec lui et l'avait toujours trouvé indulgent et paternel; c'étaient les
deux grandes qualités qu'à son avis devait avoir un prêtre. Il lui avait
donc, comme à Joseph le braconnier, comme à Jean Munier, l'intendant,
promis que rien ne serait changé sinon en mieux à sa position. Il était
chargé de visiter tous les villages environnants et de faire une liste
des gens vraiment pauvres qui devaient recevoir des secours à domicile
et de ceux qui, n'ayant pas de domicile, ne pouvaient en recevoir qu'à
l'hospice.
Ce jour-là Jacques Mérey s'enferma avec lui et causa longuement.
C'était sans doute d'Éva et de ses projets futurs dont s'entretinrent
ces deux hommes, car, aussitôt la conversation terminée, le prêtre sella
un petit cheval qui lui servait dans ses courses pieuses, et prit le
chemin d'Argenton.
Deux heures après, Jacques Mérey partit à son tour, et à une lieue
d'Argenton il rencontra M. Didier, c'était le nom du brave homme, qui
revenait au château.
--Eh bien, lui demanda-t-il, qu'a-t-elle répondu?
--Elle a répondu: «Que sa volonté et celle de Dieu soient faites,» puis
elle a joint les mains et prié. C'est une sainte personne que
mademoiselle Éva.
--Merci, mon père, dit Jacques, et il continua son chemin.
Mais il était facile de voir que s'il avait imposé quelque nouvelle
pénitence à Éva, il supportait lui-même et douloureusement une portion
de cette pénitence, car, au fur et à mesure qu'il se rapprochait
d'Argenton, son front se rembrunissait; et, quand il mit la main sur le
marteau de la porte de la petite maison, comme s'il eût voulu annoncer
sa présence et ne point paraître tout à coup à l'aide de sa clef, on eût
pu voir que sa main tremblait.
Il frappa cependant et Marthe vint ouvrir.
--Il ne s'est rien passé d'extraordinaire en mon absence? demanda
Jacques.
--Non, monsieur, répondit la vieille Marthe; le curé du château, M.
Didier, est venu; il a causé pendant dix minutes avec mademoiselle Éva;
celle-ci a pleuré, je crois, et s'est retirée dans sa chambre.
Jacques Mérey fit un signe de la tête, hésita un instant s'il entrerait
dans la chambre d'Éva ou s'il monterait dans son laboratoire sans y
entrer; mais arrivé au premier, il s'avança doucement jusqu'à la porte,
écouta et frappa:
--Entrez, dit la voix d'Éva, qui, sachant que Jacques Mérey ne frappait
pas d'habitude à la porte de la rue, ne l'avait pas reconnu et croyait
avoir affaire à un étranger.
Mais à peine eût-il ouvert la porte qu'elle jeta un cri, tomba à genoux
et dit en ouvrant les mains et les bras:
--_Ecce ancilla Domini._


XVI
LA CORBEILLE DE MARIAGE

Jacques la releva.
--J'hésitais à vous voir, dit-il.
--Pourquoi cela? demanda Éva en levant ses grands yeux clairs sur le
docteur.
--Je craignais, répondit celui-ci, que votre entretien avec M. Didier
n'eût fait sur vous une plus vive impression.
--Oh! dit Éva, vous m'aviez déshabituée des choses cruelles, Jacques!
L'impression, croyez-vous qu'elle soit moins violente parce que je
n'éclate pas en sanglots, parce que je ne me roule pas à vos pieds; vous
vous trompez, mon ami. Si vous m'avez trouvée à genoux, c'est que je ne
voulais pas vous attendre assise et que je n'étais point assez forte
pour vous attendre debout. D'ailleurs, n'étais-je pas prévenue, n'est-ce
pas moi-même qui vous ai dit: Si jamais vous vous mariez, ne m'éloignez
point pour cela de vous; le prêtre est venu m'annoncer votre mariage;
mais il m'a annoncé en même temps que vous me gardiez comme une sœur et
comme une amie. Je n'en espérais pas tant. Vous m'avez parlé
d'expiation, jusqu'à présent, Jacques, je n'ai rien expié, je n'ai fait
que suivre au penchant de votre volonté la route que j'eusse suivie
seule. Vous avez employé une partie de ma fortune à des œuvres de
charité, c'est ce que j'eusse fait moi-même. Aucune grande douleur qui
puisse compenser celle que je vous ai faite n'a véritablement atteint
mon cœur. Je commence d'aujourd'hui à marcher au milieu des ronces et
des épines, sur des cailloux aigus. Mais que vous ai-je dit? que vous ne
vous apercevriez pas de ma souffrance, car j'aurais trop peur de vous
lasser si je me laissais aller à ma douleur par mes plaintes et par mes
sanglots. Je vous sais gré d'avoir choisi un homme de paix et de pardon
pour m'annoncer cette nouvelle; mais, au premier mot qu'il m'a dit, j'ai
tout deviné, tout compris, et vous ai remercié du fond du cœur d'avoir
eu pour moi ce dernier ménagement inutile. J'eusse mieux aimé tout
apprendre de votre bouche. Vous avez craint mes larmes, vous avez
redouté mes gémissements, j'allais dire mes reproches. J'oubliais que je
n'avais pas de reproches à vous faire. Non! j'eusse eu sur moi-même
cette puissance de vous écouter avec le même sourire que j'ai sur les
lèvres en vous écoutant à cette heure. J'ai promis, mon ami, je tiendrai
jusqu'au bout.
--Merci, Éva, dit Jacques.
Et lui prenant la main il la baisa.
Mais à peine ses lèvres eurent-elles touché la main de la jeune fille,
que celle-ci jeta un cri, devint pâle comme une morte et tomba sans
connaissance sur une chaise.
Elle avait assez de force pour une douleur, pas assez pour une caresse.
Jacques profita de ce qu'elle avait les yeux fermés pour la regarder
avec une incommensurable expression d'amour; peu s'en fallut, car ses
bras s'ouvrirent, qu'il ne la prit entre ses bras et ne la serrât contre
son cœur.
Mais lui aussi avait une puissante volonté et avait juré d'aller
jusqu'au bout.
Il tira un flacon de sa poche, et le lui fit respirer.
Si douloureuse qu'eût été la blessure, elle portait son baume avec elle.
Éva rouvrit les yeux, ne prononça pas une parole, mais un double
ruisseau de larmes coula sur ses joues et elle murmura:
--Oh! que je suis heureuse. Qu'est-il donc arrivé?
--Je vous laisse seule, Éva, dit Jacques, rappelez-vous!
Et il sortit.
Éva et Jacques ne se revirent qu'au dîner, et il ne fut plus question
entre eux de la cause qui avait amené M. Didier à Argenton. Seulement de
jour en jour le cercle de bistre qui s'était formé autour des yeux d'Éva
allait s'élargissant. Sa pâleur devenait plus mate, et deux ou trois
fois Jacques Mérey, se levant sur la pointe du pied, allait écouter à sa
porte et l'entendait pleurer.
Lui-même alors, voulant ramener la conversation sur cet objet, parut
embarrassé devant Éva, balbutia quelques paroles qu'il n'acheva point,
comme s'il eût craint de lui faire une trop grande peine et de lui
demander quelque chose au delà de ses forces; aussi ce fut elle-même qui
vint au secours de ses désirs.
Un soir qu'il paraissait plus troublé encore que d'habitude, elle
s'agenouilla devant lui et, lui prenant les mains:
--Mon ami, dit-elle, vous avez quelque chose à me dire et vous n'osez
point. Voyons, parlez, dites-moi tout, fût-ce mon arrêt de mort. Vous le
savez, tout ce qui viendra de votre bouche me sera cher.
--Éva, dit Jacques, il va falloir nous séparer pour quelques jours.
Elle tressaillit et sourit tristement.
--Jacques, dit-elle, notre vraie séparation date du jour où vous ne
m'avez plus aimée.
--Et cependant, continua Jacques, si vous le vouliez, nous ne nous
séparerions pas, même pour ces quelques jours.
--Comment cela? dit-elle vivement.
--Je vais à Paris pour faire des achats, _la personne_ est orpheline,
n'a point de parente qui puisse me guider dans l'achat des choses
agréables à une femme.
--Eh bien, Jacques, demanda Éva, le cœur gonflé de sanglots, mais
commandant encore à son émotion, ne suis-je pas là, moi?
--Le fait est, Éva, reprit Jacques, que, si vous vouliez m'accompagner
dans ce voyage, vous me rendriez un grand service.
--Me voilà, partons, plus vous me ferez souffrir, Jacques, plutôt je
serai pardonnée de Dieu et de vous.
--Si cependant, reprit vivement Jacques, ce sacrifice est au-dessus de
vos forces!
--Il n'y a qu'une chose qui soit au-dessus de mes forces, c'est de ne
plus vous aimer.
--Éva!
--Pardon, c'est de toutes les promesses que je vous ai faites celle qui
est la plus difficile à tenir; il faut être indulgent pour moi à cet
égard, mon ami. Quand partons-nous?
--Demain soir, si vous voulez.
--Ma volonté est la vôtre; demain soir je serai prête.
Jacques envoya retenir les trois places du coupé de la diligence, et le
lendemain soir, après avoir été jeter dans la journée un regard sur le
château de Chazelay et sur la maison du bois Joseph, qui était prête à
recevoir ses maîtres, il partit avec Éva pour Paris.
À cette époque on mettait encore deux jours pour venir d'Argenton à
Paris. Jacques arriva à sept heures du soir.
C'était du 15 au 20 juin, c'est-à-dire dans les plus beaux jours de
l'année; il faisait clair comme en plein midi. Jacques appela un fiacre,
y fit monter Éva, monta derrière elle et dit au cocher:
--Hôtel de Nantes.
Éva tressaillit, elle regarda Jacques d'un œil qui voulait dire:
«Mais vous ne m'épargnerez donc aucune douleur.»
Jacques ne parut pas faire attention à ce regard, mais lui prenant la
main, il la serra cordialement en lui disant:
--Éva, vous êtes une bonne créature; on peut se fier à votre parole
comme à celle d'un homme.
Quelque effort que fît Éva sur elle-même, au fur et à mesure qu'elle
approchait de l'hôtel, cette espèce de tressaillement qu'elle avait eu
en entendant donner cette adresse se changea en un tremblement dont elle
n'était plus maîtresse.
Jacques demanda les deux chambres qu'il avait déjà occupées; elles
étaient libres.
Au pied de l'escalier, les jambes d'Éva lui refusèrent leur secours.
Comme avait déjà fait une fois, Jacques la prit dans ses bras et la
porta jusqu'à l'entresol.
--Oh! ici, dit-elle en entrant dans la chambre, ici j'ai été bien
heureuse: j'ai cru mourir.
Et elle alla s'asseoir sur le lit, les mains étendues sur ses genoux, la
tête basse, les yeux pleins de larmes.
--Pardonnez-moi, dit-elle à Jacques; mais pourquoi m'avez-vous conduite
ici?
--Parce que c'est l'hôtel où je descends toujours, répondit Jacques, et
que j'y ai mes habitudes.
--Pas pour autre chose, demanda Éva, pas pour me faire souffrir?
--Pourquoi me dites vous cela, Éva? ces chambres sont des chambres;
quelles traces ont-elles gardées de ce qui s'est passé?
--Vous avez raison, Jacques, mais vous ne pouvez pas empêcher que je me
souvienne. Il y avait un grand feu dans cette cheminée, le tapis était
inondé d'eau, il y avait çà et là des habits déchirés, vous ne m'aimiez
plus, mais du moins vous ne me haïssiez pas encore.
--Je ne vous ai jamais haïe, Éva; je vous ai plainte. Les reproches que
je vous ai faits, je me les adressais à moi-même. J'ai trop soigné
l'admirable perfection de votre corps; je n'ai point assez développé les
forces de votre âme. C'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma
très-grande faute. Mais ne pensons plus à tout cela. Que voulez-vous
faire ce soir, Éva? voulez-vous sortir, voulez-vous rester dans cette
chambre à regarder les passants?
--Je veux rester dans cette chambre, dit Éva, à regarder dans mon âme.
Ne craignez pas que je m'y ennuie; elle est peuplée de souvenirs pour
des siècles. Mais assez là-dessus, Jacques, je vous fatigue et je me
brise le cœur. Vous avez les mesures prises pour les objets que vous
voulez commander?
--Non, mais je tâcherai de trouver une personne qui soit à peu près de
la même taille qu'elle.
--Si j'avais le bonheur de ressembler en quelque chose à cette
bienheureuse personne, je vous dirais, Jacques: Prenez-moi, vous être
utile serait ma plus grande joie.
Jacques regarda Éva, comme si seulement alors il pensait à cette
possibilité.
--Ah! par ma foi! dit-il, c'est étrange, vous êtes juste de la même
taille, et je suis certain qu'une mesure prise sur vous lui irait
admirablement à elle.
--Disposez de moi, Jacques; ne suis-je pas une chose à vous appartenante
et dont vous pouvez user à votre loisir?
--Eh bien, demain je donnerai ici rendez-vous aux tailleuses, aux
couturières et aux marchands de châles et d'étoffes.
Le lendemain Jacques sortit dès le matin, en recommandant à Éva de se
tenir prête pour neuf heures. À huit heures et demie il rentra, fit
servir à déjeuner, fut aussi gai et aimable que possible avec Éva, chez
laquelle les marchands de modes, les tailleuses, les couturières
commencèrent à faire irruption vers dix heures du matin.
Alors, le cœur serré, mais le sourire sur les lèvres, Éva choisit les
étoffes pour les robes, les formes pour les chapeaux, les cachemires
pour les couleurs, puis vinrent les détails de peignoirs, de jupons, de
tout ce monde de femmes enfin, comme l'appelle Juvénal.
Puis vint le tour des bijoux, des bagues, des colliers, des montres, des
peignes; puis on passa aux gants, qu'on acheta par douzaines; au linge
que Jacques recommanda à Éva de choisir le plus beau possible, et Éva,
avec une petite robe de toile de printemps, sans un seul bijou aux
doigts ni au cou, un de ces bonnets chiffonnés comme en portent les
femmes le matin, choisit pour dix mille francs de bijoux, pour vingt
mille francs de châles, pour douze ou quinze mille francs de linge, sans
indiquer un seul instant de tristesse ou de jalousie en voyant passer à
une autre tous ces trésors de toilette.
L'après-dînée fut employée aux mêmes détails d'une toilette féminine
extrêmement élégante: des bas de soie, des jupons, des dentelles, etc.
Il lui fallut assortir tout cela à la blancheur du teint, à la couleur
des yeux, à la nuance des cheveux. Sous ce rapport, Jacques donna tous
les renseignements avec une exactitude qui serra de plus en plus le cœur
d'Éva, car elle prouvait quel souvenir fidèle il avait de la personne
pour qui tous ces achats étaient faits, et Éva, la chose était visible,
avait hâte de quitter Paris; mais il était impossible que toutes ces
toilettes fussent livrées avant trois ou quatre jours.
Éva se tint constamment enfermée dans sa chambre de l'hôtel de Nantes.
Le troisième jour, tout était prêt. Jacques commanda des caisses.
--Où donc emportez-vous tout cela? demanda Éva.
--Mais en province, répondit Jacques.
--Ne vous..... mariez-vous point ici? demanda avec hésitation la jeune
fille.
--Non, je me marie à Argenton.
--Habiterez-vous..... Argenton? articula Éva.
--De temps en temps, répondit Jacques..... Mais nous avons une maison de
campagne pour l'été et une maison de ville à Paris pour l'hiver.
--Il me sera permis de rester à Argenton, n'est-ce pas? demanda Éva,
dans la petite chambre de notre petite maison.
Et en disant «notre petite maison», les larmes jaillirent malgré elle de
ses yeux.
--Vous resterez où vous voudrez, bonne Éva, lui dit Jacques.
--Oh! bien obscure, bien cachée, bien inconnue, mais près de vous.
--Soyez tranquille, dit Jacques.
Ils repartirent le lendemain pour Argenton, avec toute une corbeille de
mariage dont se fût contentée une princesse.


XVII
LE PARADIS RETROUVÉ

À leur retour à Argenton, autant Jacques était heureux d'avoir été si
bien secondé dans ses achats par Éva, autant celle-ci paraissait triste
d'être si fort ressemblante à la femme qu'allait prendre Jacques que
l'on pût mesurer les habits de l'une à la taille de l'autre.
Tant que le jour de ce mariage avait été éloigné, Éva l'avait regardé
d'un œil assez philosophique; mais au fur et à mesure que ce jour
approchait, à l'idée qu'une autre femme allait s'installer dans la
maison et matériellement s'emparer de l'homme qu'elle aimait plus que sa
vie et pour lequel deux fois elle avait voulu mourir, une souffrance
impossible à surmonter s'emparait d'elle. Cette douce quiétude qui
était le fond de son caractère avait peu à peu fait place à une
sensibilité nerveuse qui ne lui permettait pas de se tenir un seul
instant tranquille.
Au moment où on s'y attendait le moins, et où elle s'y attendait le
moins elle-même, elle bondissait de sa place, allait d'un bout à l'autre
du salon, appuyait sa tête contre un marbre ou contre un carreau de
vitre, se tordait les bras, jetait un cri, s'élançait dans le jardin et,
au pied du pommier ou sous la tonnelle, restait des heures entières
comme abîmée dans sa douleur.
Avec l'été le rossignol avait retrouvé sa plus douce voix. Le soir, elle
se levait de la chambre où Jacques étudiait un plan de maison, sortait
comme une insensée, allait s'asseoir sous la tonnelle, et, tout à coup,
au milieu de ses plus douces mélodies, comme fatiguée de cet hymne au
bonheur, elle se levait, le forçait de s'envoler et rentrait en
pleurant.
Mis en demeure de lui dire quel jour arrivait sa fiancée, Jacques lui
avait indiqué le 1er juillet, ce qui lui donnait encore huit ou dix
jours de répit.
Tous les jours en se levant elle prenait une plume et tirait une barre
noire sur le jour où elle venait d'entrer. Trois ou quatre jours
restaient encore à s'écouler avant le moment fatal, lorsque l'abbé
Didier se présenta à la petite maison du docteur avec une jeune fille
qui demandait à entrer à l'hospice comme sœur de charité.
Elle était belle, elle avait seize ans, elle était orpheline; jamais
elle n'avait senti son cœur battre sous aucune passion, et, heureuse de
la vie qu'elle avait menée jusque-là, elle désirait continuer de vivre
dans le même calme et la même sérénité.
Pendant que l'abbé Didier et cette jeune fille étaient dans le
laboratoire de Jacques, Éva ouvrit la porte et fit signe à l'abbé Didier
qu'elle avait quelque chose à lui dire.
L'abbé Didier consulta Jacques des yeux; celui-ci lui donna congé par un
signe et l'abbé suivit Éva dans sa chambre.
Un instant après il rentrait et amenait avec lui la jeune sœur qui avait
été agréée par Jacques Mérey.
Dans quelques villes, ces douces et inoffensives congrégations avaient
été abolies comme les autres ordres religieux; mais, dans cette pieuse
partie de la France qu'on appelle le Berri, elles avaient continué de
subsister, et les malheureux n'avaient point été privés de ces soins
physiques que donnent de blanches et douces mains et de ces consolations
spirituelles que donnent de jeunes et douces voix.
Sur quatre sœurs qui devaient se partager le soin des pauvres et des
malades de l'hospice de Chazelay, trois avaient déjà été arrêtées, et
c'était la troisième qui sortait de chez le docteur avec la promesse
formelle d'être reçue.
Tout le reste de la journée, Éva parut plus calme. Au lieu de fuir la
présence de Jacques, elle semblait la chercher; à son tour, on voyait
qu'elle avait quelque chose à lui dire, quelque grâce à lui demander,
mais qu'elle n'osait point.
De son côté, Jacques semblait résolu à ne point l'interroger; il ne
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