Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 01

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CRÉATION ET RÉDEMPTION
DEUXIÈME PARTIE
LA FILLE DU MARQUIS
PAR
ALEXANDRE DUMAS
NOUVELLE ÉDITION
PARIS MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE AUBER, 3, PLACE DE L'OPÉRA
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIENS, 15, AU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT
1875
Droits de reproduction et de traduction réservés


TABLE
TOME I

I. Les Volontaires de 93
II. La Famille Rivers
III. Huit jours trop tard
IV. La Salle Louvois
V. Un Homme d'une autre époque
VI. La Lettre de M. de Chazelay
VII. L'Insufflation
VIII. La Séparation
IX. Le Manuscrit

TOME II

IX.--Suite du manuscrit
X.--Le Retour d'Éva
XI.--Le Retour de Jacques
XII.--La Cabane de Joseph le braconnier
XIII.--Le Château de Chazelay
XIV.--M. Fontaine, architecte
XV.--Ecce ancilla Domini
XVI.--La Corbeille de mariage
XVII.--Le Paradis retrouvé
*--Conclusion


CRÉATION ET RÉDEMPTION
DEUXIÈME PARTIE
LA FILLE DU MARQUIS
TOME I


I
LES VOLONTAIRES DE 93

Le 4 juin 1793, sortaient de Paris, par la barrière de la Villette, deux
voitures conduites en poste, l'une à quatre chevaux, l'autre à deux
chevaux.
C'était un luxe assez extraordinaire, par le temps qui courait, que deux
voitures de poste, pour qu'on ne les laissât point sortir de Paris sans
explication.
Aussi de la seconde voiture, qui était une espèce de calèche
découverte, ce qui indiquait au reste que les trois personnes qui
l'occupaient n'avaient rien à craindre des investigations de la police,
descendit un homme de quarante-cinq à quarante-six ans, tout vêtu de
noir et portant, chose extraordinaire à cette époque, une culotte courte
et une cravate blanche.
Aussi, sa présence excita-t-elle la curiosité du poste tout entier, qui
se pressa autour de lui, sans s'inquiéter des deux autres voyageurs
restés dans la voiture et qui portaient l'un le costume de sergent des
volontaires et l'autre celui d'un homme du peuple, c'est-à-dire le
bonnet rouge et la carmagnole.
Mais à peine l'homme vêtu de noir eut-il montré ses papiers, que le
cercle qui s'était en quelque sorte noué autour de lui se desserra et
qu'après un coup d'œil jeté pour la forme sur la première voiture, en
soulevant la bâche rouge qui la couvrait, permission lui fut accordée de
continuer sa route.
Dans cet homme vêtu de noir, on a reconnu M. de Paris, lequel s'en
allait à Châlons, avec le second de ses aides, nommé Legros, et le fils
d'un de ses amis, nommé Léon Milcent, sergent des volontaires, conduire
une belle guillotine toute neuve qu'avaient réclamée les maratistes du
département de la Marne, et qu'allait inaugurer et peut-être mettre en
mouvement le bourreau de Paris en personne.
Son second aide, garçon très-expérimenté, resterait jusqu'à ce que le
bourreau de Châlons fût bien au courant. Quant au fils de son ami, le
sergent de volontaires, il était en destination de Sarrelouis, dont on
renforçait la garnison, nos revers en Belgique faisant craindre une
seconde invasion de la Champagne.
Il devait rallier sur la route une vingtaine de volontaires allant dans
le même but à Sarrelouis.
Tous ces papiers et tous ces ordres étaient émanés de la commune,
souverain pouvoir pour le moment, et étaient signés: Pache, maire, et
Henriot, général.
Un congé avait été demandé la veille par _M. de Paris_, qui, au reste,
laissait à sa place son premier aide, un autre lui-même, et dont la
demande d'ailleurs était trop patriotique pour qu'on lui fît la moindre
objection.
On lui avait en outre, sans discussion aucune, donné une feuille de
route pour le citoyen Léon Milcent, qui avait déjà fait la première
campagne de 1792, et, la campagne finie, était rentré dans ses foyers,
mais qui, au nouvel appel de la patrie, s'empressait de courir à la
frontière.
Tout était vrai, excepté l'identité de Léon Milcent, qui, comme mes
lecteurs l'ont déjà deviné, n'était autre que Jacques Mérey.
M. de Paris s'était chargé non-seulement de faire sortir le fugitif de
Paris, mais encore de le conduire à Châlons, d'où, avec une bonne
feuille de route et la connaissance qu'il avait des localités, il
gagnerait facilement la frontière.
Le lendemain, vers midi, les deux voitures entraient à Châlons.
Là toutes relations finissaient entre Jacques Mérey et M. de Paris. M.
de Paris l'exigea, et donna le conseil à Jacques Mérey de se présenter
immédiatement à la municipalité pour s'informer s'il y avait à Châlons
et dans les environs des volontaires à destination de Sarrelouis.
Il y en avait onze à Châlons, sept ou huit dans les environs, et l'on
devait en rejoindre cinq ou six encore avant d'arriver à Sarrelouis.
Jacques Mérey était trop au-dessus des préjugés, et en outre il devait
trop à M. de Paris pour ne pas lui faire, en le quittant, les
remerciements les plus sincères et les plus reconnaissants.
Le départ des volontaires fut fixé au surlendemain, et ordre fut donné à
ceux qui habitaient les environs de la ville de se trouver à neuf heures
du matin sur la grande place. Après avoir fraternisé par un repas
lacédémonien avec la garde nationale, nos dix-huit ou vingt volontaires
se mettraient en route.
Bien entendu que Jacques Mérey fut le premier sous les armes. Son grade
de sergent d'ailleurs lui imposait l'obligation d'être exact.
La garde nationale, de son côté, composée d'une soixantaine d'hommes,
avait veillé aux préparatifs du repas. Une longue table, pouvant réunir
cent convives, était dressée sur la place de la Liberté. Les couverts
en plus étaient pour les membres de la municipalité qui feraient à la
garde nationale et aux volontaires l'honneur de partager leur repas.
À dix heures tout le monde était à table.
Le repas fut gai et bruyant. À Châlons, c'est-à-dire dans la capitale de
la Champagne, les repas, lorsqu'ils tirent à leur fin surtout,
ressemblent à un feu de peloton à volonté; seulement les bouteilles de
sillery, d'aï, de moët, remplacent les fusils. Ce qui fait que les morts
et les blessés qui restent sur le champ de bataille en sont quittes pour
y dormir une heure ou deux. Après quoi ils vont à leurs affaires comme
s'il ne leur était arrivé aucun accident.
Au milieu du feu de la mousqueterie champenoise, beaucoup de toasts
furent portés, auxquels il fut fait honneur, même par Léon Milcent.
D'abord les toasts à la nation, à la république, à la Convention,
passèrent avec un formidable cortége de bravos; puis vinrent les toasts
à Danton, à Robespierre, à Saint-Just.
Ces trois toasts furent acclamés par tous, même par notre sergent de
volontaires. Jacques Mérey était trop intelligent pour ne pas voir à
travers les nuages que les haines politiques jettent sur les
réputations, quels grands citoyens et quels profonds patriotes c'étaient
que Robespierre et que Saint-Just.
Quant à Danton, si l'on n'avait pas porté un toast à son honneur,
Jacques Mérey l'eût porté lui-même.
Un enthousiaste porta un toast à Marat; les applaudissements furent
modérés, mais tout le monde se leva.
Jacques Mérey se leva comme les autres, mais ne tendit pas son verre,
mais ne but pas.
Un fanatique remarqua cette froideur du sergent; il but à la mort des
girondins.
Un frisson courut parmi les convives. Ils se levèrent, mais sans
applaudir.
Jacques Mérey resta assis.
--Eh! sergent, cria celui qui avait porté le toast, êtes-vous cloué à
votre place, par hasard?
Jacques Mérey se leva.
--Citoyen, dit-il, combattant pour la liberté depuis cinq ans, je
croyais avoir conquis au moins celle de rester sur ma chaise quand cela
me plaisait.
--Mais pourquoi restes-tu sur ta chaise? pourquoi ne bois-tu pas à la
mort des traîtres?
--Parce que je quitte Paris, las de voir des concitoyens s'égorger les
uns les autres, et que je vais à la frontière pour y tuer le plus de
Prussiens que je pourrai. À la place du toast proposé, je porterai donc
celui-ci:
«À la vie et à la fraternité de tous les hommes de grand cœur et de
bonne volonté, et à la mort de tout ennemi français ou étranger portant
les armes contre la France!»
Le toast du sergent fut accueilli par des bravos unanimes, et Jacques
Mérey profita de l'enthousiasme qu'il avait excité, il fit signe qu'il
voulait parler encore.
Tout le monde se tut.
--Après le toast que j'ai porté, dit-il, après la façon dont il a été
accueilli, je ne puis maintenant en proposer qu'un seul:
«À notre départ immédiat et à notre rapide et victorieuse rencontre avec
l'ennemi. Battez, tambour!»
On a dû remarquer une chose, c'est qu'en temps de révolution, il n'y a
si petit rassemblement d'hommes armés ou même désarmés, qui n'ait son
tambour.
Nos volontaires avaient le leur, il se mit à battre la marche,
volontaires et gardes nationaux s'embrassèrent, et la petite troupe se
mit en marche en chantant la _Marseillaise_ et au cri de Vive la nation!
En quittant Châlons, le sergent Léon Milcent eut encore la joie de faire
un dernier signe d'adieu et de remerciement à un homme qui se tenait seul
à la fenêtre d'une petite maison isolée.
C'était son hôte de la rue des Marais.
Comme la journée était déjà avancée, on ne fit que cinq lieues ce
jour-là, et l'on s'arrêta à Somme-Vesle, c'est-à-dire à la première
station après Châlons.
Là le sergent Milcent reçut les félicitations bien sincères de tous
ses hommes sur le toast qu'il avait porté au déjeuner. En général les
volontaires n'étaient ni des fanatiques ni des énergumènes: c'étaient de
vrais patriotes, qui prouvaient leur patriotisme autrement que par de
vaines déclamations.
Léon Milcent leur avait été présenté, nous l'avons dit, comme ayant déjà
fait la campagne de 92. Aussi les soldats qui allaient pour la première
fois rejoindre leur drapeau le prièrent de s'arrêter à l'endroit d'où
l'on pourrait le mieux découvrir le champ de bataille de Valmy.
Le faux sergent le leur promit, et la chose lui était facile.
La campagne commença en réalité à Pont-Somme-Vesle, car, le village se
composant de deux ou trois maisons seulement, il fallut organiser un
bivac.
Heureusement les gardes nationaux avaient bourré les sacs des
volontaires de toutes sortes de provisions. Les uns tirèrent un poulet,
les autres un pâté; celui-ci une bouteille de vin, celui-là un
saucisson, de sorte que le dîner se ressentit de la prodigalité du
déjeuner.
Quant à la nuit (on était au 5 juin) le temps était doux; on la passa à
la belle étoile, sous les arbres magnifiques qui sont à la gauche de la
route en allant à Sainte-Menehould.
Les volontaires qui étaient du pays racontèrent aux autres comment
c'était là, c'est-à-dire à Pont-Somme-Vesle, que le roi, lors de sa
fuite, avait eu sa première déception, c'est-à-dire n'avait point trouvé
les hussards qui devaient l'attendre et qui avaient été dispersés par
les paysans.
Au reste, toute la légende de Louis XVI à Varennes est encore vivante
dans le pays.
Dans la soirée, un postillon de Sainte-Menehould passa ramenant des
chevaux de la poste de Drouet.
Jacques Mérey l'arrêta, lui donna un assignat de cinq francs à la
condition qu'il dirait en passant au maître de l'auberge de la Lune,
d'envoyer sur la route au devant des volontaires, un âne chargé de pain,
de vin et de tout ce qu'il aurait de viande rôtie.
L'aubergiste était invité en même temps à préparer, pour quatre heures,
un dîner de vingt personnes.
Le postillon partit en promettant de s'acquitter de la commission.
Le lendemain, à six heures, le tambour réveilla les dormeurs. On se
secoua, on but le reste de l'eau-de-vie que contenaient les bidons, et
l'on se mit en route avec une certaine inquiétude.
Il y avait six lieues de Pont-Somme-Vesle à Sainte-Menehould, et nul
n'avait connaissance des mesures prises.
La première heure de marche s'écoula assez gaiement, mais la fin de la
seconde voyait la moitié de nos volontaires lutter contre un
découragement croissant, lorsque le sergent Léon Milcent aperçut à la
hauteur de la source de l'Aisne un âne conduit par un petit paysan.
--Mes amis, dit-il, si j'étais Moïse, que vous fussiez des Hébreux au
lieu d'être des Français, et que je vous conduisisse à la terre promise
au lieu de vous conduire à l'ennemi, je croirais avoir besoin d'un
miracle pour soutenir votre courage, et je vous dirais que Jéhovah nous
envoie cet âne et ce paysan. Mais j'aime mieux vous dire tout simplement
que c'est le maître de l'hôtel de la Lune qui nous l'envoie et qu'il
porte notre déjeuner. En conséquence, comme la place me paraît propice,
je me permettrai de vous crier halte! et de vous inviter à mettre les
fusils en faisceaux.
Jamais harangue, si éloquente qu'elle fût, ne fut reçue par de
semblables acclamations, et jamais conducteur de tribu, fût-il prophète,
n'eut une ovation comparable à celle du faux sergent.
D'abord les volontaires n'y voulaient pas croire; mais le petit paysan,
s'arrêtant et arrêtant son âne:
--C'est t'y pas vous, dit-il, qui avez commandé qu'on vous apporte sur
la route un déjeuner et qu'on vous prépare là-bas à l'auberge un dîner
de vingt personnes.
--Ah! le malheureux, s'écria Léon Milcent, il me fait manquer mon effet!
Puis, se tournant vers les volontaires:
--Mes amis, leur dit-il, vous avez bien voulu me reconnaître pour votre
chef; or c'est au chef de se préoccuper de la nourriture de ses
soldats.
--Ah ça! c'est bien ici, n'est-ce pas? répéta le paysan.
--Eh! oui, idiot.
--Mais, mon sergent, dit un homme de la troupe après s'être consulté
avec deux ou trois de ses camarades, il en est quelques-uns de nous qui
n'ont point d'argent et qui comptaient sur l'argent du gouvernement pour
nous défrayer en route; nous aimons mieux vous dire cela tout de suite,
sergent, que de vous voir nous traiter en grands seigneurs, quand nous
ne sommes que de pauvres diables.
--Que cela ne vous inquiète pas, mes chers camarades, dit Jacques Mérey
qui reprenait sa gaieté au fur à mesure qu'il se rapprochait du moment
où il allait revoir Éva;--de même que je suis chargé de la nourriture de
ma troupe, je suis chargé de sa paye. Quand vous serez arrivé à
destination, vous recevrez votre arriéré et nous réglerons tout cela. En
attendant, à table!
La table fut un beau tapis vert où chacun se coucha pour manger à la
manière romaine.
Pris à l'improviste, il n'y avait point de profusion dans ce qu'envoyait
l'aubergiste de la Lune, mais il y avait assez.
Le déjeuner fut d'autant plus gai qu'il était plus inattendu; chacun y
puisa des forces pour continuer son chemin. Un boiteux qui s'était
donné une entorse le matin, prit l'âne et tout alla à merveille.
Le gamin seul se prétendait lésé, attendu, disait-il, que c'était à lui
que l'âne devait appartenir; mais un verre de vin et un assignat de dix
sous lui rendirent sa belle humeur.
On arriva à quatre heures à l'auberge de la Lune, et l'on trouva la
table prête. Selon la recommandation de Jacques Mérey, on l'avait
dressée à l'extrémité du petit jardin de l'auberge qui dominait toute la
plaine de Valmy.
Jacques Mérey et ses volontaires étaient juste postés à la place où, le
jour de la bataille, étaient placés le roi de Prusse, Brunswick et
l'état-major.
La plaine était couverte de moissons.
Des ondulations indiquaient les endroits où les Prussiens morts étaient
couchés dans de grandes fosses.
Partout où ces ondulations se manifestaient, une végétation plus vive
attestait la présence de cet engrais animal qu'on appelle l'homme, et
qui a seul l'honneur de pouvoir faire concurrence au guano.
Grâce à ces jalons, la démonstration devenait facile pour Jacques Mérey.
À un kilomètre à peu près, au fond d'une petite vallée ayant quelque
ressemblance avec celle de Waterloo, les ondulations s'arrêtaient.
Les Prussiens n'avaient pas même atteint le pied de la colline de
Valmy.
Sur cette colline étaient Kellermann, ses seize mille hommes et sa
batterie de canons.
Derrière lui, sur le mont Ivron, les six mille hommes qu'y avait fait
filer Dumouriez pour empêcher son collègue d'être tourné.
À sa gauche, le moulin à vent, derrière lequel un obus mit le feu à
quelques caissons, ce qui jeta un instant de trouble dans les rangs
français.
--Et vous, demandèrent les volontaires, où étiez-vous?
Le faux sergent poussa un soupir et montra de la main l'espace compris
entre Sainte-Menehould et Braux-Sainte-Cubière.
--Alors, dit un des volontaires, tu étais avec Dumouriez?
--Oui, dit Jacques Mérey, je suis de ce pays-ci, et je lui avais servi
de guide dans la forêt d'Argonne.
Jacques laissa tomber sa tête dans ses deux mains.
À peine neuf mois s'étaient écoulés depuis Valmy, cette merveilleuse
aurore de la République et de la liberté, et la République se déchirait
elle-même, et la liberté était plus que jamais menacée par l'ennemi.
Enfin, lui-même Jacques Mérey, lui qui, au milieu des applaudissements
de la Convention, de Paris, de toute la France, était venu annoncer les
deux grandes victoires que l'on croyait le salut de la patrie, il avait
été obligé de fuir inaperçu de la Convention, de sortir de Paris entre
le bourreau et son aide, comme s'il eût marché à l'échafaud, et il
traversait la France, fugitif, déguisé, proscrit, repassant obscur et
caché sous l'habit d'un volontaire, par ces mêmes pays où, neuf mois
auparavant, il avait passé triomphant.
Et Dumouriez...
C'était celui-là qui devait vraiment être malheureux.
Victime d'un cataclysme révolutionnaire, Jacques Mérey reverrait
peut-être un jour glorieusement la France. Il y reprendrait alors le
rang que son mérite lui assignait. Mais Dumouriez, traître, matricide,
n'y rentrerait jamais.
Tout cela tira une larme des yeux du faux sergent.
--Tu pleures, citoyen, lui dit un volontaire.
Jacques haussa doucement les épaules, montra d'un geste circulaire tout
le champ de bataille.
--Hélas! oui, dit-il, je pleure! Je pleure ces jours que, comme ceux de
la jeunesse, on ne revoit pas deux fois!


II
LA FAMILLE RIVERS

Le dîner fini, comme on avait encore deux heures de jour, on ne voulut
point gagner Sainte-Menehould par la grande route, mais faire un
pèlerinage à Valmy.
On arriverait un peu plus tard à Sainte-Menehould, mais peu importait;
on avait bien dîné, la fatigue avait disparu, chaque volontaire était
dans l'admiration de ce sergent qui pourvoyait à tous les besoins du
corps, et qui suffisait à ceux du cœur et de l'esprit par ses propres
souvenirs.
Tous l'eussent suivi au bout du monde et se fussent fait tuer pour lui.
Et lui, quelque hâte qu'il eût de rejoindre cette âme de sa vie, cette
étoile de son cœur que l'on appelait Éva, il prenait cependant en
patience cette obligation où il était de gagner la frontière à petites
journées.
Il marchait encore sur la terre de la patrie, que dans trois ou quatre
jours il abandonnerait pour ne plus la revoir jamais peut-être.
De temps en temps il lui prenait l'envie de se jeter la face contre
terre et de baiser cette mère commune qu'il y a deux mille six cents ans
baisait Brutus comme mère des mères.
Tout lui en paraissait beau, tout lui en semblait précieux. Il
s'arrêtait pour cueillir une fleur, pour entendre chanter un oiseau,
pour voir couler un ruisselet.
Il avait un soupir de regret pour chaque chose.
Il régla son compte avec l'hôte, puis prit, entre un champ d'orge et de
seigle, un petit sentier où l'on ne pouvait marcher qu'un à un, et qui
conduisait à Valmy.
Les habitants du village les virent venir de loin et crurent qu'ils leur
étaient envoyés, comme cela arrivait souvent à cette époque, en
logement.
Ils vinrent au-devant d'eux.
Mais quand ils surent que c'était la simple curiosité qui les amenait,
chacun voulait se faire cicérone et s'emparer de son volontaire.
Jacques Mérey alla s'asseoir sur le banc de pierre qui est à la porte du
moulin, et quand un des garçons meuniers lui offrit de lui raconter
obligeamment la bataille:
--Inutile, mon ami, lui dit le faux sergent, j'en étais!
--De ceux _d'ici_? demanda le meunier.
--Non, répondit Jacques en souriant et en montrant le camp de Dumouriez,
de ceux _de là_.
On se remit en route, et par un autre sentier on alla, en longeant un
petit cours d'eau, rejoindre la descente de Sainte-Menehould, là où le
23 juin 1791 M. de Dampierre avait été tué.
Chose bizarre et cependant commune dans les guerres civiles, l'oncle
mourait à la descente de Sainte-Menehould en criant Vive le roi! le
neveu mourait dans le bois de Vicoigne en criant vive la République!
On entra à Sainte-Menehould à la nuit. Les volontaires reçurent à la
municipalité des billets de logement. Jacques Mérey préféra coucher à
l'auberge.
_Avant_ de se séparer de ses compagnons, Jacques Mérey leur proposa de
faire le lendemain grande étape, une étape de neuf lieues, afin d'aller
coucher à Verdun.
On déjeunerait à Clermont.
Et comme quelques-uns des volontaires auraient peur à faire cette étape
de neuf lieues, Jacques Mérey se procurerait une charrette à deux
chevaux bien rembourrée de paille dans laquelle on mettrait le déjeuner
d'abord, puis les fusils, puis les sacs, puis les boiteux.
Moyennant toutes ces précautions, on arriverait à Verdun vers huit
heures du soir.
Le faux sergent craignait d'être reconnu à Verdun; il désirait y arriver
de nuit et en repartir avant le jour.
On déjeunerait et on ferait une halte de quatre ou cinq heures, aussi
longue que l'on voudrait enfin, sous les grands arbres qui bordent
l'Aire.
On mangerait, en attendant, un morceau de pain, et l'on boirait la
goutte _aux Islettes_, charmant village situé au cœur même de la forêt
d'Argonne.
On partit de Sainte-Menehould au jour naissant, et l'on arriva au sommet
de la montagne derrière laquelle se cache la forêt, à cette heure
charmante de la matinée où flotte au sommet des arbres une vapeur bleue
et transparente. Tout à coup la terre semble manquer sous les pieds, et
la vue s'étend sur un océan de verdure; la route s'enfonce rapide au
milieu de cet océan qu'elle sépare, et dont parfois les vagues de
feuillage se réunissent au-dessus de la tête du voyageur.
Les épaulements de la batterie de Dillon étaient encore debout et
intacts, comme si l'on venait d'en enlever les canons.
Dillon, on se le rappelle, avait tenu jusqu'au dernier moment, et
c'était sur lui que s'était replié Dumouriez.
La halte fut gaie; les commencements de route, où chacun est alerte et
reposé, sont toujours joyeux.
La journée s'écoula selon le programme: on déjeuna au bord de l'Aire, on
s'y reposa, on y joua aux cartes, on y dormit sur l'herbe pendant quatre
ou cinq heures.
À huit heures on entrait à Verdun.
Verdun payait cher sa faiblesse. Tous ceux qui avaient pris part à la
trahison de la ville avaient été arrêtés. On instruisait le procès des
jeunes filles qui avaient été porter des fleurs et des bonbons au roi de
Prusse.
Le reste de la route offrait peu d'intérêt. La marche des Prussiens, à
leur entrée en France, n'avait éprouvé d'obstacles qu'au delà de
l'Argonne. On coucha à Briey, puis à Thionville.
On n'avait plus qu'une étape pour arriver à destination. Jacques Mérey
donna rendez-vous pour le surlendemain à ses compagnons de route à
Sarrelouis, leur annonçant qu'il allait faire une visite à l'un de ses
parents qu'il avait dans un petit village des environs.
Avant de quitter les volontaires, le brave sergent Léon Milcent, qui
avait si paternellement veillé sur leurs besoins pendant qu'il avait été
avec eux, s'informa encore de ceux qui en son absence pourraient avoir
besoin de lui.
Une centaine de francs en assignats assurèrent la nourriture des plus
nécessiteux, jusqu'au moment où à Sarrelouis ils toucheraient leur
arriéré. La Convention accordait, somme énorme, quarante sous par jour à
ses volontaires.
Ceux du sergent Léon Milcent quittèrent donc leur chef en le remerciant
de tous les soins qu'il avait eus pour eux et en se promettant une fête
de son arrivée à Sarrelouis.
Mais ils l'attendirent vainement le lendemain, vainement le jour
suivant, et, comme il n'avait pas dit où il allait, ils ne purent
s'informer de lui.
Cependant ils espéraient et attendaient toujours; mais une semaine se
passa; quinze jours, un mois se passèrent sans nouvelles, et le temps
s'écoula sans que l'on entendît jamais reparler de lui.
Qu'était-il devenu?
Jacques Mérey, qui, avec raison, croyait n'avoir plus rien à craindre,
prit à Thionville une petite voiture, dont le propriétaire, moyennant un
assignat de six livres, s'engagea à le conduire à la ferme des
Trois-Chênes, une des plus belles qui soient situées sur la rive
droite de la Moselle, à une lieue et demie de la frontière.
À dix heures du matin, toujours sous son costume de sergent de
volontaires, Jacques Mérey descendit à la porte de la ferme, et, sous
l'ombrage des trois chênes qui lui avaient fait donner son nom et en
homme qui est sûr d'être bien reçu, il paya et renvoya sa voiture.
Puis il regarda avec curiosité les bâtiments en homme qui cherche à
rappeler ses souvenirs.
Un chien accourut en aboyant contre lui, mais il étendit la main et le
calma.
Aux aboiements du chien un enfant accourut, un beau petit garçon blond
comme un rayon de soleil.
--Prenez garde, monsieur, dit-il, Thor est méchant.
Thor était le nom du chien.
--Pas avec moi, dit le volontaire. Tu vois?
Il fit un signe à Thor et Thor vint le caresser.
--Qui es-tu? demanda le petit garçon au volontaire.
--Je n'ai pas besoin de te demander qui tu es, toi: tu es le petit-fils
de Hans Rivers.
--Oui.
--Où est ton grand-père?
--Dans la ferme.
--Conduis-moi à lui.
--Venez.
Il prit la main de l'enfant et s'avança avec lui vers un perron au
haut duquel parut un vieillard d'une soixantaine d'années.
--Grand-papa, dit l'enfant qui courut à lui, voici un monsieur qui nous
connaît.
Le vieillard leva son bonnet de laine, saluant de la main, interrogeant
des yeux.
--Monsieur, lui dit Jacques, j'avais l'âge de cet enfant quand je vins,
et c'est la seule et unique fois que j'y vins. J'étais avec mon père,
Daniel Mérey; vous signâtes avec lui le bail de cette ferme, que je vous
ai renouvelé, il y a, je crois, trois ans.
--Dieu me bénisse! s'écria Hans, seriez-vous notre maître Jacques Mérey?
Jacques se mit à rire.
--Je ne suis le maître de personne, dit-il, car, à mon avis, l'homme n'a
d'autre maître que lui-même. Je suis tout simplement votre propriétaire.
--Jeanne, Marie, Thibaud, accourez tous, s'écria le vieillard, un jour
heureux nous arrive! Venez, venez, venez!
Et au fur et à mesure qu'il appelait, les appelés accouraient et se
rangeaient autour de lui.
--Regardez bien monsieur, dit-il, vous tous, tant que vous êtes, et vous
aussi, dit-il, étendant l'invitation à deux garçons de charrue, à un
berger et à une gardeuse de dindons, c'est à lui que nous devons tout,
monsieur, c'est notre bienfaiteur, Jacques Mérey.
Un cri s'échappa de toutes les bouches, les têtes se découvrirent.
--Entrez chez vous! dit le vieillard. Du moment où vous avez mis le pied
dans la maison, nous ne sommes plus que vos serviteurs.
Tous se rangèrent.
Jacques Mérey entra.
--Allez chercher à la charrue Bernard et aux vaches Rosine... Bah! c'est
aujourd'hui fête, on ne travaille pas.
Bernard et Rosine étaient le fils aîné et la belle-fille du vieillard,
le père et la mère de l'enfant blond.
Une heure après, tout le monde était réuni autour de la table du dîner.
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