Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 02

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Il était midi.
Hans était le grand-père, Jeanne était la grand-mère, Bernard était le
fils aîné, Rosine était sa femme, Thibaud était un second fils de
vingt-deux ans, Marie était une fille de dix-huit, Richard était
l'enfant blond de dix ans, le fils de Bernard et de Rosine. C'était
toute la famille.
L'aïeul avait cédé son fauteuil à Jacques qui présidait la table.
On en était arrivé au dessert.
--Hans Rivers, dit Jacques, combien y a-t-il de temps que vous êtes
fermier dans notre famille?
--Il y a, monsieur Jacques, attendez donc! c'était entre la naissance de
Thibaud et celle de Marie... il y a vingt et un ans, monsieur Jacques.
--Pendant combien d'années avez-vous payé vos redevances?
--Tant que votre digne père, M. Daniel, a vécu, c'est-à-dire quinze ans.
--Il y a donc sept ans que vous ne m'avez rien payé?
--C'est vrai, monsieur Jacques; mais d'après votre ordre.
--Je vous ai dit: Vous êtes d'honnêtes gens, gardez vos redevances,
achetez du bien avec; plus vous serez riches, plus je le serai.
--Vous nous avez dit cela, monsieur Jacques, mot pour mot, et, en nous
disant cela, vous avez commencé notre fortune.
--Et quand on a mis en vente les biens des émigrés, c'est-à-dire de ceux
qui se battent contre la France, je vous ai dit: Vous devez avoir de
l'argent de côté, à moi ou à vous, peu importe; achetez du bien
d'émigré, c'est du bon bien qui ne se vendra pas plus de deux ou trois
cents francs l'arpent, et qui vaudra celui qui se vend six et huit.
--Nous avons fait comme vous avez dit, monsieur Jacques, de sorte
qu'aujourd'hui nous avons trois cents arpents de terre à nous. Ça nous
fait, Dieu nous pardonne! presque aussi riches que notre maître. Il est
vrai que là-dessus nous vous devons, avec les intérêts composés, près de
quarante mille francs. Mais nous sommes prêts à vous les rendre, non pas
en mauvais papier, mais en bon argent, comme nous vous le devons.
--Il n'est pas question de cela, mes amis. Je n'ai pas besoin de cet
argent maintenant; mais peut-être en aurai-je besoin plus tard.
--Vous savez, à ce moment-là vous le direz, monsieur Jacques, et huit
jours après, foi de Hans Rivers! vous serez payé.
Jacques se mit à rire.
--Vous auriez un moyen de me payer plus rapide et plus simple, dit-il;
ce serait d'aller me dénoncer. Je suis proscrit. On me couperait le cou,
et vous ne me devriez plus rien.
Le père et les enfants, à ces mots, jetèrent un cri et se levèrent
debout.
Puis le père leva les bras au ciel.
--Ils vous ont proscrit, vous, dit-il, vous le droit, vous la justice,
vous la représentation de Dieu sur la terre; mais que veulent-ils donc?
--Ils veulent le bien; ils croient le vouloir du moins. Alors, comme je
suis obligé de quitter la France à mon tour et que je pourrais être
arrêté à la frontière, j'ai pensé à vous, Hans Rivers.
--Ah! voilà qui est bien! monsieur Jacques.
--J'ai dit, Hans Rivers tient une ferme de mon père sur la Moselle, à
deux kilomètres de la frontière, il doit être chasseur.
--Je ne le suis plus, mais mes deux fils Bernard et Thibaud le sont.
--Cela revient au même; ils doivent avoir un bateau sur la rivière?
--Ah! oui, dit Thibaud, et un joli bateau; c'est moi qui le soigne. Vous
verrez, monsieur Jacques.
--Eh bien, je mettrai les habits du père Hans ou d'un de ses enfants;
nous monterons dans le bateau, comme des chasseurs de gibier d'eau. La
chasse est toujours ouverte sur la rivière. Nous nous laisserons aller à
la dérive jusqu'à Trèves, et, une fois là, une fois hors de France, je
serai sauvé.
--Ce sera à votre loisir, monsieur Jacques, dit le père Hans. Tout de
suite si vous voulez.
--Ma foi, non! mon brave ami, répliqua Jacques Mérey; il sera temps
demain matin. Vous croiriez que j'ai eu peur de passer une nuit sous
votre toit.
Le lendemain, au point du jour, trois hommes vêtus de costumes de
chasseur et accompagnés de deux chiens nageurs, détachaient une barque
retenue par une chaîne au pied d'un saule, dans une petite anse de la
Moselle, et descendaient dans la barque.
Deux de ces trois hommes allaient se mettre aux rames, lorsque le
troisième, qui était assis au gouvernail, leur fit signe de les laisser
en repos.
Puis, avec un triste sourire:
--Elle ira toujours assez vite, dit-il.
Ces trois hommes, c'étaient les deux fils de Hans Rivers et Jacques
Mérey.
Jacques Mérey avait recommandé avec grand soin aux deux jeunes gens de
lui dire exactement où finissait la frontière de France.
Au bout d'un quart d'heure de navigation, ils lui montrèrent un poteau:
c'était la frontière. D'un côté, le Luxembourg; de l'autre, le
Palatinat. En deçà du poteau, la patrie; au delà, la terre étrangère.
La barque s'arrêta au pied du poteau. Jacques Mérey voulait une fois
encore toucher du pied le sol sacré de la France.
Il enveloppa le poteau de son bras, comme si ce morceau de bois inerte
était un homme, un concitoyen, un frère.
Il appuya sa tête contre lui, comme il eût fait sur l'épaule d'un ami.
Sa douleur était double, quitter la France, et la laisser dans l'état où
elle était.
Toute une armée assiégée dans Mayence, presque prisonnière. L'ennemi à
Valenciennes, notre dernière barrière. L'armée du Midi en retraite;
l'Espagnol débordant sur la France; la Savoie, notre fille d'adoption,
retournée contre nous à la voix des prêtres; notre armée des Alpes
affamée; Lyon en pleine révolte tirant à mitraille sur les commissaires
de la Convention, qui, hélas! le lui rendront bien; enfin les Vendéens
victorieux à Fontenay et prêts à marcher sur Paris.
Jamais nation sans se perdre ne fut si près de sa perte. Pas même
Athènes se jetant à la mer pour fuir Xercès et gagnant à la nage son
radeau de Salamine.
Jacques Mérey, tout matérialiste que la science l'eût rendu, sentit
cependant que les événements qui se succédaient sur la terre devaient
obéir à une mystérieuse puissance cachée dans les profondeurs de
l'éternité et devant avoir, au point de vue de notre monde, un but
intelligent et humanitaire.
Il leva les yeux au ciel, et murmura ces paroles:
--Toi qui me sers à nommer le mot que je cherche: Zeus, Uranus,
Jéhova,--Dieu,--créateur invisible et inconnu des mondes, essence
céleste ou matière immortelle, je ne crois pas que l'homme
individuellement ait droit à un de tes regards; mais je crois que tu
couvres toute l'espèce de ta protection toute-puissante, et que de même
que les flottes subissent les vents, les grands événements des peuples
se courbent sous ta puissante impulsion. De quelque façon qu'il ait été
créé, l'homme vient de toi; et si tu l'as créé seul, pauvre et nu,
c'était pour lui laisser le mérite et lui donner l'expérience de créer à
son tour la famille d'abord, la tribu ensuite, et enfin la société. La
société constituée, restait à l'enrichir matériellement par le travail,
à l'éclairer par l'intelligence. Depuis six mille ans chacun coopère à
ce but selon sa force et selon son génie. Or, quel est le résultat que
tu as dû espérer de tant d'efforts? la plus grande somme de bonheur
possible répandue sur le plus grand nombre d'individus. Qui a le plus
fait pour accomplir cette œuvre immense, ou des monarchies de toute
espèce qui se succèdent depuis mille ans à partir de la monarchie
féodale de Hugues Capet jusqu'à la monarchie constitutionnelle de Louis
XVI, ou des cinq années de révolution qui viennent de s'écouler? qui a
donné des droits égaux à l'homme? qui lui a donné le pain de l'esprit
par l'éducation, le pain du corps par le partage des terres? C'est notre
sainte révolution, c'est notre bien-aimée République. La France est ton
élue, ô mon Dieu! puisque tu l'as choisie en quelque sorte comme victime
et offerte comme exemple au genre humain. Eh bien! que son sang coule et
le mien tout le premier; qu'elle soit le Christ des nations comme Jésus
a été le Christ des hommes, et que ces trois mots: LIBERTÉ, ÉGALITÉ,
FRATERNITÉ, prononcés par lui et adoptés par lui, deviennent le lumineux
soleil de l'avenir!
Adieu, patrie! adieu, patrie! adieu, patrie!
--Et maintenant, dit Jacques Mérey en se laissant tomber dans la barque
plutôt qu'il n'y descendit, jetez-moi où vous voudrez; tout lieu m'est
indifférent, puisque ce n'est plus la France.


III
HUIT JOURS TROP TARD

Les deux frères Rivers déposèrent Jacques Mérey sur la berge de la
Moselle, à un kilomètre à peu près de la ville de Trèves.
Jacques les embrassa tendrement; c'étaient les deux bras de la France
qui le déposaient sur la terre étrangère.
Jacques, debout, appuyé sur son fusil, les regarda s'éloigner
tristement; puis, au premier détour de la Moselle, ils le saluèrent de
leurs avirons, lui de son chapeau, la barque disparut et tout fut dit.
Jacques remit son chapeau sur sa tête, salua la France d'un long et
dernier adieu, jeta son fusil sur son épaule, et suivit tête basse le
petit chemin tracé par les piétons qui longe les rives de la Moselle, ce
petit chemin qui conduit à Trèves.
Jacques Mérey parlait allemand comme un Allemand. Il avait à son
carnier, suspendus par le col, quelques petits oiseaux de marais
qu'avaient eu la précaution d'y suspendre ses deux compagnons de route.
Il ne lui fut fait aucune question. Aux portes, il fut pris pour un
bourgeois de la ville revenant de faire une promenade cynégétique.
Mais, la porte franchie, il s'empressa de demander qu'on lui indiquât la
demeure du bourgmestre.
Arrivé chez le magistrat, Jacques Mérey se nomma; on savait la
catastrophe du 31 mai. Sans avoir le temps de devenir célèbre, le nom de
Jacques Mérey avait eu celui de ne pas demeurer inconnu. Le bourgmestre
s'inclina, comme tout homme de cœur s'incline devant un proscrit. Dans
tous les pays du monde civilisé, à l'honneur de l'humanité et du
progrès, à la honte des gouvernements, la proscription est une majesté.
Le bourgmestre demanda, en entourant sa question de toutes les
délicatesses de l'homme du monde, s'il avait besoin de ces secours que
les gouvernements étrangers avaient mis à la disposition des autorités
pour aider à la fuite des émigrés. Mais Jacques Mérey déclara que, étant
proscrit et non pas émigré, ses biens n'étaient pas saisis, et que,
outre les dix ou douze mille francs qu'il avait sur lui, il laissait une
fortune en France.
Ce qu'il désirait, c'était donc tout simplement un passe-port pour
Vienne.
Seulement, à cause des circonstances, il fut obligé de tracer le chemin
qu'il voulait suivre pour aller à Vienne.
--C'était le plus direct: Carlsruhe, Stuttgart, Augsbourg, Munich et
Vienne.
Une fois hors de France, et lorsqu'il ne resta plus dans le cœur de
Jacques Mérey que le spectre de la patrie, la vivante image d'Éva reprit
peu à peu sa puissance; le souvenir momentanément effacé par les
événements, ces événements du passé redeviennent une aurore, et, de même
que l'aube se lève derrière les montagnes, ils se lèvent derrière la
silhouette aride et décharnée du passé, pour éclairer un nouvel avenir.
Maintenant qu'il était sur le sol étranger, maintenant qu'il ne marchait
plus sur cette terre de France sur laquelle Danton voulut mourir, ne
pouvant l'emporter à _la semelle de ses souliers_, il sentit sa pensée
s'imprégner de nouveau de son amour, et cet amour, comme une séve
réparatrice, ruisseler par tout son corps.
Il n'avait point reçu de lettre d'Éva; mais ce silence ne l'inquiétait
aucunement, il savait que les lettres d'Éva étaient confisquées au
passage.
Mais ce qui l'inquiétait, c'est qu'Éva, sans soupçon contre sa femme de
chambre, devait s'étonner de son silence à lui. Sans doute dans les
lettres qu'elle lui écrivait et qu'Éva croyait lui être parvenues, elle
lui donnait l'adresse à laquelle il devait répondre.
Comment ne lui répondait-il pas?
Ne se croirait-elle pas oubliée et se croyant oubliée...?
Mais le cœur d'Éva n'était pas un cœur vulgaire; elle connaissait
l'amour immense que Jacques Mérey ressentait pour elle; elle l'avait vu
renoncer pour elle à toute ambition politique, refuser cette députation
qu'il avait accepté ensuite comme une vengeance, et dont les divisions
intestines l'avaient empêché de se faire l'arme qu'il espérait pour
défendre la République et frapper ses ennemis. Éva aurait meilleure
pensée de son ami et d'elle-même; elle n'avait pas pu se croire oubliée.
Jacques avait constamment porté la lettre d'Éva, qui, extraite du
dossier du marquis de Chazelay, lui avait été donnée par le jeune aide
de camp du général de Custine.
Cette lettre, il la savait par cœur, mais ce n'était point assez de se
la redire, la parole est impalpable, et les objets matériels ont, par la
vue et par le toucher, une puissance qu'elle n'aura jamais.
Cette lettre il la tirait de la poche la plus secrète de son
portefeuille; il la regardait, il la touchait, il la baisait. À trente
ans, Jacques, par la façon dont il avait vécu, avait retrouvé toutes les
illusions d'un jeune homme; il n'avait jamais eu que deux amours: la
science et Éva, et encore avait-il consacré le premier au second.
Rien au reste n'est favorable à la rêverie comme le mouvement d'une
voiture. Le bruit monotone des roues vous isole des autres bruits, et
tandis que vous avancez toujours, vous enferme avec votre pensée.
Et alors Jacques repassait dans son esprit cette suite d'événements à
laquelle il allait devoir le bonheur de retrouver Éva et de la retrouver
libre.
Non, Dieu n'était point un Dieu personnel se mêlant à la vie de l'homme
et influent sur l'homme. Mais Jacques croyait, nous l'avons dit, à
l'influence et même à la volonté de Dieu sur la conduite des grands
événements des nations, se dégageant des petits événements de la vie
humaine; et c'était ainsi que, par un fil invisible qui le rapprochait
des croyances communes, il ramenait en réalité tout à Dieu, mais sans
imposer à cette suprême majesté qu'elle s'appelât Dieu, Nature,
Providence, la responsabilité des petits accidents de mort et de vie,
qu'elle jette en pâture à ces deux divinités qui se disputent l'homme:
la fatalité et le hasard.
Ainsi, quelque service qu'ait rendus Jacques à Éva et par contre-coup au
marquis de Chazelay, en faisant retrouver la santé, l'intelligence et la
raison à sa fille, il ne pouvait combler l'abîme qui, dans cette époque
de préjugés sociaux, le séparait de celle qu'il aimait, même en jetant
le service rendu dans l'abîme.
Mais si Jacques eût été un de ces chrétiens égoïstes qui rapportent tout
à eux, se font le centre de tout et croient que Dieu est prêt à faire
choir une étoile du ciel pour qu'ils y allument leur lampe, il se fût
dit:
La France a fait une révolution pour que le marquis de Chazelay
m'enlevât sa fille, que sans indélicatesse je ne pouvais prendre
mystérieusement pour ma maîtresse ou pour ma femme; pour qu'il émigrât
avec elle, en la laissant sous la direction de sa tante; pour qu'il se
fît tuer en servant contre son pays, ce qui prive non-seulement Éva d'un
père, mais lui fait perdre toute sa fortune, puisque la confiscation des
biens suit immédiatement la mort de l'émigré pris les armes à la main,
et pour que sans père et sans fortune, échappant à toute tutelle,
redevenant maîtresse d'elle-même, elle retrouve en moi l'appui et la
fortune qu'elle a perdus.
Et, sans faire ces réflexions à ce point de vue, Jacques Mérey n'en
suivait pas moins avec cet étonnement croissant de l'homme de génie
qui, sans voir l'arbre, ramasse les fruits, toutes ces ramifications
étranges qui servent de trame à la vie de l'homme.
Et il ne sortait de son rêve, remontant éternellement du connu à
l'inconnu et redescendant sans cesse du matériel à l'idéal, que pour
crier au postillon:
--Vite, plus vite!
Une fois en voiture, Jacques avait juré de n'en plus descendre, et de
faire sans s'arrêter les cent soixante lieues qui le séparaient de
Vienne; mais il avait compté sans les difficultés que les événements
politiques mettaient au voyage des Français en Allemagne. Pour tous les
princes allemands, en opposition complète avec nos principes, tout
Français était un incendiaire prêt à mettre le feu à ses États.
Or, à chaque frontière de principauté, si invisible qu'elle fût sur la
carte, il fallait descendre de voiture, subir un interrogatoire et
justifier de son identité.
C'est ce que faisait Jacques, et il perdait trois ou quatre heures par
jour à ces formalités. Il est vrai que, une fois arrivé à Salzbourg,
tout fut dit pour le reste de l'Autriche. La frontière franchie, la
route était libre jusqu'à Vienne.
Enfin, toujours pressant de la voix chevaux et postillon, on arriva aux
portes de Vienne vers cinq heures de l'après-midi.
Là le voyageur eut à subir un nouvel interrogatoire, une nouvelle visite
des papiers.
On lui donna ensuite un permis de séjour d'une semaine, après laquelle
il devait faire renouveler sa carte et dire combien de temps il comptait
rester dans la capitale de l'Autriche.
Comme il remontait en voiture, le postillon lui demanda où il le devait
conduire.
Jacques était décidé à tout brusquer. Il répondit donc:
--Josephplatz, nº 11.
Le postillon s'engagea dans un réseau de petites rues et déboucha enfin
en face de la statue de l'empereur qui a fait donner son nom à cette
place.
Jacques, la tête passée par la portière, cherchait des yeux laquelle de
toutes ces maisons qui forment la place pouvait être celle qu'occupait
Éva.
Une seule parmi toutes avait ses portes, ses fenêtres, ses contrevents
fermés comme un tombeau.
Il vit avec une angoisse qui dégénéra bientôt en terreur, que le
postillon dirigeait la voiture de ce côté.
Enfin il s'arrêta à la porte de cette maison aveugle et muette.
--Eh bien? lui cria Jacques.
--Eh bien! monsieur, répondit le postillon, c'est ici.
--Ici le nº 11?
--Oui.
Jacques sauta hors de la voiture, se recula pour bien voir si c'était en
effet la maison désignée, fouilla dans sa poche, rouvrit pour la
centième fois le billet de Danton.
Le billet disait bien:
Josephplatz, maison nº 11.
Jacques se jeta comme un fou sur le marteau et la sonnette, et tout à la
fois sonna et frappa.
Personne ne répondit.
Le son revenant mat et sourd indiquait que tout était fermé au dedans
comme au dehors.
--Ah! mon Dieu, mon Dieu! murmurait Jacques, qu'est-il donc arrivé?
Et il tirait le cordon de la sonnette plus violemment et frappait plus
fort. On commençait à s'arrêter.
Enfin un craquement se fit entendre à la maison à côté, une fenêtre
s'ouvrit, une tête passa.
C'était celle d'un homme d'une soixantaine d'années.
--Pardon, monsieur, dit-il en bon français avec la politesse viennoise;
mais pourquoi vous acharnez-vous à frapper à cette maison où il n'y a
personne?
--Comment, personne? s'écria Jacques.
--Non, monsieur, depuis huit jours, du moins.
--Cette maison n'était-elle pas habitée par deux dames?
--Oui, monsieur.
--Deux dames françaises?
--Oui.
--Une vieille et une jeune.
--Une vieille et une jeune! C'est bien cela à ce que je crois, du moins,
ne sortant pas de ma bibliothèque et ne m'occupant pas de mes voisins.
--Pardon, pardon, excusez-moi si j'abuse de votre bonté, dit Jacques
d'une voix éperdue, mais... mais ces dames, que sont-elles devenues?
--Je crois avoir entendu dire que l'une des deux était morte; oui,
c'était même une catholique. Je me rappelle avoir entendu le chant des
prêtres, qui m'a dérangé dans mes recherches.
--Laquelle, monsieur? dit Jacques Mérey en joignant les mains; pour
l'amour de Dieu, laquelle?
--Comment, laquelle?
--Oui, laquelle, laquelle des deux est morte? la jeune ou la vieille?
--Oh! cela, dit le vieillard, je ne sais pas.
--Mon Dieu! mon Dieu! sanglota Jacques Mérey.
--Mais, reprit le vieillard, si cela vous intéresse, je vais le demander
à ma femme; elle se mêle de tout ce qui ne la regarde pas... elle doit
le savoir.
--Allez, allez, monsieur, cria Jacques Mérey; allez; je vous en
supplie.
Un instant après, le vieillard reparut, Jacques n'avait point respiré
pendant son absence.
--Eh bien?
--C'était la vieille.
Jacques chercha un appui contre la voiture et respira lentement.
--Et l'autre, et l'autre? demanda-t-il d'une voix à peine intelligible.
--L'autre?
--Oui, l'autre femme, celle qui n'est pas morte, la jeune, qu'est-elle
devenue?
--Je ne sais pas. Il faut que je demande à ma femme.
Et le vieillard s'apprêta à faire un nouveau voyage à la source.
--Monsieur! monsieur! lui cria Jacques. Ne pourrais-je parler
directement à votre femme? Il me semble que ce serait plus court.
--Ce serait plus court, en effet, dit le vieillard; mais allez à la
troisième fenêtre à partir de celle-ci, c'est celle de la chambre de
madame Haal. Je ne lui permets pas de venir dans mon cabinet.
Il disparut, et Jacques alla à la troisième fenêtre.
Pendant ce temps un grand cercle de curieux s'était amassé autour du
voyageur, et, comme les deux interlocuteurs avaient constamment parlé
français, ceux des auditeurs qui comprenaient le français expliquaient
la situation à ceux qui ne le comprenaient pas.
La fenêtre s'ouvrit et madame Haal paru:
C'était une petite vieille, toute coquette et toute bichonnée, qui
commença par renvoyer son mari à son cabinet, et de l'air le plus
aimable se mit à la disposition de Jacques.
Ceux qui connaissent l'admirable bonhomie des Viennois ne s'étonneront
point de ces détails. Ils sont dans les mœurs de cette population, l'une
des meilleures et des plus obligeantes qu'il y ait au monde.
Jacques ne laissa point à la petite vieille le temps de parler, et en
excellent allemand:
--Madame, lui dit-il, j'ai le plus grand intérêt à savoir le plus tôt
possible ce qu'est devenue la plus jeune des deux dames françaises qui
habitaient dans la maison qui touche à la vôtre.
--Monsieur, répondit madame Haal, je puis vous le dire pertinemment; la
plus jeune des deux dames, qui s'appelait mademoiselle Éva de Chazelay,
est partie après les derniers devoirs rendus à sa tante, pour tâcher de
retrouver en France un homme qu'elle aimait.
--Oh! murmura Jacques Mérey, pourquoi ne suis-je pas resté avec mes amis
pour mourir comme eux et avec eux!
Et, sans s'inquiéter de la foule qui l'entourait, sentant son cœur se
briser, il éclata en sanglots.


IV
LA SALLE LOUVOIS

Le 30 pluviôse an IV (19 février 1796), jour de fête, où l'on venait de
briser publiquement la planche des assignats, après une émission de
quarante-cinq milliards cinq cents millions, mesure qui n'empêchait
point le louis d'or de valoir sept mille deux cents francs en
papier,--ce soir, disons-nous, il y avait grande illumination au théâtre
Louvois, illumination que faisait d'autant mieux ressortir la masse
sombre du théâtre des Arts, acheté un an auparavant à la Montansier, qui
l'avait fait bâtir, à la grande terreur des gens de lettres, des savants
et des bibliophiles, à cinquante pas de la bibliothèque nationale, sur
la place où l'on ne voit plus aujourd'hui que des arbres ombrageant une
belle fontaine, imitation des trois Grâces de notre grand sculpteur
manceau Germain Pilon.
Ce théâtre, que l'on appelait d'abord le théâtre Montansier, avait pris
ensuite le nom de théâtre des Arts, puis il devint le théâtre de
l'Opéra, jusqu'au moment où, le 13 février 1820, le duc de Berri fut
assassiné sur ses marches par le sellier Louvel; assassinat qui fit
décréter sa démolition.
Une longue file de voitures, qui s'étendait dans la rue de Richelieu
jusqu'à la maison qui a fait place à la fontaine Molière, déposait la
foule des élégantes à la porte du théâtre Louvois, splendidement éclairé
comme nous l'avons dit, et disparaissaient par la rue Sainte-Anne, au
milieu des cris des commissionnaires se disputant avec les laquais pour
ouvrir les portières des carrosses.
Car, avec les maîtres, les laquais et les carrosses avaient reparu.
--_Faut-il une voiture, notre bourgeois?_ avait crié à la porte de la
Comédie-Française, le soir même de l'exécution de Robespierre, un gamin
qui, se faisant le héraut de l'aristocratie, saluait de ces quelques
mots l'arrivée de la contre-révolution.
Et depuis ce jour les voitures avaient reparu plus nombreuses
qu'auparavant. Nous ne dirons cependant pas, comme beaucoup
d'historiens, qu'après cette terrible journée la vieille France avait
relevé la tête. Non, la vieille France avait disparu dans l'émigration,
sur la place de la Concorde, comme on l'appelle maintenant, et la
barrière du Trône, qui avait repris son ancien nom.
Une seule guillotine étant insuffisante sur la place de la Révolution,
on sait qu'une seconde avait été établie à la barrière du Trône.
C'était, au contraire, une France toute nouvelle qui apparaissait, si
nouvelle, que, connue des Parisiens, qui l'avaient vu naître, elle était
demeurée à peu près inconnue au reste de la France.
Costumes, mœurs, tournures, cette France nouvelle n'avait rien gardé de
l'ancienne, pas même la langue. Racine et Voltaire, ces deux grands
modèles du beau et du bon français, revenant en ce monde, se fussent
demandé quel était le patois que parlaient les incroyables et les
merveilleuses.
Qui avait amené cette transformation dans les mœurs, dans les costumes,
dans la tournure, dans le langage?
D'abord le besoin qu'avait la France de jeter du sable et d'étendre des
tapis sur les taches de sang qu'avait laissées partout le règne de la
terreur.
Puis, comme dans toutes les rénovations, un homme s'était fait
l'incarnation des besoins du moment: avidité de vivre, de jouir,
d'aimer.
Cet homme, c'était Louis-Stanislas Fréron, filleul du roi Stanislas et
fils d'Élie-Catherine Fréron, fondateur après Renaudot du journalisme en
France.
Stanislas Fréron, au milieu des excentricités sanglantes de cette
époque, au milieu des Hébert, des Marat, des Collot-d'Herbois, fut une
espèce de monstre à part.
Nous ne croyons pas à ces caprices spontanés de la nature. Pour que
l'homme devienne ce qu'ont été les Collot-d'Herbois, les Hébert, les
Marat; pour que, pareils à des fous furieux, ils frappent au hasard dans
la société, il faut que, justement ou injustement, la société ait
d'abord frappé sur eux; il faut que, comme le comédien Collot-d'Herbois,
ils aient été blessés dans leur orgueil par les huées et les sifflets de
toute une salle; il faut que, comme le marchand de contre-marques
Hébert, ils aient été laquais au service de gens injustes et violents,
marchands de contre-marques et aboyeurs à la porte des théâtres, sans
que ce double métier leur ait rapporté de quoi assouvir leur faim; il
faut que, comme Marat, disgraciés de la nature, raillés par tout ce qui
les entourait sur la laideur de leur visage, ils aient été vétérinaires
quand ils voulaient être médecins, et aient saigné des chevaux quand ils
avaient la vocation de saigner des hommes.
Stanislas Fréron avait été courbé sous une de ces fatalités. Fils d'un
des critiques les plus intelligents du dix-huitième siècle, qui avait
jugé Diderot, Rousseau, d'Alembert, Montesquieu, Buffon, il avait vu son
père commettre l'imprudence de s'attaquer à Voltaire.
On ne s'attaquait pas impunément à ce gigantesque esprit. Voltaire avait
saisi le journal que publiait Fréron, l'_Année littéraire_, dans ses
mains osseuses; mais lui, qui avait déchiré sinon anéanti la Bible, ne
put ni déchirer ni anéantir un journal.
Il se rejeta sur l'homme.
Tout le monde sait comment s'est exhalée cette immense colère de
l'_Écossaise_. Tout ce qu'un homme put supporter et souffrir d'injures
et d'insultes, Voltaire les fit supporter et souffrir à Fréron. Il fut
frappé comme un laquais, humilié dans sa personne, dans ses enfants,
dans sa femme, dans son honneur, dans sa probité littéraire, dans ses
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