Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 22

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Les fleurs en avaient disparu, mais le parfum en était resté. C'était un
mélange d'odeurs énervantes; la rose, le jasmin, le chèvrefeuille y
avaient mêlé leurs arômes. Ma femme de chambre me dévêtit de mon costume
de Juliette et me mit au lit.
Mon lit lui-même était imprégné d'odeurs enivrantes. Je continuai mes
rêves quoiqu'à moitié éveillée, mes yeux se fixèrent sur la fenêtre par
où Juliette attendait Roméo.
Tout à coup la fenêtre s'ouvrit, je reconnus Barras.
J'étendis la main vers la sonnette, je voulus pousser un cri, mais ma
main fut arrêtée par une autre main, mon cri fut étouffé sous la
pression de deux lèvres brûlantes.
Je retombai inerte et éperdue sur mon lit.
Et moi qui disais chaque matin: «Ô mon Dieu! faites que je le revoie un
jour!» je m'écriais le lendemain, au milieu des larmes et des sanglots:
«Ô mon Dieu! faites que je ne le revoie jamais!»
FIN DU MANUSCRIT D'EVA


X
LE RETOUR D'EVA

Nous avons vu dans quelle condition cette rentrée avait eu lieu, le
soir, par un temps humide et froid. La vieille Marthe avait reconnu
d'abord Éva à la voix, puis enfin, la porte ouverte, les deux femmes
s'étaient jetées dans les bras l'une de l'autre.
Si c'eût été le jour, s'il eût fait beau temps, ce premier baiser donné
à d'anciennes sympathies, Éva se fût élancée dans le jardin et eût voulu
revoir en réalité tous les objets qu'elle ne voyait plus depuis trois
ans qu'en souvenir.
L'arbre de la science du bien et du mal, le ruisseau qui filtrait à
travers ses racines, la grotte des fées, la tonnelle, etc.
Mais, par cette nuit noire, par cette pluie fine et glacée, une pareille
visite était impossible.
Elle monta droit à sa petite chambre, blanche et pure comme si elle
l'eût quittée la veille et comme si elle y eût été attendue d'heure en
heure. Là, il lui fallut répondre aux questions qui se pressaient sur
les lèvres de Marthe. La vieille femme avait sa passion aussi; elle
aimait Jacques Mérey d'un autre amour qu'Éva, mais aussi profond et
presque aussi passionné.
Cependant elle s'aperçut qu'Éva, mourante de fatigue et d'insomnie,
avait besoin d'être seule.
Elle voulut la déshabiller et la mettre au lit comme autrefois.
Éva, qui ne demandait pas mieux que de reprendre ses anciennes
habitudes, se laissa faire, mais exigea seulement qu'en sortant de sa
chambre Marthe laissât une bougie allumée; les yeux d'Éva avaient besoin
de passer en revue tous les objets familiers à son enfance dont la
chambre était semée et devant lesquels, en présence de Marthe, son cœur
n'eût point osé se répandre comme dans la solitude et le silence.
Aussi à peine Marthe fut-elle sortie que ses yeux se rouvrirent et
qu'elle revit avec ravissement son buis bénit apporté par Baptiste et
son christ d'ivoire autour duquel son buis faisait une espèce de crèche.
Éva pensait dans quelle pureté d'âme elle avait été arrachée à cette
chambre bénie, et à tout ce qu'elle avait vu, à tout ce qu'elle avait
éprouvé, à tout ce qu'elle avait souffert depuis qu'elle en était
sortie.
Pas un souvenir qu'elle eût à combattre ou à repousser dans toute cette
chambre; c'était le côté blanc et radieux de sa vie. Le seuil de cette
chambre dépassé, la porte de la rue fermée sur elle, là avait commencé
la vie de douleur, de tristesse et de remords.
Marthe sortie, elle se leva, prit sa bougie, visita tous ces objets qui
à peine avaient un nom et qui étaient son univers à elle, les baisa, les
salua comme à un retour, se mit à genoux devant son christ, quoiqu'elle
ne sût pas prier les prières ordinaires, mais seulement verser devant
l'homme du dévouement, devant le Dieu de la douleur, le trop-plein de
son âme.
Elle voulut ouvrir la fenêtre et essayer de regarder dans le jardin,
mais le vent s'y engouffra, éteignit la bougie, et la pluie qui tombait
toujours épaisse et l'absence complète de lune l'empêchèrent de rien
distinguer, comme si ce passé dans lequel elle essayait de rentrer était
désormais fermé pour elle.
Elle repoussa et referma la fenêtre, gagna son lit à tâtons, y rentra
toute mouillée et toute grelottante et jeta par-dessus sa tête son drap
pareil à un linceul.
Là, dans cette tombe anticipée, les objets commencèrent à se fondre les
uns dans les autres et à s'éteindre lentement dans son esprit. Elle
ressentit cette sensation glaciale qu'elle avait éprouvée, quand roulée
par les flots de la Seine elle avait cru qu'elle allait mourir, et, dans
une condition pareille d'insensibilité croissante, il lui sembla glisser
sur cette pente rapide de la vie à la mort.
Puis il vint un moment où elle n'éprouva plus rien que cette sensation
douloureuse au cœur qui disparut peu à peu, et qui en disparaissant ne
lui laissa même pas le sentiment de son existence.
Elle crut être morte: elle dormait.
Le lendemain, n'ayant pas eu le temps de fermer les volets de sa
fenêtre, elle fut réveillée par un doux rayon de soleil qui venait se
jouer sur son visage. Ce soleil, soleil de mars encore pâle et maladif,
lui arrivait à travers les branches sans feuillage des arbres encore mal
éveillés et à peine revenus à la vie. Il y avait entre ces arbres et
elle une ressemblance: c'était, malgré les souvenirs du passé, une
espèce d'hésitation à renaître.
Mais enfin ce soleil, tout pâle qu'il fût, était déjà un rayon
d'espérance, une certitude d'exister encore. Éva ouvrit sa fenêtre: la
pluie avait cessé, il faisait un de ces temps troubles du printemps où
l'air est si chargé de vapeurs qu'il a peine à entrer dans les poumons,
et que la poitrine, tout en respirant, reste oppressée par une
atmosphère trop lourde.
Tout était la même chose dans le jardin, seulement tout semblait devenu
inculte et avoir poussé au hasard comme la tristesse dans le cœur;
l'herbe était haute et détrempée, le ruisseau grossi par la pluie était
sorti de son lit, l'arbre de la science n'avait plus ni fruits ni
feuilles, et courbait au vent sa tête échevelée; la tonnelle, réduite
aux rameaux tortueux de la vigne, semblait un berceau dévasté, aux
treillages duquel se suspendaient des sarments languissants et morts, ou
près de mourir.
Aucun oiseau ne chantait, son beau rossignol et ses douze fauvettes
n'étaient point encore revenus, et peut-être ne reviendraient pas ou,
reviendraient comme elle tristes et silencieux.
De ses beaux jours écoulés dans cette petite maison bien-aimée, Éva ne
se souvenait que des jours joyeux du printemps, des jours brûlants de
l'été et des jours poétiques de l'automne; elle avait oublié ces jours
mélancoliques d'hiver, où son jardin ne lui donnait ni soleil ni ombre,
et où elle ne l'animait plus elle-même par ses cris joyeux et sa
jeunesse vagabonde.
Elle fut obligée de refermer sa fenêtre et de rentrer dans son lit;
bientôt elle entendit des pas: c'étaient ceux de la vieille Marthe, qui,
dans son empressement de la revoir, venait s'informer si elle était
éveillée. Elle lui cria d'entrer.
La vieille femme entra, alla l'embrasser dans son lit, et se prépara
comme autrefois à lui faire son feu.
Hélas! entre cet autrefois et aujourd'hui, rien n'avait passé pour elle,
si ce n'est des jours tellement semblables les uns aux autres, qu'elle
confondait les jours d'été, les jours d'hiver, ou plutôt qu'il n'y avait
pour elle qu'une espèce de crépuscule étendu depuis l'époque où Jacques
et Éva l'avaient quittée, jusqu'à ce jour où elle revoyait Éva avec la
promesse de revoir Jacques.
Le feu allumé, elle se retourna, regarda dans son lit; Éva répondit à ce
regard par un triste sourire.
--Ma chère demoiselle, dit-elle en secouant la tête, vous n'êtes plus la
même que lorsque vous étiez ici; vous êtes malheureuse; mais qui peut
donc vous rendre malheureuse, puisque notre bon cher maître vit
toujours, que vous l'aimez toujours et que probablement lui vous aime
toujours aussi?
--Ma pauvre Marthe, dit Éva, les jours sont bien changés.
--Oui, dit la vieille Marthe, nous avons su ici que vous aviez perdu
votre père et que votre tante était morte; que, à la suite de ces deux
malheurs, toute votre fortune avait été confisquée, car vous étiez, qui
est-ce qui aurait dit ça? pauvre enfant si longtemps sans parole et sans
pensée, une des plus riches héritières de notre pays. Mais on a dit
aussi que par la protection d'un des nouveaux grands seigneurs qui ont
poussé à la place des anciens, tous vos biens et toute votre fortune
vous avaient été rendus.
--Oh! ne me parle pas de cela, ne m'en parle jamais, chère Marthe. Je
reviens ici plus pauvre, plus malheureuse, plus dénuée de tout que je ne
l'ai jamais été.
--Et Scipion? demanda Marthe. Je n'ose pas vous demander de ses
nouvelles. La pauvre bête, elle a tout quitté pour vous suivre. Ah! si
notre pauvre maître avait pu, quoique ce fût un homme, il aurait bien
fait comme elle, allez; car c'était lui et elle, cette pauvre bête, qui
vous aimaient le mieux, moi après.
--Scipion est mort, Marthe, et, j'ai honte de le dire, au milieu de tout
le deuil qui a pesé sur moi, celui de mon pauvre Scipion a été un des
plus lourds à porter.
--Mais enfin, dit Marthe aux yeux de laquelle la situation ne se
débrouillait pas, notre maître, notre cher maître vous aime toujours,
lui?
Éva éclata en sanglots.
--Oh! ne me parle jamais de son amour, s'écria-t-elle. Me verrais-tu
pleurer s'il m'aimait encore? Y a-t-il autre chose dans le monde que son
amour qui vaille la tristesse ou la joie, le sourire ou les larmes? Oh!
s'il m'aimait toujours, si je croyais qu'un jour son cœur pût revenir à
moi, est-ce que je ne serais pas sur la porte de la rue à l'attendre,
puisqu'il doit revenir?
Marthe baissa la tête; on voyait que tout ce qu'il y avait
d'intelligence dans la pauvre vieille se courbait sous cette
incompréhensible parole:
--Il vit encore, et il ne l'aime plus!
Elle qui avait vu à travers le cœur de son maître comme à travers un
cristal, elle ne comprenait pas comment ce cœur que l'amour seul faisait
battre pouvait continuer de vivre sans amour; mais depuis longtemps elle
était pauvre et, comme toutes les créatures soumises aux volontés des
autres, résignée. C'était un nouveau malheur sans raison, comme tant
d'autres qu'elle avait vus frapper la pauvre humanité. Elle courba la
tête et dit en elle-même:
--Puisque cela est, c'est qu'il fallait que cela fût.
Et comme dans toutes les circonstances de la vie où le malheur l'avait
frappée elle-même, elle courba encore une fois la tête et encore une
fois se résigna.
Elle regarda Éva qui avait son mouchoir sur ses yeux et qui soulevait le
drap des palpitations de son sein, puis pour ne pas peser de sa propre
douleur sur cette douleur bien autrement grande, elle sortit sur la
pointe du pied pour ne pas être entendue.
Mais aucun de ces sentiments, si délicats qu'ils fussent, n'avait
échappé à Éva. Dans la douleur, tous les sens arrivent à la perfection
de l'acuité, et la bonne Marthe eût dit ses pensées tout haut qu'elles
n'eussent pas été plus claires pour Éva que cachées comme elle les avait
gardées dans le fond de son cœur.
Éva resta immobile, et peu à peu le côté poignant de sa douleur se
calma; ce côté avait été éveillé par les questions de Marthe, mais les
larmes sont comme le sang: une fois taries, il faut qu'on leur fasse une
nouvelle ouverture pour qu'elles sortent. Éva entendit sonner neuf
heures à l'horloge de l'église. À cette heure, autrefois, Marthe ne
manquait jamais, le dernier coup sonnant, d'entrer dans sa chambre quand
elle n'était pas encore descendue, et de lui dire:
--Ma chère demoiselle, votre déjeuner vous attend.
Le dernier coup sonnait encore qu'Éva entendit le pas de Marthe, que la
porte de sa chambre s'ouvrit, et que la voix de la bonne femme lui dit,
d'un ton plus triste peut-être, mais sans changer la formule ordinaire:
--Ma chère demoiselle, votre déjeuner vous attend.
--C'est bien, Marthe. J'y vais, répondit Éva.
Marthe referma la porte, Éva s'habilla rapidement et descendit.
Rien n'était changé à la salle à manger: la table et les chaises étaient
à la même place, la petite table ronde à laquelle, pendant sept ans,
s'était assise Éva en face de Jacques!
Cette fois il n'y avait qu'un couvert, mais cette fois encore c'était le
déjeuner ordinaire: du beurre, du miel en rayon, des œufs et du lait.
Marthe ne s'était point informée si pendant sa longue absence Éva avait
changé d'habitudes, elle avait servi son déjeuner d'autrefois; pour
elle, Éva, toujours jeune, toujours belle, était restée la même Éva.
Chacune des choses qu'elle voyait produisait une sensation nouvelle sur
la jeune fille: la vieille femme entrant à la même heure, lui annonçant
avec les mêmes paroles que le déjeuner était servi; Éva descendant par
le même escalier, entrant dans la même salle à manger, mais se trouvant
seule à cette table sur laquelle le même déjeuner était servi! c'était
un mélange de sentiments doux et cruels à la fois. Quoique ces
sentiments lui ôtassent cet appétit juvénile avec lequel elle faisait
fête à ce repas frugal, elle ne voulut pas attrister Marthe, se mit à
table comme elle avait coutume de le faire et s'efforça de manger.
Marthe la regardait avec bonheur. Chez les esprits vulgaires, l'appétit
ou même l'apparence de l'appétit est dans les douleurs physiques comme
dans les douleurs morales un symptôme de convalescence.
Lorsqu'Éva eut mangé un œuf, écorné son rayon de miel, goûté son beurre
battu du matin même et bu la moitié de sa tasse de lait, Marthe, qui ne
s'apercevait pas que c'était pour elle qu'elle avait fait cet effort, se
disait joyeusement tout bas:
--Allons, allons, tout n'est pas perdu encore.
Quelque envie qu'eût Éva de visiter le jardin, il était encore
inabordable; mais le soleil, qui allait s'éclaircissant et s'échauffait
de plus en plus, promettait de le sécher avant la fin de la journée.
Éva, d'ailleurs, avait dans la maison bien d'autres points à revoir et
qui lui étaient aussi chers que ceux du jardin; elle avait à revoir,
mais elle n'y songeait pas sans une plus vive émotion encore, le
laboratoire de Jacques Mérey...
Ce laboratoire, qui était sa demeure ordinaire, et dont elle avait
cherché la lueur de la lampe à travers la haute et étroite fenêtre!
c'était à cette lampe que regardaient ceux qui venaient le soir ou la
nuit pour réclamer les soins du docteur.
Tant que cette lampe brûlait, nul n'hésitait à frapper; il est vrai
qu'éteinte on frappait encore, mais avec hésitation, quoique le docteur
mît la même rapidité à répondre.
C'est dans ce laboratoire qu'était le piano où Éva avait pris ses
premières leçons de musique et où la première fois, à la suite d'un
effroyable orage et de la révolution produite chez elle par le tonnerre
tombé à trente pas d'elle, elle avait joué d'une façon continue et même
remarquable un air que Jacques essayait depuis trois mois inutilement de
lui faire répéter.
C'est à ce laboratoire que montait régulièrement Baptiste, dont elle
reconnaissait la présence au son particulier que rendait sa jambe de
bois en frappant sur les marches de l'escalier! et, comme si rien de ses
anciens souvenirs ne devait lui faire défaut, au moment où montée
elle-même à ce laboratoire, dont elle n'avait ouvert la porte qu'avec
une anxiété superstitieuse, tant il lui semblait qu'elle allait y
retrouver Jacques poursuivant quelqu'une de ses expériences
mystérieuses, Éva regardait tristement les touches muettes et poudreuses
du piano qui n'avait pas été touché depuis trois ans, elle entendit
frapper à la porte et, un instant après, le bruit sur l'escalier de la
jambe de bois de Baptiste qui allait se rapprochant.
Enfin la porte s'ouvrit, et Baptiste parut sur le seuil, toujours le
même, toujours joyeux, toujours reconnaissant.
--Ah! chère demoiselle, dit-il en joignant les mains et en la regardant
avec son admiration habituelle, il y a cinq minutes que j'ai appris que
vous étiez revenue cette nuit, et j'accours vous demander de vos
nouvelles et de celles de notre cher maître, le citoyen Jacques. Car
s'il était revenu après ce qui s'est passé, ce n'eût point été une
preuve que vous dussiez revenir. Mais du moment où c'est vous qui
revenez, rien ne peut empêcher, s'il est vivant encore, qu'il revienne à
son tour. Seulement vous avez les yeux bien rouges et vous avez bien
pleuré. Est-ce qu'il serait mort?
--Non, mon ami, Dieu merci! répondit Éva.
--Ah! c'est qu'on nous avait dit tant de choses dans cette maudite
ville! dit Baptiste. On nous avait dit qu'il avait été tué dans une
émeute; puis égorgé dans les grottes, je ne sais plus lesquelles; puis
enfin qu'il s'était réfugié en Amérique. Depuis plus de dix-huit mois
nous n'avions entendu parler de lui. Mais vous voilà revenues et avec
vous l'espoir de le revoir. Reviendra-t-il? Dites-nous ça, voyons, que
je fasse la joie de tout le pauvre monde qui l'aime toujours. Ah! ce que
les seigneurs appellent la canaille, ça a du cœur, ça se souvient; c'est
pas comme les aristocrates, qui ne se souviennent que pour faire de la
peine. Je ne dis pas ça pour votre père, mademoiselle, quoique ça puisse
s'appliquer à lui.
--Mon pauvre Baptiste! dit Éva en lui tendant la main et tout en
laissant dans la sienne un louis qui valait, à cette époque, en
assignats sept à huit mille francs.
Baptiste regarda le louis, regarda Éva, baisa le louis et, d'une voix
triste, il dit:
--Vous êtes donc toujours bonne, mademoiselle Éva?
Éva porta son mouchoir à ses yeux.
--Et malheureuse, ajouta-t-il, c'est trop juste!
--Mon bon Baptiste, dit Éva, le docteur va revenir dans trois ou quatre
jours; j'espère que vous reprendrez l'habitude de revenir le voir tous
les matins?
--Oh oui! mademoiselle, et Antoine aussi; comment n'est-il pas encore
ici? je l'ai rencontré dans la rue, il m'a dit qu'il venait.
En effet la porte du laboratoire s'ouvrit et Antoine parut.
Il frappa du pied selon son habitude et s'écria:
--Justice de Dieu! centre de vérité! Vous êtes toujours belle et jeune,
mademoiselle Éva, tant mieux.
--Bonjour, mon cher Antoine, et vous comment vous portez-vous?
--Moi je suis toujours le prophète, dit Antoine, envoyé pour porter la
parole du Seigneur.
--Et cette parole du Seigneur que vous m'apportez, quelle est-elle? dit
en soupirant Éva.
--Les honnêtes gens aurons leur tour, répondit Antoine, les malheureux
redeviendront heureux et les affligés seront consolés.
--Dieu vous entende! dit Éva.
Elle lui mit dans la main un louis, comme elle avait fait à Baptiste.
Les deux vieillards étendirent la main vers elle comme pour l'envelopper
de leur double bénédiction.
Puis, appuyés à l'épaule l'un de l'autre, ils descendirent et Éva put
entendre la jambe de bois de Baptiste s'éloigner graduellement, comme
elle l'avait entendue graduellement se rapprocher.
Alors elle tomba assise devant le piano, ses doigts coururent sur les
touches, une douce symphonie courut sous ses doigts; on eût dit que
cette prédiction de l'insensé avait réveillé dans son cœur cette
espérance si prête à s'éteindre, et que c'était cette espérance fugitive
comme la raison de celui qui l'avait donnée qui jetait des touches de
lumière sur la sombre mélodie qui venait faire tressaillir l'écho muet
depuis trois ans de ce laboratoire abandonné.
À la suite de ces excitations musicales, Éva tombait invariablement ou
dans une extase douloureuse ou dans un accès de nerveuse gaieté. Cette
fois, les sons s'éteignirent peu à peu sous ses doigts, sa tête
s'inclina mélancoliquement sur sa poitrine et aucun des accidents
ordinaires ne se manifesta.
Lorsqu'elle sortit de cette espèce de sommeil, le soleil semblait avoir
repris toute la force des beaux jours, et les gouttes d'eau de la nuit
qui n'étaient pas encore séchées étincelaient à l'extrémité des herbes
et des feuilles, pareilles à des diamants.


XI
LE RETOUR DE JACQUES

Il n'y a pas de moments plus doux dans la vie morale comme dans la vie
physique que celui où, après un désespoir complet, on recommence à
espérer un peu, et que celui où, après l'orage et la foudre, le ciel
commence à s'éclaircir et à reprendre une teinte d'azur.
Eh bien, Éva en était là, la prédiction du fou avait produit l'effet
moral; le retour du soleil produisit l'effet physique. Elle descendit
l'escalier, ouvrit la porte du jardin et hasarda son pied sur les
terrains raffermis.
Comme nous avons dit, quelques gouttes de pluie restaient encore à la
cime des herbes, mais on sentait cette douce odeur qui émane de tous les
objets mouillés lorsque la nature et le soleil commencent à triompher du
tonnerre et de la pluie.
Elle s'arrêta un instant sur le seuil; de là son regard embrassait toute
la petite enceinte. Dans l'atmosphère éclaircie on voyait ce virginal je
ne sais quoi qui annonce le retour du printemps. Mars, le mois
précurseur, malgré ses bourrasques de pluie et de grêle, est parfois un
des mois charmants de l'année.
La pluie et la grêle d'octobre annoncent l'hiver; la pluie et la grêle
en mars annoncent le retour des douces brises et des jours dorés.
Éva se hasarda sur ces gazons qui deux heures auparavant étaient
détrempés, et que deux heures de soleil avaient suffi pour raffermir.
Parmi ces gazons on apercevait, la tête penchée, quelques peureuses
pâquerettes, quelques craintifs boutons d'or. Les bords du ruisseau,
ravivés, se tapissaient d'une mousse printanière dans laquelle
frémissaient les premiers atomes de la vie végétale.
Le bassin que formait l'eau était encore trouble, mais peu à peu l'eau
se filtrait et commençait à transparaître; enfin l'arbre de la science
du bien et du mal, le beau pommier qui faisait le point culminant du
jardin, avant même ses premiers bourgeons, laissait distinguer ses
premières fleurs.
Si l'on eût appuyé son oreille contre la terre, à coup sûr, dans le sein
de cette mère commune, on eût entendu sourdre la vie et se préparer les
fleurs du printemps et les fruits de l'été.
Éva prit son beau pommier entre ses bras et baisa ses branches
rougissantes. Le pommier dont elle avait vu rougir les fruits, le
ruisseau où elle s'était regardée pour la première fois en allant y
boire comme _Scipio_, étaient ses deux plus vieux amis. Puis elle
regarda dans la grotte des Fées ce bassin d'eau limpide où elle allait
chercher la fraîcheur du bain pendant les jours brûlants de l'été, et où
elle avait donné ces premiers signes de pudeur qui annonçaient non
seulement qu'elle devenait intelligente, mais encore qu'elle devenait
femme.
Elle descendit de là jusqu'à la tonnelle de vigne; là, aucune apparence
de vie ne s'éveillait encore: la vigne, qui contient ce sang végétal qui
a tant de ressemblance avec notre sang, est la dernière qui s'éveille
parmi les arbrisseaux; des buissons de syringa où venait chanter le
rossignol étaient encore dénudés de toutes leurs feuilles.
Mais à défaut du rossignol, virtuose du printemps, ils avaient déjà
donné asile au rouge-gorge, rustique chanteur chargé de consoler la
chaumière, par sa présence et son babil, de l'absence du soleil et du
silence des autres oiseaux chanteurs.
Souvent Éva s'était amusée, pendant les jours anniversaires de ceux qui
passaient sur sa tête, à regarder cet hôte familier et amical pour qui
tout semble sujet de curiosité et qui, de son œil vif et spirituel comme
celui de la fauvette et du rossignol, vient examiner l'homme, dans
lequel il ne peut s'habituer à voir un ennemi.
Était-ce un nouvel habitant du jardin, ou le gentil oiseau l'avait-il
déjà connue aux jours de son bonheur? il s'approcha si près d'elle
qu'elle eut grande envie de croire qu'il la reconnaissait et qu'il
voulait aussi fêter son retour.
Éva avait retrouvé son paradis, mais son paradis que sa faute avait
fait triste et désert, et celui qu'elle y attendait en frissonnant
encore plus de crainte que d'amour, ce n'était point Adam, le complice
de sa faute, c'était l'ange à l'épée flamboyante qui venait de la part
de Dieu pour lui pardonner ou la punir.
Ces rayons si doux du soleil, était-ce le sourire d'un Dieu intelligent
ou la douce et tranquille chaleur d'un astre insensible accomplissant
son œuvre?
Elle interrogeait tout sur ce grand mystère du pardon: le globe lumineux
qui s'avançait en pâlissants vers l'occident; le nuage qui s'empourprait
en passant de ses derniers feux; la fleur qui poussait avant la feuille;
tout, jusqu'au petit oiseau qui s'approchait d'elle dans ce moment de
repos et de silence et qui s'éloignait d'elle à son moindre mouvement et
à son plus léger soupir.
Nulle part n'était l'affirmation du bien et du mal, partout le doute.
Le _que sais-je_ de Montaigne était jeté comme un voile sur toute la
nature et s'étendait plus épais à chaque instant entre elle et l'avenir.
Une voix l'appela.
C'était celle de Marthe; la nuit était venue, quatre heures sonnaient,
et Marthe, ponctuelle comme l'horloge elle-même, venait l'avertir que le
dîner était servi.
C'était là que l'attendait une solitude plus grande. Souvent il
arrivait que, plongé dans ses travaux, poursuivant un problème qu'il se
croyait près de résoudre et qui lui échappait sans cesse, comme tout ce
que l'homme croit tenir, Jacques faisait prier Éva de déjeuner seule et
ne descendait point; mais, en ce cas, Jacques était toujours là, et Éva
savait qu'un simple plancher la séparait de lui.
Mais à dîner Jacques était toujours présent, c'était sa véritable heure
de jouissance, l'heure à laquelle il retrouvait Éva, séparée
matériellement de lui par l'absence et intellectuellement par sa pensée
qui s'arrêtait sur un travail nouveau et exigeant qui appelait toute son
attention.
Alors il la revoyait des yeux, il la retrouvait du cœur, et son visage,
comme celui d'un enfant, un instant troublé par l'étude, reprenait toute
la sérénité du bonheur.
Il n'était plus là; ce n'était plus un travail absolu, mais sa volonté,
qui le retenait loin d'elle. Reviendrait-il? Quand reviendrait-il? Avec
quel sentiment reviendrait-il?
C'était l'éternelle question qu'Éva cherchait à rouler hors de son cœur
comme le rocher de Sisyphe, et qui comme le rocher de Sisyphe retombait
éternellement sur son cœur.
Comme elle avait reconnu le déjeuner, Éva reconnaissait le dîner. Il
était exactement le même que si Jacques eût dû le partager, le couvert
manquant à sa place indiquait seul qu'il était absent.
Marthe ne s'en aperçut qu'en desservant.
--Oh! mon Dieu! dit-elle, comme vous avez peu mangé, ma chère
demoiselle!
--Ce n'est pas que j'ai peu mangé, répondit Éva, c'est que j'ai mangé
seule.
--Que ferai-je de tout ce qui reste? demanda Marthe.
--Vous appellerez demain une pauvre femme et vous le lui donnerez pour
elle et pour ses enfants.
--Faudra-t-il continuer à vous servir le même dîner?
--Oui! dit Éva, les pauvres mangeront sa part, et, soyez tranquille,
chère Marthe, il ne se plaindra pas de ce surcroît de dépense, qui,
comme vous le voyez, ne sera point perdu.
--Vous avez raison, mademoiselle, il était si bon autrefois!
--Il est meilleur encore aujourd'hui, Marthe.
--Oh! cela n'est pas possible! s'écria la bonne femme.
--J'espère cependant que cela est, dit Éva en levant les yeux au ciel.
Après le dîner, elle monta au laboratoire et plaça une bougie de manière
à ce qu'elle fût vue du dehors.
--Mais on va croire, dit Marthe, que M. le docteur est arrivé!
--Vous direz à ceux qui viendront, Marthe, qu'il n'est pas encore
arrivé, mais qu'il va venir, et les pauvres sauront qu'ils vont avoir un
protecteur contre tous les maux dont ils sont menacés et même contre le
bien qu'ils n'apprécient pas, contre la mort.
--Pourquoi dites-vous des choses pareilles depuis que vous êtes revenue,
mademoiselle? demanda Marthe, je ne vous les avais jamais entendue dire
avant votre départ.
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