Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 03

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mœurs calmes, dans son foyer domestique irréprochable. Il fut traîné sur
le théâtre, chose qui ne s'était pas faite depuis Aristophane,
c'est-à-dire depuis deux mille quatre cents ans.
Là chacun put le siffler, le huer, lui cracher au visage.
Fréron avait vu tout cela de l'orchestre sans se plaindre, sans dire un
mot; il avait vu le comédien qui le jouait, et qui, par le vol d'un
valet, c'était procuré un de ses habits, il avait vu le comédien qui le
jouait, imiter sa figure, et, s'avançant jusqu'à la rampe, dire de
lui-même:
--_Je suis un sot, un voleur, un misérable, un mendiant, un folliculaire
vénal._
Mais, au cinquième acte, une pauvre femme tomba évanouie aux premières
loges, en jetant un cri.
À ce cri, Fréron se retourna et s'écria:
--Ma femme! ma femme!
Un homme aida Fréron à sortir de l'orchestre, au milieu des rires, des
huées, des sifflets; cet homme c'était ce même Malesherbes, cet athée
honnête homme qui défendit Louis XVI, et qui, payant de sa vie sa
généreuse intervention dans le procès, remontait comme d'habitude sa
montre à midi, quoiqu'il dût être guillotiné à une heure.
Malgré tout cela, malgré la lettre méprisante de Rousseau, qui cette
fois-là donna dans sa haine la main à Voltaire, Fréron tint bon.--Il
continua d'exalter Corneille, Racine, Molière, aux dépens de Crébillon,
de Voltaire et de Marivaux. Mais, dans cette lutte qu'il soutenait à lui
seul contre toute l'_Encyclopédie_, il tomba malade de fatigue; alité,
sans force, mais dictant encore, il apprit que le garde des sceaux
Miroménil, venait de supprimer le privilége de l'_Année littéraire_, et
que, par conséquent, il était non-seulement ruiné, mais désarmé.
Il laissa retomber sa tête sur l'oreiller, poussa un soupir, et mourut.
Grâce à l'influence de quelques protecteurs qui lui étaient restés, la
veuve de Fréron fit rendre à son fils le privilége de l'_Année
littéraire_.
L'enfant n'avait que dix ans, et ce furent son oncle Royou et l'abbé
Geoffroy qui rédigèrent le journal, tout en lui attribuant une partie du
produit. Bercé par le souvenir des souffrances de son père, il avait
pris, tout jeune encore, la société en haine. Le hasard fit qu'il fut à
Louis-le-Grand le condisciple de Robespierre, de sorte que, quand la
révolution éclata, la place de l'homme corrompu par excellence se trouva
près de l'incorruptible.
Le journal, qui n'avait été jusque là qu'une puissance littéraire, était
devenu dans les mains de Marat une puissance politique. À côté de l'_Ami
du peuple_, Fréron publia l'_Orateur du peuple_. Il se livra dans cette
feuille à tous les excès de l'homme timide qui ne sait pas s'arrêter
dans la cruauté parce qu'il ne sait pas s'arrêter dans la faiblesse.
Nommé membre de la Convention, il avait voté la mort du roi, puis avait
été envoyé avec Barras à Marseille.
On sait ce qu'il y fit. On connaît ses mitraillades; l'histoire a
enregistré ces mots terribles, après une canonnade:
--Que ceux qui ne sont pas morts se relèvent, la patrie leur pardonne!
Et quand, sur la foi de cette promesse, sains et saufs, les blessés se
relevèrent, ce mot plus terrible encore, car il était un mensonge
sanglant:
--Feu!
Et cette seconde fois, personne ne se relevait.
Eh bien! nous le disons, pour qu'il y ait eu une semblable haine contre
les hommes dans le cœur de l'impitoyable proconsul, il fallait que
l'enfant, élevé dans le cabinet de son père, se souvînt que, pour prix
d'un travail acharné, de son dévouement à tous les principes
conservateurs, son père n'avait recueilli que les insultes et
l'ingratitude de ceux-là même qu'il défendait.
Ce fut cet éclectisme dans le crime qui lui fit abandonner le parti de
Robespierre et prendre celui de Tallien, se faire thermidorien de
terroriste qu'il était, dénoncer Fouquier-Tinville et tous ses complices
les uns après les autres, et, à la tête de la réaction antijacobine,
créer cette jeunesse dorée à laquelle il donna son nom et que nous
appellions tout à l'heure une France nouvelle.
Ce qui l'attirait, cette jeunesse, au théâtre Louvois, le 19 février
1796, c'était sa réouverture, sous la direction de la célèbre
mademoiselle Raucourt, qui avait réuni quelques-uns de ses camarades du
Théâtre-Français, et qui tentait avec eux de ramener les esprits à la
belle littérature dont elle s'était faite l'interprète.
Tout avait son côté politique à cette époque; mademoiselle Raucourt
avait le sien. Belle à faire damner la moitié des spectateurs, après
avoir reçu des conseils de Brizard, elle avait paru pour la première
fois en 1772 sur la scène du Théâtre-Français, dans le rôle de Didon.
Mais tout à coup des bruits étranges s'étaient répandus sur l'emploi
qu'elle faisait de sa beauté, et, malgré les petits vers de Voltaire qui
lui promettaient la royauté de la scène, malgré l'écrin que lui avait
fait remettre madame du Barry en lui recommandant d'être sage, elle
avait bientôt vu, sous les coups de la calomnie ou de la
médisance,--nous ne saurions, nous faire juge dans un pareil
procès,--ses admirateurs les plus ardents l'abandonner et ses
détracteurs les plus acharnés la siffler.
Criblée de dettes, ne croyant plus à cet avenir prédit par Voltaire, la
belle débutante s'était réfugiée dans l'enclos du Temple, asile ouvert
aux débiteurs insolvables.
Poussée comme elle l'était par le démon de la tragédie, Raucourt ne
pouvait demeurer inconnue; elle s'évada une nuit, gagna la frontière,
donna des représentations devant les souverains du nord, et revint en
France, où Marie-Antoinette,--la chose ne contribua pas peu à accréditer
les premières rumeurs,--où Marie-Antoinette paya ses dettes, et la fit
rentrer à la Comédie-Française dans ce même rôle de Didon qui lui avait
valu ses premiers succès.
Ce fut alors que, se livrant à des études sérieuses, elle reconquit à
force de talent la faveur du public.
Lorsque, à la suite de la représentation de _Paméla_, la Convention
ordonna l'incarcération en masse de la Comédie-Française, elle fut
incarcérée aux Madelonnettes avec Saint-Phal, Saint-Prix, Larive,
Naudet, mesdemoiselles Lange, Devienne, Joly et Contat.
Le 11 thermidor, elle sortit de prison, joua quelque temps à l'Odéon;
mais, se trouvant trop éloignée du centre de la ville, elle entraîna ses
compagnons à la salle Louvois.
La salle Louvois s'ouvrait donc, comme nous l'avons dit, sous ses
auspices, par la pastorale de _Pygmalion et Galatée_, qui permettait à
mademoiselle Raucourt de faire admirer ses formes magnifiques dans le
rôle de la statue, et par _Britannicus_, qui lui permettait de faire
admirer son génie dans le rôle d'Agrippine.
L'emprisonnement de mademoiselle Raucourt, sous prétexte d'attachement à
l'ancien régime, lui assurait la sympathie de toute cette jeunesse
folle qui allait encombrer la salle, et qui ne faisait qu'apparaître
en passant sous le péristyle.
Mais si le lecteur veut suivre un des deux escaliers qui montent à
l'orchestre, s'il veut entrer dans la salle, soit du côté cour, soit du
côté jardin, il pourra alors jeter un coup d'œil sur l'ensemble de cette
admirable ruche, qu'au premier abord on croirait peuplée, grâce au
chatoiement des taffetas et des satins, grâce aux feux des diamants et
des pierreries, d'oiseaux des tropiques et de papillons de l'équateur.
Pour donner une idée de l'ensemble des toilettes de toute cette jeunesse
dorée, hommes et femmes, il nous suffira de peindre, en hommes, les deux
ou trois incroyables, et, en femmes, les deux ou trois merveilleuses qui
donnaient le style à l'époque.
Les trois femmes étaient, l'une dans une avant-scène, et les deux autres
dans les loges d'entre-colonnes de la salle. Les loges d'entre-colonnes
étaient, après les avant-scènes, les loges les plus recherchées.
Ces trois femmes, au nom desquelles l'admiration publique avait ajouté
l'épithète de belles, étaient la belle madame Tallien, la belle madame
Visconti et la belle marquise de Beauharnais.
Ce sont les trois déesses qui se partagent l'Olympe, ce sont les trois
grâces qui règnent au Luxembourg.
La belle madame Tallien,--Térésia Cabarrus,--occupait l'avant-scène à
droite des spectateurs; elle représentait la Grèce personnifiée dans
Aspasie; elle était vêtue d'une robe de linon blanc tombant à longs plis
sur un transparent rose. Sur cette robe elle portait une espèce de
péplum comme Andromaque. Deux bandeaux en feuilles de laurier d'or
soutenaient son voile; malgré la robe de linon blanc, malgré le
transparent rose, malgré le péplum jeté sur le tout, on pouvait voir à
la base d'un cou de cygne le haut d'une poitrine admirablement modelée.
Un collier de perles à quatre rangs faisait valoir son cou d'un blanc
mat, comme son cou faisait valoir les perles d'un blanc rosé. Les mêmes
bracelets de perles étaient noués au haut du bras, au-dessus de mitaines
roses montant jusqu'au coude.
Un journaliste avait dit quelques jours auparavant:
--Il y a deux mille ans que l'on porte des chemises, cela commence à
devenir ennuyeux.
La belle madame Visconti, qui représentait la Romaine, comme son nom lui
en imposait l'obligation, avait compris la vérité de cette critique et
avait en effet supprimé la chemise.
Elle portait, comme madame Tallien, une robe de mousseline très-claire à
longues manches, ouvertes de manière à laisser voir ses bras moulés sur
l'antique; son front était surmonté d'un diadème de camées; son cou
entouré d'un collier pareil, ses jambes et ses pieds étaient nus, à part
des sandales de pourpre qui lui permettaient de porter autant de
bagues aux doigts de ses pieds qu'aux doigts des mains; une forêt de
cheveux noirs et bouclés s'échappaient de son diadème et retombaient sur
ses épaules. C'était ce qu'on appelait une coiffure à la Caracalla.
Dans la loge en face de celle de madame Visconti, la marquise de
Beauharnais, avec sa grâce créole, représentait la France. Elle portait
une robe ondée rose et blanc garnie d'effilés noirs. Elle n'avait point
de fichu; des manches courtes en gaze de la couleur de ses effilés, et
de longs gants café au lait se nouant au-dessus du coude. Elle était
chaussée de bas de soie blancs à coins verts, portait des souliers de
maroquin rose, et était coiffée à l'étrusque. Elle n'avait pas un bijou
sur elle, mais ses deux enfants à côté d'elle, et, comme Cornélie,
semblait dire en les regardant:
--Voilà mes pierreries, à moi.
C'est à tort que nous lui avons laissé le nom de marquise de
Beauharnais. Depuis quelques jours elle venait d'épouser un jeune chef
de brigade d'artillerie appelé Napoléon Bonaparte. Mais, comme on
regardait ce mariage au-dessous d'elle, ses bonnes amies, qui ne
pouvaient s'habituer à l'appeler madame Bonaparte tout court, profitant
du retour des titres, continuaient de l'appeler tout bas marquise.
Les autres femmes qui fixent tous les yeux, qui attirent à elles toutes
les lorgnettes, sont mesdames de Noailles, de Fleurieu, de Gervasio, de
Staël, de Lansac, de Puységur, de Perregaux, de Choiseul, de Morlaix,
de Récamier, d'Aiguillon.
Les trois hommes qui donnaient le ton à Paris, et qui tous trois aussi
avaient reçu l'épithète de beaux, étaient le beau Tallien, le beau
Fréron, et le beau Barras.
Il y en avait un quatrième à la Convention, qui était non-seulement
aussi beau, mais encore plus beau qu'eux. Lui aussi on l'appelait le
beau; mais sa tête était tombée en même temps que celle de Robespierre.
C'était le beau Saint-Just.
Tallien, qui allait de loge en loge, pour revenir sans cesse à celle de
sa femme, dont il était amoureux comme un fou, portait ses cheveux
relevés avec un peigne d'écaille entre deux oreilles de chien tombant
jusqu'au bas des joues; il était vêtu d'un habit brun à collet de
velours bleu de ciel, une cravate blanche avec un nœud énorme était
roulée autour de son cou; il portait le gilet de basin blanc orné de
broderies, pantalon de nankin collant avec la double chaîne de montre en
acier, des souliers pointus et découverts, des bas de soie rayés en
travers, blanc et rose; un claque sous son bras avait remplacé le bonnet
phrygien du 31 mai, et un bâton noueux, tordu, à pomme et à extrémité
dorées, remplaçait dans sa main le poignard de thermidor.
Le beau Fréron, qui, comme Tallien, papillonnait de loge en loge,
portait un chapeau à bateau avec une cocarde tricolore, un habit brun
carré, boutonné, à petit collet de velours noir, les cheveux courts à la
Titus, mais poudrés, un pantalon collant noisette, avec des bottes à
retroussis par-dessus. Contre son habitude, au lieu du bâton noueux, il
portait, ce soir-là, un léger jonc dont une perle informe faisait le
pommeau.
Barras avait loué l'avant-scène en face de madame Tallien. Il portait un
habit bleu clair avec boutons de métal, culottes de nankin à rubans, bas
chinés, bottes molles à revers jaune, cravate blanche énorme, gilet à
transparent rose et des gants verts.
Cette furibonde toilette était complétée par un chapeau à panache
tricolore et par un sabre à fourreau doré.
N'oublions pas que le beau vicomte de Barras était en même temps le
général Barras, qui venait de faire le 13 vendémiaire, aidé du jeune
Bonaparte, dont la figure sombre comme une médaille antique se dessinait
dans la loge de madame de Beauharnais, où il venait d'entrer.
Les autres beaux étaient les Lameth, les Benjamin Constant, les
Coster-Saint-Victor, les Boissy-d'Anglas, les Lanjuinais, les
Talleyrand, les Ouvrard, les Antonelle.
Le spectacle que donnait la salle faisait prendre en patience celui que
promettait l'affiche.


V
UN HOMME D'UNE AUTRE ÉPOQUE

Ce spectacle semblait surtout éveiller la curiosité d'un spectateur
placé à l'orchestre, et qui de son côté était l'objet de l'attention de
toute la salle.
Au milieu de cette foule de jeunes gens portant des habits de soie et de
velours, aux couleurs brillantes, taillés à la mode de 96, était apparu
tout à coup, méritant tout aussi bien que Tallien, que Fréron et que
Barras, et peut-être à plus juste titre, l'épithète de beau, un homme de
trente à trente-deux ans, vêtu du costume sévère que l'on portait en 93.
Il avait les cheveux coupés à la Titus, mais assez longs cependant pour
qu'ils flottassent en boucles soyeuses sur son front pâle et
retombassent aux deux côtés de ses joues; il avait la cravate blanche,
mais sans exagération dans le nœud et les ornements; il portait le gilet
de piqué blanc à larges revers dit à la Robespierre, la redingote grenat
foncé tombant jusqu'aux genoux avec un collet flottant, et la culotte
chamois avec des bottes montant jusqu'aux jarretières. Son chapeau était
de feutre prenant la forme qu'on voulait lui imprimer, et portant comme
tout le reste de l'habillement cette date de 93 que chacun s'efforçait
d'oublier.
Il était entré à l'orchestre, non pas avec la désinvolture des jeunes
gens à la mode, mais gravement, tristement, poliment; il avait prié ceux
qu'il était obligé de déranger, de lui faire place, dans les meilleurs
termes d'une langue oubliée.
On s'était rangé devant lui, en le regardant avec un certain étonnement,
car, nous l'avons dit, il était le seul de toute la salle qui portât ce
costume d'un autre temps.
Quelques éclats de rire des galeries et des balcons avaient accueilli
son entrée; mais, lorsque, en levant son chapeau, il s'était adossé au
rang de fauteuils placé devant lui pour embrasser la salle d'un coup
d'œil, les rires avaient cessé et les femmes avaient remarqué la beauté
calme et froide du nouvel arrivant, ses yeux fermes, limpides et
profonds, ses mains éclatantes de blancheur; si bien, comme nous l'avons
dit, qu'il avait attiré à lui une attention presque égale à celle qu'il
portait lui-même à ce spectacle qu'il paraissait voir pour la première
fois.
Ses voisins furent les premiers à s'apercevoir de cette suprême
distinction; ils essayèrent de nouer conversation avec lui; mais, sans
refuser de répondre, le nouveau venu répondit de façon à faire
comprendre qu'il n'était point causeur.
--Le citoyen est étranger? lui avait demandé son voisin de droite.
--J'arrive ce matin même d'Amérique, avait-il répondu.
--Monsieur veut-il que je lui nomme les notabilités qui sont dans cette
salle? avait demandé son voisin de gauche.
--Merci, monsieur, avait-il répondu avec la même politesse, mais je dois
les connaître à peu près tous.
Et ses yeux s'étaient fixés tour à tour, avec une étrange expression,
sur Tallien, sur Fréron et sur Barras.
Barras paraissait inquiet dans sa loge, qu'il n'avait point quittée un
seul instant comme l'avaient fait les autres élégants. Il semblait
attendre quelqu'un, et d'où il était il avait salué les dames et les
hommes de sa connaissance.
Deux ou trois fois la porte de sa loge s'était ouverte, et chaque fois
il avait fait un mouvement pour s'élancer vers la porte; mais chaque
fois on avait pu voir que ce n'était pas la personne attendue au nuage
rapide qui avait passé sur son visage.
Les trois coups annoncèrent enfin que le rideau allait se lever.
En effet la toile se leva, et le public sentit venir à lui cette
fraîcheur qui s'élance du théâtre, et qui va porter un instant de
bien-être dans l'atmosphère bouillante de la salle.
Le théâtre représentait l'atelier de Pygmalion, avec des groupes de
marbre, des statues ébauchées, et dans le fond une statue cachée sous
un voile d'une étoffe légère et brillante; Pygmalion-Larive était en
scène, Galatée-Raucourt était cachée sous le voile.
Toute voilée qu'elle était, mademoiselle Raucourt fut saluée par un
tonnerre d'applaudissements.
On connaît le libretto; sorti de la plume de Jean-Jacques Rousseau, il
est à la fois naïf et passionné comme son auteur. Pygmalion désespère de
jamais égaler ses rivaux et jette avec dédain ses outils. La scène n'est
qu'un long monologue, dans lequel le sculpteur se reproche sa vulgarité;
puis enfin, rassuré sur sa renommée à venir par celui de tous ses
chefs-d'œuvre que l'on ne voit pas, il s'approche de la statue voilée,
porte la main au voile, hésite, finit par le soulever en tremblant, et
tombe à genoux devant son ouvrage, en disant:
«--Ô Galatée! recevez mon hommage; oui, je me suis trompé, j'ai voulu
vous faire nymphe, et je vous ai faite déesse; Vénus même est moins
belle que vous!»
Puis le monologue continue, jusqu'à ce qu'au souffle de son amour la
statue s'anime, descende de son piédestal et parle.
Quoique mademoiselle Raucourt n'eût que quelques mots à dire, grâce à sa
foudroyante beauté et à la grâce majestueuse de ses mouvements, du
moment qu'elle commençait de s'animer elle était écrasée
d'applaudissements et la toile tombait, on peut véritablement le dire,
sur le triomphe de la beauté physique.
Elle se releva pour que les deux grands artistes vinssent de nouveau
jouir de leur popularité. Puis, après quelques secondes d'enthousiasme,
la toile retomba, séparant Pygmalion et Galatée de cette salle encore
frémissante sous l'impression toute sensuelle de la scène qu'elle venait
d'applaudir.
Ce fut en ce moment que la porte de la loge de Barras s'ouvrit et que,
comme si elle eût craint de porter ombrage à l'incomparable Raucourt,
une femme inconnue, d'une beauté sans comparaison, même avec les plus
belles, apparut dans la pénombre de l'avant-scène et s'avança lentement,
timidement et comme à regret, sur le devant de la loge.
Tous les yeux se dirigèrent sur cette nouvelle venue, dont on ne fit, en
quelque sorte, qu'entrevoir, perdu dans les plis de son voile de gaze,
le visage céleste. Ses yeux se portèrent tout autour de la salle,
s'abaissèrent sur l'orchestre, où son regard se croisa comme s'il y
avait été attiré par une force invincible avec le regard de l'inconnu.
Tous deux en même temps jetèrent un cri, tous deux s'élancèrent vers la
porte, l'un de l'orchestre, l'autre de la loge, et se trouvèrent dans le
corridor.
Mais au moment où l'étranger arrivait au bas de l'escalier, une femme
qui semblait en descendre les marches sans les toucher, vint tomber
dans ses bras et se laissa glisser jusqu'à ses genoux, qu'elle baisa
avec fureur en éclatant en sanglots.
L'inconnu la regarda et la laissa faire, puis, d'une voix
douloureusement tirée des cavités de sa poitrine:
--Qui êtes-vous? dit-il, et que me voulez-vous?
--Oh! mon bien-aimé Jacques, lui dit la jeune femme, ne reconnais-tu pas
ton Éva?
--Ce qui est dans la loge de Barras est à Barras! répondit froidement
l'étranger, et n'est pas à moi, n'est plus à moi, n'a jamais été à moi!
En ce moment Barras parut au haut de l'escalier; il s'était étonné de
cette fuite d'Éva et l'avait suivie.
--Citoyen Barras, dit Jacques Mérey, voilà une femme que je crois folle;
invitez-la, je vous prie, à reprendre dans votre loge la place qu'elle
doit y occuper.
Mais à ces mots Éva, avec le même rugissement de douleur que si elle eût
reçu un coup de poignard à travers la poitrine, saisit Jacques à
bras-le-corps, puis, le regardant avec une expression à laquelle il n'y
avait pas à se méprendre.
--Tu sais, lui dit-elle, que si tu répètes les paroles que tu viens de
dire, je me tue avec la première arme que je rencontre.
--C'est bien, dit Jacques. Le sang purifie. Morte, peut-être
redeviendras-tu mon Éva.
Éva se redressa, et, se retournant vers Barras, mais sans lâcher le
bras de Jacques qu'elle tenait avec la force d'un homme.
--Citoyen Barras, dit-elle, cet homme est celui que j'aimais, que tu
m'as dit mort au 31 mai, retrouvé poignardé dans les landes de Bordeaux,
à moitié mangé par les bêtes sauvages; cet homme est vivant, le voilà,
je l'aime! N'essaye pas de me reprendre à lui, ou je t'accuse, ou je dis
tout haut de quelle ruse tu t'es servi pour me perdre, ou je crie à la
violence. Et toi, Jacques, pour l'amour de Dieu, emmène-moi, et si je
meurs, que ce soit sous tes yeux!
--Vous êtes Jacques Mérey? dit Barras.
--Oui, citoyen.
--Cette femme a dit vrai; elle a toujours affirmé son amour pour vous,
elle vous a cru mort; j'atteste que je le croyais aussi lorsque je le
lui ai dit.
--Et qu'importait que je fusse mort ou vivant, répondit Jacques,
puisqu'elle croit à un ciel où les âmes se réunissent!
--Monsieur, dit Barras, je reconnais n'avoir aucun droit sur cette
femme. Sa fortune est à elle, la maison qu'elle habite est achetée de
son bien, et, comme je n'ai jamais eu son cœur, elle n'aura pas besoin
de le reprendre.
Puis, avec un côté chevaleresque dont il n'était point exempt, il salua,
disparut dans le corridor et rentra dans son avant-scène.
Éva se retourna vivement vers Jacques.
--Tu l'as entendu, n'est-ce pas, Jacques? Cet homme m'avait dit que tu
étais mort, j'ai voulu mourir, je n'ai pas pu, je te conterai tout cela;
j'ai été sur la charrette jusqu'au pied de la guillotine, la guillotine
n'a pas voulu de moi, j'ai été sauvée malgré moi; je ne voulais pas
sortir de prison, c'est madame Tallien qui est venue me chercher et m'a
emmenée de force. Ah! si tu savais combien de larmes versées! combien de
nuits sans sommeil! combien de cris poussés pour te rappeler de chez les
morts!...
Et elle se laissa de nouveau glisser à ses genoux qu'elle baisa.
--Tu me pardonnerais!
Jacques fit un mouvement.
--Non, dit Éva, tu ne me pardonnerais pas. Je ne te demande pas de me
pardonner, je ne suis pas digne de pardon! Mais tu peux me faire mourir
lentement sous tes reproches; si je me tue, je mourrai trop vite, je
n'expierai pas; tu comprends. Dis-moi que tu ne m'aimes plus, que tu ne
m'aimeras jamais. Tue-moi avec des paroles; j'ai vécu par toi; je
demande à mourir par toi.
--Le citoyen Barras a dit que vous aviez votre hôtel à vous, madame; où
faut-il vous conduire?
--Je n'ai pas d'hôtel à moi, je n'ai rien à moi. Tu m'as prise sur un
peu de paille, dans une misérable cabane de paysan; rejette-moi sur la
paille où tu m'as prise. Oh! mon pauvre Scipion, mon pauvre chien, si
je t'avais là, tu m'aimerais encore, toi!
Jacques abaissa ses yeux sur Éva, mais sans que ces yeux fixes et
terribles changeassent d'expression. La jeune femme était abîmée à ses
pieds comme la Madeleine aux pieds de Jésus.
Mais Jésus, planant au-dessus des passions humaines, avait la mansuétude
d'un Dieu, tandis que Jacques avait l'invincible orgueil d'un homme.
Il avait dit vrai. Il eût préféré retrouver morte celle qu'il avait tant
aimée que la retrouver vivante dans les conditions où elle était. La
terre de sa tombe lui eût semblé douce à baiser, et il frissonnait rien
qu'à l'idée de sentir les lèvres d'Éva sur son visage ou sur ses mains.
--J'attends toujours, lui dit-il.
Elle sembla sortir de l'agonie, renversa la tête, le regarda de ses yeux
mourants.
--- Quoi? dit-elle, qu'attendez-vous? Je ne comprends pas.
--J'attends que vous me disiez où vous demeurez, afin que je vous fasse
reconduire chez vous.
Elle se redressa sur un genou, et, se reprenant à la fois à la douleur
et à la vie:
--Et moi, je t'ai dit que je ne demeurais nulle part, répliqua-t-elle;
je t'ai dit que je ne demandais que le cercueil des suicidés dans la
fosse commune, avec les derniers misérables, ou une botte de paille à
tes pieds pour y vivre de pain et d'eau, et pour y mourir de faim en
te regardant; ce chien, ce malheureux chien enragé qui avait mordu des
hommes, tu n'as pas voulu qu'on le tuât, tu l'as emmené avec toi, tu lui
as permis de t'aimer; je suis donc pour toi moins que ce chien!
Jacques ne répondit point, mais essaya de se débarrasser des liens dont
l'enveloppait Éva.
Elle sentit l'effort qu'il faisait pour l'éloigner.
--Soit, dit-elle en se détachant de lui. Puisque tu as une telle horreur
de moi, te voilà libre; mais tu ne peux pas m'empêcher de te suivre,
n'est-ce pas? Eh bien! je te jure, par la paille où tu m'as trouvée et
que je te redemande inutilement, je te jure que, à défaut d'arme, je
pose ma tête sous la roue de la première voiture qui passera.
--Venez donc, dit Jacques Mérey, j'oubliais d'ailleurs que j'ai une
lettre de votre père à vous remettre.
Et il lui tendit le bras.
Mais, à son accent, Éva sentit bien que ce n'était pas un pardon, mais
une pitié, peut-être même un simple devoir. N'avait-il pas dit qu'il ne
l'emmenait que parce qu'il avait une lettre de son père à lui donner?
--Non, dit-elle en secouant la tête, je ne veux pas abuser de votre
bonté; marchez devant, je vous suivrai.
Jacques Mérey marcha devant, Éva le suivit, un mouchoir sur les yeux.
Jacques fit approcher une voiture, et montra de la main à la jeune
femme la portière ouverte.
Éva y monta.
--Une dernière fois, vous ne voulez pas me dire votre adresse? demanda
Jacques.
Éva fit un cri de profonde douleur, un mouvement pour se précipiter hors
de la voiture.
--Ah! dit-elle, je croyais que vous en aviez fini avec cette torture.
Jacques l'arrêta.
--Place du Carrousel, hôtel de Nantes! dit-il au cocher.
Il monta dans le fiacre, qui s'ébranla et roula dans la direction
indiquée, et s'assit sur la banquette de devant.
Éva se laissa glisser des coussins où elle était assise, et, tombant sur
ses genoux, embrassa en pleurant ceux de Jacques Mérey.
Elle ne quitta point cette humble position dans le trajet, assez court
du reste, de la place Louvois à la place du Carrousel, où le fiacre
s'arrêta.


VI
LA LETTRE DE M. DE CHAZELAY

Jacques Mérey était philosophe, mais en amour il n'y a pas de
philosophie.
Le cœur de l'homme est ainsi fait. Lorsqu'il souffre par la femme qu'il
aime, plus il l'aime, plus il éprouve le besoin de la faire souffrir à
son tour; et dans cette souffrance qu'il lui impose il trouve une amère
et inépuisable douceur.
Jacques Mérey eût été désespéré qu'Éva lui donnât cette adresse qu'il
lui demandait.
Qu'aurait-il fait, que serait-il devenu quand elle n'aurait plus été là
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