Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 09

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croyais pas à ces regards pénétrants, à ces vives et humides étincelles
jaillissant de ses beaux yeux jusque sur l'échafaud. Tout ce qu'elle
haïssait est mort dans la personne de Marat. Elle est partie sans même
penser à pardonner à ses bourreaux. Son âme planait au-dessus des
petites inspirations terrestres; je crois que, si j'étais jeune homme,
j'éprouverais une sombre volupté à la suivre et à la chercher dans le
monde inconnu où elle vient de descendre.
Ordinairement les condamnés se soutiennent par l'animation, par des
chants patriotiques, par des injures qu'ils échangent avec leurs
ennemis, par des sourires que leur envoient leurs amis.
Elle n'a eu besoin de rien de tout cela, elle avait la foi. La foi a été
son pilier d'airain.
Dieu sait comment je mourrai, mais je voudrais mourir comme elle!
Madame Danton pleurait; moi je serrais la main de Danton.

VIII
L'anniversaire du 10 août arrivait. Te rappelles-tu, mon bien-aimé
Jacques, que ce fut ce jour-là même où parvinrent à Argenton les détails
de cette terrible journée, de laquelle date notre séparation.
La date peut être glorieuse pour la révolution, mais, à coup sûr, elle
est fatale pour moi...
Les nouvelles du dehors étaient mauvaises; les Anglais continuaient
d'assiéger Dunkerque; les armées coalisées marchaient sur Paris; la fête
se donnait sous les yeux des Prussiens et des Autrichiens; en quatre
jours de marches forcées ils eussent pu y assister.
Les nouvelles de l'intérieur étaient pires. Marat mort, le journal le
_Père Duchesne_ avait succédé à l'_Ami du peuple_, et comme Hébert
disposait du ministère de la guerre et de la Commune, il puisait à deux
mains dans la double caisse, et, selon qu'il le jugeait nécessaire à ses
intérêts, à sa haine ou à son amitié, faisait tirer son journal à six
cent mille exemplaires.
À tout moment des incendies éclataient dans les ports; on les attribuait
aux Anglais; Pitt vient d'être déclaré par la Convention l'ennemi du
genre humain; les clubs ne parlent que de tuer. On va tuer la reine à la
première occasion; on va tuer les girondins au premier caprice; on
veut tuer la royauté jusque dans le passé; on vient d'ordonner la
destruction des tombeaux de Saint-Denis.
Danton s'est épuisé à leur crier: Créez un gouvernement! Et, en effet,
personne ne gouverne et tout le monde tue.
Danton est sombre et inquiet; il sent qu'il n'a plus les mêmes moyens
d'action sur le peuple qu'il avait en 92, l'enthousiasme a disparu; il
est vrai que le dévouement continue.
--Mais des hommes ne suffisent plus, dit Danton; il faut des soldats.
Nos fédérés de 93 n'ont rien à ce qu'il paraît des volontaires de 92;
ils sont soucieux, mis humblement, ils donnent leurs bras, ils donnent
leur vies, mais froidement, tristement, comme des hommes qui
accomplissent un devoir.
Puis ce n'est plus cette entraînante _Marseillaise_ qui les pousse en
avant: c'est le _Chant du départ_ qui les guide. La musique de Méhul est
véritablement splendide; il y a dans ce chant des coups de trompette qui
doivent percer l'Europe à jour.
On dit que la Convention a dépensé un million deux cent mille francs à
la fête qu'elle vient de nous donner.
On a ouvert deux musées. Danton nous y a conduites, sa femme et moi.
L'un est celui du Louvre; le monde artiste tout entier a contribué à sa
composition; l'école flamande et italienne surtout y sont richement
représentées.
M. Danton, qui de son côté est un excellent juge, a bien voulu s'étonner
de mes connaissances en peinture.
L'autre musée, celui des monuments français, est un admirable trésor
archéologique. Les couvents, les églises, les palais, ont contribué à le
peupler. David, l'ordonnateur de la fête, le même qui a fait le portrait
de Marat mort dans sa baignoire, a classé toute cette grande chronologie
de la France par siècle, presque par règne.
Tous ces dormeurs de marbre, étendus sur leurs tombes avec la double
rigidité de la mort et du granit, offrant, de la croix de Dagobert
jusqu'aux bas-reliefs de François Ier, l'histoire de douze siècles,
parlent à l'imagination avec la voix de la science. Là encore, par ma
connaissance exacte des costumes, j'ai mérité l'éloge de M. Danton. Il
paraît que tu as fait de moi, cher bien-aimé, une femme plus complète
que je ne croyais; la pauvre petite madame Danton, qui ne sait rien de
tout cela et qui n'a jamais entendu parler d'art ni de sciences dans sa
famille, est encore plus étonnée que son mari; elle me regarde presque
avec admiration, ce qui me fait rougir, mais en même temps me rappelle
que c'est à toi que je dois tout cela.
Je m'attendais à voir paraître dans la fête quelque effigie gigantesque
de Marat. Je me trompais. Danton dit que c'est Robespierre qui s'y est
opposé.
Je vais te raconter la fête telle que Danton me l'a expliquée.
Peut-être un jour liras-tu ce manuscrit. Alors tu sauras que je n'ai pas
été un instant sans songer à toi.
Voici ce qu'il m'a dit:
David, pour cette occasion, s'est fait à la fois historien, architecte
et auteur dramatique.
Il a fait une pièce en cinq actes de la Révolution.
D'abord, sur la place de la Bastille, il a dressé une statue colossale
de la Nature, quelque chose comme une Isis aux cent mamelles, jetant par
chacune d'elles, dans un bassin immense, l'eau de la régénération.
La liberté, colosse de la même taille, qu'il a mise sur la place de la
Révolution.
Enfin un troisième Titan, le peuple, Hercule terrassant devant l'hôtel
des Invalides le Fédéralisme sous les traits de la Discorde.
Pour arriver à ce dernier groupe, il faut passer sous un arc de triomphe
tenant toute la largeur du boulevard d'Italie; puis, du groupe des
Invalides, on va à l'autel de la Patrie, situé au milieu du Champ de
Mars.
Sur chacun de ces points, désignés à l'avance comme des reposoirs le
jour de la Fête-Dieu, s'arrêtait et accomplissait un acte patriotique le
cortége parti de la place de la Bastille.
Danton, qui était obligé de marcher avec la Convention, nous avait remis
sa femme et moi, pour ce jour-là, à la garde de Camille Desmoulins et
de Lucile.
Camille Desmoulins, quoique membre de la Convention, ne tenait aucune
place obligée dans toutes ces fêtes. Curieux comme un gamin de Paris, il
voulait tout voir pour tout critiquer. Lucile riait comme une folle des
saillies de son mari; moi, je l'avoue, ce spectacle avait un côté de
grandeur qui m'impressionnait énormément.
C'est Hérault de Séchelles qui, en sa qualité de président de la
Convention, menait la tête du cortège; si on l'avait choisi pour sa
beauté, on ne pouvait faire un meilleur choix. C'est bien l'homme des
cérémonies nationales, et je me le figurais avec la robe grecque ou avec
la toge romaine; il monta sur les débris de la Bastille, tendit une
coupe étrusque, la remplit d'eau, la porta à ses lèvres, et la passa aux
quatre-vingt-six vieillards représentant les quatre-vingt-six
départements, dont chacun portait une bannière, et chacun d'eux, buvant
à son tour, disait après avoir bu:
--Nous nous sentons renaître avec le genre humain.
Le cortége descendit le boulevard; la terrible société des jacobins
marchait en tête avec sa bannière, symbole de sa police universelle,
montrant un œil ouvert dans les nuages. Derrière la société des jacobins
marchait la Convention.
David, pour symboliser la fraternité du peuple avec ses mandataires,
avait dépouillé les représentants de leur costume; habillés en
bourgeois, il n'y avait aucune différence de vêtements entre eux et les
gens qui les avaient nommés. Seulement ils étaient enfermés d'un ruban
tricolore, que tenaient les envoyés des assemblées primaires.
Camille ne put s'empêcher de rire.
--Voyez donc, nous dit-il, la Convention menée en laisse par les
jacobins!
Les seuls juges révolutionnaires portaient un panache noir, indice de
leur terrible mission de deuil.
Tous les autres, la Commune, les ministres, les ouvriers, marchaient
pêle-mêle. Seulement, comme parure et comme signe de la noblesse du
travail, les ouvriers portaient leurs outils.
Les rois de la fête étaient les humbles et les malheureux de la société.
Les aveugles, les vieillards, les enfants trouvés allaient sur des
chars. Les tout petits qui ne pouvaient se tenir debout étaient traînés
dans leurs berceaux. Deux vieillards, un homme et une femme, étaient,
comme Cléobis et Biton, traînés dans une petite charrette par leurs
quatre enfants.
Une urne sur un char était censée contenir les cendres des héros. Huit
chevaux blancs avec des panaches rouges, relevant et secouant la tête à
chaque coup de trompette, traînaient le char. Les parents de ceux qui
avaient été tués dans cette grande journée marchaient derrière, le front
joyeux et couronnés de fleurs, indiquant qu'ils ne sont point à
regretter ceux-là qui sont morts pour la patrie.
Une charrette ressemblant à celle du bourreau emportait les trônes, les
couronnes et les sceptres.
L'échafaud avait disparu de la place de la Révolution. Au pied de la
statue de la Liberté, le président fit verser le tombereau contenant les
insignes de la royauté. Le bourreau y mit le feu.
Trois mille oiseaux délivrés en même temps, s'envolèrent dans toutes les
directions comme un joyeux nuage.
Deux colombes allèrent se reposer dans les plis de la robe de la
Liberté.
Le lendemain, l'échafaud, de retour à son poste, devait les faire
envoler.
De la place de la Révolution on se rendit au Champ de Mars; la statue
d'Hercule écrasant le Fédéralisme était placée sur un rocher élevé
devant lequel on avait ménagé une plate-forme. Au pied de la montagne
était placé le niveau de l'égalité.
Tout le monde passa dessous.
Arrivés sur la plate-forme, les quatre-vingt-six vieillards remirent
chacun à son tour, au président, la pique qu'ils tenaient à la main.
Le président les relia toutes avec un ruban tricolore, proclamant ainsi
l'alliance des départements avec la capitale. Ils étaient debout, et à
la vue de tous, et en face de l'autel fumant d'encens.
Hérault de Séchelles lut l'acceptation de la loi nouvelle, proclamant
l'égalité.
À ses dernières paroles le canon éclata.
Mon ami, je ne suis qu'une femme, mais je vous jure qu'en ce moment
j'éprouvai un si profond sentiment d'enthousiasme, que mes larmes
coulèrent malgré moi. Ah! si vous eussiez été là! Oh! si j'eusse été
appuyée à votre bras au lieu d'être appuyée à celui d'un étranger! Ah!
comme je me serais jetée dans votre poitrine, et comme j'y eusse pleuré
tout à mon aise!
La République française, fondée sur la base de l'égalité! Le char
portant la cendre des victimes du 10 août s'avança jusqu'au temple qui
était élevé à l'extrémité du Champ de Mars; là, on prit l'urne, on la
déposa sur l'autel, et tous s'agenouillant, le président baisa l'urne et
on l'entendit dire à haute voix ces paroles:
--Cendres chéries! urne sacrée, je vous embrasse au nom du peuple!
Un homme s'approcha de Camille Desmoulins et lui demanda:
--Citoyen, peux-tu me dire pourquoi je ne vois plus ici, comme en 92, ce
glaive de justice couvert de crêpes que portaient des hommes couronnés
de cyprès?
--Parce que, répondit Desmoulins, quand on sent le glaive partout, il
est inutile de le montrer.
J'ai oublié de te dire, mon bien-aimé Jacques, que l'arc de triomphe des
Italiens était consacré aux femmes des 5 et 6 octobre, qui ramenèrent de
Versailles le roi, la reine et la royauté.
Seulement j'ai entendu raconter que ces héroïnes étaient de vraies mères
de famille, qui s'étaient arrachées mourantes de faim à leurs enfants;
de belles jeunes filles, chastes, qui n'osèrent parler lorsqu'elles se
trouvèrent en face du roi, et qui s'évanouirent en face de la reine,
tandis qu'ici le peintre les a remplacées par des modèles hardis et
effrontés.
Les femmes de l'arc de triomphe des Italiens sont plus belles, mais les
autres, j'en suis sûre, étaient plus touchantes.
Aux premières ombres du soir, toute la foule s'éparpilla; les uns, parmi
ceux qui la composaient, entrèrent calmes et paisibles dans Paris; les
autres, non moins calmes et paisibles, s'assirent sur l'herbe déjà
flétrie du mois d'août et dînèrent en famille de ce qu'ils avaient
apporté.
Nous étions à moitié chemin de Sèvres, où Danton devait nous rejoindre;
Camille et Lucile y dînaient avec nous. Nous prîmes une voiture, et en
une demi-heure, du Champ de Mars nous fûmes à la maison de campagne de
Danton.
Danton ramena avec lui un homme que je ne connaissais pas, mais que tu
dois connaître, toi; il se nomme Carnot; c'est un petit homme en
culottes courtes, coiffé à la Jean-Jacques Rousseau, avec un habit gris.
Il a l'air d'un sous-chef de ministère. C'est sur lui que l'on compte
pour faire face à la fois aux Anglais qui sont devant Dunkerque et aux
Prussiens qui ont pris Valenciennes, ou plutôt à qui Valenciennes a été
livrée.
Par sa position au ministère de la guerre, il sait toutes les
nouvelles, et les nouvelles sont déplorables à ce qu'il paraît. Danton a
une grande confiance en lui; mais il paraît que Robespierre ne l'aime
pas. C'est un travailleur obstiné, qui passe, quand il est à Paris, sa
vie à aller de la rue Saint-Florentin aux Tuileries, où il fouille les
anciens cartons. Quand il va à l'armée, il ôte son habit gris pour
prendre un habit de général, puis la bataille gagnée, il reprend son
habit gris et revient faire son plan à Paris.
Ce qui l'inquiète surtout c'est Valenciennes, qui est devenu un foyer de
réaction et de fanatisme. On y chante, sur la terre de France, le
_Salvum fac imperatorem_; les femmes pleurent de joie, remercient Dieu;
les émigrés tirent leurs épées et crient:--À Paris! à Paris!
Je m'émerveille quand je pense que ce petit homme, qui a à peine cinq
pieds deux pouces et qui ne boit que de l'eau, va aller avec sa culotte
courte et son habit gris combattre le duc d'York, frère du roi
d'Angleterre, qui a six pieds de haut et qui boit dix bouteilles de vin
après son dîner. Il paraît qu'il aurait bien voulu rester tranquille à
Valenciennes, n'aimant pas à se déranger; mais qu'il a été tellement
tourmenté par les belles dames, qui raffolent de lui et par les émigrés
qui le comparent à Marlborough, qu'il a fini par tirer son épée comme
les autres et par crier:--_or now, or never!_ Maintenant ou jamais!
Ses dernières nouvelles lui annonçaient que les avant-postes ennemis
étaient à Saint-Quentin.
Danton a rédigé un décret de levée en masse que l'homme à l'habit gris
proposera et fera adopter demain à la Convention, et qui me paraît un
chef-d'œuvre.
Tous les Français sont en réquisition permanente... Les jeunes gens
iront au combat, les hommes mariés forgeront des armes et transporteront
des subsistances, les femmes feront des tentes, des habits et serviront
les hôpitaux; les enfants feront la charpie; les vieillards, sur les
places, animeront les guerriers, enseignant la haine des rois et l'unité
de la république.
Dès demain nous nous mettons au travail, madame Danton et moi.

IX
Oh! mon bien-aimé, je suis brisée. Comment vivre? comment mourir? Mourir
me paraît bien plus facile que de vivre, et ce n'est pas la première
fois que l'envie me prend d'aller t'attendre ou d'aller te rejoindre à
ce rendez-vous de la mort où nul n'a jamais manqué.
Ton nom vient d'être répété dix fois, vingt fois, cent fois; tu leur
manquais pour leur chiffre; il leur fallait vingt-deux têtes. Ils ont
remplacé la tienne par celle d'un certain Mainvielle, connu et célèbre
par les assassinats de la Glacière, à Avignon. Toi, disent-ils, tu es
mort de fatigue dans je ne sais quelle grotte du Jura avec Louvet, ou
dévoré par les loups avec Roland.
Mais pour eux tu es mort, et ce n'est qu'à cette condition que tu n'as
pas été jugé avec eux.
Oh! si j'étais sûre que ce fût vrai, comme j'en finirais vite au profit
de l'âme avec cette maladie du corps qu'on appelle la vie!
Depuis quelque temps, je voyais Danton passer par des alternatives de
douleur et de colère. Il avait toujours espéré que le procès des
girondins n'aurait pas lieu. N'étaient-ce pas les girondins qui avaient
pris l'initiative de la révolution? n'étaient-ce pas les girondins qui
avaient fait le 10 août? n'étaient-ce point les girondins qui avaient
déclaré la guerre à tous les rois!
Mais voilà que tout à coup, tandis que les Anglais, au nord, assiégent
Dunkerque, voilà qu'au midi les royalistes livrent Toulon aux Anglais.
C'était trop de clémence envers la reine et envers les girondins.
N'accusait-on pas les girondins de complicité avec la reine, et, par
conséquent, avec les royalistes?
Le jour où l'on sut à Paris la prise de Toulon, Robespierre, maître de
la situation, ordonna de commencer deux procès qu'on n'avait point osé
attaquer jusque-là: le procès des girondins, le procès de la reine.
Aux Prussiens entrant en France par la Champagne on avait opposé le
massacre des prisons.
Aux royalistes faisant la Vendée à l'ouest; aux Anglais achetant Toulon
au midi, on opposait la tête de la reine et celles des vingt-deux
girondins.
Comprends-tu, mon bien-aimé? quoique douze de tes amis seulement fussent
aux mains du tribunal révolutionnaire, les autres étant ceux-ci morts,
ceux-là en fuite, on avait promis au peuple les vingt-deux girondins, il
fallait les lui donner.
On ajouta des députés qui n'avaient jamais voté avec la Gironde. On
avait voulu faire entrer Danton au comité de salut public; en y entrant
il sauvegardait sa vie. Qui eût osé toucher à un membre de ce terrible
comité?
Oui, mais pour y entrer il fallait accepter deux conditions terribles:
La mort des girondins!
Les massacres de la Vendée!
Nous vîmes rentrer Danton, un soir, plus abattu que jamais.
--Je suis las de toutes ces boucheries d'hommes! nous dit-il.
Puis à sa femme:
--Prépare-toi à venir demain avec moi à Arcis-sur-Aube, lui dit-il.
Arcis-sur-Aube c'était son lieu de naissance. Comme Antée qui reprenait
des forces en touchant sa terre natale, Danton allait redemander aux
sources de sa vie sa vigueur perdue.
--Venez-vous avec nous? me demanda-t-il.
--Oh! non, lui répondis-je. Vous devez comprendre que si j'ai une
chance d'apprendre quelque nouvelle de _lui_, ce sera en suivant minute
à minute le procès des girondins.
--Nous avons tort tous les deux, me dit-il; je devrais rester; vous
devriez partir.
Le même soir, Garat vint le voir. C'est celui, tu te le rappelles, qui a
été ministre de la justice après lui.
Il le trouva malade; plus que malade, consterné.
Il fit tout ce qu'il put pour obtenir qu'il restât à Paris; il lui
montra Robespierre profitant de son absence pour déraciner tour à tour
Hébert et Chaumette; quand il reviendrait, ses amis seraient ceux de
Robespierre et se tourneraient contre lui, comme les amis des Girondins
s'étaient tournés contre eux.
--Ton départ, lui dit-il enfin, c'est tout simplement un suicide; tu
n'oses pas te tuer, tu veux mourir.
--Peut-être! fit Danton. Mais la ruine de mon parti, mais la perte de
mon influence, mais ma popularité anéantie! Tout cela n'est rien! Ce qui
m'anéantit, ce qui me perce le cœur, c'est de ne pouvoir les sauver.
Vergniaud, l'éloquence même; Péthion, l'honneur; Valazé, la loyauté;
Ducos et Fonfrède, le dévouement.
Et de grosses larmes tombaient de ses yeux.
--Et c'est moi, dit-il, c'est moi qui, le 31 mai, ai frappé le coup
terrible! Je voulais les écarter de mon chemin, je ne voulais pas les
tuer.
Garat quitta son ami sans avoir rien obtenu de lui.
Camille et Lucile me restaient; mais j'étais bien loin d'être liée avec
eux comme avec Danton et sa femme. J'avais pour Danton l'amitié
confiante et respectueuse que l'on a pour l'homme de génie. Même dans
ses faiblesses je le trouve immense.
Le 13 octobre il partit. Le volcan était éteint. Se rallumera-t-il
jamais? J'en doute.
Le 16, la reine mourut sur l'échafaud.
Sa mort ne fit pas à Paris tout l'effet qu'on en pouvait attendre.
On savait que le général Jourdan livrait à Wattignies une bataille de
laquelle dépendait le salut de la France.
Le petit homme à l'habit gris et à la culotte courte avait quitté Paris.
Il était arrivé à l'armée; il avait mis son habit de général, s'était
battu deux jours.
La première journée avait été perdue; mais avec son armée, que l'ennemi
croyait en retraite, il avait attaqué l'ennemi et l'avait battu.
Puis il avait remis son habit gris, était revenu à Paris le 19, et avait
annoncé que le général Jourdan venait de remporter une grande victoire.
De lui-même il n'avait pas un dit un mot.
Cette victoire donnait une force énorme à Robespierre, à qui, dans un
moment de défaillance, Danton avait cédé la place, et qui, étant resté
seul maître, s'était fait gouvernement.
Le lendemain de cette victoire, Fouquier-Tinville demanda les pièces
pour faire le procès de tes malheureux amis. Toutes les mesures avaient
été prises non-seulement pour les tuer, mais pour les déshonorer.
Leur procès vint immédiatement après celui d'un misérable nommé Perrin,
voleur de deniers publics, condamné aux galères et à l'exposition, qu'il
avait subies sur la guillotine. Entre lui et les nobles girondins on eut
soin de ne trancher la tête à personne, il fallait que l'échafaud restât
pilori.
On les avait d'abord enfermés à la prison des Carmes, encore toute
sanglante des massacres de septembre; on les plaça dans un quartier
distinct du reste de la prison. Un seul de ces cachots contenait
dix-huit lits.
Vergniaud, déjà depuis plusieurs mois en prison, n'avait rien voulu
demander à personne; ses vêtements tombaient en lambeaux et, depuis
longtemps, son dernier assignat était passé dans la main d'un prisonnier
plus pauvre que lui.
Son beau-frère, M. Alluaud, revint de Limoges, lui apportant un peu
d'argent et des habits. Il obtint de voir Vergniaud, et entra dans sa
prison avec son fils, enfant de dix ans.
L'enfant, en voyant son oncle traité comme un scélérat, le visage pâle
et amaigri, les cheveux épars, la barbe inculte et les habits déchirés,
se mit à pleurer et, au lieu d'aller embrasser son oncle qui lui
tendait les bras, il se réfugia entre les genoux de son père.
Mais Vergniaud l'attira à lui, lui disant:
--Rassure-toi, et regarde-moi bien; quand tu seras grand, quand la
France sera libre, quand on ne rencontrera plus dans les rues de Paris
cette hideuse machine qu'on appelle la guillotine, tu diras:
--Quand j'étais enfant, j'ai vu Vergniaud, le fondateur de la
République, dans le plus beau temps et dans le plus glorieux costume de
sa vie; celui où, persécuté par des misérables, il se préparait à mourir
pour les hommes libres.
Mais l'apôtre parmi eux, le martyr heureux du supplice, c'était Valazé,
que son grade dans l'armée avait familiarisé avec la mort. Celui-là a la
foi et prétend qu'à toutes les religions nouvelles il faut du sang. On
sentait qu'il était heureux d'offrir le sien en sacrifice.
--Valazé, lui dit un jour Ducos, comme on te punirait si on ne te
condamnait pas!
Le 22 octobre on leur communiqua leur acte d'accusation, le 26 leur
procès commença.
À midi, ils furent introduits devant le tribunal révolutionnaire. Chacun
d'eux avait un gendarme près de lui.
J'étais au bras de Camille, Lucile était au mien. Nous les vîmes tous
s'asseoir l'un après l'autre au banc des accusés, ces nobles martyrs sur
la figure desquels on eût cherché vainement un de ces signes qui font
dire:
--Voilà un coupable!
Il n'y eut pas d'hypocrisie dans le procès au moins. Tout le monde vit
bien que tout ce qui précéderait l'échafaud ne serait qu'une forme, et
qu'il ne s'agissait que de tuer. Les accusateurs Hébert et Chaumette
furent reçus comme témoins. Pas d'avocat pour les défendre.
On leur reprochait des choses étranges: les assassinats de septembre,
dont ils avaient toujours poursuivi la punition; on leur reprochait
d'avoir été les amis de Lafayette, de d'Orléans et de Dumouriez. Et
cependant les juges avaient honte de condamner sur de pareilles
accusations et sur de pareils témoignages.
Le procès dura sept jours, et le septième jour il était moins avancé que
le premier.
Il fallut que les jacobins s'en mêlassent; une députation vint sommer
l'assemblée de décréter que le troisième jour, ne le fût-il pas, le jury
pouvait se déclarer suffisamment éclairé.
Camille m'a dit qu'on avait retrouvé la minute du décret tout entière
écrite de la main de Robespierre, car Robespierre voulait leur mort à
tout prix.
Le second jour du procès, et quand on vit clairement tout l'odieux de
l'accusation, Garat, que j'avais vu chez Danton le soir de son départ,
fit une démarche près de Robespierre pour sauver les girondins. Il
avait préparé une espèce de plaidoyer pour la clémence; il le lui lut.
Il a raconté tout ce que Robespierre avait souffert pour l'écouter; son
masque, si froid qu'on eût dit un parchemin tendu sur une tête de mort,
était agité de frémissements musculaires; aux passages pressants, il se
couvrait les yeux de sa main pour qu'on ne vît pas le poignard de la
haine dans ses prunelles. Cependant il le laissa lire jusqu'au bout.
Puis:
--C'est à merveille, dit-il, mais que voulez-vous que j'y fasse? je n'y
puis rien, ni moi, ni personne. Vous dites qu'ils n'ont point d'avocat;
ils n'en ont pas besoin, puisqu'ils le sont tous, avocats!
Le décret de la Convention fut apporté au tribunal révolutionnaire à
huit heures du soir.
Grâce à ce décret, le jury se trouva éclairé tout à coup et déclara
qu'il était inutile de continuer les débats. Les jurés ne firent
qu'entrer et sortir dans la salle des délibérations. Le président, sur
son âme et conscience, annonça que les vingt-deux girondins étaient
condamnés à mort.
Je sentis frissonner le bras de Camille.
--Oh! malheureux que je suis, murmura-t-il tout bas, c'est mon livre qui
les tue!
Il paraît que Camille avait écrit un livre contre les girondins.
Cette condamnation était si inattendue que les spectateurs n'y voulaient
pas croire. Les condamnés poussèrent un cri de malédiction contre
leurs juges. Les gendarmes étaient paralysés; chaque accusé eût pu
tirer du fourreau le sabre du gendarme placé près de lui, et poignarder
les juges sans que personne s'y opposât.
En ce moment Valazé sembla s'évanouir et glissa sur le parquet.
--Tu pâlis, Valazé? lui dit Brissot.
--Non, je meurs, répondit celui-ci.
Il venait de s'enfoncer la pointe d'un compas dans le cœur.
Il était onze heures du soir.
Après un moment donné à l'émotion du public, aux malédictions des
condamnés, aux soins inutiles portés à Valazé, qui s'était tué roide,
les condamnés se serrent l'un contre l'autre et crient:
--Nous mourons innocents! Vive la République!
Le mort et les vivants descendirent du tribunal et prirent l'escalier
qui les conduisait à la Conciergerie. Ils avaient promis aux autres
détenus de les informer de leur sort; ils trouvèrent un moyen bien
simple: ils chantèrent le premier couplet de la _Marseillaise_, en
changeant un seul mot au quatrième vers.
Allons enfants de la patrie!
Le jour de gloire est arrivé!
Contre nous de la tyrannie
Le _couteau_ sanglant est levé!
Les autres prisonniers attendaient et écoutaient. Ce mot _couteau_
substitué au mot _étendard_ leur dit tout.
On entendit alors par tous les cachots des cris, des pleurs et des
sanglots.
Eux ne pleuraient pas.
Un repas les attendait, envoyé par un ami.
Valazé, tout mort qu'il était, y assista. Le tribunal avait ordonné que
le corps du suicidé serait réintégré dans la prison, conduit sur la même
charrette au lieu du supplice, et inhumé avec eux.
Terrible tribunal, auquel on n'échappait point par la mort, et qui
suppliciait la mort.
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