Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 20

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monde, les femmes tenaient à la main des bouquets de fleurs, les hommes
des branches de laurier, en souvenir de la victoire remportée quatre
jours auparavant.
Il eût été difficile de dire d'où sortait la quantité innombrable de
voitures que l'on rencontrait, quand huit jours auparavant on eût pu
croire qu'il n'y avait plus dans Paris que la charrette du bourreau.
Paris avait un aspect si différent de celui que je lui avais vu quelques
jours auparavant, que l'on ne pouvait s'empêcher de partager
l'enivrement général.
Au milieu de tous les équipages, le nôtre était assez élégant pour être
remarqué.
Bientôt il fut non-seulement remarqué, mais ceux qui l'occupaient furent
reconnus.
Alors les noms de Barras, de Tallien, de Terezia Cabarrus se répandirent
dans la foule qui gronda aussitôt.
Il y a quelque chose du tigre dans la foule; elle gronde d'amour comme
de colère.
Cinq minutes après, la voiture était enveloppée et ne pouvait plus
marcher qu'au pas.
Alors les cris de Vive Barras! Vive Tallien! Vive madame Cabarrus!
éclatèrent, et au milieu de tous ces cris une voix retentit, c'était une
voix de femme, qui cria:
«Vive Notre-Dame de thermidor!»
Le nom resta à la belle Terezia.
Nous fûmes reconduits jusqu'à la chaumière de l'allée des Veuves par ces
cris frénétiques, car il nous fut impossible de continuer notre
promenade.
Mais ce ne fut point tout; la foule stationna devant la porte et
continua ses cris jusqu'à ce que Barras, Tallien et madame Cabarrus se
fussent montrés à elle.
Cela dura jusqu'à ce qu'on eût demandé un peu de repos pour Terezia, qui
se trouvait, disait-on, un peu indisposée.
Quant à moi, j'étais ivre d'un sentiment singulier, qui tenait encore
plus de l'étonnement que de l'enthousiasme.
Barras ne me quitta pas un instant de toute la soirée, sans qu'il me fût
possible, lui parti, de me rappeler un seul mot de ce qu'il m'avait dit
ou de ce que je lui avais répondu.

XXVIII
Lorsque Barras fut parti, Terezia s'empara de moi.
La conversation tomba sur Barras. Comment l'avais-je trouvé? N'était-il
pas gai, spirituel, charmant?
C'est vrai, il était tout cela.
Terezia me conduisit à ma chambre; elle ne voulut pas me quitter qu'elle
n'eût fait ma toilette de nuit, comme elle avait fait ma toilette de
jour.
Aux lumières, ma chambre était encore plus coquette que dans la journée.
Tout servait de réflecteur aux bougies: les cristaux des chandeliers,
les potiches du Japon et de la Chine, les glaces de Venise et de Saxe
semées le long de la muraille.
Mon lit, tout en étoffe de soie gris-perle avec des boutons de rose,
faisait un si grand contraste avec la paille des Carmes et de la Force,
le lit de madame Condorcet, celui de ma petite chambre que j'avais
quitté faute de pouvoir la payer plus longtemps, que je le caressais de
la main et des yeux comme les enfants font d'un joujou.
Puis, au milieu de toutes ces richesses, cette créature si belle, si
élégante, si courageuse, que tout un peuple avait acclamée lorsqu'elle
s'était montrée à lui, et qui avait voulu dételer sa voiture; qui disait
vouloir faire de moi son amie, ne plus me quitter, vivre continuellement
avec moi, me faire rendre ma fortune, joindre son luxe au mien pour
mener une grande existence, tout cela, je l'avoue, était si opposé aux
mauvais jours que je venais de traverser, à mon dégoût de la vie, aux
tentatives que j'avais faites pour mourir, que lorsque je pensais à mon
passé, je croyais sortir d'un rêve fiévreux et insensé, ou plutôt être
entrée dans une nouvelle vie qui n'avait aucune raison d'être et qui
allait s'évanouir comme les décorations de jardins enchantés et de
palais splendides dans les contes de fées.
Je m'endormis sous les caresses de Terezia.
Des songes charmants les continuèrent.
En me réveillant, je vis des fleurs, des arbres, j'entendis chanter les
oiseaux: étais-je encore à Argenton?
Hélas! non; j'étais à Paris, allée des Veuves, aux Champs-Élysées.
Une jeune femme de chambre, vraie soubrette d'opéra-comique, entra chez
moi, riante, coquette, marchant sur la pointe du pied, pour me demander
mes ordres.
On déjeunerait à onze heures, mais d'ici là que prendrais-je, café ou
chocolat?
Je demandai du chocolat.
Combien cette vie de prison, si douloureuse pour moi, avait dû peser sur
ces femmes habituées à ce luxe quotidien! et je compris que Terezia me
fût reconnaissante de l'avoir aidée à reconquérir tout cela.
Nous étions encore à table après le déjeuner, lorsque Barras, sous
prétexte de parler des affaires publiques avec Tallien, se fit annoncer.
Il nous fit ses compliments ordinaires, et prétendit que j'étais plus
belle en négligé du matin qu'en toilette du soir.
--Ah! mon ami, je n'étais point habituée à ce langage, jamais vous ne
m'aviez parlé ainsi, vous; jamais vous n'aviez loué ni ma beauté ni mon
esprit; il vous suffisait de me dire:
--Je suis content de toi, Éva.
Puis de temps en temps vous me preniez la main, vous me regardiez et
vous me disiez:
--Je vous aime.
Oh! si je vous voyais, même en rêve, me regarder ainsi; si je vous
sentais me serrer la main ainsi; si je vous entendais me dire ainsi: «Je
vous aime;» tout ce mirage qui m'enveloppe s'évanouirait, et je serais
sauvée.
En sortant de chez Tallien, Barras entra.
--Je me suis déjà occupé de vous, me dit-il, et je crois vous avoir
trouvé, dans un des quartiers élégants de Paris, une petite maison telle
qu'elle vous conviendra sous tous les rapports.
--Mais, citoyen Barras, lui dis-je, il me semble que vous allez bien
vite.
--Quelque chose qu'il arrive, reprit Barras, vous restez toujours à
Paris, et il faudra bien que vous y logiez.
--D'abord, répondis-je, je ne sais si je resterai à Paris, et, dans tous
les cas, pour que j'y achète une maison et pour que j'y demeure, il me
faut une fortune indépendante; je n'en ai pas encore.
--Oui, mais vous aurez bientôt la vôtre, dit Barras. Je viens de voir
Sieyès et de le consulter; c'est, comme vous le savez, un jurisconsulte
habile; il m'a dit que rien ne s'opposerait à la restitution de vos
biens, et je vais tout tenir prêt pour que, une fois vos biens rendus,
vous n'ayez pas de temps à attendre. Non pas que Terezia ne tienne pas à
vous garder chez elle le plus longtemps possible, mais je comprends
votre gêne dans une maison qui n'est pas la vôtre.
Barras avait cinquante raisons pour une de venir trois ou quatre fois
par jour chez Tallien; et quand il n'en avait pas, il en inventait.
Les journées passaient rapidement, et je me liais de plus en plus avec
Terezia, abandonnée par madame de Beauharnais que les premiers jours de
son veuvage laissaient toute à sa douleur.
Son mariage avec le vicomte n'avait point été heureux, mais elle le
perdait si douloureusement, au moment où il allait être sauvé comme les
autres par la mort de Robespierre, que, ne connaissant pas les décrets
de la Providence sur elle, et qu'il fallait pour qu'ils s'accomplissent
que son mari la laissât veuve, elle éprouvait dans son amour pour ses
enfants plutôt que dans son amour pour lui un grand regret du présent,
un grand doute de l'avenir.
Quinze jours se passèrent ainsi sans qu'un seul jour Barras manquât de
se faire voir deux ou trois fois.
Comme on l'avait présumé, les thermidoriens étaient prêts d'hériter de
la puissance qu'ils avaient abattue. Il était évident que, au premier
changement qui se ferait dans la forme du gouvernement, ils arriveraient
au pouvoir.
Tallien et Barras restaient en ce cas chefs de parti.
Au bout de huit jours, j'avais des nouvelles de Jean Munier. Il écrivait
que les biens avaient été mis sous séquestre, mais non vendus. Il
relevait maintenant leur valeur et promettait d'arriver aussitôt que ce
relevé serait fait par l'arpenteur et le notaire.
En effet, le quinzième jour, il arriva.
Les biens, qui étaient en maisons, en châteaux, en plaines et en forêts,
pourraient monter à la valeur d'un million et demi, dans ce temps de
dépréciation. Dans tout autre, ils eussent valu deux millions,
c'est-à-dire une soixantaine de mille livres de rente.
C'était là d'excellentes nouvelles, et j'avoue que j'en bondis de joie.
Du degré d'espérance où j'étais arrivée, s'il m'avait fallu redescendre
au niveau de cette douleur, de cet oubli de tout, de cet abandon de
soi-même qui m'avaient fait chercher la mort, je ne sais si j'aurais eu
le même courage.
Avec vous, mon bien-aimé Jacques, je me sentais la force de tout
supporter, mais sans vous, mais en votre absence, mon pauvre cœur
perdait toute sa force. Oh! Jacques, Jacques, vous avez plus soigné chez
moi le corps que l'âme; vous avez eu le temps de faire ce corps d'une
beauté qui, dit-on, éblouit les yeux; mais l'âme! l'âme! vous l'avez
laissée faible, et n'avez pas eu le temps d'y insuffler votre puissante
haleine.
Barras, mes pièces de propriété à la main, le procès-verbal de la mort
de mon père reçu de Mayence, commença les démarches nécessaires. Loin
d'être antipathique au mouvement qui venait de s'opérer, j'avais tout
perdu et j'avais failli perdre la vie sous le gouvernement des jacobins.
La faveur, comme c'est l'habitude, commençait à revenir aux victimes de
la révolution, et ceux-là même qui avaient été les plus furieux entre
les démagogues commençaient, comme Fréron, à se laisser entraîner aux
excès les plus opposés.
Quant à moi, je sortais tous les jours avec Terezia et Tallien. En vertu
de la loi du divorce, elle avait pu se remarier, son premier mari vivant
encore, et, chose étrange qui caractérise parfaitement l'Espagnole,
elle avait voulu se remarier devant un prêtre, et un prêtre non
assermenté.
Barras n'avait fait qu'augmenter d'attentions pour moi. Il était facile
de voir qu'il obéissait à une irrésistible passion. De mon côté, soit
dans l'espérance des services que j'attendais de lui, soit que je
cédasse peu à peu et malgré moi, à ce charme qui l'entourait, soit
enfin, mon ami, que l'absence opérât son effet habituel sur une âme
vulgaire, moi j'avais pris une telle coutume de le voir que, s'il venait
une fois de moins que d'habitude, j'étais inquiète le soir et
l'attendais avec impatience.
Deux mois s'écoulèrent. Un jour Barras vint me chercher dans un joli
coupé attelé de deux chevaux. Il avait quelque chose à me faire voir,
disait-il.
Au point d'amitié où j'en étais vis-à-vis de lui, je ne voyais aucune
difficulté à sortir en tête à tête.
Il me conduisit dans une petite maison de la rue de la Victoire, située
entre cour et jardin. Un valet de chambre attendait sur le perron.
Il me fit visiter la maison, du rez-de-chaussée au second étage. Il
était impossible de voir un plus charmant bijou, tout était d'une
élégance parfaite auquel le luxe avait part sans qu'il fût possible de
le reconnaître, tant il était déguisé sous le bon goût qui marche si
rarement avec lui. Il y avait dans le salon deux charmants tableaux de
Greuze. Dans une chambre à coucher, un Christ apparaissant à la
Madeleine, de Prud'hon. La chambre à coucher avait l'air d'un boudoir
taillé pour un colibri dans un bouton de rose.
Il ouvrit un secrétaire placé entre les deux fenêtres et me montra
l'acte qui levait le séquestre de mes biens placé sur les titres de
propriété, puis enfin, comme je voulais remonter en voiture pour partir
avec lui.
--Restez, madame, dit-il, cette maison est à vous: elle est à moitié
payée par les quatre années de revenus que votre père ni vous n'avez
point touchés. Vous êtes riche d'un million et demi, et toutes vos
dettes montent à quarante mille francs qui vous restent à payer sur
cette maison; seulement je fais une réserve: Tallien, sa femme et moi
venons aujourd'hui pendre la crémaillère avec vous. La voiture et les
domestiques sont à vous, il va sans dire que, si nous sommes mécontents
du cuisinier, après le dîner nous le changerons.
Et, avec la légèreté et l'élégance que savaient mettre en toutes choses
ces hommes-là, Barras prit ma main, la baisa et sortit.
Sa voiture l'attendait à la porte.
La mienne restait attelée dans la cour.
Une jeune et jolie femme de chambre vint demander mes ordres, et
m'ouvrit deux ou trois armoires pleines de robes les plus élégantes, qui
avaient été commandées par Terezia et dont la mesure avait été prise sur
elle.
Je restai confondue.
Mon premier mouvement fut de rouvrir l'armoire où étaient mes papiers
d'affaires. Je trouvai le contrat de la maison passé en mon nom par Jean
Munier, mon procurateur général. Elle avait été payée, dans ces jours de
dépréciation mobilière, soixante-dix mille francs. Ce n'était pas la
moitié de ce qu'elle valait.
Elle avait été payée sur les fonds arriérés restés entre les mains des
fermiers, qui n'avaient su à qui rendre leurs comptes depuis quatre ans.
À la suite du contrat d'acquisition étaient les mémoires acquittés du
tapissier qui avait fourni l'ameublement complet, lesquels montaient à
quarante mille francs; puis venaient les notes isolées des peintres, des
marchands d'objets de fantaisie, de ces mille riens ravissants qui
parent les cheminées et les consoles; tout cela était parfaitement payé
par moi, comme me l'avait dit Barras, avec l'argent de mes revenus, et
la seule chose qu'il se fût permis de m'offrir était une montre enfermée
dans un bracelet, marquant l'heure à laquelle j'étais entrée dans la
maison.
Ce retour à ma fierté native satisfait, je n'eus plus d'hésitation à
accepter une chose que j'avais payée de l'argent de ma famille et de
l'héritage de mon père; je trouvai de plus une réserve de mille louis
enfermés dans un petit coffret sur lequel étaient écrits ces mots:
«Reste des revenus de mademoiselle Éva de Chazelay pendant les années
1791, 1792, 1793 et 1794.»
Quant aux robes, les factures acquittées se trouvaient à part. Elles me
furent remises par la femme de chambre, qui me renouvela la question:
--Madame a-t-elle des ordres à donner?
--Oui, lui dis-je, habillez-moi et dites au cocher de ne pas dételer.
Elle m'habilla, car j'avais pensé que, ayant quitté Terezia sans rien
lui dire, la politesse la moins exigeante voulait que j'allasse lui
renouveler l'invitation que lui avait sans doute faite Barras, de venir
avec son mari pendre, comme il disait, la crémaillère chez moi.
Lorsque je fus habillée, je remontai en voiture et donnai l'ordre au
cocher de retourner allée des Veuves à la Chaumière, à la porte même où
il m'avait prise.
Un concierge, qui n'avait pas la prétention d'être un suisse, mais qui
n'avait qu'à changer d'habit pour le devenir les jours de cérémonie,
ouvrit les deux battants de la porte et les chevaux s'élancèrent.
Dix minutes après j'étais dans les bras de Terezia.
--Eh bien! ma chère, me dit-elle, es-tu contente?
--Émerveillée, lui dis-je, mais surtout de la manière délicate dont tout
cela a été fait.
--Oh! cela, dit Terezia, je puis t'en répondre. Dans toutes choses j'ai
été consultée, et dans toutes choses j'ai donné mon avis.
--Mais tu connais la maison? lui demandai-je.
--Ingrate! dit-elle, n'as-tu pas reconnu dans les moindres détails la
main d'une femme et d'une amie, d'une amie un peu égoïste, car tu as vu
que ton coupé ne contient que deux places. Je ne veux pas, quand nous
irons au bois ensemble, qu'une troisième personne soit entre nous et
nous empêche de nous faire nos plus intimes confidences.
--Eh bien, veux-tu que nous commencions? ma voiture est en bas, tu es
habillée et moi aussi, allons faire un tour au bois.
Nous montâmes en voiture toutes deux et nous partîmes.
Je dois avouer que cette première promenade, dans une charmante voiture
à moi, avec la plus jolie femme de Paris, se fit sous l'empire d'un
charme inexprimable. N'étais-je pas cette même enfant idiote jusqu'à
l'âge de sept ans, à la création de laquelle vous travaillâtes heure par
heure, jour par jour, pendant sept autres années; qui vous fut arrachée
un jour pour aller demeurer avec une tante quinteuse, dans une rue
sombre de la vieille ville de Bourges; qui, mandée par son père à
l'étranger, n'arriva à Mayence que pour y lire son procès-verbal
d'exécution; qui ne sachant pas qu'au moment de la mort il avait
autorisé son mariage avec vous, alla s'enfermer avec sa tante, et
jusqu'à la mort de sa tante, dans une triste maison de Vienne; qui
partit aussitôt, l'espoir dans le cœur, pour venir vous retrouver et se
mettre sous votre protection en France? Vous étiez parti, vous étiez à
l'étranger, vous étiez mort peut-être.
Tuée à moitié par ces nouvelles, j'ai continué de vivre en me
rapprochant chaque jour de la misère et de la tombe. Nulle âme vivante
n'a mis le pied plus avant dans le sépulcre que moi. J'en fus tirée par
un miracle, et voilà que ce même miracle m'a rendu la liberté, la
fortune, la vie et tout ce qui en fait l'éclat.
N'y avait-il pas de quoi tourner la tête d'une pauvre enfant idiote,
comme je l'ai dit déjà pendant sept années?
Dieu avait été bien bon pour moi.
Pardonne-moi, Jacques, je me trompe, bien cruel.

XXIX
Je ne sais pas, ô mon bien-aimé Jacques, lorsque tu liras ces lignes, si
tu comprendras ce qui se passait dans mon âme au moment où je les
écrivais. Un trouble étrange était dans mon esprit, pareil à celui
qu'éprouverait un homme, qui, étant resté dans une chambre où l'on
aurait manipulé des liqueurs fortes, se serait grisé à leurs vapeurs
sans en avoir approché une goutte de ses lèvres.
J'avais quelque chose de vague dans l'esprit et dans les yeux qui me
faisait faire des compliments auxquels je ne comprenais rien.
Le jour où nous avions fêté mon entrée à ma petite maison de la rue de
la Victoire, on m'avait fait improviser sur le piano des choses qui
m'avaient paru folles à moi-même, mais qui avaient ravi à l'admiration
ceux qui m'écoutaient.
Il n'y a pas de poison plus subtil et qui s'infiltre plus profondément
dans les veines que la louange. Nul ne savait distiller ce poison goutte
à goutte comme Barras. La musique avait sur moi cette influence fatale
qu'elle m'enlevait le reste de ma raison.
Quand je tombais dans cet état cataleptique qui était presque toujours
la suite de mes improvisations, j'étais littéralement à la merci de ceux
avec qui je me trouvais. Les occupations de la journée au reste ne me
prédisposaient que trop à cet état dangereux.
Tous les jours se passaient en fêtes. Paris tout entier semblait avoir
échappé à l'échafaud et vouloir faire de la vie à venir une jouissance
éternelle. Le matin, les amis se visitaient, se félicitant de se
retrouver vivants. À deux heures, on allait promener au bois; on y
apercevait des gens dont on n'avait pas osé demander de nouvelles, on
faisait arrêter les voitures l'une près de l'autre, on passait de l'une
dans l'autre, on se serrait les mains, on s'embrassait, on se promettait
de se revoir beaucoup, on s'invitait à des bals, à des soirées, pour
oublier ce qu'on avait souffert.
Tous les soirs il y avait grande réunion ou chez madame Récamier, ou
chez madame de Staël, ou chez madame Krüdner, puis des bals où jamais
femme du monde n'avait mis les pieds et qui étaient encombrés de femmes
du monde.
On éprouvait non-seulement la joie de vivre, mais le besoin absolu
d'être heureux en vivant. Des femmes, sur la vie desquelles les plus
mauvais esprits n'avaient jamais eu à s'égayer, sortaient en tête-à-tête
avec des hommes qu'on leur donnait pour amants sans que personne s'en
formalisât. Bien des liaisons se formèrent à cette époque, desquelles
personne ne s'inquiéta, et qui, un an plus tôt ou un an plus tard,
eussent scandalisé tout le monde. Puis l'on s'occupait de littérature,
chose inconnue pendant cinq ans.
D'un amour humain puisé dans le sein de Dieu il y avait des héros
nouveaux qui ne ressemblaient à aucun autre, qui s'appelaient _René_,
_Chactas_, _Atala_; il y avait des poëmes nouveaux qui, au lieu de
s'appeler les _Abencérages_, les _Numa Pompilius_, s'appelaient le
_Génie du christianisme_ et les _Martyrs_.
L'or, ce métal peureux qui fuit ou qui se cache à l'approche des
révolutions, semblait rentrer dans Paris par des chemins nouveaux et
inconnus. À la vue de cet or, les marchands semblaient éblouis et pris
de la fièvre de vendre; tout en vous cédant les choses aux prix
ordinaires, ils semblaient les donner pour rien. Alors les femmes se
couvraient de bijoux, de dentelles, défroques inventées pour les
époques de luxe. Il se passait quelque chose de pareil à ce que Juvénal
raconte du temps de Messaline et de Néron.
On demandait tout haut à de jeunes filles et à des femmes mariées des
nouvelles de leurs amants. C'était un mélange singulier de naïveté et
d'impudeur.
Où prirent leur appui les créatures assez heureuses pour avoir échappé à
l'influence de ces jours d'immoralité. Celles-là avaient sans doute des
croyances ou des superstitions qui leur donnèrent la force de résister.
Toute ma force à moi était en vous. Vous n'étiez plus là. J'ignorais si
je vous reverrais jamais. Je vous aimais toujours, mais d'un amour
solitaire et sans espérance, qui m'irritait plutôt qu'il ne me
défendait. Je me rappelle m'être éveillée bien souvent au milieu de la
nuit, au bruit de ma voix qui vous appelait à mon secours. Vous n'étiez
pas là, et je me rendormais brisée d'une lutte dont je ne me rendais pas
compte.
Souvent je racontais cet état étrange de mon corps et de mon âme à
Terezia; elle souriait, m'embrassait, mais jamais elle ne leva le voile
qui m'empêchait de lire en moi-même, jamais elle ne me donna un conseil
que je puisse lui reprocher.
Tous les hommes élégants de l'époque semblaient s'être donné rendez-vous
partout où j'allais; partout où je me trouvais, c'était le même
bourdonnement d'admiration à mon arrivée. Les femmes dont la réputation
n'avait jamais subi la moindre tache se donnaient à cette époque des
plaisirs d'actrices ou de danseuses. Terezia jouait admirablement la
comédie. Madame Récamier dansait cette fameuse danse du châle qui a été
transportée sur le théâtre et qui y a fait fureur. Moi, l'on me faisait
chanter ou improviser sur le piano, mais mes inspirations musicales
seulement pouvaient donner une idée de ce qui se passait en moi. Aucun
chant, aucune parole, aucune poésie ne pouvaient rendre l'état
tumultueux de mon cœur. À tout moment j'entendais dire autour de moi:
Quel malheur qu'une personne si bien organisée pour le théâtre soit une
femme du monde riche d'un million. Ah! pourquoi vous a-t-on rendu votre
fortune, vous eussiez été obligée d'avoir recours à votre talent, et
alors, au lieu de n'avoir appartenu qu'à vous-même, vous nous eussiez
appartenu à tous.
Moi-même je commençais à regretter de ne pas m'être jetée dans cette vie
ardente et fougueuse de l'art. Au moins mon âme aurait eu quelque chose
à dévorer, j'aurais combattu, j'aurais lutté, j'aurais souffert.
Comprenez-vous cela, mon ami? Moi qui avais tant souffert, j'avais des
besoins de souffrir encore.
Par malheur Terezia vint en aide, sans le savoir, à cette aspiration
d'amour et de souffrance. C'était la mode à cette époque de jouer la
comédie et même la tragédie. Barras et Tallien étaient liés avec Talma,
elle les pria de lui présenter le grand artiste, à qui, disait-elle,
elle voulait demander des conseils pour jouer la tragédie.
L'invitation fut faite; Talma ne se fit pas prier.
Il vint chez Terezia d'abord. Il était alors dans la toute-puissance de
son talent, de sa jeunesse et de sa beauté. C'était un homme distingué
sous tous les rapports; je n'avais jamais vu de près un comédien, ce fut
pour moi un objet d'une attention toute particulière.
Mon étonnement fut grand de trouver en lui toute la courtoisie, toute la
politesse, toutes les aptitudes de l'homme du monde.
En voyant deux jeunes femmes comme Terezia et moi, il crut avoir affaire
à deux petites filles capricieuses qui voulaient, en jouant la comédie,
se donner un ridicule de plus.
Madame Tallien était à sa toilette lorsque Barras l'introduisit au
salon, où je me trouvais seule. Il laissa Talma avec moi et monta pour
hâter la toilette de Terezia, ce qui n'était pas une petite affaire.
J'étais très émue, non pas de l'idée de me trouver en tête-à-tête avec
un comédien, mais à celle d'avoir à répondre à un homme de génie. Il
s'avança vers moi, me salua gracieusement, et me demanda si c'était moi
qui voulais prendre de lui des leçons.
À un homme comme vous, monsieur Talma, lui répondis-je, on ne demande
pas des leçons, mais des conseils.
Il s'inclina.
--M'avez-vous vu jouer? me demanda-t-il.
--Non, monsieur, lui répondis-je; je vais même vous faire un aveu
étrange pour une personne de mon âge, avide d'instruction et de
plaisirs; je n'ai jamais été au spectacle.
--Comment! mademoiselle, dit Talma, vous n'avez jamais été au spectacle?
mais si nous ne sortions pas d'une révolution, je vous demanderais si
vous sortez d'un couvent.
Je me mis à rire.
--Monsieur, lui dis-je, je n'ai jamais osé, ignorante comme je suis en
question d'art, désirer vous voir. C'est Terezia qui est la coupable.
Mon éducation diffère complètement de celle des autres femmes. Je n'ai
jamais été au couvent, et je n'ai jamais été au spectacle. Vous dire que
les chefs-d'œuvre de nos grands maîtres me soient étrangers, oh! non, je
les sais par cœur, quoiqu'ils ne me satisfassent point.
--Pardon, me-dit Talma, mais vous me paraissez bien jeune encore,
mademoiselle.
--J'ai dix-sept ans.
--Et vous avez déjà des idées _faites_?
--Je ne sais pas, monsieur, ce que vous appelez des idées faites; je
juge avec mes sensations. Je crois que les grandes émotions viennent, au
théâtre, des grandes passions. L'amour, à ce qu'il m'a semblé, était une
des passions les plus tragiques. Eh bien, je trouve que la façon dont
nos poëtes dramatiques expriment l'amour contient plus de rhétorique
amoureuse que de vérité du cœur.
--Excusez-moi, mademoiselle, reprit Talma, mais vous parlez d'art comme
si vous professiez l'art vrai.
--Il y a donc un art vrai et un art faux? lui demandai-je.
--J'ose à peine l'avouer, moi qui suis tour à tour appelé à représenter
Corneille, Racine et Voltaire; mais parlez-vous une autre langue que la
nôtre, mademoiselle?
--Je parle l'anglais et l'allemand.
--Mais comment parlez-vous anglais et allemand? comme une pensionnaire.
Je rougis du doute du grand artiste sur ma philologie.
--Je parle anglais et allemand comme une Anglaise et comme une
Allemande, répondis-je.
--Et vous connaissez les auteurs qui ont écrit dans ces deux langues?
--Je connais Shakespeare, Schiller et Gœthe.
--Et vous trouvez que Shakespeare ne parle pas bien la langue de
l'amour?
--Oh! au contraire, monsieur, je trouve tant de vérité dans cette langue
chez lui, que cela me rend probablement injuste envers les auteurs qui
l'ont parlée après lui.
Talma me regarda avec étonnement.
--Eh bien? lui demandai-je.
--Eh bien, dit-il, je suis tout étonné de trouver cette justesse de
raisonnement dans une jeune fille de votre âge; si ce n'était point trop
indiscret, je vous demanderais si vous avez beaucoup aimé?
--Je vous répondrai, moi, j'ai beaucoup souffert.
--Savez-vous par cœur quelque chose de Shakespeare?
--Je sais tous les morceaux remarquables d'_Hamlet_, d'_Othello_, de
_Roméo et Juliette_.
--Pouvez-vous me dire en anglais quelque chose de _Roméo_?
--Et vous, entendez-vous l'anglais?
--J'ai joué la tragédie dans cette langue avant de la jouer en français.
--Eh bien, je vais vous dire alors le monologue de Juliette au moment où
le moine lui remet le narcotique qui doit la faire passer pour morte.
--J'écoute, dit Talma.
Je commençai un peu émue d'abord, mais bientôt la puissance de la poésie
reprit le dessus, et ce fut avec une certaine poésie que je dis ces
vers:
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