Création et rédemption, deuxième partie: La fille du marquis - 06

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s'arrêter sur un autre homme!
Je ne me fâchai même pas d'une semblable supposition; j'en haussai les
épaules.
Le lendemain, ma tante arriva. Je ne l'avais jamais vue.
C'est une grande fille sèche, dévote et prude; elle n'a jamais dû être
jolie, et par conséquent n'a jamais été jeune.
Son père, ne pouvant pas la marier, en fit une chanoinesse.
En 1789 elle sortit de son couvent et rentra dans la société avec six ou
huit mille livres de rentes que lui faisait mon père. Seulement elle ne
voulut pas quitter Bourges, sa ville chérie, pour venir demeurer au
château de Chazelay.
Elle avait donc loué une maison à Bourges.
Elle avait été, quelques années après ma naissance, mise au courant de
ma laideur et de mon idiotisme; puis on n'avait plus jugé à propos de
lui parler de moi.
Quand le marquis lui écrivit de venir me chercher, elle s'attendait donc
à trouver quelque horrible magote branlant la tête à droite et à gauche
avec des yeux chinois, et exprimant ses désirs par des mots
inintelligibles.
J'étais depuis une demi-heure en face d'elle qu'elle cherchait encore où
je pouvais être. Enfin elle demanda qu'on lui amenât sa nièce, et, quand
on lui dit que c'était elle qu'elle avait sous les yeux, elle fit un
soubresaut d'étonnement.
Je crois que ma digne tante, forcée par les obligations qu'elle avait au
marquis de me garder près d'elle, m'eût préféré plus laide et plus
sotte. Mais je lui dis tout bas:
--C'est comme cela qu'il m'aime, ma bonne tante, et, ne vous en
déplaise, je resterai ainsi.
Notre départ fut fixé au lendemain et celui du marquis à la nuit du
surlendemain. Il avait pour état-major une partie de la noblesse du
Berri et une cinquantaine de paysans, auxquels il promit une solde de
cinquante sous par jour.
Le jour de notre départ, je dis adieu à Joseph le braconnier, qui me dit
en me quittant:
--Je ne sais pas l'adresse de Jacques Mérey; mais, comme il est de
l'Assemblée nationale, en lui adressant vos lettres à la Convention, il
n'y a pas de doute qu'elles ne lui parviennent.
Ce fut le dernier service que cet excellent homme me rendit!

II
Le lendemain de notre départ du château de Chazelay, nous arrivâmes à
Bourges. Notre voyage s'était fait dans une petite voiture des remises
du marquis et avec un cheval de ses écuries; un paysan nous conduisait.
Mademoiselle de Chazelay devait renvoyer le paysan et garder la voiture
et le cheval.
Il résulta de cet arrangement que nous couchâmes à Châteauroux.
Je mourais d'envie de t'écrire, mon bien-aimé Jacques! mais sans doute
le marquis avait renseigné sa sœur à ton endroit, car mademoiselle de
Chazelay ne détourna pas un instant ses yeux de dessus moi, et me fit
coucher dans sa chambre.
J'espérais être plus libre à Bourges, et, en effet, j'eus ma chambre à
moi, une chambre donnant sur un jardin.
À peine arrivée, mademoiselle de Chazelay se hâta d'organiser la maison;
elle avait une vieille servante nommé Gertrude qui l'avait suivie au
couvent, mais qui, en me voyant arriver, déclara qu'elle n'admettait
point ce surcroît de travail.
Ma tante fit donc demander par Gertrude une femme de chambre à son
confesseur, qui lui envoya le même jour une de ses pénitentes nommée
Julie.
Je l'étudiai; mais je connais encore bien peu le cœur humain, même celui
des femmes de chambre. Je crus le troisième jour pouvoir me fier à elle
et lui donner une lettre pour toi; elle m'assura l'avoir mise à la
poste, ainsi qu'une seconde et qu'une troisième; mais, comme je n'ai
jamais reçu de réponse de toi, je commence à croire que j'ai été trop
confiante et que mademoiselle Julie les a remises à ma tante au lieu de
les porter à la poste.
À part ton absence, mon bien-aimé Jacques, et le doute où j'étais, non
pas de ton amour, Dieu merci, je sens à mon cœur que tu m'aimas
toujours, mais de notre réunion, le mois que je passai à Bourges ne fut
point malheureux; sans m'aimer, ma tante avait des égards pour moi; elle
avait gardé le paysan, l'avait habillé d'une espèce de carmagnole et
en avait fait son cocher. Tous les jours, sous prétexte du soin qu'elle
prenait de ma santé et en même temps de la sienne, elle nous promenait
deux heures, et le reste du temps, à part l'heure des repas, j'avais
toute liberté dans ma chambre.
J'en usais en restant seule.
Depuis que l'idée m'était venue que Julie avait pu me trahir, je la
détestais autant que je puis détester, ce qui n'est pas bien fort; et,
pour ne pas voir une créature qui m'était désagréable et à laquelle je
ne voulais pas faire la peine de la renvoyer, je lui interdisais
l'entrée de ma chambre.
Ma tante était abonnée au _Moniteur_. Je dévorais tous les jours le
journal dans l'espérance d'y trouver ton nom. Deux ou trois fois mon
espérance fut accomplie. D'abord je vis ton nom parmi les députés de
l'Indre lors de l'appel nominal, puis je vis que tu avais été envoyé en
mission près de Dumouriez, que tu lui avais servi de guide dans la forêt
d'Argonne, enfin que tu avais rapporté à la Convention les drapeaux pris
à Valmy.
Mais, huit ou dix jours après la bataille de Valmy, nous reçûmes une
lettre du marquis, qui nous disait que les choses politiques n'allaient
point tout à fait selon son espoir, et qu'il nous invitait à nous tenir
prêtes à le rejoindre au premier avis que nous recevrions de lui.
Nous fîmes nos préparatifs de départ de manière à n'avoir qu'à nous
mettre en route aussitôt que le marquis nous appellerait.
Nous le trouverions occupé au siége de Mayence.
Quoique l'on commençât à être sévère aux émigrations des hommes, qui
emportaient un danger avec eux puisqu'ils n'émigraient que pour revenir
combattre contre la France, on s'inquiétait assez peu des émigrations
des femmes. Les autorités de Bourges d'ailleurs, demeurées royalistes,
nous munirent de tous les papiers nécessaires pour assurer notre voyage,
et nous partîmes en poste dans notre petite voiture.
Nous gagnâmes la frontière et nous la traversâmes sans avoir couru un
danger réel; mais, un peu au delà de Sarrelouis, nous trouvâmes des
prisonniers émigrés que l'on ramenait à une forteresse ou à une
citadelle pour les faire fusiller.
Nous poussâmes jusqu'à Kaiserlautern.
Là nous apprîmes la prise de Mayence par le général Custine. Comme deux
femmes à la recherche d'un frère et d'un père ne courront jamais un
risque quelconque de la part d'un général français, nous poussâmes
jusqu'à Oppenheim. Là les nouvelles devinrent plus précises et en même
temps plus inquiétantes.
Dans un des derniers combats qui avaient eu lieu quelques jours
auparavant, un certain nombre d'émigrés avaient été pris, et, lorsque ma
tante prononça le nom du marquis de Chazelay, celui qu'elle interrogeait
lui dit qu'en effet il croyait avoir entendu ce nom-là. Au reste, les
prisonniers avaient été conduits à Mayence, et, vivants ou morts,
c'était là seulement que l'on pouvait avoir de leurs nouvelles.
Nous poussâmes jusqu'à Mayence. Aux portes, on nous arrêta.
Il nous fallut écrire au général Custine. Nous ne lui cachâmes rien;
nous lui dîmes qui nous étions, et le but sacré qui nous amenait à
Mayence.
Un quart d'heure après, un de ses officiers d'ordonnance venait nous
chercher.
--Ah! mon bien-aimé Jacques, la nouvelle était terrible. Mon père, pris
les armes à la main, avait été condamné et fusillé dans les vingt-quatre
heures.
Je n'avais pas de puissantes raisons d'adorer un père qui m'avait
abandonnée dans mon enfance et qui ne m'avait reprise que pour me briser
le cœur. Cependant, au moment où j'appris l'horrible catastrophe, je le
pleurai filialement.
Mais alors un incident complètement imprévu vint faire trêve à ma
douleur. Le jeune officier que le général nous avait donné pour nous
accompagner, me demanda à m'entretenir d'une chose importante; d'un
regard je sollicitai de ma tante la permission de l'écouter. Elle crut,
comme il avait commandé le détachement exécutionnaire, qu'il avait à me
transmettre de la part du marquis quelques recommandations suprêmes et
je le suivis dans un cabinet, tandis que ma tante se faisait donner,
pour constater le décès, le procès-verbal de l'exécution.
--Mais là, chose incroyable, de qui penses-tu que me parla cet inconnu?
De toi, mon bien-aimé Jacques. Tu étais venu deux jours avant à Mayence
pour savoir si parmi les papiers trouvés sur mon père il n'y aurait pas
quelqu'un qui pût t'apprendre notre adresse, et non-seulement tu avais
appris que nous demeurions à Bourges, mais encore tu avais pu lire une
lettre de moi, à toi adressée, soustraite par ma tante et envoyée par
elle à son frère. Cette lettre, mon bien-aimé Jacques! il me dit avec
quels transports de joie tu l'avais lue; que tu avais demandé à la
copier; qu'il t'avait autorisé à la prendre en en laissant copie; que,
la copie faite, tu avais pris la lettre, tu l'avais baisée, tu l'avais
mise sur ton cœur.
Mon Dieu! que cette voix du sang est peu de chose, mon bien-aimé
Jacques, abandonnée à elle-même! que ces mots dits tout à coup, à propos
d'un homme que l'on croyait étranger--_c'est ton père!_--ont peu de
puissance, puisqu'en face de cette tombe de mon père à peine refermée,
ton nom prononcé j'oubliai tout! C'est que tu es mon véritable père,
toi! À part la vie matérielle, je te dois tout. Je suis ton enfant, je
suis ton œuvre, je suis ta création; et avec cela, dans sa suprême
bonté, Dieu a voulu que je pusse être autre chose.
Quand je sortis du cabinet où cet excellent jeune homme venait de
m'apprendre ton passage, j'étais honteuse de moi. J'avais des larmes
dans les yeux; mais, larmes et sourires, tout était pour toi.
Oh! que l'amour est bien ce que tu m'as dit, l'âme de la création tout
entière, le fluide obstiné qui perpétue la vie, et qui des parcelles de
temps de notre vie fait l'éternité des êtres. Nous rêvons Dieu, nous
sentons l'amour; l'amour ne serait-il pas le seul, l'unique, le vrai
Dieu?
Je cachai ma joie dans mon voile. Qu'eût dit la rigide chanoinesse en
voyant ces fausses larmes et ce vrai sourire.
Ainsi je m'étais reprise à espérer. Depuis que nous avions été séparés,
c'était la première fois que j'entendais parler de toi. Le fil de ma vie
presque brisé se renouait, plus ardent que jamais, à l'amour et au
bonheur.
Mais toi, de ton côté, qu'allais-tu faire, pauvre bien-aimé? courir
après une nouvelle déception. Je te voyais reprenant la poste dans
l'espoir de me retrouver à Bourges, te penchant en avant, pressant le
postillon et arrivant dans notre sombre rue, en face de notre triste
maison, pour trouver la maison fermée et apprendre mon départ.
Mais, n'importe! Je me disais, égoïste que j'étais, que toutes ces
secousses-là feraient revivre ton amour comme celle que je venais de
recevoir avait galvanisé le mien.
Le reste de la journée fut consacré à une visite à la tombe du marquis.
Là je retrouvai des larmes. Le général nous permit de mettre une pierre
sur la fosse, avec le nom de celui qu'elle recouvrait.
Mademoiselle de Chazelay s'obstinait à vouloir mettre dessus: _Mort pour
son roi_. Mais le général lui fit observer qu'une pareille inscription
ferait mettre avant vingt-quatre heures la pierre en morceaux par les
soldats de la République.
Nous quittâmes Mayence dans la même nuit, et nous prîmes la route de
Vienne. C'était là que mademoiselle de Chazelay voulait fixer sa
résidence. Elle avait une douzaine de mille francs en or avec elle. Il
ne fallait plus compter sur autre chose. Toute notre fortune était là.
Il était évident que la République héritait des biens du marquis de
Chazelay, émigré pris les armes à la main et fusillé.
Nous partîmes donc pour Vienne, mais nous cessâmes de voyager en poste.
Nous prîmes nos places à une diligence, et je priai tant qu'on laissa
mon pauvre Scipion monter avec nous.
Scipion, c'était le dictionnaire de ma vie passée.
Nous arrivâmes à Vienne, et nous descendîmes d'abord dans le plus beau
quartier de la ville, à l'_Agneau d'or_.
Ma tante confia au maître de la maison qu'elle désirait louer une petite
maison dans un quartier calme et retiré. Trois jours après, une vieille
dame venait nous prendre en voiture et nous conduisait à la place de
l'Empereur-Joseph où elle avait une petite maison garnie.
Cette petite maison nous convenait sous tous les rapports. La
propriétaire en voulait cent louis par an. Ma tante, après longue
discussion l'obtint à deux mille francs, avec faculté de renouveler le
bail d'année en année tant qu'il lui plairait.
À la fin de chaque année elle pouvait résilier, mais l'année commencée
elle devait payer l'année entière.
Nous nous installâmes à Josephplatz.
Aussitôt installée, comme je n'avais plus de femme de chambre pour
m'espionner,--ma tante avait jugé que nous pouvions nous servir seules,
et que par conséquent cette dépense était inutile,--comme je n'avais
plus de femme de chambre pour m'espionner, je t'écrivis une longue
lettre et je la mis moi-même à la poste.
Ni celle-là ni trois autres que j'écrivis n'obtinrent de réponse.
Je me désespérai. M'avais-tu donc oubliée? Cela me semblait impossible.
Hélas! depuis j'ai réfléchi.
Il y avait une double raison pour que mes pauvres lettres ne
t'arrivassent point.
Ne sachant point ton adresse, je t'écrivais:
«À monsieur Jacques Mérey, député du département de l'Indre à la
Convention.»
J'ignorais les défiances du gouvernement autrichien. Mes lettres étaient
décachetées et lues.
Puis celui qui était chargé de ce triste office de lire les lettres ne
jugeait pas à propos de recacheter mes lettres et de leur faire suivre
leur cours.
C'est si peu important pour un indifférent des lettres d'amour!
J'eusse donné la moitié de mon sang pour une lettre de toi!
Et, en supposant même que mes lettres eussent été remises à la poste,
est-ce que la police française eût fait parvenir à _monsieur_ Jacques
Mérey, député à la Convention, des lettres de Vienne.
Cette appellation de _monsieur_, complètement abolie à Paris, sentait
son aristocratie d'une lieue.
J'étais bien malheureuse lorsque ces observations que je fais ici me
furent faites par un vieux savant, notre voisin, avec la femme duquel ma
tante allait faire parfois sa partie de whist.
Une chose qui te fera rire, mon cher Jacques, c'est que ce vieux savant
aimait à causer avec moi, disait-il, parce que j'étais savante.
Moi savante! Hélas la chose que j'eusse dû savoir avant tout c'est que,
pour que mes lettres t'arrivassent, il ne fallait pas écrire à
_monsieur_ Mérey, mais au _citoyen_ Mérey.
Une fois que j'eus trouvé la cause de ton silence, mon Jacques, bien
loin de t'en vouloir, je t'en aimai davantage. Mais ce n'était pas le
tout de t'aimer de mon côté, je voulais que tu m'aimasses du tien.
Or ce point de la cause de ton silence éclairci, tu m'aimais toujours;
que m'importait le reste. Ton amour n'était-il pas tout pour moi.

III
La vie que nous menions, ma tante et moi, à Vienne, ressemblait beaucoup
à celle que nous menions à Bourges.
Nous avions pris une femme pour nous servir; c'était une vieille
Française, dont le mari, domestique d'un attaché d'ambassade, était mort
à Vienne.
Tant qu'il y avait eu ambassade française à Vienne, l'ancien maître du
mari de Thérèse avait aidé la veuve; mais depuis la guerre avec
l'Autriche, l'ambassadeur français avait pris ses passeports, et Thérèse
s'était mise à faire les ménages de ses compatriotes émigrés.
Depuis la mort de mon père, ma tante, tombée dans une espèce de spleen,
ne s'occupait plus ou paraissait ne plus s'occuper de nos amours.
J'étais libre, j'avais ma chambre à moi; j'y demeurais seule tant que je
voulais, et j'avais tout le temps de t'écrire.
Pendant le premier mois de mon arrivée, je t'écrivis toutes les
semaines; seulement ma tristesse était profonde de voir que quoique je
t'adjurasse, au nom des plus douces heures de notre amour, de me
répondre, tu ne me répondais pas; cette fois, je ne pouvais pas même
concevoir l'idée que mes lettres étaient détournées, puisque deux ou
trois fois j'avais mis mes lettres moi-même à la poste.
Vers le troisième mois de notre séjour à Vienne, j'eus une grande
douleur; mon pauvre Scipion s'en allait mourant de vieillesse.
C'était avec toi le seul être qui m'eût véritablement aimée; et lui qui
t'avait quitté volontairement pour me suivre quand le marquis m'avait
enlevée, lui qui était venu avec moi en exil, ne m'aimait-il pas mieux
que toi dont le silence incompréhensible accusait l'oubli?
Si ton silence venait de ta fierté blessée, je le comprenais encore tant
que le marquis vivait; mais, le marquis mort, tu n'avais plus aucun
motif pour ne pas m'écrire; d'ailleurs, ne savais-je point par
l'officier d'ordonnance du général Custine que tu m'aimais toujours?
N'avais-je pas pleuré de joie quand il m'avait raconté tes transports de
joie à la lecture de ma lettre?
Je me dis que sans doute certaine partie de mon cerveau n'avait pas été
suffisamment développée par toi, que le temps t'avait manqué pour
achever mon entière création; que de cette partie incomplète venait le
trouble dans lequel je me perdais.
Scipion ne me quittait plus d'un pas; on eût dit que la puissance de son
attachement pour moi lui avait inspiré la révélation de sa mort
prochaine.
Et moi, en le voyant s'affaiblir de jour en jour, je le regardais
tristement. Scipion c'était le catalogue de toute ma vie. Avant que
personne m'aimât, il m'aimait; quand je n'étais qu'une masse inerte, il
me réchauffait; quand j'étais impuissante à percevoir moralement, je le
percevais physiquement. Il fut, quand la vue me fut donnée, le premier
être que je vis, et quand peu à peu je reçus le mouvement, il fut mon
premier moyen de locomotion; à tous mes souvenirs de toi, il est mêlé,
et ce fut à travers lui en quelque sorte que j'arrivai à toi. Depuis que
nous sommes séparés, pour parler de toi je n'ai que lui; et aujourd'hui
que la mort s'approche, que son regard trouble m'entrevoit avec peine,
si je lui demande où est notre maître bien-aimé à tous deux, il comprend
de qui il est question, et par de douces plaintes arrachées à ton nom il
semble me dire: Pas plus que toi je ne sais où il est, mais comme toi,
tu vois bien que je le pleure.
Les journaux français sont défendus ici; mais comme, grâce à toi,
l'allemand est devenu pour moi une seconde langue maternelle, je lis les
journaux allemands. J'ai vu ton vote dans le procès de ce malheureux roi
dont nous ne nous étions jamais occupés ensemble, dont nous avions parlé
deux ou trois fois à peine, dont j'ignorais presque l'existence. Quand,
au nom de la patrie, on est venu te chercher pour lutter contre son
pouvoir expirant, tu n'as pas voulu voter la peine de mort, cœur
miséricordieux, et tu t'es exposé aux murmures et peut-être à la
vengeance de toute l'Assemblée pour rester fidèle, non pas dans ta
foi,--car je sais ce que tu pensais,--mais dans ton humanité.
Tu n'as aucune idée de la façon dont on s'illusionne ici. Tous les
émigrés passent ici, et dans leur nombre immense nous en voyons
quelques-uns parlant de leur retour en France comme d'une chose
prochaine et sûre; selon eux, la mort du roi, loin de gâter les affaires
de l'émigration, les rend meilleures; si la tête du roi tombe,
disent-ils, toute l'Europe se soulèvera, et il me semble impossible que
la France résiste à toute l'Europe, quoique je désire bien rentrer en
France, puisque rentrer en France ce sera me rapprocher de toi. Je ne
voudrais pas rentrer à ce prix, il me semble que c'est une impiété
d'espérer une pareille chose.
Inutile de te dire que ma tante est au nombre de ceux qui espèrent
rentrer en France de cette façon.
Si je n'étais pas si triste, mon bien-aimé Jacques, je rirais des
étonnements que causent à ma tante les preuves successives et
inattendues de l'éducation que tu m'as donnée.
D'abord, en arrivant en Allemagne, sa grande inquiétude était de savoir
comment elle se ferait comprendre, lorsque tout à coup elle me vit
parler couramment allemand avec les postillons et les aubergistes.
Premier étonnement.
Il y a huit ou dix jours, nous avons visité les serres du palais, qui
sont fort belles. Le jardinier justement est Français, et, reconnaissant
en moi une compatriote, il voulut me faire lui-même les honneurs de
son royaume.
Aux premiers mots que nous échangeâmes, il vit que je n'étais point tout
à fait étrangère à la botanique. Alors il me fit visiter ses orchidées
les plus curieuses; il en avait de magnifiques, dont les fleurs
imitaient des insectes, des papillons, des casques; puis, voyant que je
m'intéressais surtout aux choses mystérieuses de la nature, il me fit
voir sa collection d'hybrides.
Mais l'excellent homme ne connaissait que les hybrides naturelles, fruit
et résultat d'un accident quelconque de la nature; il ne savait point en
faire artificiellement en enlevant les étamines d'une fleur avant sa
fécondation, et en apportant sur le pistil le pollen d'une autre espèce.
Il se plaignait aussi que ses hybrides, quoique fécondes, retournassent
spontanément à la tige maternelle, c'est-à-dire à l'_atavisme_. Je lui
indiquai alors le moyen de combattre ce retour, en redoublant dans les
générations subséquentes une nouvelle aspersion du pollen paternel.
Le jardinier était dans le ravissement; il m'écoutait comme il eût
écouté Kœlrenter lui-même. Quant à ma tante, tu comprends, mon
bien-aimé, elle qui est arrivée à l'âge de soixante-neuf ans sans savoir
distinguer une anémone d'une tubéreuse, elle était stupéfaite.
Mais ce fut bien pis lorsque hier, à propos de mon pauvre Scipion, qui
sera mort demain, je me pris avec le confesseur de ma tante, vieux
prêtre français non assermenté, d'une discussion sur l'âme des hommes et
sur celle des animaux, et lorsque j'avançai que c'était l'orgueil humain
qui avait converti en âme l'intelligence humaine plus perfectionnée
grâce à la quantité de matière cérébrale plus considérable contenue dans
le crâne humain que dans le crâne des animaux, et que j'attribuai à
chaque animal une âme en harmonie avec son intelligence. J'essayai
vainement de faire comprendre que la nature n'était rien autre chose
dans son éternelle palpitation que cette chaîne générale des êtres, que
la séve de l'arbre était le sang de l'homme, et que la moindre plante, à
un degré inférieur, avait sa vie sensitive à des degrés de plus en plus
supérieurs, comme le mollusque, comme l'insecte, comme le reptile, comme
le poisson, comme le mammifère, comme l'homme enfin.
Le prêtre m'accusa de panthéisme, et ma tante, qui ne savait pas ce que
c'était que le panthéisme, déclara simplement que j'étais une athée.
Comment se fait-il, ô mon cher maître, comment se fait-il, mon Jacques
bien-aimé, que ce soit nous qui voyons Dieu en toutes choses dans les
mondes qui roulent au-dessus de nos têtes, dans l'air que nous
respirons, dans l'océan que ne peut embrasser notre regard, dans le
peuplier qui plie au vent, dans la fleur qui s'ouvre au soleil, dans la
goutte de rosée que secoue l'aurore, dans l'infiniment petit, dans le
visible et dans l'invisible, dans le temps et dans l'éternité, comment
se fait-il que ce soit nous qu'on accuse d'être des athées, c'est-à-dire
de ne pas croire en Dieu?
Notre pauvre Scipion est mort ce matin. Il en sait maintenant autant que
nous en saurons un jour sur le grand secret, que le tombeau ne révélera
jamais du moment où il n'a pas répondu à la sublime interrogation de
Shakespeare.
Ce matin, ne le voyant pas entrer lorsque l'on ouvrit la porte de ma
chambre, je me doutai ou qu'il était mort, ou qu'il était trop malade
pour venir jusqu'à moi.
J'allai donc jusqu'à sa niche.
Il était vivant encore, mais trop faible déjà pour marcher. Son œil
était fixé sur la porte par laquelle il s'attendait à me voir paraître.
En m'apercevant, son œil s'anima. Il fit entendre un petit cri de joie,
sa queue s'agita, il sortit à moitié de sa niche.
Je pris un tabouret et vins m'asseoir près de lui et, voyant qu'il
faisait effort, je lui pris la tête et la posai sur mon pied.
C'était cela qu'il voulait.
Une fois là, l'œil fixé sur moi, de temps en temps détournant son regard
pour le plonger dans le lointain, comme s'il te cherchait, mais le
ramenant aussitôt vers moi, il ne s'occupa plus qu'à mourir.
En vérité, celui qui donne une âme à l'assassin sans pitié qui égorge
pour quarante sous des femmes et des enfants à la porte d'une prison, et
la refuse à ce noble animal qui, pareil au pécheur privilégié de
l'Écriture, après avoir fait le mal s'est repenti de l'avoir fait, et a
consacré le reste de sa vie au bien et à l'amour, celui-là me semble
non-seulement hors de raison, mais hors d'intelligence.
Mon bien-aimé Jacques, le jour où tu liras ces lignes, si tu les lis
jamais, et que tu te reporteras à leur date, 23 janvier 1793, tu me
trouveras sans doute bien enfantine de m'absorber dans la contemplation
d'un chien qui meurt au moment même où tu te trouves, toi, en face de
l'échafaud d'un roi, au milieu des débris d'un trône qui croule. Mais
tout est relatif: l'amour qu'on porte à son roi, c'est-à-dire à un homme
que l'on n'a jamais vu, à qui l'on n'a jamais parlé, est une convention
sociale, une affaire d'éducation, tandis que l'amitié que je porte à la
pauvre bête qui agonise là sous mes yeux en pensant à moi dans la mesure
de son intelligence, est un sentiment presque d'égal à égal, en
supposant même que Scipion n'ait pas été longtemps mon supérieur.
Quant à ce trône qui croule, il tombe sous la mine incessante de huit
siècles de despotisme, sous la parole de tous les grands philosophes et
de tous les esprits sublimes de notre temps, et ses débris, symboles de
haine et de vengeance, essayent, en roulant vers l'abîme, d'entraîner
avec eux tout ce qu'il y a de courageux, de loyal et de patriotique dans
notre époque.
Notre pauvre Scipion est mort.
Un dernier frémissement d'agonie a parcouru tout son corps, ses yeux se
sont fermés, il a poussé un faible gémissement, et tout a été fini pour
lui.
Ô mort! ô éternité! n'est-ce pas que tu es la même pour tous les êtres
créés, ou du moins pour tous ceux dont les cœurs ont battu, pour tous
ceux qui ont souffert, pour tous ceux qui ont aimé.
Scipion est enterré dans le jardin, et sur la pierre qui le couvre j'ai
gravé le seul mot: FIDELIS.
* * *
Là, malgré lui, Jacques Mérey s'arrêta. Cet homme qui avait vu tant de
grands événements d'un œil sec, avait senti malgré lui les pleurs
obscurcir son regard; une larme d'Éva avait laissé sa trace sur le
manuscrit; une larme de Jacques tomba près d'elle.
Puis il regarda tristement le lit où elle avait couché, la chaise où
elle s'était assise, la table où elle avait mangé, fit plusieurs tours
dans la chambre, vint s'asseoir sur son fauteuil, reprit son manuscrit
et se remit à lire.
Mais il y avait une grande lacune entre l'endroit où il était arrivé et
celui où le récit continuait.
Il reprenait à la date du 26 MAI 1793.
* * *
Je pars pour la France demain soir. C'est le premier usage que je fais
de ma liberté. Je ne crois pas courir aucun danger, et, si j'en cours,
je les braverai joyeusement en pensant que c'est pour toi que je les
brave.
Ma pauvre tante est morte hier d'une apoplexie foudroyante. Elle faisait
son whist avec deux vieilles dames et son directeur; c'était à son tour
à jouer, elle tenait les cartes et ne jouait pas.
--Jouez donc, lui dit son partner.
Mais au lieu de jouer, elle poussa un soupir et se renversa dans son
fauteuil.
Elle était morte.
Quel bonheur, le 4 juin au plus tard, je serai dans tes bras, car je ne
puis croire que tu m'aies oubliée!
Tu trouveras peut-être étonnant que je n'aie pas une parole de regret
pour la pauvre vieille fille que nous conduirons demain à sa dernière
demeure, quand j'ai employé six pages à te parler de la mort et de
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