Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 14

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de l'italien.
VII. 1661. DON GARCIE DE NAVARRE, imitation de l'espagnol.
VIII. 1661. L'ÉCOLE DES MARIS.
IX. 1661. LES FACHEUX.
X. 1662. L'ÉCOLE DES FEMMES.
XI. 1663. LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES.
XII. 1663. L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.
XIII. 1664. LE MARIAGE FORCÉ.
XIV. 1664. LA PRINCESSE D'ÉLIDE, imitation de l'espagnol.


LES PRÉCIEUSES RIDICULES
COMÉDIE
REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS A PARIS, LE 18 NOVEMBRE 1659, SUR LE
THÉATRE DU PETIT-BOURBON.

Le règne de Louis XIV commençait; le succès de _l'Étourdi_ et du _Dépit
amoureux_ venait de fixer à Paris la troupe de Molière, dont la
réputation grandissait. La salle du Petit-Bourbon, au Louvre, était
souvent pleine; on admirait le jeu comique de _Mascarille_ et de ses
camarades. Néanmoins le nouveau maître de la scène ne se détachait guère
de ses prédécesseurs et de ses rivaux que par une verve plus spirituelle
et plus nourrie, par une ironie plus goguenarde et plus gauloise, mêlée
encore de caprices italiens et de souvenirs espagnols. Nulle attaque
directe aux travers contemporains ne signalait le réformateur des mœurs
et le souverain des esprits.
Le 18 novembre 1659, le roi étant à Irun, d'où il devait ramener sa
fiancée, Marie-Thérèse d'Autriche, les _Précieuses ridicules_ furent
jouées par la troupe de Molière devant la cour et la bourgeoisie.
L'œuvre nouvelle produisit un effet surprenant. On n'avait pas encore
vu sur le théâtre une farce en un acte et en prose dans le genre des
saynètes espagnoles, écrite du plus vigoureux style, d'une vérité
poignante, d'une naïveté parfaite et d'une exquise finesse de ton. Dès
la première scène l'originalité éclatait. Deux nouveaux acteurs, La
Grange et du Croisy, qui s'étaient joints récemment à la troupe de
Molière, faisaient leur entrée sous leur propre nom, et se présentaient
d'eux-mêmes au public. Ensuite apparaissait le vieux bourgeois, gonflé
de sa fortune, fier de sa roture, mécontent de sa famille, qui tourne au
bel esprit, pressé surtout de marier ses filles, qui dépensent en
frivolités son revenu péniblement acquis. Les voici elles-mêmes,
superbement ornées et semblables à mademoiselle Paulet la Lionne de
Voiture; avec force rubans, fleurs et dentelles, «se démontant les
hanches,» dit un contemporain, pour imiter la belle désinvolture
andalouse, et ne parlant que du bout des lèvres avec un rhythme musical,
emprunté de l'Italie. Les deux «Pecques provinciales» sont récemment
débarquées dans la capitale, où elles viennent se faire admirer du beau
monde. Madame de Rambouillet elle même, la reine des _Précieuses_, qui
assiste à la représentation avec sa cour, partage la gaieté générale.
Assurément ce n'est pas elle que l'on raille, mais ses ridicules
imitatrices; celles qui représentent l'excès, l'afféterie du goût
italico-espagnol.
Nos héroïnes, comme madame la duchesse de Longueville et mademoiselle de
Montpensier, donnent dans le romanesque. Elles sont entichées,
bourgeoises qu'elles sont, des raffinements du _Cyrus_ et de la
_Clélie_. Elles ne savent que l'amour appris dans la carte du Tendre.
Elles dépensent tout l'argent du bonhomme en
Blanc, perles, coques d'œufs, parfums, pieds de mouton,
Baume, lait virginal et cent mille autres drogues[237].
[237] Scarron.
Elles n'appellent pas leur valet Jacques, Pierrot ou Claude, mais
Almanzor. Elles-mêmes se sont débaptisées, comme les puritains de
Cromwell donnaient à leurs fils le nom de _Va-et-ne-pèche-jamais_, ou
celui de _Sois-sauvé-par-la-grâce_; comme on s'appelait _René_ ou
_Atala_, _Corinne_ ou _Delphine_, en 1812, ou _Brutus_ en 1793.
Elles ont le fanatisme du bel esprit, et en adorent les subtilités.
Portraits, énigmes, madrigaux, factices formules de la poésie tombée en
enfance, leur sont familières. Elles s'expriment comme le _Doni_, comme
_Gongora_, _Marini_ ou l'_Arétin_, premier modèle de ce beau langage.
Elles disent comme cet écrivain, qu'il faut «pêcher dans le lac de sa
pensée avec l'hameçon du souvenir.» Pour elles, la jupe de dessus est
«la modeste,» la seconde, qu'on apercevait un peu, «la friponne,» et la
dernière, «la secrète.» Elles ne dansent pas, elles tracent sur le
parquet des «chiffres et des lacs d'amour.» Pour elles les désirs d'un
soupirant nouveau sont «l'ode involontaire de _novices en chaleur_.»
Prudes jusqu'à la dernière affectation, raffolant de platonisme pur, ne
pouvant souffrir un mot qui rappelle une idée physique, ces élèves de
l'_Astrée_ appartiennent encore à la vieille cour de Louis XIII, ce
monarque céladonique qui employait une paire de pincettes pour saisir un
billet doux dans le corsage de mademoiselle de Hautefort.
Mais voici venir le brillant séducteur de ces héroïnes. «Sa perruque est
si grande, qu'elle balaye la place à chaque fois qu'il fait la
révérence, et son chapeau si petit, qu'il est aisé de juger que le
marquis le porte bien plus souvent dans la main que sur la tête; son
rabat[238] se peut appeler un honnête peignoir, et ses canons semblent
n'être faits que pour servir de caches aux enfants qui jouent à la
cligne-musette. Un brandon de glands lui sort de la poche comme d'une
corne d'abondance, et ses souliers sont si couverts de rubans, qu'il
n'est pas possible de dire s'ils sont de _roussi de vache d'Angleterre_
ou de maroquin. Ils ont un demi-pied de haut, et chacun est fort en
peine de savoir comment des talons si hauts et si délicats peuvent
porter le corps du marquis, ses rubans, ses canons et sa poudre[239].»
C'est Mascarille, ou plutôt Molière.
[238] Col rabattu sur la chemise.
[239] Récit en prose et en vers de la farce des _Précieuses_. Paris,
1660.
Burlesque symbole de l'élégance affectée et surannée, il porte avec
mignardise le demi-masque de velours noir, la «Mascarilla» des Valois.
Il est marquis, et bientôt il va se doubler d'un vicomte, valet comme
lui, mais grave et laconique, le pourpoint boutonné jusqu'au menton,
homme de guerre, homme de poids, la plume sur l'oreille et traînant avec
majesté sa longue rapière à la Sully. Double image de la vieille cour:
ici, le raffiné, le joli, le faux gracieux; c'est Mascarille;--là, les
grands gestes, les embrassements solennels; c'est Jodelet. Le vicomte de
Jodelet complète le marquis de Mascarille; c'est l'emphase burlesque de
Balzac auprès de la gentillesse maniérée de Voiture.
La jeune cour et la société nouvelle firent des gorges chaudes de toute
cette défroque des vieux ridicules longtemps en faveur. Ce ne fut pas un
succès, mais un éclat de rire universel. On en avait assez de ce vieux
monde: Corneille pâlissait; la société faisait peau neuve, la
_préciosité_ recula dans les profondeurs du passé. Il y avait longtemps
que les esprits fermes, la bonne Gournay, Malherbe, Régnier; les esprits
caustiques ou pénétrants, Guy-Patin, Gassendi, Peiresc; les esprits
délicats, Chapelle, Desmarets, Richelieu lui-même, avaient protesté
contre la contagion subtile de l'hôtel de Rambouillet. Le spirituel et
caustique ami des Pisani, Tallemant des Réaux lui-même, n'avait pu
s'empêcher de convenir que le raffinement de son ami «donnoit
quelquefois dans l'excès[240].»
[240] Voyez Tallemant, Historiette de _la Maison de la marquise de
Rambouillet_.
On avait déjà ouvert quelques faibles et impuissantes attaques contre
cette forteresse protégée par le cours même de la civilisation.
Richelieu avait signalé à son protégé Desmarets le sujet des
_Visionnaires_, parodie qui n'est pas sans mérite; œuvre étrange où
l'imagination raille l'imagination; où les héros romanesques et
pourfendeurs, les versificateurs ronsardistes et les amoureuses éprises
d'Alexandre et de Cyrus étalent tour à tour la pompe et l'exubérance de
leurs pensées. Quelques écrivains du dernier ordre, dédaignés à juste
titre par les _précieuses_ et chassés de leurs ruelles, avaient essayé
contre le goût à la mode de maladroites représailles. Les comédiens
d'Italie, Scaramouche et Trivelin, vulgaires bouffons qu'elles
méprisaient, avaient prêté leur théâtre à l'abbé de Pure et enrichi de
leurs lazzi le canevas grossier qui les mettait en scène. Enfin un poëte
bizarre, Chapuzeau, qui devint précepteur de Guillaume III et passa dans
les régions du Nord une partie de sa vie, avait osé, dès l'année 1656,
toucher à l'arche sainte, et publier contre elle son _Cercle des femmes,
entretiens comiques en six entrées dialoguées_. Il faut rendre justice à
l'infortuné Chapuzeau: le Mascarille de Molière se montre dans cette
mauvaise ébauche sous la forme d'un nommé Germain, marquis postiche que
son maître emploie au même usage et que l'on bâtonne à la fin de la
pièce en présence de sa belle humiliée.
Tout était donc préparé pour cette révolution qui allait inaugurer en
France une époque nouvelle. «Jamais, dit le journaliste Loret,
l'_OEdipe_ de Corneille, l'_Amalasunthe_ de Quinault, la _Cassandre_ de
Boisrobert,
«N'eurent une vogue si grande»
que cette _action folâtre_,
«Tant la pièce semble friande
»A plusieurs tant sages que fous;
»Pour moi, j'y portai trente sous;
»Mais oyant leurs fines paroles,
»J'en ris pour plus de dix pistoles.»
Les comédiens de Molière, dit-il encore, «furent visités
»Par gens de toutes qualités,
»Qu'on n'en vit jamais tant ensemble
»Que ces jours passés, ce me semble,
»Dans l'hôtel du Petit-Bourbon.»
«On vint à Paris de vingt lieues à la ronde afin d'avoir le
divertissement de cet ouvrage, qui passe pour le plus charmant et le
plus délicat que l'on ait vu au théâtre[241].»
[241] Donneau, préface de _la Cocue imaginaire_.
Tout à coup les yeux se dessillèrent. Le vieil ami des _précieuses_,
Ménage, s'écria en sortant du théâtre du Petit-Bourbon: «Monsieur
Chapelain, il va falloir détruire ce que nous avons adoré; car nous
approuvions toutes ces sottises.» Du milieu du parterre, une voix
bourgeoise, sans doute celle d'un contemporain de mademoiselle de
Gournay, s'était écrié: «Courage, Molière, voilà la bonne comédie!» Le
bruit du succès traversa la France, et, pendant que la troupe donnait à
Paris deux représentations par jour de la pièce favorite, le jeune roi,
aux yeux duquel l'hôtel de Rambouillet était l'asile de ses ennemis,
demanda le manuscrit, le lut, fit jouer la pièce devant lui et partagea
l'opinion du public. Cette vogue extraordinaire se soutint quatre mois
entiers; il fallut doubler et tripler le prix des places. Une édition
subreptice parut avec un privilége obtenu par surprise. L'autorité des
ruelles disparut, autorité redoutable qui avait épouvanté Scarron. «On
ne vit plus de belles dames en possession de faire la destinée des
pauvres auteurs... tenir ruelle pour étouffer dès sa naissance une
comédie... Les plus partiales ne colportèrent plus d'avance des factums
par les maisons comme on fait en sollicitant un procès[242].» Les
académies de femmes et tous ces petits cercles précieux dont Tallemant
se moque[243] perdaient leur influence. Il fallut le rang et l'autorité
de mademoiselle de Montpensier pour en maintenir un seul au Luxembourg
sous l'autorité de Segrais et de l'abbé Cotin. L'esprit faux, «celui où
l'imagination a trop de part,» comme le dit si bien La Bruyère, fut
frappé de discrédit.
[242] Scarron, préface de _l'Écolier de Salamanque_.
[243] Voy. l'Histor. de _la Vicomtesse d'Auchy_. Éd. Paulin; Paris,
1855.
Le vieux monde attaqué ne se rendit pas sans combat. Marquis et
précieuses trouvèrent leurs défenseurs. Chapuzeau récrivit en vers son
_Cercle des femmes_, qu'il fit représenter sans succès sur un théâtre
rival, celui du Marais, pour revendiquer la création de Mascarille.
L'abbé de Pure, «cet abbé des plus galans» dont Molière, disait un
critique[244], n'avait fait qu'habiller le canevas «à la française,»
prétendait que Molière le dérobait. On affirma même que la veuve du
farceur Guillet Gorju avait vendu à Molière la pièce tout entière,
contenue dans les mémoires de son mari. Pamphlets, satires,
dissertations critiques, libelles, drames, calomnies de tout genre,
accablèrent le satirique. Le champion le plus hardi de ces dames et de
leurs travers fut un sieur de Somaize, qui, dans son _Dictionnaire des
précieuses_ et dans deux misérables pièces intitulées les _Véritables
précieuses_ et le _Procès des précieuses_, prit hautement le parti des
Arthémises et des Clélies. «L'auteur de la farce du Petit-Bourbon,
dit-il, n'est qu'un singe et un voleur, plagiaire d'habitude, aidé par
les Italiens... Il n'y a certes pas à le comparer à l'illustre
Boisrobert, à l'admirable M. Magnon, auteur d'_Artaxerce_, au sublime
Boyer, qui est si plein de feu... Quant aux comédiens du Petit-Bourbon,
ils ne jouent rien qui vaille, et doivent tout à la force de leurs
brigues.»
[244] De Visé, _Nouvelles nouvelles_, IIIe partie, page 217.
Mais le coup était porté; Boileau et Racine suivirent Molière. Le cours
de l'influence italienne espagnole s'arrêta.
Personne toutefois ne put empêcher que le long règne des précieuses ne
laissât dans le langage et les mœurs des traces indélébiles. Le
raffinement, qu'elles avaient poussé trop loin et qui leur avait fait
deviner et préparer jusqu'à la nouvelle orthographe que devait inaugurer
Voltaire, introduisit dans l'idiome et dans l'usage commun une multitude
d'expressions ingénieusement métaphoriques devenues tout à fait
françaises malgré Molière:--«s'encanailler--humeur communicative--le
blond hardi des cheveux.»--Chose étrange! la plupart de celles que
Molière a incriminées, en les plaçant dans la bouche de ses personnages
ridicules, sont aujourd'hui de l'usage le plus authentique et le plus
naturel. Nous citerons entre autres:
«Faire estime--procédé irrégulier--le moyen que--s'accommoder de
quelqu'un--débuter par--du dernier bourgeois--le bel air des
choses--débiter les sentiments--dans les formes--exercer les
esprits--sécheresse de conversation--se défaire de--chose tout à fait
choquante--tissu d'un roman--intelligence épaisse--courir après le
mérite--chasser sur nos terres--s'inscrire en faux--être des
nôtres--être en passe de--enchérir sur--se piquer d'esprit--n'être pas
de refus--comme il faut--l'esprit assaisonne sa bravoure--peupler la
solitude--danser proprement--etc., etc.»
Le public, la cour, le populaire, les esprits sérieux, appartenaient à
Molière. «Je n'ai plus, s'écria-t-il, qu'à étudier le monde.» Le vrai
siècle de Louis XIV était inauguré, et Louis XIV lui-même avait reconnu
le poëte qui devait l'aider le plus efficacement dans son œuvre
politique.


PRÉFACE DES PRÉCIEUSES RIDICULES
PAR MOLIÈRE

C'est une chose étrange qu'on imprime les gens malgré eux! Je ne vois
rien de si injuste, et je pardonnerois toute autre violence plutôt que
celle-là.
Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mépriser par
honneur ma comédie. J'offenserois mal à propos tout Paris, si je
l'accusois d'avoir pu applaudir à une sottise: comme le public est le
juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y auroit de l'impertinence à
moi de le démentir; et, quand j'aurois eu la plus mauvaise opinion du
monde de mes _Précieuses ridicules_ avant leur représentation, je dois
croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens
ensemble en ont dit du bien. Mais, comme une grande partie des grâces
qu'on y a trouvées dépendent de l'action et du ton de voix, il
m'importoit qu'on ne les dépouillât pas de ces ornemens, et je trouvois
que le succès qu'elles avoient eu dans la représentation étoit assez
beau pour en demeurer là. J'avois résolu, dis-je, de ne les faire voir
qu'à la chandelle, pour ne point donner lieu à quelqu'un de dire le
proverbe[245], et je ne voulois pas qu'elles sautassent du théâtre de
Bourbon dans la galerie du Palais[246]. Cependant je n'ai pu l'éviter,
et je suis tombé dans la disgrâce de voir une copie dérobée de ma pièce
entre les mains des libraires, accompagnée d'un privilége obtenu par
surprise. J'ai eu beau crier: O temps! ô mœurs! on m'a fait voir une
nécessité pour moi d'être imprimé ou d'avoir un procès; et le dernier
mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller à la
destinée, et consentir à une chose qu'on ne laisseroit pas de faire sans
moi.
[245] Expression proverbiale: Belle à la chandelle, laide au grand jour.
[246] C'est-à-dire du théâtre de Molière dans la boutique des libraires
du Palais. Voy. _le Lutrin_ de Boileau.
Mon Dieu! l'étrange embarras qu'un livre à mettre au jour; et qu'un
auteur est neuf la première fois qu'on l'imprime! Encore si l'on m'avoit
donné du temps, j'aurois pu mieux songer à moi, et j'aurois pris toutes
les précautions que messieurs les auteurs, à présent mes confrères, ont
coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur
que j'aurois été prendre malgré lui pour protecteur de mon ouvrage, et
dont j'aurois tenté la libéralité par une épître dédicatoire bien
fleurie, j'aurois tâché de faire une belle et docte préface; et je ne
manque point de livres qui m'auroient fourni tout ce qu'on peut dire de
savant sur la tragédie et la comédie, l'étymologie de toutes deux, leur
origine, leur définition, et le reste.
J'aurois parlé aussi à mes amis, qui, pour la recommandation de ma
pièce, ne m'auroient pas refusé ou des vers françois, ou des vers
latins. J'en ai même qui m'auroient loué en grec; et l'on n'ignore pas
qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace[247] à la tête
d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me
reconnoître; et je ne puis même obtenir la liberté de dire deux mots
pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comédie. J'aurois
voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire
honnête et permise; que les plus excellentes choses sont sujettes à être
copiées par de mauvais singes qui méritent d'être bernés; que ces
vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont été de tout
temps la matière de la comédie; et que, par la même raison que les
véritables savans et les vrais braves ne se sont point encore avisés de
s'offenser du Docteur de la comédie, et du Capitan, non plus que les
juges, les princes et les rois de voir Trivelin[248], ou quelque autre,
sur le théâtre, faire ridiculement le juge, le prince ou le roi; aussi
les véritables précieuses auroient tort de se piquer, lorsqu'on joue les
ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me
laisse pas le temps de respirer, et M. de Luynes[249] veut m'aller
relier de ce pas: à la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu.
[247] Pour: efficacité. Archaïsme que le style théologique a conservé.
[248] Personnages symboliques, ou masques de la _Commedia dell Arte_,
inventée par les Italiens.
[249] Molière donne habilement l'adresse et le nom de son libraire, pour
que l'on n'aille pas acheter la contrefaçon. Les ouvrages se vendaient
alors reliés au moins en parchemin.


PERSONNAGES ACTEURS
LA GRANGE,} amans rebutés. {LA GRANGE.
DU CROISY,} {DU CROISY.
GORGIBUS, bon bourgeois. L'ESPY.
MADELON, fille de Gorgibus,} précieuses {Mlle DEBRIE.
CATHOS, nièce de Gorgibus, } ridicules. {Mlle DUPARC.
MAROTTE, servante des précieuses ridicules. Mad. BÉJART.
ALMANZOR, laquais des précieuses ridicules. DEBRIE.
LE MARQUIS DE MASCARILLE, valet de la Grange. MOLIÈRE.
LE VICOMTE DE JODELET, valet de du Croisy. BRÉCOURT.
DEUX PORTEURS DE CHAISE.
VOISINES.
VIOLONS.
La scène est à Paris, dans la maison de Gorgibus.


SCÈNE I.--LA GRANGE, DU CROISY.
DU CROISY.
Seigneur la Grange...
LA GRANGE.
Quoi?
DU CROISY.
Regardez-moi un peu sans rire.
LA GRANGE.
Eh bien?
DU CROISY.
Que dites-vous de notre visite? En êtes-vous fort satisfait?
LA GRANGE.
A votre avis, avons-nous sujet de l'être tous deux?
DU CROISY.
Pas tout à fait, à dire vrai.
LA GRANGE.
Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalisé. A-t-on jamais vu,
dites-moi, deux pecques[250] provinciales faire plus les renchéries que
celles-là, et deux hommes traités avec plus de mépris que nous? A peine
ont-elles pu se résoudre à nous faire donner des siéges. Je n'ai jamais
vu tant parler à l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bâiller,
tant se frotter les yeux, et demander tant de fois: Quelle heure est-il?
Ont-elles répondu que[251] oui et non à tout ce que nous avons pu leur
dire? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions été les
dernières personnes du monde, on ne pouvoit nous faire pis qu'elles ont
fait?
DU CROISY.
Il me semble que vous prenez la chose fort à cœur.
LA GRANGE.
Sans doute, je l'y prends, et de telle façon, que je me veux venger de
cette impertinence. Je connois ce qui nous a fait mépriser. L'air
précieux[252] n'a pas seulement infecté Paris, il s'est aussi répandu
dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont humé leur bonne
part. En un mot, c'est un ambigu de précieuse et de coquette que leur
personne. Je vois ce qu'il faut être pour en être bien reçu; et, si vous
m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une pièce qui leur fera voir
leur sottise, et pourra leur apprendre à connoître un peu mieux leur
monde.
DU CROISY.
Et comment, encore?
LA GRANGE.
J'ai un certain valet, nommé Mascarille, qui passe, au sentiment de
beaucoup de gens, pour une manière de bel esprit; car il n'y a rien à
meilleur marché que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui
s'est mis dans la tête de vouloir faire l'homme de condition. Il se
pique ordinairement de galanterie et de vers, et dédaigne les autres
valets, jusqu'à les appeler brutaux.
DU CROISY.
Eh bien, qu'en prétendez-vous faire?
LA GRANGE.
Ce que j'en prétends faire? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant.

SCÈNE II.--GORGIBUS, DU CROISY, LA GRANGE.
GORGIBUS.
Eh bien, vous avez vu ma nièce et ma fille. Les affaires iront-elles
bien? Quel est le résultat de cette visite?
LA GRANGE.
C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous.
Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grâce de
la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos très-humbles
serviteurs.
DU CROISY.
Vos très-humbles serviteurs.
GORGIBUS, seul.
Ouais! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'où pourroit
venir leur mécontentement? Il faut savoir un peu ce que c'est. Holà!

SCÈNE III.--GORGIBUS, MAROTTE.
MAROTTE.
Que désirez-vous, monsieur?
GORGIBUS.
Où sont vos maîtresses?
MAROTTE.
Dans leur cabinet.
GORGIBUS.
Que font-elles?
MAROTTE.
De la pommade pour les lèvres.
GORGIBUS.
C'est trop pommadé[253]; dites-leur qu'elles descendent.

SCÈNE IV.--GORGIBUS.
Ces pendardes-là, avec leur pommade, ont, je pense, envie de me ruiner.
Je ne vois partout que blancs d'œufs, lait virginal, et mille autres
brimborions que je ne connois point. Elles ont usé, depuis que nous
sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins: et quatre
valets vivroient tous les jours des pieds de moutons qu'elles emploient.

SCÈNE V.--MADELON, CATHOS, GORGIBUS.
GORGIBUS.
Il est bien nécessaire, vraiment, de faire tant de dépense pour vous
graisser le museau! Dites-moi un peu ce que vous avez fait à ces
messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur? Vous avois-je
pas commandé de les recevoir comme des personnes que je voulois vous
donner pour maris?
MADELON.
Et quelle estime, mon père, voulez-vous que nous fassions du procédé
irrégulier[254] de ces gens-là?
CATHOS.
Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se pût accommoder
de leur personne?
GORGIBUS.
Et qu'y trouvez-vous à redire?
MADELON.
La belle galanterie que la leur! Quoi! débuter d'abord par le mariage?
GORGIBUS.
Et par où veux-tu donc qu'ils débutent? par le concubinage? N'est-ce pas
un procédé dont vous avez sujet de vous louer toutes deux, aussi bien
que moi? Est-il rien de plus obligeant que cela? Et ce lien sacré où ils
aspirent n'est-il pas un témoignage de l'honnêteté de leurs intentions?
MADELON.
Ah! mon père, ce que vous dites là est du dernier bourgeois. Cela me
fait honte de vous ouïr parler de la sorte, et vous devriez un peu vous
faire apprendre le bel air des choses.
GORGIBUS.
Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est
une chose sainte et sacrée, et que c'est faire en honnêtes gens que de
débuter par là.
MADELON.
Mon Dieu! que si tout le monde vous ressembloit, un roman seroit bientôt
fini! La belle chose que ce seroit, si d'abord Cyrus épousoit Mandane,
et qu'Aronce de plain-pied fût marié à Clélie[255]!
GORGIBUS.
Que me vient conter celle-ci?
MADELON.
Mon père, voilà ma cousine qui vous dira aussi bien que moi que le
mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures. Il faut
qu'un amant, pour être agréable, sache débiter les beaux sentimens,
pousser le doux, le tendre et le passionné, et que sa recherche soit
dans les formes. Premièrement, il doit voir au temple, ou à la
promenade, ou dans quelque cérémonie publique, la personne dont il
devient amoureux: ou bien être conduit fatalement chez elle par un
parent ou un ami, et sortir de là tout rêveur et mélancolique. Il cache
un temps sa passion à l'objet aimé, et cependant lui rend plusieurs
visites, où l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question
galante qui exerce les esprits de l'assemblée. Le jour de la déclaration
arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allée de quelque
jardin, tandis que la compagnie s'est un peu éloignée: et cette
déclaration est suivie d'un prompt courroux, qui paroît à notre rougeur,
et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre présence. Ensuite il
trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au
discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de
peine. Après cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent à la
traverse d'une inclination établie, les persécutions des pères, les
jalousies conçues sur de fausses apparences, les plaintes, les
désespoirs, les enlèvemens, et ce qui s'ensuit. Voilà comme les choses
se traitent dans les belles manières, et ce sont des règles dont, en
bonne galanterie, on ne sauroit se dispenser. Mais en venir de but en
blanc à l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du
mariage, et prendre justement le roman par la queue; encore un coup, mon
père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé; et j'ai mal au
cœur à la seule vision que cela me fait.
GORGIBUS.
Quel diable de jargon entends-je ici? Voici bien du haut style.
CATHOS.
En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le
moyen de bien recevoir des gens qui sont tout à fait incongrus en
galanterie! Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de
Tendre, et que Billets-Doux, Petits-Soins, Billets-Galans et Jolis-Vers,
sont des terres inconnues pour eux[256]. Ne voyez-vous pas que toute
leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne
d'abord bonne opinion des gens? Venir en visite amoureuse avec une jambe
toute unie, un chapeau désarmé de plumes, une tête irrégulière en
cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans; mon Dieu!
quels amans sont-ce là! Quelle frugalité d'ajustement, et quelle
sécheresse de conversation! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai
remarqué encore que leurs rabats[257] ne sont pas de la bonne faiseuse,
et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses
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