Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 10

Total number of words is 3766
Total number of unique words is 1179
42.4 of words are in the 2000 most common words
52.4 of words are in the 5000 most common words
59.2 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts.
D'une façon ou d'autre il faut qu'elle soit vôtre:
Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre.
ÉRASTE.
Adieu; nous en saurons le succès dans ce jour.
Éraste relit la lettre tout bas.
MARINETTE, à Gros-René.
Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour?
Tu ne m'en parles point.
GROS-RENÉ.
Un hymen qu'on souhaite,
Entre gens comme nous, est chose bientôt faite.
Je te veux; me veux-tu de même?
MARINETTE.
Avec plaisir.
GROS-RENÉ.
Touche, il suffit.
MARINETTE.
Adieu, Gros-René, mon désir.
GROS-RENÉ.
Adieu, mon astre.
MARINETTE.
Adieu, beau tison de ma flamme.
GROS-RENÉ.
Adieu, chère comète, arc-en-ciel de mon âme.
Marinette sort.
Le bon Dieu soit loué, nos affaires vont bien;
Albert n'est pas un homme à vous refuser rien.
ÉRASTE.
Valère vient à nous.
GROS-RENÉ.
Je plains le pauvre hère,
Sachant ce qui se passe.

SCÈNE III.--VALÈRE, ÉRASTE, GROS-RENÉ.
ÉRASTE.
Eh bien, seigneur Valère?
VALÈRE.
Eh bien, seigneur Éraste?
ÉRASTE.
En quel état l'amour?
VALÈRE.
En quel état vos feux?
ÉRASTE.
Plus forts de jour en jour.
VALÈRE.
Et mon amour plus fort.
ÉRASTE.
Pour Lucile?
VALÈRE.
Pour elle.
ÉRASTE.
Certes, je l'avouerai, vous êtes le modèle
D'une rare constance.
VALÈRE.
Et votre fermeté
Doit être un rare exemple à la postérité.
ÉRASTE.
Pour moi, je suis peu fait à cet amour austère,
Qui dans les seuls regards trouve à se satisfaire;
Et je ne forme point d'assez beaux sentimens
Pour souffrir constamment les mauvais traitemens;
Enfin, quand j'aime bien, j'aime fort que l'on m'aime.
VALÈRE.
Il est très-naturel, et j'en suis bien de même.
Le plus parfait objet dont je serois charmé
N'auroit pas mes tributs, n'en étant point aimé.
ÉRASTE.
Lucile cependant...
VALÈRE.
Lucile, dans son âme,
Rend tout ce que je veux qu'elle rende à ma flamme.
ÉRASTE.
Vous êtes donc facile à contenter?
VALÈRE.
Pas tant
Que vous pourriez penser.
ÉRASTE.
Je puis croire pourtant,
Sans trop de vanité, que je suis en sa grâce.
VALÈRE.
Moi, je sais que j'y tiens une assez bonne place.
ÉRASTE.
Ne vous abusez point, croyez-moi.
VALÈRE.
Croyez-moi,
Ne laissez point duper vos yeux à trop de foi.
ÉRASTE.
Si j'osois vous montrer une preuve assurée
Que son cœur... Non, votre âme en seroit altérée.
VALÈRE.
Si je vous osois, moi, découvrir en secret...
Mais je vous fâcherois, et veux être discret.
ÉRASTE.
Vraiment, vous me poussez, et, contre mon envie,
Votre présomption veut que je l'humilie.
Lisez.
VALÈRE, après avoir lu.
Ces mots sont doux.
ÉRASTE.
Vous connoissez la main?
VALÈRE.
Oui, de Lucile.
ÉRASTE.
Eh bien, cet espoir si certain...
VALÈRE, riant et s'en allant.
Adieu, seigneur Éraste.
GROS-RENÉ.
Il est fou, le bon sire,
Où vient-il donc pour lui de voir le mot pour rire?
ÉRASTE.
Certes, il me surprend; et j'ignore, entre nous,
Quel diable de mystère est caché là-dessous.
GROS-RENÉ.
Son valet vient, je pense.
ÉRASTE.
Oui, je le vois paroître;
Feignons[167], pour le jeter sur l'amour de son maître.

SCÈNE IV.--ÉRASTE, MASCARILLE, GROS-RENÉ.
MASCARILLE, à part.
Non, je ne trouve point d'état plus malheureux
Que d'avoir un patron jeune et fort amoureux!
GROS-RENÉ.
Bonjour.
MASCARILLE.
Bonjour.
GROS-RENÉ.
Où tend Mascarille à cette heure[168]?
Que fait-il? revient-il? va-t-il? ou s'il demeure?
MASCARILLE.
Non, je ne reviens pas, car je n'ai pas été;
Je ne vais pas aussi, car je suis arrêté;
Et ne demeure point, car, tout de ce pas même[169],
Je prétends m'en aller.
ÉRASTE.
La rigueur est extrême;
Doucement, Mascarille.
MASCARILLE.
Ah! monsieur, serviteur.
ÉRASTE.
Vous nous fuyez bien vite! eh quoi! vous fais-je peur?
MASCARILLE.
Je ne crois pas cela de votre courtoisie.
ÉRASTE.
Touche; nous n'avons plus sujet de jalousie,
Nous devenons amis, et mes feux que j'éteins
Laissent la place libre à vos heureux desseins.
MASCARILLE.
Plût à Dieu!
ÉRASTE.
Gros-René sait qu'ailleurs je me jette.
GROS-RENÉ.
Sans doute; et je te cède aussi la Marinette.
MASCARILLE.
Passons sur ce point-là; notre rivalité[170]
N'est pas pour en venir à grande extrémité;
Mais est-ce un coup bien sûr que votre seigneurie
Soit désenamourée[171], ou si c'est raillerie?
ÉRASTE.
J'ai su qu'en ses amours ton maître étoit trop bien
Et je serois un fou de prétendre plus rien
Aux étroites faveurs qu'il a de cette belle.
MASCARILLE.
Certes, vous me plaisez avec cette nouvelle.
Outre qu'en nos projets je vous craignois un peu,
Vous tirez sagement votre épingle du jeu.
Oui, vous avez bien fait de quitter une place
Où l'on vous caressoit pour la seule grimace;
Et mille fois, sachant tout ce qui se passoit,
J'ai plaint le faux espoir dont on vous repaissoit.
On offense un brave homme alors que l'on l'abuse.
Mais d'où diantre, après tout, avez-vous su la ruse?
Car cet engagement mutuel de leur foi
N'eut pour témoins, la nuit, que deux autres et moi;
Et l'on croit jusqu'ici la chaîne fort secrète
Qui rend de nos amans la flamme satisfaite.
ÉRASTE.
Eh! que dis-tu?
MASCARILLE.
Je dis que je suis interdit,
Et ne sais pas, monsieur, qui peut vous avoir dit
Que sous ce faux semblant, qui trompe tout le monde
En vous trompant aussi, leur ardeur sans seconde
D'un secret mariage a serré le lien.
ÉRASTE.
Vous en avez menti!
MASCARILLE.
Monsieur, je le veux bien.
ÉRASTE.
Vous êtes un coquin.
MASCARILLE.
D'accord.
ÉRASTE.
Et cette audace
Mériteroit cent coups de bâton sur la place.
MASCARILLE.
Vous avez tout pouvoir.
ÉRASTE.
Ah! Gros-René!
GROS-RENÉ.
Monsieur?
ÉRASTE.
Je démens un discours dont je n'ai que trop peur.
A Mascarille.
Tu penses fuir?
MASCARILLE.
Nenni.
ÉRASTE.
Quoi! Lucile est la femme...
MASCARILLE.
Non, monsieur, je raillois.
ÉRASTE.
Ah! vous railliez, infâme.
MASCARILLE.
Non, je ne raillois point.
ÉRASTE.
Il est donc vrai?
MASCARILLE.
Non pas.
Je ne dis pas cela.
ÉRASTE.
Que dis-tu donc?
MASCARILLE.
Hélas!
Je ne dis rien, de peur de mal parler.
ÉRASTE.
Assure
Ou si c'est chose vraie, ou si c'est imposture.
MASCARILLE.
C'est ce qu'il vous plaira: je ne suis pas ici
Pour vous rien contester.
ÉRASTE, tirant son épée.
Veux-tu dire? Voici,
Sans marchander, de quoi te délier la langue.
MASCARILLE.
Elle ira faire encor quelque sotte harangue.
Eh! de grâce, plutôt, si vous le trouvez bon,
Donnez-moi vitement quelques coups de bâton,
Et me laissez tirer mes chausses[172] sans murmure.
ÉRASTE.
Tu mourras, ou je veux que la vérité pure
S'exprime par ta bouche.
MASCARILLE.
Hélas! je la dirai;
Mais peut-être, monsieur, que je vous fâcherai.
ÉRASTE.
Parle; mais prends bien garde à ce que tu vas faire.
A ma juste fureur rien ne te peut soustraire,
Si tu mens d'un seul mot en ce que tu diras.
MASCARILLE.
J'y consens, rompez-moi les jambes et les bras,
Faites-moi pis encor, tuez-moi si j'impose,
En tout ce que j'ai dit ici, la moindre chose.
ÉRASTE.
Ce mariage est vrai?
MASCARILLE.
Ma langue, en cet endroit,
A fait un pas de clerc[173] dont elle s'aperçoit;
Mais enfin cette affaire est comme vous la dites,
Et c'est après cinq jours de nocturnes visites,
Tandis que vous serviez à mieux couvrir leur jeu,
Que depuis avant-hier ils sont joints de ce nœud;
Et Lucile depuis fait encor moins paroître
La violente amour qu'elle porte à mon maître,
Et veut absolument que tout ce qu'il verra,
Et qu'en votre faveur son cœur témoignera,
Il l'impute à l'effet d'une haute prudence
Qui veut de leurs secrets ôter la connoissance.
Si, malgré mes sermens, vous doutez de ma foi,
Gros-René peut venir une nuit avec moi,
Et je lui ferai voir, étant en sentinelle,
Que nous avons dans l'ombre un libre accès chez elle.
ÉRASTE.
Ote-toi de mes yeux, maraud!
MASCARILLE.
Et de grand cœur.
C'est ce que je demande.

SCÈNE V.--ÉRASTE, GROS-RENÉ.
ÉRASTE.
Eh bien?
GROS-RENÉ.
Eh bien, monsieur,
Nous en tenons tous deux, si l'autre est véritable[174].
ÉRASTE.
Las! il ne l'est que trop, le bourreau détestable!
Je vois trop d'apparence à tout ce qu'il a dit;
Et ce qu'a fait Valère, en voyant cet écrit,
Marque bien leur concert, et que c'est une baie[175]
Qui sert sans doute aux feux dont l'ingrate le paye.

SCÈNE VI.--ÉRASTE, MARINETTE, GROS-RENÉ.
MARINETTE.
Je viens vous avertir que tantôt, sur le soir,
Ma maîtresse au jardin vous permet de la voir.
ÉRASTE.
Oses-tu me parler, âme double et traîtresse!
Va, sors de ma présence, et dis à ta maîtresse
Qu'avecque ses écrits elle me laisse en paix,
Et que voilà l'état, infâme! que j'en fais.
Il déchire la lettre et sort.
MARINETTE.
Gros-René, dis-moi donc quelle mouche le pique.
GROS-RENÉ.
M'oses-tu bien encor parler, femelle inique,
Crocodile trompeur, de qui le cœur félon
Est pire qu'un satrape, ou bien qu'un Lestrigon[176]!
Va, va rendre réponse à ta bonne maîtresse,
Et dis-lui bien et beau que, malgré sa souplesse,
Nous ne sommes plus sots, ni mon maître ni moi,
Et désormais qu'elle aille au diable avecque toi.
MARINETTE, seule.
Ma pauvre Marinette, es-tu bien éveillée?
De quel démon est donc leur âme travaillée?
Quoi! faire un tel accueil à nos soins obligeans!
Oh! que ceci chez nous va surprendre les gens!

[157] C'est-à-dire: le traducteur, mot tiré du grec.
[158] Pour: je te dise. Apocope archaïque.
[159] Avoir de l'inquiétude, expression proverbiale, du latin
_martulus_.
[160] Pour: sans sujet, ou sans la moitié d'un sujet. Archaïsme.
[161] Pour: même. C'est une faute de grammaire, et non un archaïsme.
[162] Traduction de la comédie italienne de Nicolo Secchi,
l'_Interesse_.
[163] Pour: que je meure, si cela n'est pas. Archaïsme rapide et
regrettable.
[164] Au temple, pour: à l'église. Le mot temple ne pouvait choquer ni
les protestants, ni les catholiques.--Le cours était le Cours-la-Reine,
planté par Marie de Médicis; et la grande place, la place Royale, qui
venait d'être construite.
[165] Pour: niais. Sens que l'on trouve dans le _Dictionnaire de
l'Académie_, édition de 1694.
[166] Pour: sortez de doute. Ce n'est pas un archaïsme, mais une faute.
[167] Pour: dissimulons. Archaïsme.
[168] Pour: où se dirige, du latin _quo tendit_.
[169] Archaïsme. Il nous est resté: tout de _suite_.
[170] Mot créé par Molière, et dont il a enrichi la langue.
[171] Mot également créé, mais que la langue a perdu.
[172] Pour: s'en aller. Archaïsme populaire.
[173] Locution populaire. Faute d'un homme inexpérimenté.
[174] Pour: vrai. Expression impropre.
[175] Pour: conte, tromperie. Voyez plus haut.
[176] Raillerie contre les grands mots et les invectives des poètes
contemporains. Les Lestrigons, peuple de la Campanie, passaient pour
anthropophages.


ACTE II

SCÈNE I[177].--ASCAGNE, FROSINE.
FROSINE.
Ascagne, je suis fille à secret, Dieu merci.
ASCAGNE.
Mais, pour un tel discours, sommes-nous bien ici!
Prenons garde qu'aucun ne nous vienne surprendre,
Ou que de quelque endroit on ne nous puisse entendre.
FROSINE.
Nous serions au logis beaucoup moins sûrement:
Ici de tous côtés on découvre aisément;
Et nous pouvons parler avec toute assurance.
ASCAGNE.
Hélas! que j'ai de peine à rompre mon silence!
FROSINE.
Ouais! ceci doit donc être un important secret?
ASCAGNE.
Trop, puisque je le dis à vous-même à regret,
Et que, si je pouvois le cacher davantage,
Vous ne le sauriez point.
FROSINE.
Ah! c'est me faire outrage!
Feindre à s'ouvrir à moi, dont vous avez connu
Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu!
Moi, nourrie avec vous, et qui tiens sous silence
Des choses qui vous sont de si grande importance;
Qui sais...
ASCAGNE.
Oui, vous savez la secrète raison
Qui cache aux yeux de tous mon sexe et ma maison;
Vous savez que dans celle où passa mon bas âge
Je suis pour y pouvoir retenir l'héritage
Que relâchoit ailleurs le jeune Ascagne mort,
Dont mon déguisement fait revivre le sort[178];
Et c'est aussi pourquoi ma bouche se dispense
A vous ouvrir mon cœur avec plus d'assurance.
Mais, avant que passer, Frosine, à ce discours,
Éclaircissez un doute où je tombe toujours.
Se pourroit-il qu'Albert ne sût rien du mystère
Qui masque ainsi mon sexe, et l'a rendu mon père?
FROSINE.
En bonne foi, ce point sur quoi vous me pressez
Est une affaire aussi qui m'embarrasse assez:
Le fond de cette intrigue est pour moi lettre close,
Et ma mère ne put m'éclaircir mieux la chose.
Quand il mourut, ce fils, l'objet de tant d'amour,
Au destin de qui même avant qu'il vînt au jour
Le testament d'un oncle abondant en richesses
D'un soin particulier avoit fait des largesses,
Et que sa mère fit un secret de sa mort,
De son époux absent redoutant le transport,
S'il voyoit chez un autre aller tout l'héritage
Dont sa maison tiroit un si grand avantage;
Quand, dis-je, pour cacher un tel événement,
La supposition fut de son sentiment,
Et qu'on vous prit chez nous, où vous étiez nourrie
(Votre mère d'accord de cette tromperie
Qui remplaçoit ce fils à sa garde commis),
En faveur des présens le secret fut promis.
Albert ne l'a point su de nous; et, pour sa femme,
L'ayant plus de douze ans conservé dans son âme,
Comme le mal fut prompt dont on la vit mourir,
Son trépas imprévu ne put rien découvrir;
Mais cependant je vois qu'il garde intelligence
Avec celle de qui vous tenez la naissance.
J'ai su qu'en secret même il lui faisoit du bien,
Et peut-être cela ne se fait pas pour rien.
D'autre part, il vous veut porter au mariage;
Et, comme il le prétend, c'est un mauvais langage.
Je ne sais s'il sauroit la supposition
Sans le déguisement. Mais la digression
Tout insensiblement pourroit trop loin s'étendre:
Revenons au secret que je brûle d'apprendre[179].
ASCAGNE.
Sachez donc que l'amour ne sait point s'abuser,
Que mon sexe à ses yeux n'a pu se déguiser,
Et que ses traits subtils, sous l'habit que je porte,
Ont su trouver le cœur d'une fille peu forte:
J'aime enfin.
FROSINE.
Vous aimez!
ASCAGNE.
Frosine, doucement.
N'entrez pas tout à fait dedans l'étonnement;
Il n'est pas temps encore; et ce cœur qui soupire
A bien, pour vous surprendre, autre chose à vous dire.
FROSINE.
Et quoi?
ASCAGNE.
J'aime Valère.
FROSINE.
Ah! vous avez raison.
L'objet de votre amour, lui, dont à la maison
Votre imposture enlève un puissant héritage,
Et qui, de votre sexe ayant le moindre ombrage,
Verroit incontinent ce bien lui retourner!
C'est encore un plus grand sujet de s'étonner.
ASCAGNE.
J'ai de quoi toutefois surprendre plus votre âme.
Je suis sa femme.
FROSINE.
O dieux! sa femme!
ASCAGNE.
Oui, sa femme.
FROSINE.
Ah! certes, celui-là l'emporte, et vient à bout
De toute ma raison.
ASCAGNE.
Ce n'est pas encor tout.
FROSINE.
Encor!
ASCAGNE.
Je la suis, dis-je, sans qu'il le pense,
Ni qu'il ait de mon sort la moindre connoissance.
FROSINE.
Oh! poussez; je le[180] quitte, et ne raisonne plus,
Tant mes sens coup sur coup se trouvent confondus.
A ces énigmes-là je ne puis rien comprendre.
ASCAGNE.
Je vais vous l'expliquer, si vous voulez m'entendre.
Valère, dans les fers de ma sœur arrêté,
Me sembloit un amant digne d'être écouté;
Et je ne pouvois voir qu'on rebutât sa flamme,
Sans qu'un peu d'intérêt touchât pour lui mon âme.
Je voulois que Lucile aimât son entretien;
Je blâmois ses rigueurs; et les blâmai si bien,
Que moi-même j'entrai, sans pouvoir m'en défendre,
Dans tous les sentimens qu'elle ne pouvoit prendre.
C'étoit, en lui parlant, moi qu'il persuadoit;
Je me laissois gagner aux soupirs qu'il perdoit;
Et ses vœux, rejetés de l'objet qui l'enflamme,
Étoient, comme vainqueurs, reçus dedans mon âme.
Ainsi mon cœur, Frosine, un peu trop foible, hélas!
Se rendit à des soins qu'on ne lui rendoit pas,
Par un coup réfléchi reçut une blessure,
Et paya pour un autre avec beaucoup d'usure.
Enfin, ma chère, enfin, l'amour que j'eus pour lui
Se voulut expliquer, mais sous le nom d'autrui.
Dans ma bouche, une nuit, cet amant trop aimable[181]
Crut rencontrer Lucile à ses vœux favorable,
Et je sus ménager si bien cet entretien,
Que du déguisement il ne reconnut rien.
Sous ce voile trompeur, qui flattoit sa pensée,
Je lui dis que pour lui mon âme étoit blessée,
Mais que, voyant mon père en d'autres sentimens,
Je devois une feinte à ses commandemens;
Qu'ainsi de notre amour nous ferions un mystère
Dont la nuit seulement seroit dépositaire;
Et qu'entre nous, de jour, de peur de rien gâter,
Tout entretien secret se devoit éviter;
Qu'il me verroit alors la même indifférence
Qu'avant que nous eussions aucune intelligence,
Et que, de son côté, de même que du mien,
Geste, parole, écrit, ne m'en dît jamais rien.
Enfin, sans m'arrêter sur toute l'industrie
Dont j'ai conduit le fil de cette tromperie[182],
J'ai poussé jusqu'au bout un projet si hardi,
Et me suis assuré l'époux que je vous di.
FROSINE.
Peste! les grands talens que votre esprit possède!
Diroit-on qu'elle y touche, avec sa mine froide[183]?
Cependant vous avez été bien vite ici;
Car je veux que la chose ait d'abord réussi,
Ne jugez-vous pas bien, à regarder l'issue,
Qu'elle ne peut longtemps éviter d'être sue?
ASCAGNE.
Quand l'amour est bien fort, rien ne peut l'arrêter,
Ses projets seulement vont à se contenter;
Et, pourvu qu'il arrive au but qu'il se propose,
Il croit que tout le reste après est peu de chose.
Mais enfin aujourd'hui je me découvre à vous,
Afin que vos conseils... Mais voici cet époux.

SCÈNE II.--VALÈRE, ASCAGNE, FROSINE.
VALÈRE.
Si vous êtes tous deux en quelque conférence
Où je vous fasse tort de mêler ma présence,
Je me retirerai.
ASCAGNE.
Non, non, vous pouvez bien,
Puisque vous le faisiez, rompre notre entretien.
VALÈRE.
Moi?
ASCAGNE.
Vous-même.
VALÈRE.
Et comment?
ASCAGNE.
Je disois que Valère
Auroit, si j'étois fille, un peu trop su me plaire;
Et que, si je faisois tous les vœux de son cœur,
Je ne tarderois guère à faire son bonheur.
VALÈRE.
Ces protestations ne coûtent pas grand'chose,
Alors qu'à leur effet un pareil _si_ s'oppose;
Mais vous seriez bien pris, si quelque événement
Alloit mettre à l'épreuve un si doux compliment.
ASCAGNE.
Point du tout; je vous dis que, régnant dans votre âme,
Je voudrois de bon cœur couronner votre flamme.
VALÈRE.
Et si c'étoit quelqu'une où par votre secours
Vous pussiez être utile au bonheur de mes jours?
ASCAGNE.
Je pourrois assez mal répondre à votre attente.
VALÈRE.
Cette confession n'est pas fort obligeante.
ASCAGNE.
Eh quoi! vous voudriez, Valère, injustement,
Qu'étant fille et mon cœur vous aimant tendrement,
Je m'allasse engager avec une promesse
De servir vos ardeurs pour quelque autre maîtresse!
Un si pénible effort, pour moi, m'est interdit.
VALÈRE.
Mais cela n'étant pas?
ASCAGNE.
Ce que je vous ai dit,
Je l'ai dit comme fille, et vous le devez prendre
Tout de même.
VALÈRE.
Ainsi donc il ne faut rien prétendre,
Ascagne, à des bontés que vous auriez pour nous,
A moins que le ciel fasse un grand miracle en vous;
Bref, si vous n'êtes fille, adieu votre tendresse,
Il ne vous reste rien qui pour nous s'intéresse.
ASCAGNE.
J'ai l'esprit délicat plus qu'on ne peut penser,
Et le moindre scrupule a de quoi m'offenser
Quand il s'agit d'aimer. Enfin je suis sincère;
Je ne m'engage point à vous servir, Valère,
Si vous ne m'assurez, au moins absolument,
Que vous gardez pour moi le même sentiment;
Que pareille chaleur d'amitié vous transporte,
Et que, si j'étois fille, une flamme plus forte
N'outrageroit point celle où je vivrois pour vous.
VALÈRE.
Je n'avois jamais vu ce scrupule jaloux;
Mais, tout nouveau qu'il est, ce mouvement m'oblige,
Et je vous fais ici tout l'aveu qu'il exige.
ASCAGNE.
Mais sans fard?
VALÈRE.
Oui, sans fard.
ASCAGNE.
S'il est vrai, désormais
Vos intérêts seront les miens, je vous promets.
VALÈRE.
J'ai bientôt à vous dire un important mystère,
Où l'effet de ces mots me sera nécessaire.
ASCAGNE.
Et j'ai quelque secret de même à vous ouvrir,
Où votre cœur pour moi se pourra découvrir.
VALÈRE.
Eh! de quelle façon cela pourroit-il être?
ASCAGNE.
C'est que j'ai de l'amour qui n'oseroit paroître,
Et vous pourriez avoir sur l'objet de mes vœux
Un empire à pouvoir rendre mon sort heureux.
VALÈRE.
Expliquez-vous, Ascagne; et croyez, par avance,
Que votre heur est certain, s'il est en ma puissance.
ASCAGNE.
Vous promettez ici plus que vous ne croyez.
VALÈRE.
Non, non; dites l'objet pour qui vous m'employez.
ASCAGNE.
Il n'est pas encor temps; mais c'est une personne
Qui vous touche de près.
VALÈRE.
Votre discours m'étonne.
Plût à Dieu que ma sœur!...
ASCAGNE.
Ce n'est pas la saison
De m'expliquer, vous dis-je.
VALÈRE.
Et pourquoi?
ASCAGNE.
Pour raison.
Vous saurez mon secret quand je saurai le vôtre.
VALÈRE.
J'ai besoin pour cela de l'aveu de quelque autre.
ASCAGNE.
Ayez-le donc; et lors, nous expliquant nos vœux,
Nous verrons qui tiendra mieux parole des deux.
VALÈRE.
Adieu, j'en suis content.
ASCAGNE.
Et moi content, Valère.
Valère sort.
FROSINE.
Il croit trouver en vous l'assistance d'un frère.

SCÈNE III.--LUCILE, ASCAGNE, FROSINE, MARINETTE.
LUCILE, à Marinette, les trois premiers vers.
C'en est fait; c'est ainsi que je me puis venger;
Et, si cette action a de quoi l'affliger,
C'est toute la douceur que mon cœur s'y propose.
Mon frère, vous voyez une métamorphose.
Je veux chérir Valère après tant de fierté,
Et mes vœux maintenant tournent de son côté.
ASCAGNE.
Que dites-vous, ma sœur? Comment! courir au change!
Cette inégalité me semble trop étrange.
LUCILE.
La vôtre me surprend avec plus de sujet.
De vos soins autrefois Valère étoit l'objet:
Je vous ai vu pour lui m'accuser de caprice,
D'aveugle cruauté, d'orgueil et d'injustice;
Et, quand je veux l'aimer, mon dessein vous déplaît,
Et je vous vois parler contre son intérêt!
ASCAGNE.
Je le quitte, ma sœur, pour embrasser le vôtre;
Je sais qu'il est rangé dessous les lois d'un autre;
Et ce seroit un trait honteux à vos appas,
Si vous le rappeliez et qu'il ne revînt pas.
LUCILE.
Si ce n'est que cela, j'aurai soin de ma gloire,
Et je sais, pour son cœur, tout ce que j'en dois croire;
Il s'explique à mes yeux intelligiblement;
Ainsi découvrez-lui, sans peur, mon sentiment,
Ou, si vous refusez de le faire, ma bouche
Lui va faire savoir que son ardeur me touche.
Quoi! mon frère, à ces mots vous restez interdit?
ASCAGNE.
Ah! ma sœur, si sur vous je puis avoir crédit,
Si vous êtes sensible aux prières d'un frère,
Quittez un tel dessein, et n'ôtez point Valère
Aux vœux d'un jeune objet dont l'intérêt m'est cher,
Et qui, sur ma parole, a droit de vous toucher.
La pauvre infortunée aime avec violence;
A moi seul de ses feux elle fait confidence,
Et je vois dans son cœur de tendres mouvemens
A dompter la fierté des plus durs sentimens.
Oui, vous auriez pitié de l'état de son âme,
Connoissant de quel coup vous menacez sa flamme;
Et je ressens si bien la douleur qu'elle aura,
Que je suis assuré, ma sœur, qu'elle en mourra,
You have read 1 text from French literature.
Next - Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 11
  • Parts
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 01
    Total number of words is 4482
    Total number of unique words is 1711
    30.0 of words are in the 2000 most common words
    42.9 of words are in the 5000 most common words
    48.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 02
    Total number of words is 4379
    Total number of unique words is 1255
    41.7 of words are in the 2000 most common words
    53.2 of words are in the 5000 most common words
    57.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 03
    Total number of words is 4430
    Total number of unique words is 1268
    41.2 of words are in the 2000 most common words
    51.5 of words are in the 5000 most common words
    56.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 04
    Total number of words is 3863
    Total number of unique words is 1405
    39.7 of words are in the 2000 most common words
    51.5 of words are in the 5000 most common words
    57.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 05
    Total number of words is 3925
    Total number of unique words is 1329
    39.4 of words are in the 2000 most common words
    51.1 of words are in the 5000 most common words
    57.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 06
    Total number of words is 3827
    Total number of unique words is 1285
    41.7 of words are in the 2000 most common words
    54.1 of words are in the 5000 most common words
    60.0 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 07
    Total number of words is 3973
    Total number of unique words is 1381
    40.4 of words are in the 2000 most common words
    53.2 of words are in the 5000 most common words
    58.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 08
    Total number of words is 3973
    Total number of unique words is 1413
    37.8 of words are in the 2000 most common words
    50.3 of words are in the 5000 most common words
    56.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 09
    Total number of words is 4068
    Total number of unique words is 1415
    38.8 of words are in the 2000 most common words
    49.6 of words are in the 5000 most common words
    55.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 10
    Total number of words is 3766
    Total number of unique words is 1179
    42.4 of words are in the 2000 most common words
    52.4 of words are in the 5000 most common words
    59.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 11
    Total number of words is 3749
    Total number of unique words is 1281
    39.0 of words are in the 2000 most common words
    51.3 of words are in the 5000 most common words
    56.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 12
    Total number of words is 3982
    Total number of unique words is 1290
    41.8 of words are in the 2000 most common words
    53.8 of words are in the 5000 most common words
    59.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 13
    Total number of words is 3980
    Total number of unique words is 1326
    40.4 of words are in the 2000 most common words
    52.6 of words are in the 5000 most common words
    59.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 14
    Total number of words is 4346
    Total number of unique words is 1630
    34.5 of words are in the 2000 most common words
    46.4 of words are in the 5000 most common words
    52.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 15
    Total number of words is 4243
    Total number of unique words is 1203
    43.0 of words are in the 2000 most common words
    55.2 of words are in the 5000 most common words
    61.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 16
    Total number of words is 4223
    Total number of unique words is 1551
    36.5 of words are in the 2000 most common words
    48.2 of words are in the 5000 most common words
    54.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 17
    Total number of words is 4055
    Total number of unique words is 1253
    43.3 of words are in the 2000 most common words
    55.3 of words are in the 5000 most common words
    60.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 18
    Total number of words is 4188
    Total number of unique words is 1558
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    48.8 of words are in the 5000 most common words
    55.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 19
    Total number of words is 4283
    Total number of unique words is 1291
    40.3 of words are in the 2000 most common words
    53.2 of words are in the 5000 most common words
    59.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 20
    Total number of words is 4349
    Total number of unique words is 1295
    38.0 of words are in the 2000 most common words
    51.2 of words are in the 5000 most common words
    57.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 21
    Total number of words is 4309
    Total number of unique words is 1271
    38.4 of words are in the 2000 most common words
    51.1 of words are in the 5000 most common words
    57.4 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Molière - Œuvres complètes, Tome 1 - 22
    Total number of words is 3270
    Total number of unique words is 1090
    39.6 of words are in the 2000 most common words
    50.3 of words are in the 5000 most common words
    56.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.