Actes et Paroles, Volume 4 - 14

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Le _Journal officiel publie également le décret suivant:
Le président de la République française,
Sur le rapport des ministres de l'intérieur, de l'instruction
publique, des beaux-arts et des cultes,
Vu le décret du 26 mai 1885;
Vu la loi du 24 mai 1885, décernant à Victor Hugo des funérailles
nationales,
Décrète:
Article premier.--A la suite des obsèques ordonnées par la loi du 21
mai 1885, le corps de Victor Hugo sera déposé au Panthéon.
Art. 2:--Le ministre de l'intérieur et le ministre de l'instruction
publique, des beaux-arts et des cultes sont chargés, chacun en ce qui
le concerne, de l'exécution du présent décret.
Fait à Paris, le 26 mai 1885.
JULES GRÉVY.
Par le président de la République:
Le ministre de l'intérieur,
H. ALLAIN-TARGÉ.
Le ministre de l'instruction publique,
des beaux-arts et des cultes,
RENÉ GOBLET.

NOTE XIX.
DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES
A l'Arc de Triomphe.
DISCOURS DE M. LE ROYER
PRÉSIDENT DU SÉNAT.

Messieurs,
En présence du spectacle grandiose de cette foule immense, de toute
une nation respectueusement inclinée devant ce cercueil, aux échos
retentissants de la commotion éprouvée, à la nouvelle de la mort de
Victor Hugo, par tout ce qui pense et lit dans le monde civilisé,
je me demande ce que le langage humain, dans son expression la plus
élevée, peut ajouter aux témoignages de regret et d'admiration
prodigués à ce prodigieux génie.
Le sénat, dont Victor Hugo a été le plus illustre membre, qu'il a
honoré d'un reflet de sa gloire, ne saurait cependant rester muet.
D'autres, mieux qualifiés, vous diront ce qu'a été l'oeuvre littéraire
et poétique de Victor Hugo. A moi, un rôle plus modeste: celui de
rappeler en quelques paroles la marche ascensionnelle et progressive
de ce grand esprit dans son évolution politique, son influence sur ses
contemporains et les services qu'il a rendus.
Victor Hugo vint au monde à l'heure où la France, après une longue et
douloureuse lutte entre le passé et l'avenir, s'était donné un maître,
à l'heure où elle avait abdiqué sa volonté et ses destinées entre des
mains puissantes et implacables. Un compromis tacite et fatal était
intervenu entre les entraînements de la veille et les nécessités du
jour. Victor Hugo grandit dans une famille où régnaient les traditions
monarchiques unies au souvenir tragique, mais imposant, de l'épopée
révolutionnaire. L'enfant subit nécessairement l'influence de cette
atmosphère. Aussi voua-t-il une admiration de poète au génie de
Napoléon; puis, par une pente naturelle, il célébra le retour
des Bourbons comme une espérance de repos, comme une promesse
d'épanouissement intellectuel et libéral.
A ce moment, commencèrent pour Victor Hugo ces mémorables luttes
littéraires qu'il ne m'appartient pas de vous décrire. Il n'entra dans
la vie politique active que vers les dernières années du régime de
Juillet. Dans les remarquables harangues qu'il prononça alors devant
la Chambre des Pairs, on discerne facilement la transformation qui
devait le conduire à des croyances démocratiques et républicaines
s'affermissant à chaque pas pour ne plus se démentir jusqu'à son
dernier soupir. On sent déjà dans la parole de Victor Hugo un amour
passionné de la patrie, un esprit altéré d'idéal et de grandeur,
s'enivrant des gloires de la France, pleurant ses défaites, élevant
toujours la voix en faveur des opprimés, des exilés et des vaincus.
A son tour, il fut proscrit et c'est surtout dans les douleurs de
l'exil qu'il se montra vaillant et superbe. Sous les humiliations qui
accablaient la France, son vers vengeur retentit comme le clairon de
ralliement et d'espérance.
Rentré le 4 septembre, Victor Hugo partagea toutes les angoisses de
la lutte gigantesque qui aboutit au démembrement de la patrie; mais,
après la paix, le poète rendit à nos morts un solennel hommage et
releva les courages par ce cri de suprême consolation: Gloire aux
vaincus!
Lorsqu'il vint siéger au sénat, l'apaisement s'était fait en lui. De
grands malheurs intimes avaient ajouté leur fardeau au poids de ses
tristesses nationales; la sérénité était cependant rentrée dans son
âme. Lui qui avait prophétisé que «la République était la terre
ferme», il la tenait, victorieuse et vivante. Son idéal était réalisé!
Vous le voyez encore, messieurs les sénateurs, sur ce fauteuil que
la piété de ses collègues veut consacrer, les mains croisées sur la
poitrine, son front olympien incliné; attirant tous les regards et
tous les hommages, déjà dans sa pose d'immortalité! La dernière fois
qu'il monta à la tribune, ce fut pour soutenir la cause qui lui était
chère entre toutes, celle du pardon et de l'oubli.
A travers d'apparentes hésitations, il ne faut voir que le travail de
l'esprit en quête des formules définitives de sa foi. Victor Hugo a
constamment poursuivi un idéal supérieur de justice et d'humanité.
Donner la liberté et la lumière à tous, prêcher la fraternité pour les
déshérités et les faibles, revendiquer l'autorité du droit contre
la force, tel fut le labeur de ce noble coeur, de cette grande
intelligence. Son action fut immense sur le moral de la France. Il
dévoila et détruisit les sophismes du crime couronné, releva les
coeurs affolés et rendit aux honnêtes gens dévoyés la notion de la
loi morale un instant méconnue. Sous son souffle inspiré, les âmes
renaissaient à l'espérance: par deux fois, après le 2 décembre, après
1871, il réveilla la conscience de la patrie.
Gloire à ce puissant génie, dont le patriotisme et l'amour du bien
illuminent toutes les oeuvres! Gloire à celui que nous saluons tous
d'une égale reconnaissance et d'une égale admiration! Gloire à Victor
Hugo le Grand!

DISCOURS DE M. FLOQUET
PRÉSIDENT DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Quelles paroles pourraient égaler la grandeur du spectacle auquel nous
assistons et que l'histoire enregistrera!
Sous cette voûte toute constellée des noms légendaires de tant de
héros qui firent la France libre et la voulurent glorieuse, apparaît
la dépouille mortelle, je me trompe, l'image toujours sereine du
grand homme qui a si longtemps chanté pour la gloire de notre patrie,
combattu pour sa liberté!
Autour de nous les maîtres de tous les arts et de toutes les
sciences, les représentants du peuple français, les délégués de nos
départements, de nos communes, les ambassadeurs volontaires et les
missionnaires spontanés de l'univers civilisé s'inclinent pieusement
devant celui qui fut un souverain de la pensée, un proscrit pour le
droit vaincu et la république trahie, un protecteur persévérant de
toute faiblesse contre toute oppression, le défenseur en titre de
l'humanité dans notre siècle.
Au nom de la nation nous le saluons aujourd'hui non plus dans l'humble
attitude du deuil, mais dans la fierté de la glorification.
Nous le redirons sans cesse, ce ne sont pas des funérailles qui
commencent ici, c'est une apothéose.
Nous pleurons l'homme qui finit, mais nous acclamons l'apôtre
impérissable qui demeure parmi nous et dont le verbe survivant d'âge
en âge nous conduira à la conquête définitive de la liberté, de
l'égalité, de la fraternité dans le monde.
Ce géant immortel aurait été mal à l'aise dans la solitude et
l'obscurité des cryptes souterraines; nous l'avons exposé là-haut
au jugement des hommes et de la nature, sous le grand soleil qui
illuminait sa conscience auguste.
Tout un peuple a voulu réaliser le rêve poétique de ce doux génie:
Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher.
Que ce cercueil entouré de ces fleurs amies et de ce peuple
reconnaissant entre dans le grand Paris que Victor Hugo appelait de
ce nom sacré: la «cité-mère» et dont il a été véritablement le fils
respectueux, le serviteur fidèle et l'élu bien-aimé; que ce cercueil
vénérable qui va à la gloire apporte parmi nous, avec toutes les
lumières qui sortaient d'un cerveau si puissant, toutes les douceurs
que caressait un coeur si tendre; qu'il enseigne à la multitude émue
sur son passage le devoir, la concorde, la paix; que devant lui se
lèvent pour nous éclairer et nous guider les méditations austères
du jeune voyant de 1831, cet acte de foi qui pourrait résumer le
testament du vieux républicain de 1885 et qui constitue l'unité morale
la cette grande vie.
Je hais l'oppression d'une haine profonde!
Je suis fils de ce siècle. Une erreur chaque année
S'en va de mon esprit, d'elle-même étonnée,
Et, détrompé de tout, mon culte n'est resté
Qu'à vous, sainte patrie, et sainte liberté.

DISCOURS DE M. GOBLET
MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.

Messieurs,
Le monde entier honore Victor Hugo, mais c'est à la France qu'il
appartient. Quel que soit le caractère universel de son génie, il est
le nôtre d'abord. Il vient de nous, de nos traditions, de notre
race, et, si nous accueillons avec une émotion reconnaissante les
témoignages d'admiration et de respect que lui envoient à l'envi tous
les peuples, cependant la France justement orgueilleuse le revendique;
elle se glorifie en lui et s'illustre elle-même en lui faisant
aujourd'hui ces funérailles nationales.
Dans le concert d'hommages qui monte vers Victor Hugo, le gouvernement
réclame l'honneur de faire entendre sa voix. Ce ne peut être ni pour
retracer sa carrière, ni pour résumer son oeuvre immense, encore moins
pour le louer comme il convient. Il semble, à la première vue, que
cette oeuvre soit si multiple et si grande, la carrière si vaste et si
diverse, qu'il faille pour une pareille tâche autant d'orateurs que
son art a compté de genres et qu'il y a de phases diverses dans son
existence.
Roman, poème, drame, histoire, philosophie, il a tout abordé; et son
rôle politique et social n'est pas moins considérable que celui qu'il
a occupé dans la littérature moderne.
Et pourtant, messieurs, ce que je voudrais pouvoir montrer ici, comme
je le sens, c'est l'unité du plan qui a présidé à cette vie et à cette
oeuvre, si complexe en apparence.
Je ne sais s'il est vrai que notre siècle portera son nom et qu'on
dira: «le siècle de Victor Hugo» comme on a dit le «siècle de
Voltaire»; mais ce qui nous apparaît dès aujourd'hui avec une pleine
certitude, c'est qu'il en restera la plus haute personnification,
parce qu'il est celui qui résume le mieux l'histoire de ce siècle, ses
contradictions et ses doutes, ses idées et ses aspirations.
Victor Hugo en a été le témoin attentif et passionné. Il en a vu
et jugé les événements avec son génie, il en a suivi toutes les
évolutions; ébloui d'abord par les gloires éphémères des premières
années, séduit par la résurrection de la Liberté que l'ancienne
monarchie semblait ramener avec elle, progressant vers la démocratie
avec la royauté de juillet, maudissant et frappant d'une condamnation
inexorable l'Empire qui, pour la seconde fois, venait faire violence
à ce grand mouvement, jaloux de demeurer exilé pour rendre sa
protestation plus forte, trouvant enfin dans la République triomphante
le refuge et le couronnement de sa vie.
Dans cette longue et constante ascension, son oeuvre l'accompagne.
Poète, Victor Hugo n'a pas seulement chanté ce que chantent les
poètes. Il ne s'est pas contenté de célébrer les harmonies de la
nature, les joies et les tristesses humaines; il ne s'est pas
uniquement appliqué à disséquer son coeur pour en exprimer toutes les
voluptés et les amertumes de la jeunesse en proie à la passion et
au doute. Combien son oeuvre est plus virile, plus haute et plus
impersonnelle!
Ce n'est pas en lui tout d'abord, c'est autour de lui qu'il regarde,
curieux de notre passé, habile à restituer les souvenirs des temps qui
nous ont précédés, à nous faire revivre en plein Paris du moyen âge,
parmi ses monuments et ses rues, comme avec les moeurs, les fêtes, les
gaietés et les colères de nos aïeux.
Puis le poète embrasse tout ce qu'il rencontre sur son chemin, la
gloire des batailles et la pompe des sacres, la liberté, l'amour du
droit, de la justice, la haine de la violence et du parjure, les
malheurs comme les triomphes de la patrie. Rien n'échappe à son regard
dans le domaine des sentiments comme dans celui de la nature. Comme
Homère, il admire les merveilles de l'univers, «la terre, ce poème
éternel», «le ciel superbe et l'océan qui chantent les beautés de la
création». Comme Shakespeare, il pénètre dans les plus profonds replis
de l'âme humaine; il en a scruté toutes les faiblesses et toutes les
grandeurs.
Ainsi va son poème depuis les _Odes et Ballades_, les _Voix
intérieures_, par les _Contemplations_ et par les _Châtiments_,
jusqu'à la _Légende des Siècles_, cette épopée du genre humain,
jusqu'à l'_Année terrible_, ce cri d'amour filial et de pitié.
Le drame s'y vient mêler à la poésie, drame étrange qui semble
inventé en pleine fantaisie, en dehors de toute réalité et de toute
convention.
Quel drame cependant s'empare plus violemment de nos âmes! Où trouver
à la fois des situations plus hardies et plus fortes, plus de charme
ou de grandeur dans les sentiments et dans la pensée, plus de grâce ou
de noblesse dans le langage?
Pour cette oeuvre, il a fait sa langue, ou plutôt il a renouvelé
et transformé notre vieille langue française. En l'arrachant aux
anciennes formules, en la démocratisant, il y a découvert de nouvelles
ressources et lui a donné une souplesse, une vigueur, une magnificence
inconnue jusqu'à lui.
Et c'est pourquoi, malgré les prétentions révolutionnaires de sa
jeunesse, bien qu'il se soit vanté «d'avoir tout saccagé, tout
secoué du haut jusques en bas», Victor Hugo de son vivant est devenu
classique. Il figurait déjà dans la glorieuse pléiade des grands
poètes avec Corneille, Molière, Racine, Voltaire.... Permettez-moi
de ne citer que des gloires françaises; elles suffisent à remplir ce
cénacle d'élus.
Mais il n'est pas seulement égal à eux, il les dépasse par tout ce
que son âme a de plus grand et de plus vaste, cette âme «où sa pensée
habite comme un monde». Le poète en Victor Hugo n'est plus qu'une
partie de l'homme, ou plutôt l'homme a compris à sa manière le rôle du
poète, et cette conception supérieure l'élève et le conduit.
Lui-même l'a dit: «Dans cette mêlée d'hommes, de destinées et
d'intérêts qui se ruent si violemment tous les jours sur chacune des
oeuvres qu'il est donné à ce siècle de faire, le poète a une fonction
supérieure. Il faut qu'il jette sur ses contemporains le tranquille
regard que l'histoire jette sur le passé. Il faut qu'il sache se
maintenir au-dessus du tumulte, inébranlable, austère et bienveillant,
sachant être tout à la fois irrité comme homme et calme comme poète.»
Ce rôle grandiose, Victor Hugo l'a rempli en effet. Il a été le grand
justicier de son temps. Il a été aussi le témoin auguste de la marche
de ce siècle «que mène un noble instinct....»
Où le bruit du travail, plein de parole humaine,
Se mêle au bruit divin de la création.
Victor Hugo est l'homme de notre temps qui a le mieux compris, le plus
aimé l'humanité dans l'ensemble et dans l'individu. Charitable avant
tout aux petits, aux humbles, aux opprimés, aucune misère morale ou
physique, le vice même ni le crime, ne peuvent rebuter sa magnanimité,
et l'amélioration de la nature humaine, contre les destinées de
l'humanité tout entière, fait l'objet principal de sa contemplation.
«Dans ses drames, vers et prose, pièces et romans, le poète, a-t-il
dit, mettra l'histoire et l'invention, la vie des peuples et des
individus ... il relèvera partout la dignité de la créature humaine en
faisant voir qu'au fond de tout homme, si désespéré et si perdu qu'il
soit, Dieu a mis une étincelle qu'un souffle d'en haut peut toujours
raviver, que la cendre ne cache point, que la fange même n'éteint pas:
l'âme!»
Et maintenant, si l'on demande où est le lien de cette oeuvre et de
cette vie, ce qui en fait l'unité, je répondrai, avec ses propres
vers:
Qu'il fut toujours celui
Qui va droit au devoir dès que l'honnête a lui,
Qui veut le bien, le vrai, le beau, le grand, le juste.
Messieurs, c'est par ce côté profondément humain de sa nature que
Victor Hugo a mérité d'être considéré comme le citoyen de toutes les
nations.
C'est par là aussi qu'il s'est élevé à cette idée de Dieu qui emplit
tout son ouvrage. Il croyait à l'âme immortelle. Le génie a des
lumières supérieures. Peut-être a-t-il connu la vérité? Nous qui
demeurons, nous savons seulement qu'il avait conquis l'immortalité sur
la terre, et c'est pourquoi nous le conduisons aujourd'hui avec ce
cortège triomphal dans le temple que la Révolution française avait
consacré aux grands hommes.
N'était-il pas juste et nécessaire, en effet, qu'il fût rouvert par
lui? La postérité, ratifiant nos hommages, l'y honorera éternellement.
Non, en vérité ses cendres ne sauraient redouter ces retours funestes
dont on les menace. Après plus de cent ans, les noms de Voltaire et de
Rousseau excitent encore les haines et les colères. Mais, depuis
bien des années déjà, Victor Hugo, revenu de l'exil, vivait devant
l'opinion dans une région sereine bien au-dessus de nos passions et
de nos disputes: le grand vieillard, sorti des «jours changeants»,
représentait au milieu de nous l'esprit de tolérance et de paix entre
les hommes, et le respect universel de ses contemporains lui donnait
l'avant-goût de la vénération dont sera entourée sa mémoire.
C'est cette majesté sublime dans laquelle il a terminé sa carrière qui
restera le trait dominant de cette belle vie. Toujours on rejouera
quelques-uns de ces drames, on relira ces poèmes où il a su mettre
«avec les conseils au temps présent les esquisses rêveuses de
l'avenir, le reflet, tantôt éblouissant, tantôt sinistre, des
événements contemporains, le panthéon, les tombeaux, les ruines,
les souvenirs, la charité pour les pauvres, la tendresse pour les
misérables, les saisons, le soleil, les champs, la mer, les montagnes,
et les coups d'oeil furtifs dans le sanctuaire de l'âme où l'on
aperçoit sur un autel mystérieux, comme par la porte entr'ouverte
d'une chapelle, toutes ces belles urnes d'or: la foi, l'espérance, la
poésie, l'amour!»
Mais quelle que soit la gloire du poète, la postérité la connaîtra
sous un plus haut aspect. Elle se rappellera surtout qu'il a dit:
Je suis ... celui qui hâte l'heure
De ce grand lendemain, l'humanité meilleure.
Et s'il est vrai, comme il le croyait et comme nous devons le croire,
que ce monde mû par une force dont il n'a pas conscience, marche
invinciblement vers le progrès, Victor Hugo ira en grandissant dans
la mémoire des hommes, et, à mesure que son image reculera dans le
lointain des temps, il leur apparaîtra de plus en plus comme le
précurseur du règne de la justice et de l'humanité.

DISCOURS DE M. ÉMILE AUGIER
AU NOM DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

Messieurs,
Le grand poète que la France vient de perdre voulait bien m'accorder
une place dans son amitié; c'est à quoi j'ai dû l'honneur d'être
choisi par l'Académie française pour apporter ici l'expression d'une
douleur partagée par l'Institut tout entier.
Mais qu'est-ce que notre deuil de famille devant le deuil national qui
fait cortège à notre illustre confrère?
Toute la France est là, cette France dont Victor Hugo restait après
nos désastres le plus légitime orgueil et la plus fière consolation,
car il l'a dit lui-même:
Rien de ces noirs débris ne sort que toi, pensée.
Poésie immortelle, à tous les vents bercée.
Et la sienne est immortelle en effet!
Faut-il vous parler de l'éclat incomparable de son oeuvre? de cette
imagination merveilleuse, de cette magnificence de style, de cette
hauteur de pensée qui font de lui un maître sans pareil? Ses droits à
l'admiration des siècles sont proclamés plus éloquemment que je ne le
saurais faire par cette cérémonie sans précédent, par cette affluence
de populations accourues des quatre points cardinaux à ce pèlerinage
du Génie.
Grand et salutaire spectacle, messieurs. Il est juste, il est beau
qu'une patrie rende en honneurs à ses fils ce qu'elle reçoit d'eux en
illustration.
Au souverain poète, la France rend aujourd'hui les honneurs
souverains.
Elle dresse son catafalque sous cet Arc de Triomphe qu'il a chanté
et sous lequel jusqu'ici elle n'avait encore fait passer qu'un
triomphateur, celui qu'elle a entre tous surnommé le Grand.
Elle n'est pas prodigue de ce beau surnom. Elle en fait presque
l'apanage exclusif des conquérants. Il n'y avait qu'un poète couronné
par elle de cette auréole: il y en aura deux désormais, et comme on
dit le Grand Corneille, on dira le Grand Hugo.
Il y a dans la plus haute renommée une partie caduque dont elle se
dégage par la mort.
Il semble alors qu'elle s'élance avec l'âme du mourant, secouant ainsi
une sorte de dépouille mortelle, pour planer radieuse au dessus de la
dispute humaine.
La renommée, ce jour-là s'appelle la Gloire, et la postérité commence.
Elle a commencé pour Victor Hugo. Ce n'est pas à des funérailles que
nous assistons, c'est à un sacre. On est tenté d'appliquer au poète
ces beaux vers qu'il adressait à son glorieux prédécesseur sous
l'arche triomphale:
Maître, en ce moment-là vous aurez pour royaume
Tous les fronts, tous les coeurs qui battront sous le ciel;
Les nations feront asseoir votre fantôme
Au trône universel.
Les nuages auront passé dans votre gloire.
Rien ne troublera plus son rayonnement pur;
Elle se posera sur toute notre histoire
Comme un dôme d'azur.

DISCOURS DE M. MICHELIN
PRÉSIDENT DU CONSEIL MUNICIPAL DE PARIS.

Au nom de la Ville de Paris, je viens devant cet Arc de Triomphe,
Monceau de pierre assis sur un monceau de gloire,
saluer Victor Hugo et adresser un suprême adieu au poète incomparable,
à l'homme bon et humain entre tous, au grand citoyen dont la vie a été
si bien remplie au profit de l'humanité.
Je laisse à d'autres le soin de célébrer le génie littéraire du poète
de _la Légende des Siècles_, d'_Hernani_ et des _Châtiments_.
Il ne m'appartient pas de retracer le rôle politique de Victor Hugo.
Je me contente de rappeler que l'auteur de _Napoléon le Petit_ et des
_Misérables_ a désiré et poursuivi ardemment, pendant toute sa vie, le
triomphe de la liberté, de la vérité et de la justice.
Je veux simplement et en quelques mots constater le lien indissoluble
qui unit Paris à Victor Hugo.
Notre grand poète national professait pour notre grande cité un
sentiment d'admiration qui se manifesta, pour ainsi dire, dans chacune
de ses oeuvres.
Rappelons-nous ces vers admirables sur Paris:
Oh! Paris est la Cité mère!
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux.
Toujours Paris s'écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde,
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait.
En mai 1867, alors qu'il était en exil, éloigné de Paris depuis le
crime du 2 Décembre, notre grand et illustre citoyen, examinant le
rôle de notre chère cité par le monde, s'exprime ainsi: «La fonction
de Paris, c'est la dispersion de l'idée, secouant sur le monde
l'inépuisable poignée des vérités; c'est là son devoir, et il le
remplit. Faire son devoir est un droit. Paris est un semeur. Où
sème-t-il? Dans les ténèbres. Que sème-t-il? Des étincelles. Tout ce
qui, dans les intelligences éparses sur cette terre, prend feu çà et
là et pétille est le fait de Paris. Le magnifique incendie du progrès,
c'est Paris qui l'attise. Il y travaille sans relâche. Il y jette
ce combustible: les superstitions, les fanatismes, les haines, les
sottises, les préjugés. Toute cette nuit fait de la flamme, et grâce à
Paris, chauffeur du bûcher sublime, monte et se dilate en clarté. De
là le profond éclairage des esprits. Voilà trois siècles surtout que
Paris triomphe dans ce lumineux épanouissement de la raison et qu'il
prodigue la libre pensée aux hommes: au seizième siècle, par Rabelais;
au dix-septième, par Molière; au dix-huitième, par Voltaire.
«Rabelais, Molière et Voltaire, cette trinité de la raison: Rabelais,
le père; Molière, le fils; Voltaire, l'esprit; ce triple éclat de
rire: gaulois au seizième siècle, romain au dix-septième, cosmopolite
au dix-huitième, c'est Paris.»
Qu'il me soit permis de compléter l'énumération faite par notre grand
poète, et d'ajouter son nom à ceux de Rabelais, de Molière et de
Voltaire. Ce nom de Victor Hugo sera évidemment donné à notre siècle
par l'histoire.
Le dix-neuvième siècle s'appellera le siècle de Victor Hugo.
Après la chute de l'empire, au lendemain du désastre de Sedan et à
la veille du siège, Victor Hugo s'empresse de rentrer à Paris pour
partager ses souffrances et ses dangers. Nous nous rappelons tous son
arrivée le 5 septembre au soir. Quelle joie! Quel enthousiasme dans
la population parisienne! Elle revoyait enfin celui qui était absent
depuis dix-neuf ans!
Désormais Victor Hugo est resté parmi nous toujours prêt à défendre
les droits de notre grande cité.
Devant l'Assemblée de Bordeaux, il défend Paris en ces termes: «Paris
espérait votre reconnaissance et il obtient votre suspicion! Mais
qu'est-ce donc qu'il vous a fait? Ce qu'il vous a fait, je vais vous
le dire: Dans la défaillance universelle, il a levé la tête; quand il
a vu que la France n'avait plus de soldats, Paris s'est transfiguré en
armée; il a espéré quand tout désespérait; après Phalsbourg tombée,
après Toul tombée, après Strasbourg tombée, après Metz tombée, Paris
est resté debout. Un million de vandales ne l'a pas étonné. Paris
s'est dévoué pour tous, il a été la ville superbe du sacrifice. Voici
ce qu'il vous a fait. Il a plus que sauvé la vie à la France, il lui a
sauvé l'honneur.»
Voilà comment Victor Hugo parlait de Paris. Vous voyez que j'ai
raison de dire que le lien entre notre grand citoyen et Paris est
indissoluble. Mon affirmation est confirmée par la population
parisienne, qui se presse pour assister à ses magnifiques funérailles.
En rappelant ici les services considérables rendus à Paris par Victor
Hugo, j'honore sa mémoire et je lui apporte la reconnaissance et la
gratitude de notre grande cité.
Après les événements terribles de mai 1871, Victor Hugo est le premier
à parler de concorde et d'apaisement et à réclamer l'amnistie. A
Bruxelles, il offre un asile aux Parisiens vaincus, obligés de
s'expatrier pour échapper aux rigueurs des conseils de guerre.
Il conseille la clémence alors que la répression et la vengeance sont
à l'ordre du jour.
Au point de vue municipal, Paris est encore placé sous un régime
d'exception. Il y a longtemps que Victor Hugo a réclamé la
reconnaissance des droits municipaux de Paris, et voici en quels
termes: «Le droit de Paris est patent. Paris est une commune, la plus
nécessaire de toutes comme la plus illustre. Paris commune est le
résultat de la France république. Comment! Londres est une commune
et Paris n'en serait pas une! Londres, sous l'oligarchie, existe, et
Paris, sous la démocratie, n'existerait pas! La monarchie respecte
Londres et la monarchie violerait Paris! Énoncer de telles choses
suffit; n'insistons pas. Paris est de droit commune, comme la France
est de droit république.»
Je remercie Victor Hugo d'avoir réclamé les droits de Paris. Je suis
heureux de rappeler ces paroles en présence des pouvoirs publics.
Qu'ils me permettent d'espérer qu'ils voudront bien se souvenir que
Paris vit encore sous un régime d'exception, et qu'il est digne
cependant d'obtenir enfin ses libertés communales, son autonomie
municipale qu'il réclame depuis si longtemps.
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