Actes et Paroles, Volume 4 - 02

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fécond et auguste, quelqu'un la trouble. Qui? Son gouvernement. Une
sorte de déclaration de guerre est faite. A qui? A la France en paix.
Par qui? Par le pouvoir. (_Oui! oui!--Adhésion unanime_.)
La seconde chose qui me frappe, la voici:
Si la France est en paix, l'Europe ne l'est pas. Si au dedans nous
sommes tranquilles, au dehors nous sommes inquiets. Le continent prend
feu. Deux empires se heurtent en orient; au nord, un autre empire
guette; à côté du nord, une puissante nation voisine fait son
branle-bas de combat. Plus que jamais, il importe que la France, pour
rester forte, reste paisible. Eh bien! c'est le moment qu'on choisit
pour l'agiter! C'est pour le pays l'heure de la prudence; c'est pour
le gouvernement l'heure des imprudences.
Ces deux grands faits, la paix en France, la guerre en Europe,
exigeaient tous les deux un gouvernement sage. C'est l'instant que
prend le gouvernement pour devenir un gouvernement d'aventure.
Une étincelle suffirait pour tout embraser; le gouvernement secoue la
torche. (_Sensation profonde_.)
Oui, gouvernement d'aventure. Je ne veux pas, pour l'instant, le
qualifier plus sévèrement, espérant toujours que le pouvoir se sentira
averti par l'énormité de certains souvenirs, et qu'il s'arrêtera.
Je recommande au pouvoir personnel la lecture attentive de la
constitution. (_Mouvement_.)
Il y a là sur la responsabilité plusieurs articles sérieux.
J'en pourrais dire davantage. Mais je me borne à ces quelques paroles.
J'ai une fonction comme sénateur et une mission comme citoyen; je ne
faillirai ni à l'une ni à l'autre.
Vous, mes collègues, vous résisterez vaillamment, je le sais et je
le déclare, aux empiétements illégaux et aux usurpations
inconstitutionnelles. Surveillons plus que jamais le pouvoir. Dans la
situation où nous sommes, souvenez-vous de ceci: toute la défiance que
vous montrerez au nouveau ministère, vous sera rendue en confiance par
la nation.
Messieurs, rassurons la France, rassurons-la dans le présent,
rassurons-la dans l'avenir.
La république est une délivrance définitive. Espérance est un des
noms de la liberté. Aucun piège ne réussira. La vérité et la raison
prévaudront. La justice triomphera de la magistrature. La conscience
humaine triomphera du clergé. La souveraineté nationale triomphera des
dictatures, cléricales ou soldatesques.
La France peut compter sur nous, et nous pouvons compter sur elle.
Soyons fidèles à tous nos devoirs, et à tous nos droits. (_Adhésion
unanime.--Applaudissements prolongés_.)

II
LA DISSOLUTION
La prorogation d'un mois expirée, le maréchal de Mac-Mahon adresse,
le 17 juin, un message au sénat, lui demandant, aux termes de la
constitution, de prononcer avec le président de la République, la
dissolution de la chambre des députés.
La chambre des députés réplique aussitôt par un ordre du jour
déclarant que «le ministère n'a pas la confiance de la nation». Cet
ordre du jour est voté par 363 voix contre 158.
Le 21 juin, les bureaux du sénat se réunissent pour nommer la
commission chargée du rapport sur la demande de dissolution.
Dans le quatrième bureau, dont Victor Hugo fait partie, se passe
l'incident suivant, rapporté ainsi par _le Rappel_.
_Réunion dans les bureaux du sénat_.
«Il s'est produit, au 4e bureau, un incident qui a causé une vive
émotion.
«M. Victor Hugo fait partie de ce bureau. M. le vicomte de Meaux,
ministre du commerce, en fait également partie.
«La discussion s'est ouverte sur le projet de dissolution.
«Après des discours de MM. Bertauld et de Lasteyrie contre le projet
et de MM. de Meaux et Depeyre pour, la séance semblait terminée,
lorsque M. Victor Hugo a demandé la parole.
«Il a dit:
J'ai gardé le silence jusqu'à ce moment, et j'étais résolu à ne point
intervenir dans le débat, espérant qu'une question essentielle serait
posée, et aimant mieux qu'elle le fût par d'autres que par moi.
Cette question n'a pas été posée. Je vois que la séance va se clore,
et je crois de mon devoir de parler. Je désire n'être point nommé
commissaire, et je prie mes amis de voter, comme je le ferai moi-même,
pour notre honorable collègue, M. Bertauld.
Cela dit, et absolument désintéressé dans le vote qui va suivre,
j'entre dans ce qui est pour moi la question nécessaire et immédiate.
Un ministre est ici présent. Je profite de sa présence, c'est à
lui que je parle, et voici ce que j'ai à dire à M. le ministre du
commerce:
Il est impossible que le président de la République et les membres du
cabinet nouveau n'aient point examiné entre eux une éventualité, qui
est pour nous une certitude: le cas où, dans trois mois, la chambre,
dissoute aujourd'hui, reviendrait augmentée en nombre dans le sens
républicain, et, ce qui est une augmentation plus grande encore,
accrue en autorité et en puissance par son mandat renouvelé et par le
vote décisif de la France souveraine.
En présence de cette chambre, qui sera à la fois la chambre ancienne,
répudiée par le pouvoir personnel, et la chambre nouvelle, voulue
par la souveraineté nationale, que fera le gouvernement? quels plans
a-t-il arrêtés? quelle conduite compte-t-il suivre? Le président
fera-t-il simplement son devoir, qui est de se retirer et d'obéir à la
nation, et les ministres disparaîtront-ils avec lui? En un mot, quelle
est la résolution du président et de son cabinet, dans le cas grave
que je viens d'indiquer?
Je pose cette question au membre du cabinet ici présent. Je la pose
catégoriquement et absolument. Aucun faux-fuyant n'est possible: ou le
ministre me répondra, et j'enregistrerai sa réponse; ou il refusera de
répondre, et je constaterai son silence. Dans les deux cas, mon but
sera atteint; et, que le ministre parle ou qu'il se taise, l'espèce de
clarté que je désire, je l'aurai.
«Sur ces paroles, au milieu du profond silence et de l'attente unanime
des sénateurs, M. de Meaux s'est levé. Voici sa réponse:
«La question posée par M. Victor Hugo ne pourrait être posée qu'au
président de la République, et excède la compétence des ministres.»
«Une certaine agitation a suivi cette réponse. MM. Valentin, Ribière,
Lepetit et d'autres encore se sont vivement récriés.
«M. Victor Hugo a repris la parole en ces termes:
Vous venez d'entendre la réponse de M. le ministre. Eh bien! je vais
répliquer à l'honorable M. de Meaux par un fait qui est presque pour
lui un fait personnel.
Un homme qui lui touche de très près, orateur considérable de la
droite, dont j'avais été l'ami à la chambre des pairs et dont j'étais
l'adversaire à l'assemblée législative, M. de Montalembert, après la
crise de juillet 1851, s'émut, bien qu'allié momentané de l'Élysée,
des intentions qu'on prêtait au président, M. Louis Bonaparte, lequel
protestait du reste de sa loyauté.
M. de Montalembert, alors, se souvenant de notre ancienne amitié, me
pria de faire, en mon nom et au sien, au ministre Baroche, la question
que je viens de faire tout à l'heure à M. de Meaux.... (_Profond
mouvement d'attention_.) Et le ministre d'alors fit à cette question
identiquement la même réponse que le ministre d'aujourd'hui.
Trois mois après, éclatait ce crime qui s'appellera dans l'histoire le
2 décembre.
«Une vive émotion succède à ces paroles.
«Aucune réplique de M. de Meaux. Exclamations des sénateurs présents.
«Le président du bureau, M. Batbie, fait, tardivement, remarquer
que les interpellations aux ministres ne sont d'usage qu'en séance
publique; dans les bureaux, il n'y a pas de ministre; un membre parle
à un membre, un collègue à un collègue; et M. Victor Hugo ne peut pas
exiger de M. de Meaux une autre réponse que celle qui lui a été faite.
«--Je m'en contente! s'écrie M. Victor Hugo.
«Et les quinze membres de la gauche applaudissent.»

_Séance publique du sénat._
--12 JUIN 1877.--

Messieurs,
Un conflit éclate entre deux pouvoirs. Il appartient au sénat de les
départager. C'est aujourd'hui que le sénat va être juge.
Et c'est aujourd'hui que le sénat va être jugé. (_Applaudissements à
gauche._)
Car si au-dessus du gouvernement il y a le sénat, au-dessus du sénat
il y a la nation.
Jamais situation n'a été plus grave.
Il dépend aujourd'hui du sénat de pacifier la France ou de la
troubler.
Et pacifier la France, c'est rassurer l'Europe; et troubler la France,
c'est alarmer le monde.
Cette délivrance ou cette catastrophe dépendent du sénat.
Messieurs, le sénat va aujourd'hui faire sa preuve. Le
sénat aujourd'hui peut être fondé par le sénat. (_Bruit à
droite.--Approbation à droite._)
L'occasion est unique, vous ne la laisserez pas échapper.
Quelques publicistes doutent que le sénat soit utile; montrez que le
sénat est nécessaire.
La France est en péril, venez au secours de la France. (_Bravos a
gauche_.)
Messieurs, le passé donne quelquefois des renseignements. De certains
crimes, que l'histoire n'oublie pas, ont des reflets sinistres, et
l'on dirait qu'ils éclairent confusément les événements possibles.
Ces crimes sont derrière nous, et par moments nous croyons les revoir
devant nous.
Il y a parmi vous, messieurs, des hommes qui se souviennent.
Quelquefois se souvenir, c'est prévoir. (_Applaudissements à gauche_.)
Ces hommes ont vu, il y a vingt-six ans, ce phénomène:
Une grande nation qui ne demande que la paix, une nation qui sait ce
qu'elle veut, qui sait d'où elle vient et qui a droit de savoir où
elle va, une nation qui ne ment pas, qui ne cache rien, qui n'élude
rien, qui ne sous-entend rien, et qui marche dans la voie du progrès
droit devant elle et à visage découvert, la France, qui a donné à
l'Europe quatre illustres siècles de philosophie et de civilisation,
qui a proclamé par Voltaire la liberté religieuse (_Protestations
à droite, vive approbation à gauche_) et par Mirabeau la liberté
politique; la France qui travaille, qui enseigne, qui fraternise, qui
a un but, le bien et qui le dit, qui a un moyen, le juste, et qui le
déclare, et, derrière cet immense pays en pleine activité, en
pleine bonne volonté, en pleine lumière, un gouvernement masqué.
(_Applaudissements prolongés à gauche. Réclamations à droite_.)
Messieurs, nous qui avons vu cela, nous sommes pensifs aujourd'hui,
nous regardons avec une attention profonde ce qui semble être devant
nous: une audace qui hésite, des sabres qu'on entend traîner, des
protestations de loyauté qui ont un certain son de voix; nous
reconnaissons le masque. (_Sensation_.)
Messieurs, les vieillards sont des avertisseurs. Ils ont pour fonction
de décourager les choses mauvaises et de déconseiller les choses
périlleuses. Dire des paroles utiles, dussent-elles paraître inutiles,
c'est là leur dignité et leur tristesse. (_Très bien! à gauche_.)
Je ne demande pas mieux que de croire à la loyauté, mais je me
souviens qu'on y a déjà cru. (_C'est vrai! à gauche_.) Ce n'est pas ma
faute si je me souviens. Je vois des ressemblances qui m'inquiètent,
non pour moi qui n'ai rien à perdre dans la vie et qui ai tout à
gagner dans la mort, mais pour mon pays. Messieurs, vous écouterez
l'homme en cheveux blancs qui a vu ce que vous allez revoir peut-être,
qui n'a plus d'autre intérêt sur la terre que le vôtre, qui vous
conseille tous avec droiture, amis et ennemis, et qui ne peut ni haïr
ni mentir, étant si près de la vérité éternelle. (_Profonde sensation.
Applaudissements prolongés_.)
Vous allez entrer dans une aventure. Eh bien, écoutez celui qui en
revient. (_Mouvement_.) Vous allez affronter l'inconnu, écoutez celui
qui vous dit: l'inconnu, je le connais. Vous allez vous embarquer sur
un navire dont la voile frissonne au vent, et qui va bientôt partir
pour un grand voyage plein de promesses, écoutez celui qui vous dit:
Arrêtez, j'ai fait ce naufrage-là. (_Applaudissements_.)
Je crois être dans le vrai. Puissé-je me tromper, et Dieu veuille
qu'il n'y ait rien de cet affreux passé dans l'avenir!
Ces réserves faites,--et c'était mon devoir de les faire,--j'aborde
le moment présent, tel qu'il apparaît et tel qu'il se montre, et je
tâcherai de ne rien dire qui puisse être contesté.
Personne ne niera, je suppose, que l'acte du 16 mai ait été inattendu.
Cela a été quelque chose comme le commencement d'une préméditation qui
se dévoile.
L'effet a été terrible.
Remontons à quelques semaines en arrière. La France était en plein
travail, c'est-à-dire en pleine fête. Elle se préparait à l'Exposition
universelle de 1878 avec la fierté joyeuse des grandes nations
civilisatrices. Elle déclarait au monde l'hospitalité. Paris,
convalescent, glorieux et superbe, élevait un palais à la fraternité
des nations; la France, en dépit des convulsions continentales, était
confiante et tranquille, et sentait s'approcher l'heure du suprême
triomphe, du triomphe de la paix. Tout à coup, dans ce ciel bleu un
coup de foudre éclate, et au lieu d'une victoire on apporte à la
France une catastrophe. (_Vive émotion.--Bravos à gauche_.)
Le 15 mai, tout prospérait; le 16, tout s'est arrêté. On a assisté au
spectacle étrange d'un malheur public, fait exprès. (_Sensation_.)
Subitement, le crédit se déconcerte; la confiance disparaît; les
commandes cessent; les usines s'éteignent; les manufactures se
ferment; les plus puissantes renvoient la moitié de leurs ouvriers;
lisez les remontrances des chambres de commerce; le chômage, cette
peste du travail, se répand et s'accroît, et une sorte d'agonie
commence. Ce que cette calamité, le 16 mai, coûte à notre industrie, à
notre commerce, à notre travail national, ne peut se chiffrer que
par des centaines de millions. (_Allons donc! à droite.--Oui! oui! à
gauche_.)
Eh bien, messieurs, aujourd'hui que vous demande-t-on? De la
continuer. Le 16 mai désire se compléter. Un mois d'agonie, c'est peu;
il en demande quatre. Dissolvez la chambre. On verra où la France en
sera au bout de quatre mois. La durée du 16 mai, c'est la durée de la
catastrophe. Aggravation funeste. Partout la stagnation commerciale,
partout la fièvre politique. Trois mois de querelle et de haine.
L'angoisse ajoutée à l'angoisse. Ce qui n'était que le chômage sera la
faillite; ruine pour les riches, famine pour les pauvres; l'électeur
acculé à son droit; l'ouvrier sans pain armé du vote. La colère mêlée
à la justice. Tel est le lendemain de la dissolution. (_Mouvement_.)
Si vous l'accordiez, messieurs, le service que le 16 mai aurait rendu
à la France équivaudrait au service vice que rend une rupture de rails
à un train lancé à toute vapeur. (_C'est vrai_!)
Et j'hésite à achever ma pensée, mais il faut, sinon tout dire, au
moins tout indiquer.
Messieurs, réfléchissez. L'Europe est en guerre. La France a des
ennemis. Si, en l'absence des chambres, dans l'éclipse de la
souveraineté nationale, si l'étranger....
(_Bruit et protestations à droite.--A gauche_: N'interrompez pas!--_M.
le président_: Faites silence!--_A gauche_: C'est à la droite qu'il
faut dire cela!)
....Si l'étranger profitait de cette paralysie de la France, si ... je
m'arrête.
Ici, messieurs, la situation apparaît tellement grave, que nous avons
pu voir dans les bureaux du sénat des membres du cabinet faire appel à
notre patriotisme et nous demander de ne pas insister.
Nous n'insistons pas.
Mais nous nous retournons vers le pouvoir personnel, et nous lui
disons:
La guerre extérieure actuelle ajoutée à la crise intérieure faite par
vous crée une situation telle que, de votre aveu, l'on ne peut pas
même sonder ce qui est possible. Pourquoi alors faire cette crise?
Puisque vous avez le choix du moment, pourquoi choisir ce moment-ci?
Vous n'avez aucun reproche sérieux à faire à la chambre des députés;
le mot _radical_ appliqué à ses tendances ou à ses actes est vide de
sens. La chambre a eu le très grand tort, à mes yeux, de ne pas voter
l'amnistie; mais je ne suppose pas que ce soit là votre grief contre
elle. (_Sourires à gauche_.) La chambre des députés a poussé l'esprit
de conciliation et de consentement jusqu'à partager avec le sénat son
privilége en matière d'impôts, c'est-à-dire qu'elle a fait en France
plus de concessions au sénat que la chambre des communes n'en fait
en Angleterre à la chambre des lords. (_A gauche: C'est vrai_!) La
chambre des députés, à part les turbulences de la droite, est modérée,
parlementaire et patriote; seulement il y a entre elle, chambre
nationale, et vous, pouvoir personnel, incompatibilité d'humeur; vous
avez, à ce qu'il parait, des théories politiques qui font mauvais
ménage avec les théories politiques de la chambre des députés, et
vous voulez divorcer. Soit. Mais il n'y a là aucune urgence. Pourquoi
prendre l'heure la plus périlleuse? Dissoudre la chambre en ce moment,
c'est désarmer la France. (_Mouvement_.) Pourquoi ne pas attendre que
le conflit européen soit apaisé? Quand la situation sera redevenue
calme, si votre incompatibilité d'humeur ne s'est pas dissipée,
si vous persistez dans votre fantaisie théorique, vous nous en
reparlerez, et, puisque nous sommes ce qu'en Angleterre on appelle la
cour des divorces, nous aviserons. Nous choisirons entre la chambre et
vous. Mais rien ne presse, attendez. En ce moment, soyons prudents, et
n'ajoutons pas, de gaieté de coeur, à la complication extérieure, déjà
très redoutable, une complication intérieure plus redoutable encore.
(_Très bien! très bien! à gauche_.)
Nous disons cela, qui est sage.
Messieurs, une chose me frappe, et je dois la dire: c'est qu'en ce
moment, dans l'heure critique où nous sommes, l'esprit de gouvernement
est de ce côté (_montrant la gauche_), et l'esprit de révolution est
du côté opposé (_montrant la droite_). (_C'est vrai! c'est vrai! à
gauche_).
En effet, que veut-on de ce côté, du côté républicain?
Le maintien de ce qui est, l'amélioration lente et sage des
institutions, le progrès pas à pas, aucune secousse, aucune violence,
le suffrage universel, c'est-à-dire la paix entre les opinions, et
l'Exposition universelle, c'est-à-dire la paix entre les nations. Et
qu'est-ce que cet ensemble de bonnes volontés tournées vers le bien?
Messieurs, c'est l'esprit de gouvernement. (_Applaudissements à
gauche_.)
Et du côté opposé, du côté monarchique, que veut-on?
Le renversement de la république, la paix publique livrée à la
compétition de trois monarchies, le parti pris pour le pape contre
notre alliée l'Italie, la partialité pour un culte allant jusqu'à
l'acceptation d'une guerre religieuse éventuelle (_Dénégations à
droite.--A gauche: Oui! oui!_), et cela à une époque où la France
ne peut et ne doit faire que des guerres patriotiques, le suffrage
universel discuté, la force rompant l'équilibre de la loi et du
droit, la négation de notre législation civile par la revendication
catholique; en un mot, une effrayante remise en question de toutes les
solutions sur lesquelles repose la société moderne. (_Applaudissements
répétés à gauche_.) Qu'est-ce que tout cela, messieurs? c'est l'esprit
de révolution. (_Oui! oui!--Applaudissements_.)
J'avais donc raison de le dire: oui, à cette heure, l'esprit de
gouvernement est dans l'opposition, et l'esprit de révolution est dans
le gouvernement!
Qu'est-ce que la dissolution?
C'est une révolution possible. Quelle révolution? La pire de toutes.
La révolution inconnue. (_Sensation.--Murmures à droite.--Vive adhésion,
à gauche_.)
Messieurs les sénateurs, croyez-moi. Oui, soyez le gouvernement.
Coupez court à cette tentative. Arrêtez net cette étrange insurrection
du 16 mai....
(_Réclamations à droite; cris_: A l'ordre! à l'ordre!--_Applaudissements
prolongés à gauche.--M. le président_: Les applaudissements par lesquels
on soutient l'orateur n'empêcheront pas le président de faire son devoir:
ce n'est pas assez d'avoir porté contre une partie de cette chambre des
accusations d'opinions factieuses, vous appelez un acte qui n'est pas
sorti de la légalité un acte révolutionnaire; le président s'en étonne.
--_A gauche_: Ce sont des préliminaires de révolution!--_M. Valentin_:
L'avertissement était nécessaire!--_M. le président_: Monsieur Valentin,
vous n'avez pas la parole!--_A gauche, à M. Victor Hugo_: Continuez!
--_A droite_: Que l'orateur retire le mot «insurrection»!--_A gauche,
unanimement_: Non! ne retirez rien!--_L'orateur ne retire rien et
continue_.)
Ayez, messieurs, une volonté, une grande volonté, et signifiez-la. La
France veut être rassurée. Rassurez-la. On l'ébranle. Raffermissez-la.
Vous êtes le seul pouvoir que ne domine aucun autre. Ces pouvoirs-là
finissent par avoir toute la responsabilité. La chambre relève, de
vous, vous pouvez la dissoudre; le président relève de vous, vous
pouvez le juger. Ayez le respect, je dis plus, l'effroi de votre
toute-puissance, et usez-en pour le bien. Redoutez-vous vous-mêmes, et
prenez garde à ce que vous allez faire. Des corps tels que celui-ci
sauvent ou perdent les nations.
Sauvez votre pays. (_Sensation.--Vifs applaudissements à gauche_.)
Messieurs, la logique de la situation qui nous est faite me ramène à
ce que je vous disais en commençant:
C'est aujourd'hui que la grave question des deux chambres, posée par
la constitution, va être résolue.
Deux chambres sont-elles utiles? Une seule chambre est-elle préférable?
En d'autres termes, faut-il un sénat?
Chose étrange! le gouvernement, en croyant poser la question de la
chambre des députés, a posé la question du sénat. (_Mouvement_.)
Et, chose non moins remarquable, c'est le sénat qui va la résoudre.
(_Approbation à gauche_.)
On vous propose de dissoudre une chambre. Vous pouvez vous faire cette
demande: laquelle? (_Très bien! à gauche_.)
Messieurs, j'y insiste. Il dépend aujourd'hui du sénat de pacifier la
France ou de troubler le monde.
La France est aujourd'hui désarmée en face de toutes les coalitions du
passé. Le sénat est son bouclier. La France, livrée aux aventures,
n'a plus qu'un point d'appui, un seul, le sénat. Ce point d'appui lui
manquera-t-il?
Le sénat, en votant la dissolution, compromet la tranquillité publique
et prouve qu'il est dangereux.
Le sénat, en rejetant la dissolution, rassure la patrie et prouve
qu'il est nécessaire.
Sénateurs, prouvez que vous êtes nécessaires. (_Adhésion à gauche_.)
Je me tourne vers les hommes qui en ce moment gouvernent, et je leur
dis:
Si vous obtenez la dissolution, dans trois mois le suffrage universel
vous renverra cette chambre.
La même.
Pour vous pire. Pourquoi?
Parce qu'elle sera la même. (_Sensation profonde_.)
Souvenez-vous des 221. Ce chiffre sonne comme un écho de précipice.
C'est là que Charles X est tombé. (_Sensation_.)
Le gouvernement fait cette imprudence, l'ouverture de l'inconnu.
Messieurs les sénateurs, vous refuserez la dissolution. Et ainsi
vous rassurerez la France et vous fonderez le sénat. (_Très bien! à
gauche_.)
Deux grands résultats obtenus par un seul vote.
Ce vote, la France l'attend de vous.
Messieurs, le péril de la dissolution, ce pourrait être, ou de nous
jeter avant l'heure, d'un mouvement éperdu et désordonné, dans le
progrès sans transition, et dans ces conditions-là le progrès peut
être un précipice; ou de nous ramener à ce gouffre bien autrement
redoutable, le passé. Dans le premier cas, on tombe la tête la
première; dans le second cas, on tombe à reculons. (_Applaudissements
à gauche, rires à droite_.) Ne pas tomber vaut mieux. Vous aurez la
sagesse que les ministres n'ont pas. Mais n'est-il pas étrange que le
gouvernement en soit là de nous offrir le choix entre deux abîmes!
(_Vive émotion_.)
Nous ne tomberons ni dans l'un ni dans l'autre. Votre prudence
préservera la patrie. On peut dire de la France qu'elle est
insubmersible. S'il y avait un déluge, elle serait l'arche. Oui, dans
un temps donné, la France triomphera de l'ennemi du dedans comme de
l'ennemi du dehors. Ce n'est pas une espérance que j'exprime ici,
c'est une certitude. Qu'est-ce qu'une coalition des partis contre la
souveraine réalité? Quand même un de ces partis voudrait mettre le
droit divin au-dessus du droit public, et l'autre le sabre au-dessus
du vote, et l'autre le dogme au-dessus de la raison, non, une
arrestation de civilisation en plein dix-neuvième siècle n'est pas
possible; une constitution n'est pas une gorge de montagnes où peuvent
s'embusquer des trabucaires; on ne dévalise pas la révolution
française; on ne détrousse pas le progrès humain comme on détrousse
une diligence. Nos ennemis peuvent se liguer. Soit. Leur ligue
est vaine. Au milieu de nos fluctuations et de nos orages, dans
l'obscurité de la lutte profonde, quelqu'un qu'on ne terrasse pas est
dès à présent visible et debout, c'est la loi, l'éternelle loi honnête
et juste qui sort de la conscience publique, et derrière la brume
épaisse où nous combattons il y a un victorieux, l'avenir. (_Vive
sensation.--Applaudissements à gauche_.)
Nos enfants auront cet éblouissement. Et, nous aussi, et avec plus
d'assurance que les anciens croisés, nous pouvons dire: Dieu le
veut! Non, le passé ne prévaudra pas. Eût-il la force, nous avons la
justice, et la justice est plus forte que la force. Nous sommes la
philosophie et la liberté. Non, tout le moyen âge condensé dans le
Syllabus n'aura pas raison de Voltaire; non, toute la monarchie,
fût-elle triple, et eût-elle, comme l'hydre, trois têtes, n'aura pas
raison de la république. (_Non! non! non! à gauche_.) Le peuple,
appuyé sur le droit, c'est Hercule appuyé sur la massue.
Et maintenant que la France reste en paix. Que le peuple demeure
tranquille. Pour rassurer la civilisation, Hercule au repos suffit.
Je vote contre la catastrophe.
Je refuse la dissolution.
(_Acclamation unanime et prolongée à gauche.--Les sénateurs de
gauche se lèvent, et M. Victor Hugo, en regagnant sa place, est
chaleureusement félicité par tous ses collègues.--La séance est
suspendue_.)

RÉPONSE AUX OUVRIERS LYONNAIS
La dissolution est prononcée par 349 voix contre 130.
La nation est résolue, le pouvoir est agressif. Le maréchal de
Mac-Mahon, après une revue passée le 1er juillet, adresse à l'armée un
ordre du jour, qui se termine ainsi:
«....Vous m'aiderez, j'en suis certain, à maintenir le respect de
l'autorité et des lois dans l'exercice de la mission qui m'a été
confiée, et que je remplirai jusqu'au bout.»
Une adresse de remerciement à Victor Hugo pour le discours sur les
ouvriers lyonnais avait été votée par le comité d'initiative de
Perrache, et envoyée, le 14 juillet, dans un album splendidement
relié, contenant les noms de tous les signataires et portant sur la
couverture: LA DÉMOCRATIE LYONNAISE A VICTOR HUGO.
Victor Hugo répond:
Paris, 19 juillet 1877.
Mes chers et vaillants concitoyens,
Je reçois avec émotion votre envoi magnifique. J'avais déjà eu un
bonheur, faire mon devoir, et le faire pour vous. Ce bonheur, vous le
complétez. Je vous remercie.
Je continuerai; vous vous appuierez sur moi et je m'appuierai sur
vous.
L'heure actuelle est menaçante; le temps des épreuves va recommencer
peut-être. Ce que nous avons déjà fait, nous le ferons encore. Nous
aussi, nous irons _jusqu'au bout_.
On nous fait, bien malgré nous, hélas! une situation périlleuse.
Puisqu'il le faut, nous l'acceptons. Quant à moi, je ne reculerai
devant aucune des conséquences du devoir. Sortir de l'exil donne le
droit d'y rentrer. Quant au sacrifice de la vie, il est peu de chose à
côté du sacrifice de la patrie.
Mais ne craignons rien. Nous avons pour nous, citoyens libres de la
France libre, la force des choses à laquelle s'ajoute la force des
idées. Ce sont là les deux courants suprêmes de la civilisation.
Aucun doute sur l'avenir n'est possible. La vérité, la raison et la
justice vaincront, et du misérable conflit actuel sortira, par la
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