Actes et Paroles, Volume 4 - 16

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donc faire à cette place d'où je m'adresse à vous? Et celui qui vient
de m'y précéder, et ceux qui m'y suivront, et moi-même? Ajouter une
feuille à la couronne de laurier que depuis si longtemps le monde a
tressée pour le Maître, glorifier la gloire elle-même, illustrer cette
illustration universelle et déjà presque séculaire, qui pourrait y
songer, qui oserait le dire?
Nous, nous venons tout simplement, modestement, humblement, je ne
crains pas de le dire, payer à celui qui n'est plus la dette énorme
de notre reconnaissance. Et vous, modernes poètes, modernes écrivains
dont il fut le vaillant pionnier, pour qui il ouvrit des voies
nouvelles, à qui il fit entrevoir un immense horizon, et qui vous
élevâtes dans un généreux essor, emportés sur les ailes de son
inspiration; et vous, représentants du Parlement et des Académies,
qui dûtes tant de gloire à sa vaillante éloquence, aux oeuvres de son
grand esprit; et vous tous patriotes qui m'écoutez, qui n'avez pas
oublié la grandeur de celui qui porta si haut l'honneur de la France.
Entre tous, la dette reste immense, pour ceux-là surtout qui m'ont
fait l'honneur de m'autoriser à parler ici en leur nom: les proscrits
de 1851. Des proscrits de tous les temps, de toutes les heures
douloureuses, comme de ceux-là, Victor Hugo fut en effet le champion
traditionnel.
Enfant, il avait vu sa mère recueillir dans la maison paternelle ceux
du premier empire. Jeune homme, dans son modeste gîte, il offrait un
asile à ceux de la Restauration. Sous la monarchie de Juillet, il
disputait victorieusement à l'échafaud la tête de notre cher Barbès.
Et plus tard, s'il ne sauvait pas la tête de John Brown, du moins en
la défendant il rendait la victime immortelle et flétrissait à jamais
les défenseurs de l'esclavage sanglant.
Quand vint notre tour, quand, le coeur saignant de nos misères et
de celles de la France, il nous fallut quitter cette patrie qu'on
n'emporte pas, a dit un grand homme, à la semelle de ses souliers,
alors que quelques coeurs navrés s'abandonnaient au désespoir, quelle
joie d'avoir à nos côtés le maître, de le sentir à la fois notre
compagnon et le chef de notre phalange!
Dans l'obscurité profonde qui nous enveloppait, il brillait comme un
phare. Il était le soleil où nous nous réchauffions. Par lui, on se
sentait éclairé, guidé, protégé! Protégé, semblait-il, contre tous les
périls, mais protégé certainement contre le plus grand de tous, contre
les odieuses calomnies, contre les infamies qu'à flots on déversait
sur nous. Ne nous suffisait-il pas, en effet, pour nous laver, de
pouvoir affirmer, de dire: «Nous sommes du parti de Victor Hugo; nous
sommes ses complices; nous sommes ses amis!»
Oui, tu nous protégeas et tu nous vengeas, maître! Et en nous
protégeant, tu protégeais, tu vengeais, tu sauvais, plus grands, plus
précieux que nous, ces proscrits de tous les temps funestes, le droit,
la liberté, dont nous n'étions que les soldats.
Quelle ivresse parmi nous et pour toutes les âmes où vivait encore
leur amour, quand de sa plume, formidable Euménide, sortit et
traversa, comme un éclair, le monde, cette histoire de _Napoléon le
Petit_, écrite avec le burin de Tacite; lorsque, plus tard, semblables
aux anathèmes antiques, le suivaient les _Châtiments_, cette coulée
poétique colossale, épique, grandiose parfois, on l'a dit, grimaçante
comme une charge de Callot, où se mêlaient dans une alliance sublime
le terrible et le grotesque, la poignante ironie et l'inépuisable
colère.
Ah! ces oeuvres sublimes, filles de la vertu indignée, de la justice
implacable, et ces discours passionnés, prononcés sur la tombe de
chacun des martyrs du Deux-Décembre, et ces _Misérables_, et cette
_Légende des Siècles_, revendication solennelle et plus large encore
au profit de toutes les misères, contre toutes les tyrannies de tous
les pays, de tous les temps, nous les réclamons comme nôtres, nous
compagnons de l'exil de Hugo, solidaires de ses indignations, victimes
des persécutions qui le frappaient!
Elles ont été faites, en même temps que de son génie, du spectacle de
nos souffrances, de celles de nos proches, de la vue de notre sang,
voire du grondement de nos indignations.
Écrivains illustres de notre pays, vaillants des grandes batailles
littéraires du maître, mettez dans votre lot toutes les autres sorties
de sa plume, mais ne nous disputez pas celles-là, n'y touchez pas,
elles sont dans le nôtre, encore une fois, elles nous appartiennent,
et ce sont les plus belles!....
Quel réconfort nous y avons trouvé! Et quel sentiment du devoir dans
l'exemple de ce stoïque. Résigné à la solitude, renonçant à cette cour
d'esprits d'élite, que faisait autour de lui, dans son pays, tout ce
qu'avaient la France et l'Europe de plus illustre, seul sur son roc,
au milieu de l'océan, impassible et inflexible, attendant que l'heure
de la justice et de la réparation vint.
Ce roc, comme celui de Sainte-Hélène, il était chaque jour battu par
le flot monotone, attristé par le mugissement de la vague tempétueuse;
mais tandis que, de là où vécut ses derniers jours et mourut un tyran,
ne vinrent que des souvenirs sinistres d'iniquité, de sang partout
répandu, l'écho de rancunes furieuses et d'impuissantes colères,--de
Hauteville-House partaient, pour courir à travers le monde, de nobles
appels à la révolte contre l'oppression, de hautes leçons de sagesse,
des paroles d'espérance, avec les plus nobles conseils, les plus
généreux exemples!
Nous en retrouvons le reflet et l'écho dans le discours superbe que,
sur la tombe d'un autre grand homme dont le nom est lié au sien et par
le malheur et par la grandeur du génie, Edgar Quinet, Hugo prononçait
il y a quelques années.
Pour faire dignement l'oraison funèbre de Hugo il eût fallu Hugo
lui-même. C'est lui, qui en célébrant la gloire d'un de ses pairs,
nous dira quelle fut sa propre gloire.
«Il ne suffit pas, disait-il en 1876 au cimetière Montparnasse, de
faire une oeuvre, il faut en faire la preuve. L'oeuvre est faite par
l'écrivain, la preuve est faite par l'homme. La preuve d'une oeuvre,
c'est la souffrance acceptée.»
Comme il l'acceptait, lui! Comme il s'offrait à elle en holocauste
avec ardeur, et comme il la faisait accepter à tous qui, en le voyant
invincible, invulnérable presque à la douleur, ne songeaient plus à se
plaindre, oubliant même qu’ils souffraient!
Par sa sympathie, il les consolait. Par ses encouragements, il les
élevait au dessus d'eux-mêmes.
Qui ne se fut senti fier et presque heureux d'être proscrit quand,
des hauteurs d'où il planait, il laissait tomber ces paroles que nous
retrouvons plus tard encore sur ses lèvres devant la tombe glorieuse
dont je parlais tout à l'heure: «Il y a de l'élection dans la
proscription. Être proscrit, c'est être choisi par le crime pour
représenter le droit. Le crime se connaît en vertus. Le proscrit est
l'élu du maudit.
«Il semble que le maudit lui dise: sois mon contraire.»
Qui eût voulu sortir du bataillon ainsi sanctifié? Qui aurait pu
songer à être infidèle à l'infortune et à l'exil, quand, parlant des
exilés, il disait dans un de ses vers immortels, gravé aujourd'hui
dans toutes les mémoires, que, «s'il n'en restait qu'un, il serait
celui-là.»
Pour les faibles, pour les découragés, il affirmait pourtant la
victoire future et sûrement prochaine, avec la certitude, avec
l'autorité du _vates_, du poète prophète.
Elle vint, o proscrits! au milieu de quelles douleurs et de quels
désastres, hélas! Nous nous en souvenons, sans pouvoir l'oublier!
Et pourtant, au milieu de ces désastres, quand, sous le coup de ses
angoisses, Paris apprit le retour de son poète, de son orateur, de son
vaillant, tout entier il se leva, joyeux une heure, pour le recevoir.
Il lui fit fête dans le deuil, tant il lui semblait qu'en franchissant
nos murs Victor Hugo y conduisait avec lui la force invincible et la
victoire assurée.
Avec la même unanimité, pénétré d'une émotion plus forte encore, Paris
pleure aujourd'hui. Sur quoi? sur la fin de cette existence qu'avec
admiration nous avons vue se dérouler? sur le sort de celui qui mourut
plein de jours et comblé de gloire? Non; ne le croyez pas! Mais sur
lui-même, sur le monde à jamais privé de cette grande lumière.
Quand de telles morts viennent nous attrister, ce n'est pas en effet
la tombe qui semble noire. De ses profondeurs un rayonnement jaillit
qui l'illumine. C'est nous tous, ce sont les vivants qui comme
enveloppés dans un crêpe de deuil se sentent dans les ténèbres. Nous
pleurons comme pleure l'orphelin, qui, éperdu, verse moins des larmes
sur sa mère que sur l'appui tutélaire, sur la protection sans égale
qui vient à lui manquer.
Lui, le Maître, jusqu'au dernier instant, jusqu'à son dernier souffle,
il souriait à la mort; mieux encore, se sentant immortel, il n'y
pouvait pas croire. Il voyait au delà la continuation de sa puissante
vitalité, devenue plus puissante encore.
Ici bas, à l'heure où se fermaient ses yeux, il pressentait sans
doute, avec l'amour de tout ce grand peuple entourant son cercueil,
ce temple devant lequel nous sommes, trop longtemps ravi au culte des
grands hommes, à celui de la patrie, reconquis par lui, s'ouvrant
à deux battants pour le recevoir, sans souci des quelques clameurs
vaines qui essayaient de troubler le triomphe, sans souci des
accusations inouïes de profanation, comme si le contact du génie
pouvait jamais profaner!
En d'autre temps, parlant de cet autre édifice où d'autres honneurs
viennent de lui être rendus tout à l'heure, de la grandeur que donne
à la pierre le temps écoulé, de la majesté que lui prête l'usure des
ans, il avait dit:
La vieillesse couronne et la ruine achève,
Il faut à l'édifice un passé dont on rêve.
Ce qui est vrai de la pierre, l'est des hommes, chers concitoyens. Nul
n'eut rêvé, pour couronner une si admirable vie, une aussi glorieuse
vieillesse. La mort vient de les compléter. Pour Victor Hugo le passé
a commencé tout à l'heure et, dans le rêve, nous pouvons le voir
entouré de Barbès, dont il prolongea la vie, de Ledru-Rollin dont la
mâle éloquence ne put qu'égaler celle du grand poète, d'Edgar Quinet,
du grand Edgar Quinet, cet autre génie qu'on peut célébrer, sans qu'il
pâlisse, à côté de celui du maître, et de Louis Blanc, qu'il aimait
d'une tendresse fraternelle et qui le payait d'un retour presque
filial. Pléiade illustre qui tressaille de joie en se sentant
complète.
Nous seuls sommes en deuil. Élevons-nous à la hauteur de toutes ces
âmes héroïques, de celle qui vient de se séparer de nous. Déchirons
nos crêpes. Cessons de pleurer sur la mort devant l'immortalité.
Ce que nous devons au Maître, ce ne sont pas des larmes, c'est le
souvenir intime de ses oeuvres, de ses exemples, germe fécond de
nouveaux dévouements, de nouvelles grandeurs, de nouvelles gloires
pour le monde.

DISCOURS DE M. GUILLAUME
AU NOM DE LA SOCIÉTÉ DES ARTISTES FRANÇAIS.

Messieurs,
Le grand poète dont nous portons le deuil fut un artiste incomparable:
les artistes français ne pouvaient manquer de s'associer à l'hommage
solennel qui lui est rendu. Eux aussi se font gloire d'appartenir à la
famille intellectuelle de Victor Hugo; car, si ce vaste génie a résumé
les pensées et les aspirations de son temps, s'il a évoqué les siècles
passés et jeté sur l'avenir un regard prophétique, en même temps il a
donné, dans son oeuvre, une idée frappante de tous les arts. En lui
l'Art est intimement uni à la Poésie.
Il y a, en effet, entre ces deux modes de l'inspiration, une étroite
affinité. Féconde en images expressives, la poésie crée dans le champ
de l'imagination des représentations pleines de vie. Sans doute elle
ne façonne point les matériaux qui assurent aux idées une forme
sensible; chez elle c'est l'esprit seul qui s'adresse à l'esprit. Mais
elle est capable de donner aux objets qu'elle fait naître un caractère
de détermination qui les égale à des images peintes ou sculptées.
Alors ces objets nous apparaissent avec une sorte de réalité. On
croit les voir et ils restent sous le regard intérieur comme s'ils
existaient en dehors de nous.
Victor Hugo, entre tous les poètes et à l'égal des plus grands, a eu
le rare privilège de susciter les illusions plastiques. Que d'exemples
n'a-t-il pas donnés de ce pouvoir prestigieux! N'avait-il pas en lui
le génie d'un grand architecte et d'un voyant alors que, dans les
_Orientales_, il a décrit les villes maudites que le feu du ciel va
dévorer? L'archéologie n'a rien à reprendre à cette création qui
devança de beaucoup les découvertes de la science. Hugo avait la
divination du poète. Dès ses débuts n'avait-il pas évoqué le moyen
âge dans les _Odes et Ballades_, comme il le fit plus tard dans
_Notre-Dame de Paris_? Admirateur passionné et juste de notre
architecture nationale, il l'a relevée dans l'opinion et a préparé
l'action des services publics destinés à la protéger.
Quel sculpteur a taillé, a ciselé avec plus d'énergie et de précision
l'image des héros et des dieux, la figure des nations, l'effigie
des hommes? Quelques mots, et c'est assez pour rendre visible tel
phénomène de la forme que plusieurs ouvrages du ciseau suffiraient
à peine à faire comprendre. Qui ne se rappelle les trois vers dans
lesquels il a représenté l'évolution du masque de Napoléon. Exacte
observation, vérité historique, sentiment de l'art, tout s'y trouve
réuni. Les possibilités de la statuaire y sont atteintes et dépassées.
Combien d'autres images sont sorties de sa pensée, les unes comme
détachées d'un bloc de granit, les autres comme jetées en bronze, et
cela dans une strophe qui étonne l'esprit et, pour ainsi dire, le
regard.
Est-ce la variété, est-ce la richesse des formes et du coloris qui
font défaut à ce peintre sans égal? Ceux qui ont lu dans la _Légende
des Siècles_, la pièce intitulée le Satyre, ne sont-ils pas restés, en
quittant le livre, comme éblouis et enivrés de couleur et de lumière?
Et puis, cette étude ardente de la nature poussée jusque dans ses
profondeurs, ce travail du poète qui suit les mêmes voies que la
science, quel exemple et quel enseignement pour l'avenir et pour
nous-mêmes!
Que dirai-je de l'harmonie qui déborde de ses poèmes, de coupe et
de mouvement si divers. Le rythme suit toujours le sentiment. Il
accompagne la pensée, tantôt grave ou léger, tantôt vif ou plein de
langueur; tantôt soutenu comme pour quelque symphonie de la nature;
tantôt brisé comme pour un dialogue ou une plainte; tantôt solennel
comme il convient à la méditation philosophique. Quelle musique que
cette poésie! et combien, même sans tenir compte des mots, elle berce
ou exalte l'âme qui s'abandonne au cours mélodieux de la rime et des
sons!
Ah! oui, Victor Hugo est un grand artiste, un artiste complet, le plus
grand du siècle. Dans son oeuvre il a reconstitué l'unité de l'art,
cette unité qui n'existe que dans les antiques épopées. Il a le
sentiment de toutes les activités humaines: elles vibrent en lui; il
en est l'interprète ardent. Artiste, il l'est aussi le crayon à la
main: ses dessins sont inimitables. Mais sa gloire, comme celle des
poètes les plus sublimes, est de nous inspirer. Son oeuvre, comme
l'oeuvre d'Homère et de Dante, est une école. Il en sortira des
ouvrages grandioses, car l'admiration est féconde. Un vers d'Homère
avait donné à Phidias l'idée du Jupiter Olympien. Nos sculpteurs
pourront tirer des vers de Victor Hugo de nobles figures, dignes des
matériaux les plus précieux ... Je vois sur son tombeau les images des
plus nobles inspirations de son génie: les statues de la Justice et de
la Pitié.
Aucunes funérailles n'ont été plus magnifiques, plus imposantes, plus
triomphales. Nous avons eu au milieu de nous un génie sans égal.
Honneur à lui! Honneur au poète qui a donné à ses oeuvres un caractère
d'universalité!
Gloire au maître souverain de l'idée et de la forme, à celui qui a
identifié avec la poésie la représentation intellectuelle de tous les
arts!
Les artistes français déposent sur le cercueil de Victor Hugo un
laurier d'or en ce jour mémorable consacré à son apothéose.

DISCOURS DE M. DELCAMBRE
AU NOM DE L'ASSOCIATION DES ÉTUDIANTS DE PARIS.

Après les contemporains de Victor Hugo, nous venons--nous la postérité
--affirmer la même admiration et le même amour. Nous venons, avec
toutes les générations du siècle, pleurer celui qui fut et restera
notre maître à tous. Nous n'avons pas vu grandir son génie, mais nous
l'avons vu triompher, et nous avons applaudi au triomphe. Pour tous
les jeunes hommes, il a été l'initiateur et le bon guide. Ceux
qui vivaient loin de lui trouvaient dans ses oeuvres la parole
révélatrice, ceux qui l'approchaient comprenaient combien notre époque
eut raison de l'appeler le Père.
Tant de génie et de bonté méritent un long amour et une éternelle
reconnaissance; c'est pourquoi nous apportons à Victor Hugo, très
grand et très bon, des larmes avec des fleurs, prémices d'un culte qui
ne périra pas.

DISCOURS DE M. TULLO MASSARONI
SÉNATEUR DU ROYAUME D'ITALIE.

Messieurs,
Après les voix si éloquentes que vous venez d'entendre, c'est à peine
si j'ose, moi étranger, parler près de cette tombe. Si je l'ose, c'est
que ma voix, quelque faible qu'elle soit, est l'écho de l'âme de tout
un peuple s'associant à votre douleur.
Là où est le deuil de la France, la pensée humaine est en deuil. Et ce
deuil de la pensée, ces angoisses de l'esprit assoiffé de vérité, de
poésie et d'amour, et sevré tout à coup de la coupe d'or où il puisait
à grands traits sa triple vie, quel peuple les ressentirait jusqu'au
fond de l'âme si ce n'est le peuple italien, qui, pendant des siècles
de souffrance et de lutte, n'a résisté que par l'esprit, ne s'est
senti vivre que par la pensée?
Aussi, messieurs, ayant l'honneur de porter ici la parole au nom des
écrivains, des artistes et des amis de l'enseignement populaire dans
mon pays, puis-je sans hésitation vous affirmer que je parle au nom de
mon pays même.
Victor Hugo a été de ceux auxquels les siècles parlent, et qui
écoutent le lendemain germer et croître sous terre; il s'est pris
corps à corps avec les iniquités et les haines du passé, et il les
a terrassées; il a deviné, au milieu du bruissement des foules, les
vérités de l'avenir, et, de ses bras d'athlète, il les a élevées sur
le pavois.
Il avait avec cela toutes les charités et toutes les tendresses; et
les petits enfants et les misérables ont pu venir à lui avant
les puissants et les heureux. Jusque sur les degrés de ce temple
magnifique, où la France l'associe à toutes ses gloires, je ne
saurais oublier qu'il a voulu venir à son dernier repos, porté par le
corbillard des pauvres, afin que la poésie du coeur rayonnât encore
une fois à travers les fentes de sa bière; et je pense à Sophocle,
dont le tombeau se passa de même, d'après le voeu du poète, de
lauriers et de palmes, et ne connut que la rose et le lierre.
Aussi, Maître, ne t'ai-je offert qu'un rameau de lierre et deux roses;
mais ces feuilles et ces fleurs ont poussé en terre de France, et,
sur le seuil de l'immortalité qui s'ouvre pour toi, elles mettent les
couleurs de l'Italie.
La main dans la main, tous les peuples qui se relèvent viennent
s'incliner, Maître, devant ce tombeau.

DISCOURS DE M. LE MAT
AU NOM DE L'INSTITUT DE WASHINGTON.

C'est au nom de l'Institut national de Washington que j'ai l'insigne
honneur d'exprimer ici la douloureuse émotion ressentie d'un bout
à l'autre des États-Unis à la nouvelle de la mort de Victor Hugo,
l'homme considérable dont la perte a rempli de si unanimes regrets
l'âme du monde civilisé.

DISCOURS DE M. RAQUENI
AU NOM DES FRANCS-MAÇONS ITALIENS.

C'est au nom de la loge Michel-Ange de Florence, au nom de la
maçonnerie italienne, que je viens adresser un dernier adieu au génie
de la France, au poète de toutes les patries, de toutes les libertés,
au défenseur des faibles et des opprimés de toutes les nationalités, à
l'apôtre éloquent de toutes les nobles causes, au chantre du droit,
de la vérité et de la justice, dont la gloire rayonnera sur la monde
entier.
L'Italie tout entière porte le deuil de Victor Hugo qu'elle admirait
et vénérait. Le grand malheur qui a frappé la France et l'humanité
a prouvé une fois de plus que le coeur des peuples latins bat à
l'unisson. Ils ont en commun les joies comme les douleurs, les
sentiments, les idées, les espérances et les aspirations.
L'Italie, dans cette circonstance douloureuse, a désavoué ce qu'on
l'avait représentée, ce qu'elle n'est pas et qu'elle ne sera jamais.
Elle a montré les sentiments véritables qui l'animent à l'égard de la
France.
L'esprit de la patrie de Dante restera toujours uni à l'esprit de la
patrie de Victor Hugo.
Sur ce cercueil entouré de l'admiration universelle, jurons de
resserrer de plus en plus les liens de fraternité qui unissent la
France à l'Italie, afin de hâter la formation du faisceau latin qui
était l'idéal sublime du grand poète humanitaire. Ce sera là le plus
beau monument que nous puissions élever à la mémoire glorieuse de
l'auteur immortel de la _Légende des Siècles_.
Que le peuple français et le peuple italien, sur la tombe de leurs
génies,--Victor Hugo et Garibaldi,--se retrempent à leur mission de
paix, de civilisation et de liberté.

DISCOURS DE M. LEMONNIER AU NOM DE LA LIGUE DE LA PAIX.

Citoyennes et citoyens,
La Ligue internationale de la paix et de la liberté apporte à son
tour sur cette tombe, avec ses pieux hommages, le témoignage de sa
reconnaissance et de sa douleur.
Le 31 mai 1851, Victor Hugo prononçait à la tribune de l'Assemblée
nationale, au milieu des rires de la droite, ce mot prophétique: LES
ÉTATS-UNIS D'EUROPE.
Notre ligne a inscrit cette parole sur sa bannière.
En 1869, Victor Hugo est venu du fond de l'exil présider à Lausanne
notre troisième congrès.
Le 14 juillet 1870, il a de ses mains planté à Hauteville le chêne des
_États-Unis d'Europe_.
Victor Hugo aimait notre ligue, il suivait nos travaux, il nous
donnait ses conseils.
La Ligue n'oubliera jamais qu'elle a été fondée et guidée par Victor
Hugo.

DISCOURS DE M. BOLAND AU NOM DE GUERNESEY.

Messieurs,
Le peuple de Guernesey nous a délégués, mon estimable ami M. Frédéric,
M. Allos et moi, pour le représenter aux funérailles de l'immense
génie que quinze années de séjour à Hauteville-House ont rendu cher à
la population guernesiaise, et il a cru qu'il appartenait a l'un des
obscurs ouvriers de l'idée qui souffrent et qui luttent sur le rocher
séculaire de l'exil de dire en son nom un dernier adieu au plus
illustre de ces proscrits auxquels la terre libre de Guernesey, a
toujours offert un inviolable asile.
Je me sens bien au dessous de la tâche honorable qui m'est dévolue
et l'émotion naturelle qui nous gagne tous, messieurs, à l'heure
solennelle où l'Europe, que dis-je? l'humanité tout entière, se courbe
avec douleur devant la dépouille mortelle du plus grand poète du
dix-neuvième siècle, me rend impuissant à exprimer les sentiments de
vénération, de respect et d'amour du peuple de Guernesey pour ce grand
mort.
Permettez-moi, sans rien ôter a la France de ce qui lui appartient en
propre dans la gloire de Victor Hugo, d'en réclamer une partie pour
la petite île de Guernesey, épave normande au milieu de la Manche,
demeurée aussi française par le coeur, les moeurs, les traditions et
le langage qu'elle est politiquement attachée à l'Angleterre, dont les
souverains ont respecté à travers les siècles, en dépit de toutes les
suggestions contraires, son autonomie et ses franchises, sans lui
imposer d'autre joug qu'une suzeraineté nominale.
A Guernesey, tout en se tenant en dehors des querelles et des
compétitions locales, le Maître a attaché son nom à des labeurs
charitables et humanitaires qui ne périront point avec lui. Il faisait
le bien sans ostentation, s'efforçant d'arracher les humbles à la
détresse et les petits enfants à cette épouvantable misère morale qui
s'appelle l'ignorance.
La sainte, digne et courageuse compagne du poète, la vaillante femme
qui l'a précédé dans l'éternel repos, le seconda dans son oeuvre
paternelle avec un zèle qui lui acquit l'affection du peuple
guernesiais, et le nom de Madame Victor Hugo sera toujours confondu
dans l'archipel avec celui de son mari dans une même pensée de
reconnaissance émue et de respectueuse admiration.
Lorsque l'illustre Maître dédia, au plus fort des douleurs d'un long
exil, les _Travailleurs de la mer_ à la vieille terre normande dont
l'éternel honneur sera de lui avoir donné l'hospitalité, il avait le
pressentiment d'une fin prochaine, et il appelait Guernesey: «Mon
asile actuel, mon tombeau probable».
Le suprême arbitre de nos destinées à tous, Dieu, que ce grand esprit
proclame sans cesse et dont il eut la constante et éblouissante
vision, n'a pas voulu que cette prophétie se réalisât; les portes de
la France se sont rouvertes pour Victor Hugo, et il est mort dans ce
Paris qu'il a tant aimé et qui le lui rendait avec usure, témoin
cet hommage sans précédent de la capitale du monde, cette douleur
populaire, ce deuil général, qui constituent un spectacle consolant et
unique et réhabiliteront aux yeux de l'étranger ce grand Paris tant
calomnié et pourtant si patriotique et si jaloux de ses gloires.
Que Paris garde ta dépouille mortelle, ô Maître, Guernesey conservera
précieusement ta mémoire et, longtemps après que nous ne serons
plus, ses enfants se découvriront devant cette sombre demeure
de Hauteville-House, que tu as immortalisée et qui deviendra le
pèlerinage obligé des littérateurs et des poètes de toutes les
nations.
Victor Hugo, au nom du peuple de Guernesey, je te dis adieu!

DISCOURS DE M. EM. ÉDOUARD AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI.

Elle peut être fière, elle peut s'enorgueillir, la nation qui nous
donne le majestueux spectacle que nous avons aujourd'hui sous les
yeux.
Ils ont menti ceux qui, il y a quelques années, à propos de la France,
après une crise terrible subie par ce pays, ont prononcé le mot de
décadence; la France est bien debout!
Presque tous les peuples civilisés, librement, spontanément, ont
envoyé ici des délégations. Athènes, Rome, n'ont jamais été le théâtre
d'une si imposante solennité. Paris dépasse Athènes et Rome!
Je représente ici la délégation de la république d'Haïti. La
république d'Haïti a le droit de parler au nom de la race noire; la
race noire, par mon organe, remercie Victor Hugo de l'avoir beaucoup
aimée et honorée, de l'avoir raffermie et consolée.
La race noire salue Victor Hugo et la grande nation française.


PARIS
1867

I
L'AVENIR

Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cette
nation sera grande, ce qui ne l'empêchera pas d'être libre. Elle sera
illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l'humanité.
Elle aura la gravité douce d'une aînée. Elle s'étonnera de la gloire
des projectiles coniques, et elle aura quelque peine à faire la
différence entre un général d'armée et un boucher; la pourpre de l'un
ne lui semblera pas très distincte du rouge de l'autre. Une bataille
entre italiens et allemands, entre anglais et russes, entre prussiens
et français, lui apparaîtra comme nous apparaît une bataille entre
picards et bourguignons. Elle considérera le gaspillage du sang humain
comme inutile. Elle n'éprouvera que médiocrement l'admiration d'un
gros chiffre d'hommes tués. Le haussement d'épaules que nous avons
devant l'inquisition, elle l'aura devant la guerre. Elle regardera
le champ de bataille de Sadowa de l'air dont nous regarderions le
quemadero de Séville. Elle trouvera bête cette oscillation de
la victoire aboutissant invariablement à de funèbres remises en
équilibre, et Austerlitz toujours soldé par Waterloo. Elle aura pour
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