Actes et Paroles, Volume 4 - 07

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L'exil, le noir exil l'emporta dans sa serre
Et le laissa, pensif, au bord des sombres mers.
Il méditait, privé de la douce patrie;
Et, lui que cette France avait vu triomphant,
Il ne pouvait plus même, en son idolâtrie,
S'agenouiller dans l'herbe où dormait son enfant!
A ses côtés pourtant, invisible et farouche,
Némésis, au courroux redoutable et serein,
Épouvantant les flots du souffle de sa bouche,
Crispait ses doigts sanglants sur la lyre d'airain
Mais, le jour où la Guerre entoura nos murailles,
Où le vaillant Paris, agonisant enfin,
Succombait et sentait le vide en ses entrailles,
Il revint, il voulut comme nous avoir faim!
Quand sur nous le Carnage enfla son aile noire,
Quand Paris désolé, grand comme un Ilion,
Proie auguste, servit de pâture à l'histoire,
On revit parmi nous sa face de lion.
Et puis enfin l'aurore éclata sur nos cimes!
Le rêve affreux s'enfuit, par le vent emporté,
Et, frémissante encor, de nouveau nous revîmes
Fleurir la poésie avec la liberté.
Et ce fut une joie immense, un pur délire,
Et sur la scène, hier morne et déserte, hélas!
Reparurent divins, avec leur chant de lyre,
Hernani, Marion de Lorme, et toi, Ruy Blas!
Et nous-mêmes, dont l'âme à la Muse se livre,
Apportant nos efforts, nos coeurs, nos humbles voix,
Nous avons évoqué le drame et le grand livre
Que tu viens d'applaudir pour la centième fois.
O peuple, que la foi, la vertu, la bravoure,
Charment, quand ton Orphée, avec ses rimes d'or,
Te prodigue l'ivresse adorable, savoure
Cette ambroisie, et toi, poète, chante encor!
Homère d'un héros vivant, plus grand qu'Achille,
Sous le tragique azur empli d'astres et d'yeux,
Chante! et console encor ton Prométhée, Eschyle,
Sur le rocher sanglant où l'insultent les dieux!
Parle! toi qui toujours soutenant ce qui penche,
Opposas la Justice à la Fatalité,
Toi qui sous le laurier lèves ta tête blanche,
Génie entré vivant dans l'immortalité!
Une demi-heure après, la fête était au Grand-Hôtel, où un souper
réunissait les artistes et les représentants de la presse théâtrale,
sans distinction d'opinion.
Au dessert, le directeur du théâtre des Nations, M. Bertrand, a
remercié en paroles émues l'auteur de _Notre-Dame de Paris_.
Mme Laurent a dû redire les vers de Théodore de Banville.
Alors Victor Hugo s'est levé et a dit:
Je ne dirai que peu de mots.
Tous les remerciements, c'est moi qui les dois. Je ne suis pas
l'auteur du drame, je ne suis que l'auteur du livre.
Mon âge accepte; l'acceptation est une forme de la déférence. Cette
grande poésie qu'on vient d'entendre, cette affection dont on m'a
donné tant d'éloquents témoignages, j'accepte tout, et je m'incline.
Mais acceptez aussi mon émotion et ma reconnaissance. Je les offre à
votre cordialité, messieurs; je les dépose à vos pieds, mesdames.
Je rends à mon admirable ami Paul Meurice ce qui lui est dû.
Chers confrères, chers auxiliaires, donnons à tout ce qui est en
dehors de nous le spectacle utile et doux de notre union profonde.
Cela apaise les colères de voir des sourires.
Qu'au-dessus et au delà des discussions religieuses et des haines
politiques on sente notre intime fraternité littéraire. Nous faisons
de la civilisation.
Il existe une tradition, la plus antique de toutes, ce n'est pas ici
le lieu de la critiquer, mais, dans tous les cas, cette tradition est
un beau symbole, la voici: _Le Verbe a créé le monde_. Eh bien, s'il
est vrai, comme on l'a dit, et comme je le crois, que Dieu et le
Peuple soient d'accord, la littérature est le verbe du peuple.
Insistons-y, c'est la littérature qui fait les nations grandes. Trois
villes, seules dans l'histoire, ont mérité ce nom: _urbs_, qui semble
résumer la totalité de l'esprit humain à un moment donné. Ces trois
villes sont: Athènes, Rome, Paris. Eh bien, c'est par Homère et
Eschyle qu'Athènes existe, c'est par Tacite et Juvénal que Rome
domine, c'est par Rabelais, Molière et Voltaire que Paris règne. Toute
l'Italie s'exprime par ce mot: Dante. Toute l'Angleterre s'exprime par
ce mot: Shakespeare. Saluons ces résultats superbes; ce que le verbe
a commencé, la littérature le continue. Après le fait créateur,
constatons le fait civilisateur.
Je bois à la santé de vous tous, c'est-à-dire je bois à la littérature
française.


1880


I
LE CINQUANTENAIRE D'HERNANI
--26 FÉVRIER--

Extrait du _Rappel:_
Nous sortons d'un banquet dont se souviendront longtemps tous ceux qui
ont eu l'honneur et le bonheur d'y assister.
On rendait à Victor Hugo, à l'occasion du soixante-dix-huitième
anniversaire de sa naissance et du cinquantenaire d'_Hernani_, le
dîner qu'il avait donné à la centième représentation de la dernière
reprise du chef-d'oeuvre qui ne quittera plus le répertoire du
Théâtre-Français.
La plus grande salle de l'hôtel Continental était aussi pleine qu'elle
peut l'être.
Citons, au hasard de la mémoire, les noms des convives qui nous
reviennent.
Victor Hugo avait à sa droite doña Sol, Mlle Sarah Bernhardt.
La Comédie-Française était représentée par Mlle Sarah Bernhardt et par
MM. Mounet-Sully, Worms, Maubant, etc.
L'administrateur général, M. Émile Perrin, avait été retenu par un
deuil de famille.
La politique avait pour représentants: MM. Louis Blanc, Laurent
Pichat, Édouard Lockroy, Clémenceau, Georges Périn, Spuller, Emmanuel
Arago, Émile Deschanel, Camille Sée, Noël Parfait, Laisant, Henri de
Lacretelle, etc.
Le _Rappel_ y était dans la personne de MM. Auguste Vacquerie, Paul
Meurice, Ernest d'Hervilly, Ernest Blum, Émile Blémont.
Les autres journaux avaient pour les représenter MM. Francisque
Sarcey, Jourde, Isambert, Hébrard, Henri Martin, Edmond Texier, Henry
Maret, Camille Pelletan, Jules Claretie, Pierre Véron, Charles Bigot,
Edmond About, de Molinari, Louis Ulbach, Auguste Vitu, Aurélien
Scholl, Dalloz, Adolphe Michel, Escoffier, Léon Bienvenu, Charles
Monselet, Arnold Mortier, Maurice Talmeyr, Armand Gouzien, Le
Reboullet, Alexis Bouvier, Louis Leroy, Charles Canivet, Édouard
Fournier, Stoullig, Paul Foucher, Clément Caraguel, Mayer, Bonboure,
Gaston Bérardi, Dumont, Paul Démény, Jean Walter, Achille Denis, Henri
Salles, Eugène Montrosier, Raoul Toché, Renaut, René de Pontjest,
Émile Abraham, A. Spoll, etc.
Nous n'avons garde d'oublier MM. Émile Augier, Paul de Saint-Victor,
Théodore de Banville, François Coppée, Alphonse Daudet, Henri de
Bornier, Arsène et Henri Houssaye, Édouard Thierry, Calmann Lévy, A.
Quantin, Lemerre, Méaulle, Jacques Normand, Voillemot, Catulle Mendès,
Hetzel, Carjat, Eugène Ritt, Paul Deroulède, le comte d'Ideville, le
prince Lubomirsky, Pierre Elzéar, Jean Aicard, Benjamin Constant,
Alfred Gassier, Philippe Burty, Émile Allix, Lecanu, Paul Viguier,
Édouard Blau, E. Wittmann, Moreau-Châlon, Léon Bocher, Georges Peyrat,
de Reinach, Gustave Rivet, Paul Bourdon, Clovis Hugues, Alfred Talon,
Adolfo Calzado, Bertie Marriott, Crawford, Alphonse Duchemin, Duret,
Campbell-Clarke, Mme Edmond Adam.
En face de Victor Hugo était son petit-fils Georges, avec Pierre
et Jacques Lefèvre, les deux fils d'Ernest Lefèvre et les deux
petits-neveux d'Auguste Vacquerie.
Au dessert, M. Émile Augier s'est levé et a prononcé le toast suivant:
Cher et glorieux maître,
Combien, parmi ceux qui vous offrent cette fête, combien n'avaient
pas atteint l'âge d'homme, combien même n'étaient pas nés le jour
où éclatait sur la scène française l'oeuvre immortelle dont nous
célébrons aujourd'hui le cinquantième anniversaire.
Les premiers artistes qui ont eu l'honneur de l'interpréter ont
tous disparu; ils ont été deux fois et brillamment remplacés; les
générations se sont succédé, les gouvernements sont tombés, les
révolutions se sont multipliées; l'oeuvre a survécu à tout et à tous,
de plus en plus acclamée, de plus en plus jeune....
Et il semble qu'elle ait communiqué au poète quelque chose de son
éternelle jeunesse! Le temps n'a pas pas de prise sur vous, cher
maître; vous ne connaissez pas de déclin; vous traversez tous les âges
de la vie sans sortir de l'âge viril; l'imperturbable fécondité de
votre génie, depuis un demi-siècle et plus, a couvert le monde de sa
marée toujours montante; les résistances furieuses de la première
heure, les aigres rébellions de la seconde se sont fondues dans une
admiration universelle; les derniers réfractaires sont rentrés au
giron; et vous donnez aujourd'hui ce rare et magnifique spectacle d'un
grand homme assistant à sa propre apothéose et conduisant lui-même le
char du triomphe définitif que ne poursuit plus l'insulteur.
Quand La Bruyère, en pleine Académie, saluait Bossuet père de
l'Église, il parlait d'avance le langage de la postérité; vous, cher
maître, c'est la postérité même qui vous entoure ici, c'est elle qui
vous salue et vous porte ce toast:
Au père!
Il nous serait impossible de rendre l'émotion produite par ces belles
et généreuses paroles. Quand l'auteur de tant d'oeuvres applaudies, et
si justement, a si modestement et si dignement parlé des «réfractaires
rentrés au giron», il y a eu, dans l'explosion des applaudissements,
en même temps qu'une vive admiration pour l'orateur, une profonde
cordialité pour l'homme.
Le deuxième toast a été porté, au nom de la Comédie-Française, par M.
Delaunay:
Messieurs,
En l'absence du notre administrateur général, retenu par un deuil de
famille, permettez-moi, comme l'un des doyens de la compagnie, de
prendre la parole au nom de la Comédie-Française et de porter un toast
à l'hôte illustre qui a bien voulu se rendre à notre appel.
Que souhaiter à M. Victor Hugo? Il a lassé la renommée, on a épuisé
pour lui toutes les formules de la louange, il a touché à tous les
sommets. Qu'il ajoute de longues années à cette longue et prodigieuse
carrière faite de gloire et de génie! Tel doit être le seul voeu de
tous nos coeurs.
Il en est bien encore un autre! Mais j'ose à peine le formuler,
messieurs, et pourtant il aurait, j'en suis sûr, votre approbation
unanime. Aux drames merveilleux, à ces chefs-d'oeuvre qui sont dans
toutes les mémoires, le maître en a ajouté d'autres qu'il tient
secrets et qu'il dérobe à notre admiration. Qu'il entende au moins une
fois l'immense cri de joie qui saluerait l'apparition d'une nouvelle
oeuvre dramatique signée de ce nom resplendissant: _Victor Hugo!_
Voulez-vous vous unir à moi, messieurs? C'est peut-être un moment
unique et favorable pour lui demander, pour le supplier d'ouvrir, ne
fût-ce qu'une fois, la porte de son trésor.
Les applaudissements ont associé tout l'auditoire au voeu si bien
exprimé par l'éminent comédien qui a tant de titres à parler au nom de
la Comédie-Française.
Les battements de mains n'avaient pas cessé, lorsque M. Francisque
Sarcey a repris pour son compte le voeu que venaient d'exprimer M.
Delaunay par son discours et tous les assistants par leurs battements
de mains.
Nous regrettons de n'avoir pas le texte du discours de l'éminent
critique du _Temps_. Disons seulement qu'il a été spirituellement bon
enfant quand il a reconnu avoir été un de ces réfractaires dont avait
parlé Émile Augier, et qu'il a eu des paroles émues et touchantes
quand il a déclaré que sa conviction, pour avoir été tardive, n'en
était que plus raisonnée et plus inébranlable.
Après l'éloquente causerie de M. Francisque Sarcey, Mlle Sarah
Bernhardt a redit les beaux vers de François Coppée, la _Bataille
d'Hernani_, qui ont eu à l'hôtel Continental le même succès qu'ils
venaient d'avoir au Théâtre-Français.
On a acclamé ces vers si vrais:
Désormais tu confonds Chimène et doña Sol,
Et tu sais bien, alors qu'un chef-d'oeuvre se trouve,
Que Molière sourit et que Corneille approuve.
Au firmament de l'art où tu les mets tous deux,
Hugo depuis longtemps rayonne à côté d'eux.
Les applaudissements ont redoublé à ce beau vers:
Vieux chêne plein d'oiseaux, sens tressaillir tes branches!
Et à celui-ci:
Ton front marmoréen et fait pour le laurier.
Victor Hugo a pris alors la parole:
J'ai devant moi la grande presse française.
Les hommes considérables qui la représentent ici ont voulu prouver sa
concorde souveraine et montrer son indestructible unité. Vous vous
ralliez tous pour serrer la main du vieux combattant qui a commencé
avec le siècle et qui continue avec lui. Je suis profondément ému. Je
remercie.
Toutes ces grandes et nobles paroles que vous venez d'entendre
ajoutent encore à mon émotion.
Les journaux, dans ces derniers jours, ont souvent répété certaines
dates.--26 _février_ 1802, naissance de l'homme qui parle à cette
heure; 25 _février_ 1830, bataille d'_Hernani_; 26 _février_ 1880, la
date actuelle. Autrefois, il y a cinquante ans, l'homme qui vous parle
était haï; il était hué, exécré, maudit. Aujourd'hui ... aujourd'hui,
il remercie.
Quel a été, dans cette longue lutte, son grand et puissant auxiliaire?
C'est la presse française.
Messieurs, la presse française est une des maîtresses de l'esprit
humain. Sa tâche est quotidienne, son oeuvre est colossale. Elle agit
à la fois et à toute minute sur toutes les parties du monde civilisé;
ses luttes, ses querelles, ses colères se résolvent en progrès, en
harmonie et en paix. Dans ses préméditations, elle veut la vérité; par
ses polémiques, elle fait étinceler la lumière.
Je bois à la presse française, qui rend de si grands services et qui
remplit de si grands devoirs.
Les acclamations et les cris de: Vive Victor Hugo! qui avaient
interrompu plusieurs fois le grand poète populaire et national,
ont éclaté alors avec une énergie incomparable, et n'ont cessé que
lorsqu'il a fallu se lever de table pour passer dans les salons, dont
un était moins un salon qu'un jardin; M. Alphand, voulant participer
à l'hommage qu'on rendait au génie, l'avait magnifiquement et
artistement empli d'admirables fleurs.
On a complimenté les orateurs, on a causé, et ainsi s'est terminé ce
banquet, qui est plus qu'un banquet exceptionnel, qui est un banquet
unique.


II
DEUXIÈME DISCOURS POUR L'AMNISTIE
SÉANCE DU SÉNAT DU 3 JUILLET

Je ne veux dire qu'un mot.
J'ai souvent parlé de l'amnistie, et mes paroles ne sont peut-être pas
complètement effacées de vos esprits; je ne les répéterai point.
Je vous laisse vous redire à vous-mêmes ce qui a été dit, dans tous
les temps, contre l'amnistie et pour l'amnistie, dans les deux ordres
de faits, dans l'ordre politique et dans l'ordre moral.--Dans l'ordre
politique, toujours les mêmes crimes reprochés par un côté à l'autre
côté; toujours, à toutes les époques, quels que soient les accusés,
quels que soient les juges, les mêmes condamnations, sur lesquelles
on entrevoit au fond de l'ombre ce mot tranquille et sinistre: les
vainqueurs jugent les vaincus.--Dans l'ordre moral, toujours le
même gémissement, toujours la même invocation, toujours les mêmes
éloquences, irritées ou attendries, et, ce qui dépasse toute
éloquence, des femmes qui lèvent les mains au ciel, des mères qui
pleurent. (_Sensation_.)
J'appellerai seulement votre attention sur un fait.
Messieurs, le 14 juillet est la grande fête; votre vote aujourd'hui
touche à cette fête.
Cette fête est une fête populaire; voyez la joie qui rayonne sur tous
les visages, écoutez la rumeur qui sort de toutes les bouches. C'est
plus qu'une fête populaire, c'est une fête nationale; regardez
ces bannières, entendez ces acclamations. C'est plus qu'une fête
nationale, c'est une fête universelle; constatez sur tous les fronts,
anglais, hongrois, espagnols, italiens, le même enthousiasme; il n'y a
plus d'étrangers.
Messieurs, le 14 juillet, c'est la fête humaine.
Cette gloire est donnée à la France, que la grande fête française,
c'est la fête de toutes les nations.
Fête unique.
Ce jour-là, le 14 juillet, au-dessus de l'assemblée nationale,
au-dessus de Paris victorieux, s'est dressée, dans un resplendissement
suprême, une figure, plus grande que toi, Peuple, plus grande que toi,
Patrie,--l'Humanité! (_Applaudissements_.)
Oui, la chute de cette Bastille, c'était la chute de toutes les
bastilles. L'écroulement de cette citadelle, c'était l'écroulement
de toutes les tyrannies, de tous les despotismes, de toutes les
oppressions. C'était la délivrance, la mise en lumière, toute la terre
tirée de toute la nuit. C'était l'éclosion de l'homme. La destruction
de cet édifice du mal, c'était la construction de l'édifice du bien.
Ce jour-là, après un long supplice, après tant de siècles de torture,
l'immense et vénérable Humanité s'est levée, avec ses chaînes sous ses
pieds et sa couronne sur sa tête.
Le 14 juillet a marqué la fin de tous les esclavages. Ce grand effort
humain a été un effort divin. Quand on comprendra, pour employer les
mots dans leur sens absolu, que toute action humaine est une action
divine, alors tout sera dit, le monde n'aura plus qu'à marcher dans le
progrès tranquille vers l'avenir superbe.
Eh bien, messieurs, ce jour-là, on vous demande de le célébrer, cette
année, de deux façons, toutes deux augustes. Vous ne manquerez ni à
l'une ni à l'autre. Vous donnerez à l'armée le drapeau, qui exprime à
la fois la guerre glorieuse et la paix puissante, et vous donnerez à
la nation l'amnistie, qui signifie concorde, oubli, conciliation, et
qui, là-haut, dans la lumière, place au-dessus de la guerre civile la
paix civile. (_Très bien!--Bravos_.)
Oui, ce sera un double don de paix que vous ferez à ce grand pays:
le drapeau, qui exprime la fraternité du peuple et de l'armée;
l'amnistie, qui exprime la fraternité de la France et de l'humanité.
Quant à moi,--laissez-moi terminer par ce souvenir,--il y a
trente-quatre ans, je débutais à la tribune française,--à cette
tribune. Dieu permettait que mes premières paroles fussent pour
la marche en avant et pour la vérité; il permet aujourd'hui que
celles-ci,--les dernières, si je songe à mon âge, que je prononcerai
parmi vous peut-être,--soient pour la clémence et pour la justice.
(_Profonde émotion et vifs applaudissements_.)


III
L'INSTRUCTION ÉLÉMENTAIRE
--1er AOUT--

La Société pour l'instruction élémentaire (enseignement laïque),
fondée en 1814 par J.-B. Say et Carnot, distribuait, dans la salle du
Trocadéro, ses prix et récompenses, et célébrait en même temps son 65e
anniversaire.
Victor Hugo présidait. Il a prononcé, en ouvrant la séance, le
discours qui suit:
Il y a un combat qui dure encore, un combat désespéré, un combat
suprême, entre deux enseignements, l'enseignement ecclésiastique et
l'enseignement universitaire. J'ai proposé, il y a trente ans, à la
tribune de l'Assemblée législative, une solution du problème. Cette
solution, qui était la vraie, a été repoussée par la réaction, qui a
dû en partie peut-être à ce refus son désastreux triomphe.
Aujourd'hui, messieurs, je veux rester dans le calme philosophique.
Vous avez pu remarquer que, pour caractériser les deux enseignements
qui se querellent, je n'ai voulu employer que les qualificatifs dont
ils se désignent eux-mêmes: ecclésiastique, universitaire; j'ai laissé
de côté, vieux combattant, ces expressions vivement populaires dont la
polémique actuelle se sert avec tant d'éclat. Ne mettons pas de colère
dans les mots, il y a assez de colère dans les choses. L'avenir
avance, le passé résiste; la lutte est violente, les efforts sont
quelquefois excessifs; modérons-les. La certitude du triomphe se
mesure à la dignité du combat; la victoire est d'autant plus certaine
qu'elle est plus tranquille. (_Bravos_.)
Quelle fête célébrons-nous ici? La fête d'une société pour
l'enseignement élémentaire.
Qu'est-ce que cette société? Je vais tâcher de vous le dire.
Elle s'occupe peu de ce qui occupe particulièrement l'école
ecclésiastique dont je viens de vous parler; cette société est
absorbée, d'abord par ce premier art, lire et écrire, puis par
l'histoire, la géographie, la morale, la littérature, la cosmographie,
l'hygiène, l'arithmétique, la géométrie, le droit usuel, la chimie,
la physique, la musique. Pendant que l'enseignement ecclésiastique,
inquiet pour l'erreur dont il est l'apôtre, entre en folie et pousse
des cris de guerre et de rage, cette société, profondément calme,
se tourne vers les enfants, les mères et les familles, et se laisse
pénétrer par la sérénité céleste des choses nécessaires; elle
travaille. (_Applaudissements_.)
Elle travaille; elle élève des esprits. Elle n'enseigne rien de ce
qu'il faudra plus tard oublier; elle laisse blanche la page où la
conscience, éclairée par la vie, écrira, quand l'heure sera venue.
(_Bravos répétés_.)
Elle travaille. Que produit-elle? Écoutez, messieurs. Elle va donner,
cette année:
Trois médailles de vermeil,
Trente-cinq médailles d'argent,
Cent dix médailles de bronze,
Deux cent dix-huit mentions honorables,
Et quinze cent quatrevingt-dix certificats d'études.
Ici, j'entends un cri unanime: Grand succès! Messieurs, j'aime mieux
dire: Grand effort!
Ce mot, grand effort, fait mieux que satisfaire l'amour-propre, il
engage l'avenir.
Oui, un noble, puissant et généreux effort! Et aucune bonne volonté
n'est inutile à la marche de l'humanité. La somme du progrès,
qu'est-ce? le total de nos efforts.
Je suis un de ces passants qui vont partout où il y a un conseil
à donner ou à recevoir, et qui s'arrêtent émus devant ces choses
saintes, l'enfance, la jeunesse, l'espérance, le travail. On se sent
satisfait et tranquillisé, quand on est de ceux qui s'en vont, de
pouvoir, de ce point extrême de la vie, jeter au loin les yeux sur
l'horizon, et dire aux hommes:
«Tout va bien. Vous êtes dans la bonne voie. Le mal est derrière
vous, le bien est devant vous. Continuez. Les volontés suprêmes
s'accomplissent.» (_Vive sensation_.)
Messieurs, nous achevons un grand siècle.
Ce siècle a vaillamment et ardemment produit les premiers fruits
de cette immense révolution qui, même lorsqu'elle sera devenue la
révolution humaine, s'appellera toujours la Révolution française.
(_Bravos prolongés_.)
La vieille Europe est finie; une nouvelle Europe commence.
L'Europe nouvelle sera une Europe de paix, de labeur, de concorde,
de bonne volonté. Elle apprendra, elle saura. Elle marchera à ce but
superbe: l'homme sachant ce qu'il veut, l'homme voulant ce qu'il peut.
(_Applaudissements_.)
Nous ne ferons entendre que des paroles de conciliation. Nous sommes
les ennemis du massacre qui est dans la guerre, de l'échafaud qui est
dans la pénalité, de l'enfer qui est dans le dogme; mais notre haine
ne va pas jusqu'aux hommes. Nous plaignons le soldat, nous plaignons
le juge, nous plaignons le prêtre. Grâce au glorieux drapeau du 14
juillet, le soldat est désormais hors de notre inquiétude, car il est
réservé aux seules guerres nationales; on ne ment pas au drapeau.
Notre pitié reste sur le prêtre et sur le juge. Qu'ils nous fassent la
guerre, nous leur offrons la paix. Ils veulent obscurcir notre âme,
nous voulons éclairer la leur. Toute notre revanche, c'est la lumière.
(_Longue acclamation_.)
Allez donc, je ne me lasserai pas de le redire, allez, et
efforcez-vous, vous tous, mes contemporains! Que personne ne se
ménage, que personne ne s'épargne! Faites chacun ce que vous pouvez
faire. L'Être immense sera content. Il égalise l'importance des
résultats devant l'énergie des intentions. L'effort du plus petit est
aussi vénérable que l'effort du plus grand. (_Bravos_.)
Allez, marchez, avancez. Ayez dans les yeux la clarté de l'aurore.
Ayez en vous la vision du droit, la bonne résolution, la volonté
ferme, la conscience, qui est le grand conseil. Ayez en vous--c'est
par là que je termine--ces deux choses, qui toutes deux sont
l'expression du plus court chemin de l'homme à la vérité, la
rectitude dans l'esprit, la droiture dans le coeur. (_Triple salve
d'applaudissements. Cri unanime de: Vive Victor Hugo! Toute la salle
se lève et fait une ovation à l'orateur_.)


IV
LA FÊTE DE BESANÇON
--27 DÉCEMBRE 1880--

En mai 1879, M. le sénateur Oudet, maire de Besançon, transmettait
à Victor Hugo un extrait d'une délibération du conseil municipal de
Besançon, lequel décidait:

«Une plaque en bronze sera placée sur la façade et contre le jambage
séparatif des deux fenêtres de la chambre où est né Victor Hugo,
au premier étage de la maison Arthaud; cette plaque portant une
inscription qui rappellera la naissance de notre illustre compatriote.
«La rue du Rondot-Saint-Quentin recevra à l'avenir le nom de rue
Victor Hugo.»
En conséquence de cette décision, la ville de Besançon célébrait,
le 27 décembre 1880, par une fête en l'honneur de Victor Hugo,
l'inauguration de la plaque commémorative.
A une heure, le cortège officiel se réunissait à l'hôtel de ville: le
maire, M. Beauquier, député, M. Alfred Rambaud, délégué du ministre de
l'instruction publique, les professeurs, les magistrats, les généraux,
etc.
Paul Meurice, venu de Paris, représentait Victor Hugo.
Le cortège s'est dirigé vers la maison natale de Victor Hugo.
Le _Rappel_ donne ce récit de la journée:
... La foule est immense sur la place du Capitole, sur les balcons,
aux fenêtres.
Une vaste estrade a été dressée, toute fleurie d'arbustes charmants.
Elle est recouverte d'un haut pavillon, constellé des initiales V.H.
sur fond d'or.
En face de l'estrade, la maison où est né Victor Hugo.
Cette maison, qu'habitait en 1802 le commandant Hugo, père du poète de
la _Légende des Siècles_, s'élève dans la Grande-Rue qui conduit à
la citadelle. Une place, ornée d'une fontaine, monumentale, s'étend
devant la maison célèbre.
La maison a deux étages et cinq fenêtres de front. Les deux fenêtres,
à droite de la porte d'entrée, au premier étage, éclairent une vaste
chambre, celle où Victor Hugo est né.
Le large toit flamand a deux rangées de mansardes espagnoles,
surmontées de frontons terminés par des boules de pierre. L'une de ces
boules, celle du milieu, se termine par trois feuilles de chêne en
granit sculpté. Celui qui a sculpté ces feuilles de chêne savait-il
quel grand front elles couronneraient?
Les fenêtres sont aujourd'hui remplies de larges camélias en fleurs
et surmontées d'écussons peints et dorés sur lesquels on lit:
_Hernani--Ruy Blas--Les Orientales_, etc.
Une immense guirlande de bois émaillée de roses brode la frise et la
corniche du toit et encadre en retombant la sixième croisée du premier
étage, qui est du quinzième siècle.
Cette ouverture étrange, formée de deux croisées jumelles à ogive,
fait partie de la maison voisine; mais elle appartenait alors à
l'appartement du commandant Léopold Hugo, et encore aujourd'hui la
chambre sur laquelle elle s'ouvre est annexée à l'immeuble du présent
propriétaire.
Ainsi, la maison où Victor Hugo est né, située sur l'emplacement d'un
ancien capitole romain, donne la main à une maison contemporaine de
_Notre-Dame de Paris_.
Autre coïncidence: à dix mètres de cette maison illustre se dresse
une magnifique colonnade antique qui a été retrouvée en 1870 avec
plusieurs chapiteaux et fragments de statues antiques. Ces restes d'un
ancien théâtre romain semblent être sortis de terre pour saluer le
glorieux représentant du théâtre moderne.
A quelques pas se dresse un arc de triomphe du temps de Marc-Aurèle.
Le maire, le préfet, les députés, les généraux, les universitaires, le
premier président, Paul Meurice, montent sur l'estrade.
M. Oudet prononce, au milieu des applaudissements, un chaleureux
discours, dont voici les principaux passages:
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