Actes et Paroles, Volume 1 - 22
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devorent les rois, les princes, le faible comme Louis XVI, l'habile et
le fort comme Louis-Philippe, ces experiences lamentables qui devorent
les familles nees sur le trone, des femmes augustes, des veuves
saintes, des enfants innocents, vous n'en avez pas assez! il vous en
faut encore. (_Sensation._)
Mais vous etes donc sans pitie et sans memoire!! Mais, royalistes,
nous vous demandons grace pour ces infortunees familles royales!
Quoi! vous voulez rentrer dans cette serie de faits necessaires, dont
toutes les phases sont prevues et pour ainsi dire marquees d'avance
comme des etapes inevitables! Vous voulez rentrer dans ces engrenages
formidables de la destinee! (_Mouvement._) Vous voulez rentrer dans
ce cycle terrible, toujours le meme, plein d'ecueils, d'orages et de
catastrophes, qui commence par des reconciliations platrees de peuple
a roi, par des restaurations, par les Tuileries rouvertes, par des
lampions allumes, par des harangues et des fanfares, par des sacres
et des fetes; qui se continue par des empietements du trone sur le
parlement, du pouvoir sur le droit, de la royaute sur la nation, par
des luttes dans les chambres, par des resistances dans la presse, par
des murmures dans l'opinion, par des proces ou le zele emphatique et
maladroit des magistrats qui veulent plaire avorte devant l'energie
des ecrivains (_vifs applaudissements a gauche_); qui se continue par
des violations de chartes ou trempent les majorites complices (_Tres
bien!_), par des lois de compression, par des mesures d'exception, par
des exactions de police d'une part, par des societes secretes et des
conspirations de l'autre,--et qui finit....--Mon Dieu! cette place que
vous traversez tous les jours pour venir a ce palais ne vous dit donc
rien? (_Interruption.--A l'ordre! a l'ordre!_) Mais frappez du pied ce
pave qui est a deux pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez
encore; frappez du pied ce pave fatal, et vous en ferez sortir, a
votre choix, l'echafaud qui precipite la vieille monarchie dans la
tombe, ou le fiacre qui emporte la royaute nouvelle dans l'exil!
(_Applaudissements prolonges a gauche.--Murmures. Exclamations._)
M. LE PRESIDENT.--Mais qui menacez-vous donc la? Est-ce que vous
menacez quelqu'un? Ecartez cela!
M. VICTOR HUGO.--C'est un avertissement.
M. LE PRESIDENT.--C'est un avertissement sanglant; vous passez toutes
les bornes, et vous oubliez la question de la revision. C'est une
diatribe, ce n'est pas un discours.
M. VICTOR HUGO.--Comment! il ne me sera pas permis d'invoquer
l'histoire!
UNE VOIX A GAUCHE, _s'adressant au president_.--On met la constitution
et la republique en question, et vous ne laissez pas parler!
M. LE PRESIDENT.--Vous tuez les vivants et vous evoquez les morts;
ce n'est pas de la discussion. (_Interruption prolongee.--Rires
approbatifs a droite._)
M. VICTOR HUGO.--Comment, messieurs, apres avoir fait appel, dans les
termes les plus respectueux, a vos souvenirs; apres vous avoir parle
de femmes augustes, de veuves saintes, d'enfants innocents; apres
avoir fait appel a votre memoire, il ne me sera pas permis, dans cette
enceinte, apres ce qui a ete entendu ces jours passes, il ne me sera
pas permis d'invoquer l'histoire comme un avertissement, entendez-le
bien, mais non comme une menace? il ne me sera pas permis de dire que
les restaurations commencent d'une maniere qui semble triomphante et
finissent d'une maniere fatale? il ne me sera pas permis de vous dire
que les restaurations commencent par l'eblouissement d'elles-memes, et
finissent par ce qu'on a appele des catastrophes, et d'ajouter que si
vous frappez du pied ce pave fatal qui est a deux pas de vous, a deux
pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez encore, vous en ferez
sortir, a votre choix, l'echafaud qui precipite la vieille monarchie
dans la tombe, ou le fiacre qui emporte la royaute nouvelle dans
l'exil! (_Rumeurs a droite.--Bravos a gauche_) il ne me sera pas
permis de dire cela! Et on appelle cela une discussion libre! (_Vive
approbation et applaudissements a gauche._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Elle l'etait hier!
M. VICTOR HUGO.--Ah! je proteste! Vous voulez etouffer ma voix; mais
on l'entendra cependant.... (_Reclamations a droite._) On l'entendra.
Les hommes habiles qui sont parmi vous, et il y en a, je ne fais nulle
difficulte d'en convenir....
UNE VOIX A DROITE.--Vous etes bien bon!
M. VICTOR HUGO.--Les hommes habiles qui sont parmi vous se croient
forts en ce moment, parce qu'ils s'appuient sur une coalition des
interets effrayes. Etrange point d'appui que la peur! mais, pour faire
le mal, c'en est un.--Messieurs, voici ce que j'ai a dire a ces
hommes habiles. Avant peu, et quoi que vous fassiez, les interets se
rassureront; et, a mesure qu'ils reprendront confiance, vous la
perdrez.
Oui, avant peu, les interets comprendront qu'a l'heure qu'il est,
qu'au dix-neuvieme siecle, apres l'echafaud de Louis XVI....
M. DE MONTEBELLO.--Encore!
M. VICTOR HUGO.--... Apres l'ecroulement de Napoleon, apres l'exil
de Charles X, apres la chute de Louis-Philippe, apres la revolution
francaise, en un mot, c'est-a-dire apres le renouvellement complet,
absolu, prodigieux, des principes, des croyances, des opinions, des
situations, des influences et des faits, c'est la republique qui
est la terre ferme, et c'est la monarchie qui est l'aventure.
(_Applaudissements._)
Mais l'honorable M. Berryer vous disait hier: Jamais la France ne
s'accommodera de la democratie!
A DROITE.--Il n'a pas dit cela!
UNE VOIX A DROITE.--Il a dit de la republique.
M. DE MONTEBELLO.--C'est autre chose.
M. MATHIEU BOURDON.--C'est tout different.
M. VICTOR HUGO.--Cela m'est egal! j'accepte votre version. M. Berryer
nous a dit: Jamais la France ne s'accommodera de la republique.
Messieurs, il y a trente-sept ans, lors de l'octroi de la charte de
Louis XVIII, tous les contemporains l'attestent, les partisans de
la monarchie pure, les memes qui traitaient Louis XVIII de
revolutionnaire et Chateaubriand de jacobin (_hilarite_), les
partisans de la monarchie pure s'epouvantaient de la monarchie
representative, absolument comme les partisans de la monarchie
representative s'epouvantent aujourd'hui de la republique.
On disait alors: C'est bon pour l'Angleterre! exactement comme M.
Berryer dit aujourd'hui: C'est bon pour l'Amerique! (_Tres bien! tres
bien!_)
On disait: La liberte de la presse, les discussions de la tribune, des
orateurs d'opposition, des journalistes, tout cela, c'est du desordre;
jamais la France ne s'y fera! Eh bien! elle s'y est faite!
M. DE TINGUY.--Et defaite.
M. VICTOR HUGO.--La France s'est faite au regime parlementaire, elle
se fera de meme au regime democratique. C'est un pas en avant. Voila
tout. (_Mouvement._)
Apres la royaute representative, on s'habituera au surcroit de
mouvement des moeurs democratiques, de meme qu'apres la royaute
absolue on avait fini par s'habituer au surcroit d'excitation des
moeurs liberales, et la prosperite publique se degagera a travers
les agitations republicaines, comme elle se degageait a travers les
agitations constitutionnelles; elle se degagera agrandie et affermie.
Les aspirations populaires se regleront comme les passions bourgeoises
se sont reglees. Une grande nation comme la France finit toujours par
retrouver son equilibre. Sa masse est l'element de sa stabilite.
Et puis, il faut bien vous le dire, cette presse libre, cette tribune
souveraine, ces comices populaires, ces multitudes faisant cercle
autour d'une idee, ce peuple, auditoire tumultueux et tribunal
patient, ces legions de votes gagnant des batailles la ou l'emeute en
perdait, ces tourbillons de bulletins qui couvrent la France a un jour
donne, tout ce mouvement qui vous effraye n'est autre chose que la
fermentation meme du progres (_Tres bien!_), fermentation utile,
necessaire, saine, feconde, excellente! Vous prenez cela pour la
fievre? C'est la vie. (_Longs applaudissements._)
Voila ce que j'ai a repondre a M. Berryer.
Vous le voyez, messieurs, ni l'utilite, ni la stabilite politique, ni
la securite financiere, ni la prosperite publique, ni le droit, ni le
fait, ne sont du cote de la monarchie dans ce debat.
Maintenant, car il faut bien en venir la, quelle est la moralite de
cette agression contre la constitution, qui masque une agression
contre la republique?
Messieurs, j'adresse ceci en particulier aux anciens, aux chefs
vieillis, mais toujours preponderants, du parti monarchique actuel,
a ces chefs qui ont fait, comme nous, partie de l'assemblee
constituante, a ces chefs avec lesquels je ne confonds pas, je le
declare, la portion jeune et genereuse de leur parti, qui ne les suit
qu'a regret.
Du reste, je ne veux certes offenser personne, j'honore tous les
membres de cette assemblee, et s'il m'echappait quelque parole qui put
froisser qui que ce soit parmi mes collegues, je la retire d'avance.
Mais enfin, pourtant, il faut bien que je le dise, il y a eu des
royalistes autrefois....
M. CALLET.--Vous en savez quelque chose. (_Exclamations a
gauche.--N'interrompez pas!_)
M. CHARRAS, _a M. Victor Hugo_.--Descendez de la tribune.
M. VICTOR HUGO.--C'est evident! il n'y a plus de liberte de tribune!
(_Reclamations a droite._)
M. LE PRESIDENT.--Demandez a M. Michel (de Bourges) si la liberte de
la tribune est supprimee.
M. SOUBIES.--Elle doit exister pour tous et non pour un seul.
M. LE PRESIDENT.--Monsieur, l'assemblee est la meme; les orateurs
changent. C'est a l'orateur a faire l'auditeur, on vous l'a dit
avant-hier; c'est M. Michel (de Bourges) qui vous l'a dit.
M. LAMARQUE.--Il a dit le contraire.
M. LE PRESIDENT.--C'est ma variante.
M. MICHEL (de Bourges), _de sa place_.--Monsieur le president,
voulez-vous me permettre un mot? (_Signe d'assentiment de M. le
president._)
Vous avez change les termes de ce que j'ai dit hier. Ce que j'ai dit
ne vient pas de moi; c'est le plus grand orateur du dix-septieme
siecle qui l'a dit, c'est Bossuet. Il n'a pas dit que l'orateur
faisait l'auditeur; il a dit que c'etait l'auditeur qui faisait
l'orateur. (_A gauche: Tres bien! tres bien!_)
M. LE PRESIDENT.--En renversant les termes de la proposition, il y a
une verite qui est la meme; c'est qu'il y a une reaction necessaire
de l'orateur sur l'assemblee et de l'assemblee sur l'orateur. C'est
Royer-Collard lui-meme qui, desesperant de faire ecouter certaines
choses, disait aux orateurs: Faites qu'on vous ecoute.
Je declare qu'il m'est impossible de procurer le meme silence a tous
les orateurs, quand ils sont aussi dissemblables. (_Hilarite bruyante
sur les bancs de la majorite.--Rumeurs et interpellations diverses a
gauche._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Est-ce que l'injure est permise?
M. CHARRAS.--C'est une impertinence.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, a la citation de Royer-Collard que vient
de me faire notre honorable president, je repondrai par une citation
de Sheridan, qui disait:--Quand le president cesse de proteger
l'orateur, c'est que la liberte de la tribune n'existe plus.
--(_Applaudissements repetes a gauche._)
M. ARNAUD (de l'Ariege).--Jamais on n'a vu une pareille partialite.
M. VICTOR HUGO.--Eh bien! messieurs, que vous disais-je? Je vous
disais,--et je rattache cela a l'agression dirigee aujourd'hui contre
la republique, et je pretends tirer la moralite de cette agression--je
vous disais: Il y a eu des royalistes autrefois. Ces royalistes-la,
dont des hasards de famille ont pu meler des traditions a l'enfance de
plusieurs d'entre nous, a la mienne en particulier, puisqu'on me le
rappelle sans cesse; ces royalistes-la, nos peres les ont connus,
nos peres les ont combattus. Eh bien! ces royalistes-la, quand ils
confessaient leurs principes, c'etait le jour du danger, non le
lendemain! (_A gauche.--Tres bien! tres bien!_)
M. VICTOR HUGO.--Ce n'etaient pas des citoyens, soit; mais c'etaient
des chevaliers. Ils faisaient une chose odieuse, insensee, abominable,
impie, la guerre civile; mais ils la faisaient, ils ne la provoquaient
pas! (_Vive approbation a gauche._)
Ils avaient devant eux, debout, toute jeune, toute terrible, toute
fremissante, cette grande et magnifique et formidable revolution
francaise qui envoyait contre eux les grenadiers de Mayence, et qui
trouvait plus facile d'avoir raison de l'Europe que de la Vendee.
M. DE LA ROCHEJAQUELEIN.--C'est vrai!
M. VICTOR HUGO.--Ils l'avaient devant eux, et ils lui tenaient tete.
Ils ne rusaient pas avec elle, ils ne se faisaient pas renards devant
le lion! (_Applaudissements a gauche.--M. de la Rochejaquelein fait un
signe d'assentiment._)
M. VICTOR HUGO, _a M. de la Rochejaquelein_.--Ceci s'adresse a vous et
a votre nom; c'est un hommage que je rends aux votres.
Ils ne venaient pas lui derober, a cette revolution, l'un apres
l'autre, et pour s'en servir contre elle, ses principes, ses
conquetes, ses armes! ils cherchaient a la tuer, non a la voler!
(_Bravos a gauche._)
Ils jouaient franc jeu, en hommes hardis, en hommes convaincus, en
hommes sinceres qu'ils etaient; et ils ne venaient pas en plein midi,
en plein soleil, ils ne venaient pas en pleine assemblee de la nation,
balbutier: Vive le roi! apres avoir crie vingt-sept fois dans un
seul jour: Vive la Republique! (_Acclamations a gauche.--Bravos
prolonges._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Ils n'envoyaient pas d'argent pour les blesses
de Fevrier.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, je resume d'un mot tout ce que je viens de
dire. La monarchie de principe, la legitimite, est morte en France.
C'est un fait qui a ete et qui n'est plus.
La legitimite restauree, ce serait la revolution a l'etat chronique,
le mouvement social remplace par les commotions periodiques. La
republique, au contraire, c'est le progres fait gouvernement.
(_Approbation._)
Finissons de ce cote.
M. LEO DE LABORDE.--Je demande la parole. (_Mouvement prolonge._)
M. MATHIEU BOURDON.--La legitimite se reveille.
(_M. de Falloux se leve._)
A GAUCHE.--Non! non! n'interrompez pas! n'interrompez pas!
(_M. de Falloux s'approche de la tribune.--Agitation bruyante._)
A GAUCHE, _a l'orateur_.--Ne laissez pas parler! ne laissez pas
parler!
M. VICTOR HUGO.--Je ne permets pas l'interruption.
(_M. de Falloux monte au bureau aupres du president, et echange avec
lui quelques paroles._)
M. VICTOR HUGO.--L'honorable M. de Falloux oublie tellement les
droits de l'orateur, que ce n'est plus a l'orateur qu'il demande la
permission de l'interrompre, c'est au president.
M. DE FALLOUX, _revenant au pied de la tribune_.--Je vous demande la
permission de vous interrompre.
M. VICTOR HUGO.--Je ne vous la donne pas.
M. LE PRESIDENT.--Vous avez la parole, monsieur Victor Hugo.
M. VICTOR HUGO.--Mais des publicistes d'une autre couleur, des
journaux d'une autre nuance, qui expriment bien incontestablement
la pensee du gouvernement, car ils sont vendus dans les rues avec
privilege et a l'exclusion de tous les autres, ces journaux nous
crient:
--Vous avez raison; la legitimite est impossible, la monarchie de
droit divin et de principe est morte; mais l'autre, la monarchie
de gloire, l'empire, celle-la est non-seulement possible, mais
necessaire.
Voila le langage qu'on nous tient.
Ceci est l'autre cote de la question monarchie. Examinons.
Et d'abord, la monarchie de gloire, dites-vous! Tiens! vous avez de la
gloire? Montrez-nous-la! (_Hilarite._) Je serais curieux de voir de
la gloire sous ce gouvernement-ci! (_Rires et applaudissements a
gauche._)
Voyons! votre gloire, ou est-elle? Je la cherche. Je regarde autour de
moi. De quoi se compose-t-elle?
M. LEPIC.--Demandez a votre pere!
M. VICTOR HUGO.--Quels en sont les elements? Qu'est-ce que j'ai devant
moi? Qu'est-ce que nous avons devant les yeux? Toutes nos libertes
prises au piege l'une apres l'autre et garrottees; le suffrage
universel trahi, livre, mutile; les programmes socialistes aboutissant
a une politique jesuite; pour gouvernement, une immense intrigue
(_mouvement_), l'histoire dira peut-etre un complot ... (_vive
sensation_) je ne sais quel sous-entendu inoui qui donne a la
republique l'empire pour but, et qui fait de cinq cent mille
fonctionnaires une sorte de franc-maconnerie bonapartiste au milieu
de la nation! toute reforme ajournee ou bafouee, les impots
improportionnels et onereux au peuple maintenus ou retablis, l'etat de
siege pesant sur cinq departements, Paris et Lyon mis en surveillance,
l'amnistie refusee, la transportation aggravee, la deportation votee,
des gemissements a la kasbah de Bone, des tortures a Belle-Isle, des
casemates ou l'on ne veut pas laisser pourrir des matelas, mais ou on
laisse pourrir des hommes! ... (_sensation_) la presse traquee, le
jury trie, pas assez de justice et beaucoup trop de police, la misere
en bas, l'anarchie en haut, l'arbitraire, la compression, l'iniquite!
au dehors, le cadavre de la republique romaine! (_Bravos a gauche._)
VOIX A DROITE.--C'est le bilan de la republique.
M. LE PRESIDENT.--Laissez donc; n'interrompez pas. Cela constate que
la tribune est libre. Continuez. (_Tres bien! tres bien! a gauche._)
M. CHARRAS.--Libre malgre vous.
M. VICTOR HUGO.--... La potence, c'est-a-dire l'Autriche
(_mouvement_), debout sur la Hongrie, sur la Lombardie, sur Milan, sur
Venise; la Sicile livree aux fusillades; l'espoir des nationalites
dans la France detruit; le lien intime des peuples rompu; partout
le droit foule aux pieds, au nord comme au midi, a Cassel comme a
Palerme; une coalition de rois latente et qui n'attend que l'occasion;
notre diplomatie muette, je ne veux pas dire complice; quelqu'un qui
est toujours lache devant quelqu'un qui est toujours insolent; la
Turquie laissee sans appui contre le czar et forcee d'abandonner les
proscrits; Kossuth, agonisant dans un cachot de l'Asie Mineure; voila
ou nous en sommes! La France baisse la tete, Napoleon tressaille
de honte dans sa tombe, et cinq ou six mille coquins crient: Vive
l'empereur! Est-ce tout cela que vous appelez votre gloire, par
hasard? (_Profonde agitation._)
M. DE LADEVANSAYE.--C'est la republique qui nous a donne tout cela!
M. LE PRESIDENT.--C'est aussi au gouvernement de la republique qu'on
reproche tout cela!
M. VICTOR HUGO.--Maintenant, votre empire, causons-en, je le veux
bien. (_Rires a gauche._)
M. VIEILLARD [Note: Senateur, sous l'empire, a 30,000 francs par
an.]--Personne n'y songe, vous le savez bien.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, des murmures tant que vous voudrez, mais
pas d'equivoques. On me crie: Personne ne songe a l'empire. J'ai pour
habitude d'arracher les masques.
Personne ne songe a l'empire, dites-vous? Que signifient donc ces cris
payes de: Vive l'empereur? Une simple question: Qui les paye?
Personne ne songe a l'empire, vous venez de l'entendre! Que signifient
donc ces paroles du general Changarnier, ces allusions aux pretoriens
en debauche applaudies par vous? Que signifient ces paroles de M.
Thiers, egalement applaudies par vous: L'empire est fait?
Que signifie ce petitionnement ridicule et mendie pour la prolongation
des pouvoirs?
Qu'est-ce que la prolongation, s'il vous plait? C'est le consulat a
vie. Ou mene le consulat a vie? A l'empire! Messieurs, il y a la une
intrigue! Une intrigue, vous dis-je! J'ai le droit de la fouiller. Je
la fouille. Allons! le grand jour sur tout cela!
Il ne faut pas que la France soit prise par surprise et se trouve,
un beau matin, avoir un empereur sans savoir pourquoi! (_Applaudissements._)
Un empereur! Discutons un peu la pretention.
Quoi! parce qu'il y a eu un homme qui a gagne la bataille de Marengo,
et qui a regne, vous voulez regner, vous qui n'avez gagne que la
bataille de Satory! (_Rires._)
A GAUCHE.--Tres bien! tres bien!--Bravo!
M. EMILE DE GIRARDIN.--Il l'a perdue.
M. FERDINAND BARROT [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par
an.]--Il y a trois ans qu'il gagne une bataille, celle de l'ordre
contre l'anarchie.
M. VICTOR HUGO.--Quoi! parce que, il y a dix siecles de cela,
Charlemagne, apres quarante annees de gloire, a laisse tomber sur la
face du globe un sceptre et une epee tellement demesures que personne
ensuite n'a pu et n'a ose y toucher,--et pourtant il y a eu dans
l'intervalle des hommes qui se sont appeles Philippe-Auguste, Francois
Ier, Henri IV, Louis XIV! Quoi! parce que, mille ans apres, car il
ne faut pas moins d'une gestation de mille annees a l'humanite pour
reproduire de pareils hommes, parce que, mille ans apres, un autre
genie est venu, qui a ramasse ce glaive et ce sceptre, et qui s'est
dresse debout sur le continent, qui a fait l'histoire gigantesque dont
l'eblouissement dure encore, qui a enchaine la revolution en France
et qui l'a dechainee en Europe, qui a donne a son nom, pour synonymes
eclatants, Rivoli, Iena, Essling, Friedland, Montmirail! Quoi!
parce que, apres dix ans d'une gloire immense, d'une gloire presque
fabuleuse a force de grandeur, il a, a son tour, laisse tomber
d'epuisement ce sceptre et ce glaive qui avaient accompli tant de
choses colossales, vous venez, vous, vous voulez, vous, les ramasser
apres lui, comme il les a ramasses, lui, Napoleon, apres Charlemagne,
et prendre dans vos petites mains ce sceptre des titans, cette epee
des geants! Pour quoi faire? (_Longs applaudissements._) Quoi! apres
Auguste, Augustule! Quoi! parce que nous avons eu Napoleon le Grand,
il faut que nous ayons Napoleon le Petit! (_La gauche applaudit, la
droite crie. La seance est interrompue pendant plusieurs minutes.
Tumulte inexprimable._)
A GAUCHE.--Monsieur le president, nous avons ecoute M. Berryer; la
droite doit ecouter M. Victor Hugo. Faites taire la majorite.
M. SAVATIER-LAROCHE.--On doit le respect aux grands orateurs. (_A
gauche: Tres bien!_)
M. DE LA MOSKOWA [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par
an.]--M. le president devrait faire respecter le gouvernement de la
republique dans la personne du president de la republique.
M. LEPIC [Note: Plus tard, aide de camp de l'empereur.]--On deshonore
la republique!
M. DE LA MOSKOWA.--Ces messieurs crient: _Vive la republique!_ et
insultent le president.
M. ERNEST DE GIRARDIN.--Napoleon Bonaparte a eu six millions de
suffrages; vous insultez l'elu du peuple! (_Vive agitation au banc des
ministres.--M. le president essaye en vain de se faire entendre au
milieu du bruit._)
M. DE LA MOSKOWA.--Et, sur les bancs des ministres, pas un mot
d'indignation n'eclate a de pareilles paroles!
M. BAROCHE, _ministre des affaires etrangeres_ [Note: President du
conseil d'etat de l'empire, a 150,000 francs par an.]--Discutez, mais
n'insultez pas.
M. LE PRESIDENT.--Vous avez le droit de contester l'abrogation
de l'art. 45 en termes de droit, mais vous n'avez pas le droit
d'insulter! (_Les applaudissements de l'extreme gauche redoublent et
couvrent la voix de M. le president._)
M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES.--Vous discutez des projets
qu'on n'a pas, et vous insultez! (_Les applaudissements de l'extreme
gauche continuent._)
UN MEMBRE DE L'EXTREME GAUCHE.--Il fallait defendre la republique hier
quand on l'attaquait!
M. LE PRESIDENT.--L'opposition a affecte de couvrir d'applaudissements
et mon observation et celle de M. le ministre, que la mienne avait
precedee.
Je disais a M. Victor Hugo qu'il a parfaitement le droit de contester
la convenance de demander la revision de l'art. 45 en termes de droit,
mais qu'il n'a pas le droit de discuter, sous une forme insultante,
une candidature personnelle qui n'est pas en jeu.
VOIX A L'EXTREME GAUCHE.--Mais si, elle est en jeu.
M. CHARRAS.--Vous l'avez vue vous-meme a Dijon, face a face.
M. LE PRESIDENT.--Je vous rappelle a l'ordre ici, parce que je suis
president; a Dijon, je respectais les convenances, et je me suis tu.
M. CHARRAS.--On ne les a pas respectees envers vous.
M. VICTOR HUGO.--Je reponds a M. le ministre et a M. le president, qui
m'accusent d'offenser M. le president de la republique, qu'ayant le
droit constitutionnel d'accuser M. le president de la republique, j'en
userai le jour ou je le jugerai convenable, et je ne perdrai pas mon
temps a l'offenser; mais ce n'est pas l'offenser que de dire qu'il
n'est pas un grand homme. (_Vives reclamations sur quelques bancs de
la droite._)
M. BRIFFAUT.--Vos insultes ne peuvent aller jusqu'a lui.
M. DE CAULAINCOURT.--Il y a des injures qui ne peuvent l'atteindre,
sachez-le bien!
M. LE PRESIDENT.--Si vous continuez apres mon avertissement, je vous
rappellerai a l'ordre.
M. VICTOR HUGO.--Voici ce que j'ai a dire, et M. le president ne
m'empechera pas de completer mon explication. (_Vive agitation._)
Ce que nous demandons a M. le president responsable de la republique,
ce que nous attendons de lui, ce que nous avons le droit d'attendre
fermement de lui, ce n'est pas qu'il tienne le pouvoir en grand homme,
c'est qu'il le quitte en honnete homme.
A GAUCHE.--Tres bien! tres bien!
M. CLARY [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par an.] Ne le
calomniez pas, en attendant.
M. VICTOR HUGO.--Ceux qui l'offensent, ce sont ceux de ses amis qui
laissent entendre que le deuxieme dimanche de mai il ne quittera pas
le pouvoir purement et simplement, comme il le doit, a moins d'etre un
seditieux.
VOIX A GAUCHE.--Et un parjure!
M. VIEILLARD [Note: Senateur de l'empire.]--Ce sont la des calomnies,
M. Victor Hugo le sait bien.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs de la majorite, vous avez supprime la
liberte de la presse; voulez-vous supprimer la liberte de la tribune?
(_Mouvement._) Je ne viens pas demander de la faveur, je viens
demander de la franchise. Le soldat qu'on empeche de faire son devoir
brise son epee; si la liberte de la tribune est morte, dites-le-moi,
afin que je brise mon mandat. Le jour ou la tribune ne sera plus
libre, j'en descendrai pour n'y plus remonter. (_A droite: Le beau
malheur!_) La tribune sans liberte n'est acceptable que pour l'orateur
sans dignite. (_Profonde sensation._)
Eh bien! si la tribune est respectee, je vais voir. Je continue.
Non! apres Napoleon le Grand, je ne veux pas de Napoleon le Petit!
Allons! respectez les grandes choses. Treve aux parodies! Pour qu'on
puisse mettre un aigle sur les drapeaux, il faut d'abord avoir un
aigle aux Tuileries! Ou est l'aigle? (_Longs applaudissements._)
M. LEON FAUCHER.--L'orateur insulte le president de la republique.
(_Oui! oui! a droite._)
M. LE PRESIDENT.--Vous offensez le president de la republique. (_Oui!
oui! a droite.--M. Abbatucci_ [Note: Ministre de la justice de
l'empire, 120,000 francs par an.] _gesticule vivement._)
M. VICTOR HUGO.--Je reprends.
Messieurs, comme tout le monde, comme vous tous, j'ai tenu dans mes
mains ces journaux, ces brochures, ces pamphlets imperialistes ou
cesaristes, comme on dit aujourd'hui. Une idee me frappe, et il m'est
impossible de ne pas la communiquer a l'assemblee. (_Agitation.
L'orateur poursuit:_) Oui, il m'est impossible de ne pas la laisser
deborder devant cette assemblee. Que dirait ce soldat, ce grand soldat
de la France, qui est couche la, aux Invalides, et a l'ombre duquel on
s'abrite, et dont on invoque si souvent et si etrangement le nom? que
dirait ce Napoleon qui, parmi tant de combats prodigieux, est alle, a
huit cents lieues de Paris, provoquer la vieille barbarie moscovite a
ce grand duel de 1812? que dirait ce sublime esprit qui n'entrevoyait
qu'avec horreur la possibilite d'une Europe cosaque, et qui, certes,
quels que fussent ses instincts d'autorite, lui preferait l'Europe
republicaine? que dirait-il, lui! si, du fond de son tombeau, il
pouvait voir que son empire, son glorieux et belliqueux empire, a
aujourd'hui pour panegyristes, pour apologistes, pour theoriciens
le fort comme Louis-Philippe, ces experiences lamentables qui devorent
les familles nees sur le trone, des femmes augustes, des veuves
saintes, des enfants innocents, vous n'en avez pas assez! il vous en
faut encore. (_Sensation._)
Mais vous etes donc sans pitie et sans memoire!! Mais, royalistes,
nous vous demandons grace pour ces infortunees familles royales!
Quoi! vous voulez rentrer dans cette serie de faits necessaires, dont
toutes les phases sont prevues et pour ainsi dire marquees d'avance
comme des etapes inevitables! Vous voulez rentrer dans ces engrenages
formidables de la destinee! (_Mouvement._) Vous voulez rentrer dans
ce cycle terrible, toujours le meme, plein d'ecueils, d'orages et de
catastrophes, qui commence par des reconciliations platrees de peuple
a roi, par des restaurations, par les Tuileries rouvertes, par des
lampions allumes, par des harangues et des fanfares, par des sacres
et des fetes; qui se continue par des empietements du trone sur le
parlement, du pouvoir sur le droit, de la royaute sur la nation, par
des luttes dans les chambres, par des resistances dans la presse, par
des murmures dans l'opinion, par des proces ou le zele emphatique et
maladroit des magistrats qui veulent plaire avorte devant l'energie
des ecrivains (_vifs applaudissements a gauche_); qui se continue par
des violations de chartes ou trempent les majorites complices (_Tres
bien!_), par des lois de compression, par des mesures d'exception, par
des exactions de police d'une part, par des societes secretes et des
conspirations de l'autre,--et qui finit....--Mon Dieu! cette place que
vous traversez tous les jours pour venir a ce palais ne vous dit donc
rien? (_Interruption.--A l'ordre! a l'ordre!_) Mais frappez du pied ce
pave qui est a deux pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez
encore; frappez du pied ce pave fatal, et vous en ferez sortir, a
votre choix, l'echafaud qui precipite la vieille monarchie dans la
tombe, ou le fiacre qui emporte la royaute nouvelle dans l'exil!
(_Applaudissements prolonges a gauche.--Murmures. Exclamations._)
M. LE PRESIDENT.--Mais qui menacez-vous donc la? Est-ce que vous
menacez quelqu'un? Ecartez cela!
M. VICTOR HUGO.--C'est un avertissement.
M. LE PRESIDENT.--C'est un avertissement sanglant; vous passez toutes
les bornes, et vous oubliez la question de la revision. C'est une
diatribe, ce n'est pas un discours.
M. VICTOR HUGO.--Comment! il ne me sera pas permis d'invoquer
l'histoire!
UNE VOIX A GAUCHE, _s'adressant au president_.--On met la constitution
et la republique en question, et vous ne laissez pas parler!
M. LE PRESIDENT.--Vous tuez les vivants et vous evoquez les morts;
ce n'est pas de la discussion. (_Interruption prolongee.--Rires
approbatifs a droite._)
M. VICTOR HUGO.--Comment, messieurs, apres avoir fait appel, dans les
termes les plus respectueux, a vos souvenirs; apres vous avoir parle
de femmes augustes, de veuves saintes, d'enfants innocents; apres
avoir fait appel a votre memoire, il ne me sera pas permis, dans cette
enceinte, apres ce qui a ete entendu ces jours passes, il ne me sera
pas permis d'invoquer l'histoire comme un avertissement, entendez-le
bien, mais non comme une menace? il ne me sera pas permis de dire que
les restaurations commencent d'une maniere qui semble triomphante et
finissent d'une maniere fatale? il ne me sera pas permis de vous dire
que les restaurations commencent par l'eblouissement d'elles-memes, et
finissent par ce qu'on a appele des catastrophes, et d'ajouter que si
vous frappez du pied ce pave fatal qui est a deux pas de vous, a deux
pas de ces funestes Tuileries que vous convoitez encore, vous en ferez
sortir, a votre choix, l'echafaud qui precipite la vieille monarchie
dans la tombe, ou le fiacre qui emporte la royaute nouvelle dans
l'exil! (_Rumeurs a droite.--Bravos a gauche_) il ne me sera pas
permis de dire cela! Et on appelle cela une discussion libre! (_Vive
approbation et applaudissements a gauche._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Elle l'etait hier!
M. VICTOR HUGO.--Ah! je proteste! Vous voulez etouffer ma voix; mais
on l'entendra cependant.... (_Reclamations a droite._) On l'entendra.
Les hommes habiles qui sont parmi vous, et il y en a, je ne fais nulle
difficulte d'en convenir....
UNE VOIX A DROITE.--Vous etes bien bon!
M. VICTOR HUGO.--Les hommes habiles qui sont parmi vous se croient
forts en ce moment, parce qu'ils s'appuient sur une coalition des
interets effrayes. Etrange point d'appui que la peur! mais, pour faire
le mal, c'en est un.--Messieurs, voici ce que j'ai a dire a ces
hommes habiles. Avant peu, et quoi que vous fassiez, les interets se
rassureront; et, a mesure qu'ils reprendront confiance, vous la
perdrez.
Oui, avant peu, les interets comprendront qu'a l'heure qu'il est,
qu'au dix-neuvieme siecle, apres l'echafaud de Louis XVI....
M. DE MONTEBELLO.--Encore!
M. VICTOR HUGO.--... Apres l'ecroulement de Napoleon, apres l'exil
de Charles X, apres la chute de Louis-Philippe, apres la revolution
francaise, en un mot, c'est-a-dire apres le renouvellement complet,
absolu, prodigieux, des principes, des croyances, des opinions, des
situations, des influences et des faits, c'est la republique qui
est la terre ferme, et c'est la monarchie qui est l'aventure.
(_Applaudissements._)
Mais l'honorable M. Berryer vous disait hier: Jamais la France ne
s'accommodera de la democratie!
A DROITE.--Il n'a pas dit cela!
UNE VOIX A DROITE.--Il a dit de la republique.
M. DE MONTEBELLO.--C'est autre chose.
M. MATHIEU BOURDON.--C'est tout different.
M. VICTOR HUGO.--Cela m'est egal! j'accepte votre version. M. Berryer
nous a dit: Jamais la France ne s'accommodera de la republique.
Messieurs, il y a trente-sept ans, lors de l'octroi de la charte de
Louis XVIII, tous les contemporains l'attestent, les partisans de
la monarchie pure, les memes qui traitaient Louis XVIII de
revolutionnaire et Chateaubriand de jacobin (_hilarite_), les
partisans de la monarchie pure s'epouvantaient de la monarchie
representative, absolument comme les partisans de la monarchie
representative s'epouvantent aujourd'hui de la republique.
On disait alors: C'est bon pour l'Angleterre! exactement comme M.
Berryer dit aujourd'hui: C'est bon pour l'Amerique! (_Tres bien! tres
bien!_)
On disait: La liberte de la presse, les discussions de la tribune, des
orateurs d'opposition, des journalistes, tout cela, c'est du desordre;
jamais la France ne s'y fera! Eh bien! elle s'y est faite!
M. DE TINGUY.--Et defaite.
M. VICTOR HUGO.--La France s'est faite au regime parlementaire, elle
se fera de meme au regime democratique. C'est un pas en avant. Voila
tout. (_Mouvement._)
Apres la royaute representative, on s'habituera au surcroit de
mouvement des moeurs democratiques, de meme qu'apres la royaute
absolue on avait fini par s'habituer au surcroit d'excitation des
moeurs liberales, et la prosperite publique se degagera a travers
les agitations republicaines, comme elle se degageait a travers les
agitations constitutionnelles; elle se degagera agrandie et affermie.
Les aspirations populaires se regleront comme les passions bourgeoises
se sont reglees. Une grande nation comme la France finit toujours par
retrouver son equilibre. Sa masse est l'element de sa stabilite.
Et puis, il faut bien vous le dire, cette presse libre, cette tribune
souveraine, ces comices populaires, ces multitudes faisant cercle
autour d'une idee, ce peuple, auditoire tumultueux et tribunal
patient, ces legions de votes gagnant des batailles la ou l'emeute en
perdait, ces tourbillons de bulletins qui couvrent la France a un jour
donne, tout ce mouvement qui vous effraye n'est autre chose que la
fermentation meme du progres (_Tres bien!_), fermentation utile,
necessaire, saine, feconde, excellente! Vous prenez cela pour la
fievre? C'est la vie. (_Longs applaudissements._)
Voila ce que j'ai a repondre a M. Berryer.
Vous le voyez, messieurs, ni l'utilite, ni la stabilite politique, ni
la securite financiere, ni la prosperite publique, ni le droit, ni le
fait, ne sont du cote de la monarchie dans ce debat.
Maintenant, car il faut bien en venir la, quelle est la moralite de
cette agression contre la constitution, qui masque une agression
contre la republique?
Messieurs, j'adresse ceci en particulier aux anciens, aux chefs
vieillis, mais toujours preponderants, du parti monarchique actuel,
a ces chefs qui ont fait, comme nous, partie de l'assemblee
constituante, a ces chefs avec lesquels je ne confonds pas, je le
declare, la portion jeune et genereuse de leur parti, qui ne les suit
qu'a regret.
Du reste, je ne veux certes offenser personne, j'honore tous les
membres de cette assemblee, et s'il m'echappait quelque parole qui put
froisser qui que ce soit parmi mes collegues, je la retire d'avance.
Mais enfin, pourtant, il faut bien que je le dise, il y a eu des
royalistes autrefois....
M. CALLET.--Vous en savez quelque chose. (_Exclamations a
gauche.--N'interrompez pas!_)
M. CHARRAS, _a M. Victor Hugo_.--Descendez de la tribune.
M. VICTOR HUGO.--C'est evident! il n'y a plus de liberte de tribune!
(_Reclamations a droite._)
M. LE PRESIDENT.--Demandez a M. Michel (de Bourges) si la liberte de
la tribune est supprimee.
M. SOUBIES.--Elle doit exister pour tous et non pour un seul.
M. LE PRESIDENT.--Monsieur, l'assemblee est la meme; les orateurs
changent. C'est a l'orateur a faire l'auditeur, on vous l'a dit
avant-hier; c'est M. Michel (de Bourges) qui vous l'a dit.
M. LAMARQUE.--Il a dit le contraire.
M. LE PRESIDENT.--C'est ma variante.
M. MICHEL (de Bourges), _de sa place_.--Monsieur le president,
voulez-vous me permettre un mot? (_Signe d'assentiment de M. le
president._)
Vous avez change les termes de ce que j'ai dit hier. Ce que j'ai dit
ne vient pas de moi; c'est le plus grand orateur du dix-septieme
siecle qui l'a dit, c'est Bossuet. Il n'a pas dit que l'orateur
faisait l'auditeur; il a dit que c'etait l'auditeur qui faisait
l'orateur. (_A gauche: Tres bien! tres bien!_)
M. LE PRESIDENT.--En renversant les termes de la proposition, il y a
une verite qui est la meme; c'est qu'il y a une reaction necessaire
de l'orateur sur l'assemblee et de l'assemblee sur l'orateur. C'est
Royer-Collard lui-meme qui, desesperant de faire ecouter certaines
choses, disait aux orateurs: Faites qu'on vous ecoute.
Je declare qu'il m'est impossible de procurer le meme silence a tous
les orateurs, quand ils sont aussi dissemblables. (_Hilarite bruyante
sur les bancs de la majorite.--Rumeurs et interpellations diverses a
gauche._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Est-ce que l'injure est permise?
M. CHARRAS.--C'est une impertinence.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, a la citation de Royer-Collard que vient
de me faire notre honorable president, je repondrai par une citation
de Sheridan, qui disait:--Quand le president cesse de proteger
l'orateur, c'est que la liberte de la tribune n'existe plus.
--(_Applaudissements repetes a gauche._)
M. ARNAUD (de l'Ariege).--Jamais on n'a vu une pareille partialite.
M. VICTOR HUGO.--Eh bien! messieurs, que vous disais-je? Je vous
disais,--et je rattache cela a l'agression dirigee aujourd'hui contre
la republique, et je pretends tirer la moralite de cette agression--je
vous disais: Il y a eu des royalistes autrefois. Ces royalistes-la,
dont des hasards de famille ont pu meler des traditions a l'enfance de
plusieurs d'entre nous, a la mienne en particulier, puisqu'on me le
rappelle sans cesse; ces royalistes-la, nos peres les ont connus,
nos peres les ont combattus. Eh bien! ces royalistes-la, quand ils
confessaient leurs principes, c'etait le jour du danger, non le
lendemain! (_A gauche.--Tres bien! tres bien!_)
M. VICTOR HUGO.--Ce n'etaient pas des citoyens, soit; mais c'etaient
des chevaliers. Ils faisaient une chose odieuse, insensee, abominable,
impie, la guerre civile; mais ils la faisaient, ils ne la provoquaient
pas! (_Vive approbation a gauche._)
Ils avaient devant eux, debout, toute jeune, toute terrible, toute
fremissante, cette grande et magnifique et formidable revolution
francaise qui envoyait contre eux les grenadiers de Mayence, et qui
trouvait plus facile d'avoir raison de l'Europe que de la Vendee.
M. DE LA ROCHEJAQUELEIN.--C'est vrai!
M. VICTOR HUGO.--Ils l'avaient devant eux, et ils lui tenaient tete.
Ils ne rusaient pas avec elle, ils ne se faisaient pas renards devant
le lion! (_Applaudissements a gauche.--M. de la Rochejaquelein fait un
signe d'assentiment._)
M. VICTOR HUGO, _a M. de la Rochejaquelein_.--Ceci s'adresse a vous et
a votre nom; c'est un hommage que je rends aux votres.
Ils ne venaient pas lui derober, a cette revolution, l'un apres
l'autre, et pour s'en servir contre elle, ses principes, ses
conquetes, ses armes! ils cherchaient a la tuer, non a la voler!
(_Bravos a gauche._)
Ils jouaient franc jeu, en hommes hardis, en hommes convaincus, en
hommes sinceres qu'ils etaient; et ils ne venaient pas en plein midi,
en plein soleil, ils ne venaient pas en pleine assemblee de la nation,
balbutier: Vive le roi! apres avoir crie vingt-sept fois dans un
seul jour: Vive la Republique! (_Acclamations a gauche.--Bravos
prolonges._)
M. EMILE DE GIRARDIN.--Ils n'envoyaient pas d'argent pour les blesses
de Fevrier.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, je resume d'un mot tout ce que je viens de
dire. La monarchie de principe, la legitimite, est morte en France.
C'est un fait qui a ete et qui n'est plus.
La legitimite restauree, ce serait la revolution a l'etat chronique,
le mouvement social remplace par les commotions periodiques. La
republique, au contraire, c'est le progres fait gouvernement.
(_Approbation._)
Finissons de ce cote.
M. LEO DE LABORDE.--Je demande la parole. (_Mouvement prolonge._)
M. MATHIEU BOURDON.--La legitimite se reveille.
(_M. de Falloux se leve._)
A GAUCHE.--Non! non! n'interrompez pas! n'interrompez pas!
(_M. de Falloux s'approche de la tribune.--Agitation bruyante._)
A GAUCHE, _a l'orateur_.--Ne laissez pas parler! ne laissez pas
parler!
M. VICTOR HUGO.--Je ne permets pas l'interruption.
(_M. de Falloux monte au bureau aupres du president, et echange avec
lui quelques paroles._)
M. VICTOR HUGO.--L'honorable M. de Falloux oublie tellement les
droits de l'orateur, que ce n'est plus a l'orateur qu'il demande la
permission de l'interrompre, c'est au president.
M. DE FALLOUX, _revenant au pied de la tribune_.--Je vous demande la
permission de vous interrompre.
M. VICTOR HUGO.--Je ne vous la donne pas.
M. LE PRESIDENT.--Vous avez la parole, monsieur Victor Hugo.
M. VICTOR HUGO.--Mais des publicistes d'une autre couleur, des
journaux d'une autre nuance, qui expriment bien incontestablement
la pensee du gouvernement, car ils sont vendus dans les rues avec
privilege et a l'exclusion de tous les autres, ces journaux nous
crient:
--Vous avez raison; la legitimite est impossible, la monarchie de
droit divin et de principe est morte; mais l'autre, la monarchie
de gloire, l'empire, celle-la est non-seulement possible, mais
necessaire.
Voila le langage qu'on nous tient.
Ceci est l'autre cote de la question monarchie. Examinons.
Et d'abord, la monarchie de gloire, dites-vous! Tiens! vous avez de la
gloire? Montrez-nous-la! (_Hilarite._) Je serais curieux de voir de
la gloire sous ce gouvernement-ci! (_Rires et applaudissements a
gauche._)
Voyons! votre gloire, ou est-elle? Je la cherche. Je regarde autour de
moi. De quoi se compose-t-elle?
M. LEPIC.--Demandez a votre pere!
M. VICTOR HUGO.--Quels en sont les elements? Qu'est-ce que j'ai devant
moi? Qu'est-ce que nous avons devant les yeux? Toutes nos libertes
prises au piege l'une apres l'autre et garrottees; le suffrage
universel trahi, livre, mutile; les programmes socialistes aboutissant
a une politique jesuite; pour gouvernement, une immense intrigue
(_mouvement_), l'histoire dira peut-etre un complot ... (_vive
sensation_) je ne sais quel sous-entendu inoui qui donne a la
republique l'empire pour but, et qui fait de cinq cent mille
fonctionnaires une sorte de franc-maconnerie bonapartiste au milieu
de la nation! toute reforme ajournee ou bafouee, les impots
improportionnels et onereux au peuple maintenus ou retablis, l'etat de
siege pesant sur cinq departements, Paris et Lyon mis en surveillance,
l'amnistie refusee, la transportation aggravee, la deportation votee,
des gemissements a la kasbah de Bone, des tortures a Belle-Isle, des
casemates ou l'on ne veut pas laisser pourrir des matelas, mais ou on
laisse pourrir des hommes! ... (_sensation_) la presse traquee, le
jury trie, pas assez de justice et beaucoup trop de police, la misere
en bas, l'anarchie en haut, l'arbitraire, la compression, l'iniquite!
au dehors, le cadavre de la republique romaine! (_Bravos a gauche._)
VOIX A DROITE.--C'est le bilan de la republique.
M. LE PRESIDENT.--Laissez donc; n'interrompez pas. Cela constate que
la tribune est libre. Continuez. (_Tres bien! tres bien! a gauche._)
M. CHARRAS.--Libre malgre vous.
M. VICTOR HUGO.--... La potence, c'est-a-dire l'Autriche
(_mouvement_), debout sur la Hongrie, sur la Lombardie, sur Milan, sur
Venise; la Sicile livree aux fusillades; l'espoir des nationalites
dans la France detruit; le lien intime des peuples rompu; partout
le droit foule aux pieds, au nord comme au midi, a Cassel comme a
Palerme; une coalition de rois latente et qui n'attend que l'occasion;
notre diplomatie muette, je ne veux pas dire complice; quelqu'un qui
est toujours lache devant quelqu'un qui est toujours insolent; la
Turquie laissee sans appui contre le czar et forcee d'abandonner les
proscrits; Kossuth, agonisant dans un cachot de l'Asie Mineure; voila
ou nous en sommes! La France baisse la tete, Napoleon tressaille
de honte dans sa tombe, et cinq ou six mille coquins crient: Vive
l'empereur! Est-ce tout cela que vous appelez votre gloire, par
hasard? (_Profonde agitation._)
M. DE LADEVANSAYE.--C'est la republique qui nous a donne tout cela!
M. LE PRESIDENT.--C'est aussi au gouvernement de la republique qu'on
reproche tout cela!
M. VICTOR HUGO.--Maintenant, votre empire, causons-en, je le veux
bien. (_Rires a gauche._)
M. VIEILLARD [Note: Senateur, sous l'empire, a 30,000 francs par
an.]--Personne n'y songe, vous le savez bien.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs, des murmures tant que vous voudrez, mais
pas d'equivoques. On me crie: Personne ne songe a l'empire. J'ai pour
habitude d'arracher les masques.
Personne ne songe a l'empire, dites-vous? Que signifient donc ces cris
payes de: Vive l'empereur? Une simple question: Qui les paye?
Personne ne songe a l'empire, vous venez de l'entendre! Que signifient
donc ces paroles du general Changarnier, ces allusions aux pretoriens
en debauche applaudies par vous? Que signifient ces paroles de M.
Thiers, egalement applaudies par vous: L'empire est fait?
Que signifie ce petitionnement ridicule et mendie pour la prolongation
des pouvoirs?
Qu'est-ce que la prolongation, s'il vous plait? C'est le consulat a
vie. Ou mene le consulat a vie? A l'empire! Messieurs, il y a la une
intrigue! Une intrigue, vous dis-je! J'ai le droit de la fouiller. Je
la fouille. Allons! le grand jour sur tout cela!
Il ne faut pas que la France soit prise par surprise et se trouve,
un beau matin, avoir un empereur sans savoir pourquoi! (_Applaudissements._)
Un empereur! Discutons un peu la pretention.
Quoi! parce qu'il y a eu un homme qui a gagne la bataille de Marengo,
et qui a regne, vous voulez regner, vous qui n'avez gagne que la
bataille de Satory! (_Rires._)
A GAUCHE.--Tres bien! tres bien!--Bravo!
M. EMILE DE GIRARDIN.--Il l'a perdue.
M. FERDINAND BARROT [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par
an.]--Il y a trois ans qu'il gagne une bataille, celle de l'ordre
contre l'anarchie.
M. VICTOR HUGO.--Quoi! parce que, il y a dix siecles de cela,
Charlemagne, apres quarante annees de gloire, a laisse tomber sur la
face du globe un sceptre et une epee tellement demesures que personne
ensuite n'a pu et n'a ose y toucher,--et pourtant il y a eu dans
l'intervalle des hommes qui se sont appeles Philippe-Auguste, Francois
Ier, Henri IV, Louis XIV! Quoi! parce que, mille ans apres, car il
ne faut pas moins d'une gestation de mille annees a l'humanite pour
reproduire de pareils hommes, parce que, mille ans apres, un autre
genie est venu, qui a ramasse ce glaive et ce sceptre, et qui s'est
dresse debout sur le continent, qui a fait l'histoire gigantesque dont
l'eblouissement dure encore, qui a enchaine la revolution en France
et qui l'a dechainee en Europe, qui a donne a son nom, pour synonymes
eclatants, Rivoli, Iena, Essling, Friedland, Montmirail! Quoi!
parce que, apres dix ans d'une gloire immense, d'une gloire presque
fabuleuse a force de grandeur, il a, a son tour, laisse tomber
d'epuisement ce sceptre et ce glaive qui avaient accompli tant de
choses colossales, vous venez, vous, vous voulez, vous, les ramasser
apres lui, comme il les a ramasses, lui, Napoleon, apres Charlemagne,
et prendre dans vos petites mains ce sceptre des titans, cette epee
des geants! Pour quoi faire? (_Longs applaudissements._) Quoi! apres
Auguste, Augustule! Quoi! parce que nous avons eu Napoleon le Grand,
il faut que nous ayons Napoleon le Petit! (_La gauche applaudit, la
droite crie. La seance est interrompue pendant plusieurs minutes.
Tumulte inexprimable._)
A GAUCHE.--Monsieur le president, nous avons ecoute M. Berryer; la
droite doit ecouter M. Victor Hugo. Faites taire la majorite.
M. SAVATIER-LAROCHE.--On doit le respect aux grands orateurs. (_A
gauche: Tres bien!_)
M. DE LA MOSKOWA [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par
an.]--M. le president devrait faire respecter le gouvernement de la
republique dans la personne du president de la republique.
M. LEPIC [Note: Plus tard, aide de camp de l'empereur.]--On deshonore
la republique!
M. DE LA MOSKOWA.--Ces messieurs crient: _Vive la republique!_ et
insultent le president.
M. ERNEST DE GIRARDIN.--Napoleon Bonaparte a eu six millions de
suffrages; vous insultez l'elu du peuple! (_Vive agitation au banc des
ministres.--M. le president essaye en vain de se faire entendre au
milieu du bruit._)
M. DE LA MOSKOWA.--Et, sur les bancs des ministres, pas un mot
d'indignation n'eclate a de pareilles paroles!
M. BAROCHE, _ministre des affaires etrangeres_ [Note: President du
conseil d'etat de l'empire, a 150,000 francs par an.]--Discutez, mais
n'insultez pas.
M. LE PRESIDENT.--Vous avez le droit de contester l'abrogation
de l'art. 45 en termes de droit, mais vous n'avez pas le droit
d'insulter! (_Les applaudissements de l'extreme gauche redoublent et
couvrent la voix de M. le president._)
M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES.--Vous discutez des projets
qu'on n'a pas, et vous insultez! (_Les applaudissements de l'extreme
gauche continuent._)
UN MEMBRE DE L'EXTREME GAUCHE.--Il fallait defendre la republique hier
quand on l'attaquait!
M. LE PRESIDENT.--L'opposition a affecte de couvrir d'applaudissements
et mon observation et celle de M. le ministre, que la mienne avait
precedee.
Je disais a M. Victor Hugo qu'il a parfaitement le droit de contester
la convenance de demander la revision de l'art. 45 en termes de droit,
mais qu'il n'a pas le droit de discuter, sous une forme insultante,
une candidature personnelle qui n'est pas en jeu.
VOIX A L'EXTREME GAUCHE.--Mais si, elle est en jeu.
M. CHARRAS.--Vous l'avez vue vous-meme a Dijon, face a face.
M. LE PRESIDENT.--Je vous rappelle a l'ordre ici, parce que je suis
president; a Dijon, je respectais les convenances, et je me suis tu.
M. CHARRAS.--On ne les a pas respectees envers vous.
M. VICTOR HUGO.--Je reponds a M. le ministre et a M. le president, qui
m'accusent d'offenser M. le president de la republique, qu'ayant le
droit constitutionnel d'accuser M. le president de la republique, j'en
userai le jour ou je le jugerai convenable, et je ne perdrai pas mon
temps a l'offenser; mais ce n'est pas l'offenser que de dire qu'il
n'est pas un grand homme. (_Vives reclamations sur quelques bancs de
la droite._)
M. BRIFFAUT.--Vos insultes ne peuvent aller jusqu'a lui.
M. DE CAULAINCOURT.--Il y a des injures qui ne peuvent l'atteindre,
sachez-le bien!
M. LE PRESIDENT.--Si vous continuez apres mon avertissement, je vous
rappellerai a l'ordre.
M. VICTOR HUGO.--Voici ce que j'ai a dire, et M. le president ne
m'empechera pas de completer mon explication. (_Vive agitation._)
Ce que nous demandons a M. le president responsable de la republique,
ce que nous attendons de lui, ce que nous avons le droit d'attendre
fermement de lui, ce n'est pas qu'il tienne le pouvoir en grand homme,
c'est qu'il le quitte en honnete homme.
A GAUCHE.--Tres bien! tres bien!
M. CLARY [Note: Senateur de l'empire, a 30,000 francs par an.] Ne le
calomniez pas, en attendant.
M. VICTOR HUGO.--Ceux qui l'offensent, ce sont ceux de ses amis qui
laissent entendre que le deuxieme dimanche de mai il ne quittera pas
le pouvoir purement et simplement, comme il le doit, a moins d'etre un
seditieux.
VOIX A GAUCHE.--Et un parjure!
M. VIEILLARD [Note: Senateur de l'empire.]--Ce sont la des calomnies,
M. Victor Hugo le sait bien.
M. VICTOR HUGO.--Messieurs de la majorite, vous avez supprime la
liberte de la presse; voulez-vous supprimer la liberte de la tribune?
(_Mouvement._) Je ne viens pas demander de la faveur, je viens
demander de la franchise. Le soldat qu'on empeche de faire son devoir
brise son epee; si la liberte de la tribune est morte, dites-le-moi,
afin que je brise mon mandat. Le jour ou la tribune ne sera plus
libre, j'en descendrai pour n'y plus remonter. (_A droite: Le beau
malheur!_) La tribune sans liberte n'est acceptable que pour l'orateur
sans dignite. (_Profonde sensation._)
Eh bien! si la tribune est respectee, je vais voir. Je continue.
Non! apres Napoleon le Grand, je ne veux pas de Napoleon le Petit!
Allons! respectez les grandes choses. Treve aux parodies! Pour qu'on
puisse mettre un aigle sur les drapeaux, il faut d'abord avoir un
aigle aux Tuileries! Ou est l'aigle? (_Longs applaudissements._)
M. LEON FAUCHER.--L'orateur insulte le president de la republique.
(_Oui! oui! a droite._)
M. LE PRESIDENT.--Vous offensez le president de la republique. (_Oui!
oui! a droite.--M. Abbatucci_ [Note: Ministre de la justice de
l'empire, 120,000 francs par an.] _gesticule vivement._)
M. VICTOR HUGO.--Je reprends.
Messieurs, comme tout le monde, comme vous tous, j'ai tenu dans mes
mains ces journaux, ces brochures, ces pamphlets imperialistes ou
cesaristes, comme on dit aujourd'hui. Une idee me frappe, et il m'est
impossible de ne pas la communiquer a l'assemblee. (_Agitation.
L'orateur poursuit:_) Oui, il m'est impossible de ne pas la laisser
deborder devant cette assemblee. Que dirait ce soldat, ce grand soldat
de la France, qui est couche la, aux Invalides, et a l'ombre duquel on
s'abrite, et dont on invoque si souvent et si etrangement le nom? que
dirait ce Napoleon qui, parmi tant de combats prodigieux, est alle, a
huit cents lieues de Paris, provoquer la vieille barbarie moscovite a
ce grand duel de 1812? que dirait ce sublime esprit qui n'entrevoyait
qu'avec horreur la possibilite d'une Europe cosaque, et qui, certes,
quels que fussent ses instincts d'autorite, lui preferait l'Europe
republicaine? que dirait-il, lui! si, du fond de son tombeau, il
pouvait voir que son empire, son glorieux et belliqueux empire, a
aujourd'hui pour panegyristes, pour apologistes, pour theoriciens
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