Opúsculos por Alexandre Herculano - Tomo 02 - 09

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Mais cet immense déblai d'institutions vermoulues fait par Mousinho a
été surtout une oeuvre d'avenir. La dîme, les droits seigneuriaux,
l'organisation militaire du pays, la confusion de l'administratif et du
judiciaire, les majorais, l'hérédité des emplois, la censure, la
puissance du haut clergé et des ordres monastiques; toutes ces vieilles
choses, qui arretaient la sève de la vie sociale, formaient les
arcs-boutants du gouvernement absolu. Si quelques révolutionnaires en
herbe jetaient à bas la voûte, on prenait les moëllons tombés et on la
rebatissait du soir au matin. Ce fut ce qui arriva aux époques de 1820-3
et de 1826-8. En rasant tout, en brisant les pierres de l'édifice, en
les mettant en poussière, et en jetant cette poussière au vent de Dieu,
la réédification devenait impossible. La monarchie pure a vécu pendant
plus de trois siècles, parce qu'elle s'harmonisait avec l'état de la
société; parce qu'elle était entrée dans les moeurs. Pour renverser tout
à fait cet Antée politique, il fallait bien lui oter le sol de dessous
les pieds. Le despotisme appuyé sur les baïonnettes, sur la force et sur
la terreur, est possible aujourd'hui, comme il l'a été, comme il le
sera, tant qu'il y aura sur la terre des armées permanentes, institution
sans avenir, et qui évidemment commence à se détacher des sociétés,
comme les chairs corrompues d'une plaie en voie de guérison. Mais le
despotisme-mous-tache, s'il arrive, ne durera, juste, que le temps
nécessaire pour épuiser sa violence. L'absolutisme, chose possible,
chose viable avec certaines données sociales, et partant plus à
craindre, il ne reviendra point chez nous, je vous l'assure. Il lui
manque l'atmosphère pour respirer, car autour de lui est le vide que les
lois de Mousinho ont fait.
Pour vous donner une idée de la force que la royanté absolute puisait
dans l'ancienne organisation sociale, il me suffira de faire un peu
d'histoire, et de vous dire quelques mots touchant deux ou trois de ces
vieilleries. Prenons la dîme. La dîme chez nous, comme partout, s'est
établie peu à peu pendant les époques ténébreuses du moyen-âge. Aux XII
et XIII siècles, elle prit le rang d'une institution; on la regarda
comme de droit divin. C'était une erreur, vous le savez, mais ce n'était
pas une chose absolument déraisonnable. Il fallait bien qu'on maintint
le clergé, qu'on pourvut au matériel du culte, qu'on secourut les
pauvres. Selon la doctrine d'Innocent III, voilà les trois causes
finales de la dîme. Pendant les époques suivantes, les nobles, les
courtisans, les moines convoitèrent un peu ce plat succulent, que le
clergé hiérarchique et les pauvres devaient manger tout-seuls. On
imagina des expédiens, on inventa des prétextes, et pour sanctionner ces
expédiens et ces prétextes on acheta des bulles au grand marchè de Rome.
Au bout de cinq siècles la dîme était devenue une chose à peu-près
séculière. Il est vrai qu'on garda, jusqu'à un certain point, les
apparences. C'était aux ordres religieux et militaires, et aux instituts
monastiques que revenait la meilleure partie de cet impôt, qui se
rapportait, non à la rente de la terre, mais au produit brut de la
culture. De plus, les ordres militaires et les couvens avaient
l'obligation de subvenir aux dépenses du culte dans les paroisses dont
ils mangeaient la dîme. Et ils le faisaient avec une parcimonie
admirable; je dirais presque touchante. Le bas clergé, les curés, pour
ne pas mourir de faim, étaient obligés de se faire payer le service
paroissial par leurs ouailles, ce qu'on appelait, et qu'on appele
encore, le _pied d'autel_. Au temps des apôtres on l'aurait appelé
simonie; mais ces temps ne sont plus. Le ciel était devenu trop cher. Le
haut clergé, les évêques et les chapitres n'y voyaient pas de mal: on
leur avait fait la part du lion, et l'on avait respecté cette part,
attendu que, si par leurs fonctions ils appartenaient à la vraie
hiérarchie ecclésiastique, par leur position sociale ils tenaient aux
nobles et aux puissans. A la fin, cependant, même de ce côté, on trancha
dans le vif. On inventa un patriarche de Lisbonne et une église
patriarchale avec force _principaux_, monseigneurs, chanoines, etc.
espèce de caricature de la cour papale, qui servait à égayer ce fameux
loup-cervier appelé le roi Jean V, dont les dégâts parmi les vierges du
Seigneur forment à peu près l'histoire de son règne. Au fond, l'église
patriarchale n'était qu'un rang de nonveaux couverts mis à la table de
la dîme, couverts destinés surtout au cadets des nobles familles. En un
mot, pour vous faire comprendre quelles bouchées on prenait depuis
long-temps à cette table, il suffira de vous dire que d'une seule fois
le roi Emmanuel attacha à l'ordre du Christ quatre-cents paroisses;
c'est-à-dire qu'il mit au régime broussaisien quatre-cents pauvres curés
pour engraisser quelques douzaines de commandeurs à l'égal de ces
esturgeons et de ces lamproies mirifiques qu'on savourait avec délices
aux banquets romains. Or Mousinho savait par coeur son catéchisme: il y
avait lu parmi les commandemens de l'église; «_tu paieras la dîme et les
prémices à Dieu notre seigneur_». Alors il flaira de loin ces gros abbés
mitrés et crossés, ces bénéficiers mariés, ou pire, ces commandeurs des
ordres militaires, braves gens, qui mangeaient, jouaient ou ronflaient
sur les deux oreilles, se souciant fort peu de savoir si les infidèles,
turcs ou algériens, faisaient ramer des chrétiens sur les bancs de leurs
galères. Après avoir flairé, il lui vint à d'idée que ces messieurs
n'étaient pas précisement le Dieu notre seigneur du catéchisme. Il
devint colère. En sa qualitè de fou (je crois avoir eu déjà l'honneur de
vous prévenir que Mousinho était fou, à ce qu'on disait) il les envoya
au diable, et, renversant d'un coup de pied la sainte table, il dit aux
bonnes gens décimés: «_Gardez votre bien; car on vous vote_». Il aimait
à dire de ces bétises là. On lui prouva que cette ripaille, qui durait
depuis trois ou quatre siècles, était chose legale et partant légitime:
il haussa les épaules. On l'appela assassin, hérétique, satan: il envoya
derechef les tapageurs à tous les diables. Plus tard, quand l'ordonnance
qui avait détruit ce grande abus, devint loi de droit et de fait pour
tout le pays, il y eut encore par ci par la des ames timorées,
d'honnêtes laboureurs qui empilèrent le dixième de leurs récoltes au
bout d'un champ, et mettant un croix dessus y laissèrent pourrir la dîme
du Seigneur. Ceci dura peu. En voyant que la foudre ne frappait ni la
cave, ni le cellier de leur voisins moins scrupuleux; que la santé de
ceux-ci n'était pas pour cela moins florissante, ni leur récoltes moins
riches, ni leur bétail plus maigre, ils se ravisèrent. Par le temps qui
court, mon cher F..., si l'on vous a sali l'habit de quelqu'un de ces
brimborions qu'on appele commanderies de Saint-Jacques, du Christ, ou
d'autres, je ne vous conseille pas d'aller recueillir les pieux dépôts
sur les terres qui payaient des dîmes à votre ordre. Hélàs! vous
retourneriez les mains vides; car l'abomination de la désolation s'est
nichée dans tous les coins de ce royaume, et l'on n'y pense plus à
l'engraissement des commandeurs.
Maintenant, pour vous consoler, prenons les revenus de la couronne, les
_Direitos Reaes_, comme on les appelait, par antiphrase, je pense.
C'était quelque chose de plus absurde encore que la dîme. Imaginez-vous
toutes les exactions, tout ce que la rapacité fiscale du moyen-âge, tout
ce que son ignorance des principes économiques avaient invente pour
frapper la propriété territoriale, pour pressurer le travail, pour se
faire une part magnifique dans les profits commerciaux, et vous saurez
ce que signifiaient avant 1832 ces mots de _Biens de la Couronne_, de
_Droits Royaux_, de _Contributions des Foraes_, que vous aurez entendus
bourdonner à vos oreilles dans les conversations, et que vous aurez lus
dans les journaux, où il faut quelquefois en parler, car au bout de
quatorze ans on a rétabli ce qu'il était possible de rétablir de toutes
ces absurdités-là. Les _Biens de la Couronne_, ou _Droits Royaux_,
choses identiques en fait et en droit, se composaient des biens-fonds,
qui étaient censés appartenir intègralement à l'État; des droits sur des
fermes, possédées à bail emphytéotique, ou grévées de cens très lourds,
comme, par exemple, le quart du produit brut, imposé sur les terres
(_reguengos_) que par une fiction historique et légale on supposait
avoir été destinées, à l'occasion de la conquête du pays sur les maures,
à l'apanage du roi; des anciens octrois des villes; des amendes pour les
délits; des mille sources, enfin, de revenu de notre vieux systême
d'impôts, analogue à celui des autres contrées de l'Europe pendant le
moyen-âge. Toutes ces exactions, presque innombrables dans ses variétés
aux noms barbares, jetées inégalement sur le pays, frappant aveuglement
sa vie économique, formaient un joli pâté propre à allumer l'appétit de
tous les Falstaffs, de tous les Hudibras du bon vieux temps d'allonger
sournoisement le bras, et de mettre sans bruit la main sur l'appétissant
pâté, et de ler percer du bout de l'ongle, et de tirer à soi quelques
miettes, et d'y retourner, et d'y engouffrer tous les doigts, et de
tirer de nouveau à soi, et de répéter ce manêge jusqu'à ce qu'il ne
restât que quelques morceaux de croûte brulée. Ces messieurs qui
faisaient ce beau travail s'appelaient nobles, s'appelaient évêques,
s'appelaient abbés, s'appelaient juges, s'appelaient serviteurs du roi.
Aussi le roi était-il censé distribuer tout ceci à ces braves gens: on
l'écrivait du moins sur des parchemins, aux quels on apposait le sceau
royal. On trouva un mot élastique, inépuisable, pour expliquer ces
parchemins:--_les services_. Il est vrai qu'on payait des soldes aux
nobles pour se battre (le peuple se battait gratis), des dîmes ou du
moins des subventions aux prêtres pour dire des messes et chanter des
oremus, des appointemens aux juges pour faire pendre les assassins et
les voleurs (de grand-chemin), des honoraires aux serviteurs du roi pour
ne rien faire; mais les _services_ se dressaient toujours insatiables,
impayables. Ils s'attachaient aux générations comme la chemise de Nessus
à la peau d'Hercule. Les _Droits Royaux_ étaient partout, excepté aux
mains du roi. La royauté était devenue mendiante. En conséquence elle
tendit la main aux communes pour attraper quelque argent: les communes
tempêtèrent. On les apaisa par de belles paroles: on fit, même, une loi
qui semblait rendre chose périssable ces récompenses éternelles: les
communes payèrent. On mangea ce qu'elles avaient donné et on leur
demanda de nouveaux subsides. Nouvelles criailleries: nouvelles
promesses: nouvelles concessions de la bourgeoisie. On vécut ainsi
pendant de longues années. Au milieu de tout ce brouhaha, on établit peu
à peu un autre systême de finances basé sur des impots généraux, tant
directs qu'indirects. C'eut été un véritable progrès, si l'on en eut
fini en même temps avec les anciennes redevances des hameaux et des
villes. On n'en fit rien: les gens aux _services_ ne voulaient pas
démordre. Mesires Hudibras et Falstaff veillaient à l'honneur de la
noblesse, à ses prérogatives. Comme le peuple, cet enfant à dentition
éternelle, pleurnichait toujours et quelquefois criait, on oublia peu à
peu de convoquer les États Généraux (_Cortes_) et tout fut dit. On
prouva que la fable de l'âne, qui ne se souciait guère de choisir entre
deux maîtres, car, disait l'âne, il ne porterait jamais deux bâts,
n'était au fond qu'une ânerie. Le peuple les porta tous les deux jusqu'à
nos jours sans se plaindre. Il était dument baillonné et bâté, et on le
disait tranquille.
Or Mousinho savait tout cela; un peu confusement, à la vérité; mais il
le savait. C'était pour lui chose incomprehensible que l'immutabilité,
l'éternité, l'infini des récompenses pour des services très
contestables. En revanche, il comprenait très bien qu'il serait
absolument impossible de relever l'agriculture du pays, languissante,
arriérée, misérable, tant que dans la cour de chaque ferme, dans d'aire
de chaque champ, sur le seuil de chaque cave on verrait les agens du
commandeur ou de l'évêque, du chapitre ou de l'abbé, du _donatario_ ou
de l'_alcaide-mor_ demandant, l'un la dîme, l'autre le quart, l'autre le
huitième du rendement total des céréales, du vin, du lin, de l'huile, de
presque tous les produits de la terre;--tant qu'on verrait lesdits
agens, supputant ici combien de charretées de maïs le laboureur devait,
en vertu d'un _foral_ d'Alphonse I, à un gros monsieur jouflu, joyeux
compagnon, illustre fainéant, issu de nobles aieux, mais qui
certainement n'avait pas hérité la couronne dudit Alphonse I; lá
dénombrant une kirielle de redevances, aux noms hétéroclites et
barbares, exigibles du hameau ou de la ferme; tant qu'on verrait encore,
quand le pauvre cultivateur tombait épuisé, le cosur navré de douleur,
sur les restes du fruit de son travail, venir l'exacteur fiscal lui
demander, au nom du roi vivant, des nouveaux dixièmes, et d'autres
impôts dont était redevable tout ce qui ne lui avait pas été enlevé au
nom des rois morts. Ce spectacle soulevait aussi la colère de Mousinho.
Dominé par l'indignation, il ne savait plus se contenir. D'un coup de
poing il fit voler en éclats la vieille machine à pressurer les
laboureurs. Les droits royaux s'en allèrent. Tous ceux qu'y vivaient
attachés, comme les huitres aux roches crevassées de la mer, tombèrent
ventre à terre en criant: _au voletir_! Sa colère passée, Mousinho se
contenta de répondre: «_Prenez garde, messieurs, que ce ne soit votre
écho_». Et il passa outre: car il était pressé, le terrible démolisseur.

III
Il serait trop long, et presque impossible dans une lettre, de vous
exposer en détail la portée de toutes les mesures du cabinet Mousinho,
ou de vous faire connaître tous les vieux abus qu'elles déracinèrent,
abus puissans, devant lesquels avaient jusqu' alors tremblé les
révolutionnaires aux grands mots et aux petites oeuvres des deux époques
libérales de 1820 et de 1826, et que quelques esprits chagrins opposent
encore comme des beautés administratives aux sottises qu'on a faites
depuis, et que je suis loin de nier. Vous aurez entendu, par exemple,
vanter l'ancienne organisation militaire du Portugal. C'est qu'il y a
des gens, qui oublient vite. Cette organisation n'aurait en rien empêché
l'anéantissement de notre indépendance, si la politique générale de
l'Europe n'eut été intéressée à la soutenir. Il y avait, sans doute,
quelque chose de bon dans l'idée de l'institution des _milicias_ et des
_ordenanças_, mais pas assez dans le fait pour compenser les maux qui
découlaient de cette organisation militaire, dont l'étreinte embrassait
toute la population mâle du pays. Se je vous faisais la description de
ce que c'était un _capitão-mor_, c'est à dire le chef militaire de la
troisième ligne dans chaque localité, vous en frémiriez. Dans ses mains
existaient mille moyens d'opprimer une population de soldats, soldats
pour souffrir des avanies, et pour acheter le repos par des présens, par
des services indus, par le des honneur même; mais non soldats pour se
battre, car ils n'étaient armés que de piques et ne recevaient aucune
instruction militaire sérieuse. Les _capitães-mores_ étaierit des pachas
turcs, devant lesquels les villageois tremblaient. C'était l'oppression
journalière organisée partout; c'était un phantôme menaçant qui se
dressait matin et soir au seuil de chaque porte, sur le toit de chaque
famille.
Figurez-vous maintenant si tous ces _donatarios da corôa_, ces
commandeurs, ces _alcaides-mores_, ces _capitães-mores_, ces opulens
évêques, ces gros chanoines, ces abbés puissans, qui tous, plus ou
moins, tenaient leurs richesses du bon plaisir du roi, c'est-à-dire de
ses ministres, ne préchaient point partout une obéissance sans bornes
aux volontés royales; s'ils ne mettaient pas en usage toutes leurs
ressources matérielles et morales pour empêcher de crier ceux qui
pouvaient en avoir envie. Ils eussent supporté toutes les injustices,
toutes les tyrannies, la honte et le deshonneur, plutôt que de perdre
les gros bénéfices de ces vieilles exactions, qu'on leur gardait et que
le gouvernement pouvait leur ôter d'un jour à l'autre sans sortir de la
légalité. Imaginez quelles tendances de basse servitude on devait
imprimer aux populations; comme les idées de dignité morale, de liberté,
de justice, devaient être journellement calomniées, méprisées,
conspuées. Une anecdote curieuse vous fera comprendre dans quelle fange
on était tombè quand on arriva au milieu du dix-huitième siècle. Pendant
l'interrogatoire des nobles qui tentèrent d'assassiner le roi Joseph,
quand le tour du duc d'Aveiro fut venu, craignant les tortures de la
question, il avoua que la cause du crime était la vengeance des Tavoras
contre le roi, qui avait déshonoré leur famille. Les juges restèrerit
ébahis: cela passait leur croyance. Ils firent observer au prévenu que
ce motif était absurde, monstrueux, impossible; parce que, disaient-ils,
dans ce cas, la tradition, le principe, le droit serait de se laisser
déshonorer humblement, ou tout au plus d'abandoner le pays sans souffler
un mot sur les royales fredaines. C'est, peut-être, la partie la plus
horrible de cet horrible procès. Cela peint cette époque de décadence
morale, pire cent fois que le relâchement actuel, et dont le retour est
maintenant devenu impossible; car, du moins, les agens de la pression
gouvernementale, les agens de l'ordre (mot, qui, selon Mr. Guizot, est
le prétexte de toutes les tyrannies) ne sont plus en règle les riches,
les nobles, les hommes d'influence morale, mais de pauvres diables, mal
retribués, obscurs, qui maintes fois pressurent le peuple, mais qui ne
se frottent pas volontiers à la richesse, à l'intelligence, au courage
civil du citoyen qui connait son droit, et surtout à la presse.
Voilà le bon vieux temps, que vous aurez entendu vanter à des gens qui
se tiennent pour sensés et qui vous auront gravement débite un millier
de billevesées sur l'imprudence des réformes de D. Pedro, sur les ruines
qu'on a amoncelées, sur les moyens de gouvernement qu'on a détruits.
Tout ceci est souverainement bête; mais qu'importe? On fait le prudent,
on fait le capable, on fait l'homme d'état à bon marché. Et les badauds
d'admirer et d'applaudir. Dieu en soit loué!
Entendons-nous, mon cher F... Je ne regarde point notre organisation
actuelle comme un type de perfection. Loin de là. Mon défaut n'est point
de m'extasier devant les hommes ni devant les choses de notre temps.
Personne ne déteste plus cordialement que moi la manie qui nous possède
d'imiter la France dans toutes ses idées de gouvernement, et dans toutes
ses institutions. Je déplore profondement cette abdication honteuse de
la raison nationale. Rien de plus contraire, je ne dis pas seulement à
l'autonomie portugaise, je dis aussi à l'autonomie péninsulaire, que
cette espèce d'absolutisme hypocrite, affublé du manteau libéral, qu'on
appelle centralisation, que les césars sans-culottes de votre première
révolution ont légué au césar à la couronne de fer appelé Buonaparte, et
qu'il a perfectionné à l'usage de son despotisme-moustache, pour le
léguer, ensuite, à la restauration, et, à ce qu'il semble, à toutes les
restaurations, et révolutions, et républiques, et monarchies, et
empíres, que vous avez faits et que vous avez défaits; que vous ferez et
que vous déferez jusqu'à la consommation des siècles. Ça peut vous
convenir: mais ça ne nous va pas. J'aime le passé de mon pays, et ses
traditions primitives. Je lui désire une manière d'être logique avec ses
origines, parce que dans les formules sociales de chaque nation à son
berceau tout vient naturellement; les institutions découlent des
instincts de liberté innés dans le coeur de l'homme, de ses besoins
matériels et moraux, que la force alors méprise et qu'elle réduit
quelquefois au silence, mais que personne ne songe à sophistiquer. Il y
a, à cette époque de la vie des peuples, beaucoup de choses incomplètes,
barbares; il y a beaucoup d'absurdités de détail; mais, passez moi le
mot, la charpente de la société n'est jamais absurde. Ces époques son en
général trop grossières pour avoir des législateurs songe-creux, des
faiseurs de systêmes, des jurisconsultes chargés d'embrouiller les
usages simples du peuple. Je voudrais qu'on rattachât la liberté moderne
à la liberté antique. J'aime les choses anciennes; mais je n'aime pas
les vieilleries. De ce que je sais que, en étudiant les institutions de
notre moyen-âge on y dècouvre presque tous les principes de liberté
qu'on croit avoir découverts de nos jours; de ce que je vois là des
garanties plus réélles, plus solides au fond que celles dont nous
jouissons, il ne s'ensuit point que je méconnaisse l'expérience des
siècles, les avantages de la civilisation et les vérités acquises aux
sciences sociales. Puis, quel passe cherche-t'on pour lapider le présent
et pour tuer l'avenir, comme si l'on pouvait le tuer? Ce qu'on veut
entourer des respects dus à la tradition nationale, ce qu'on oppose à la
corruption actuelle n'est que de la corruption vieillie, laide, puante,
quoique à demi voilée par l'ombre sainte des tombeaux, dorée par le
soleil de milliers de jours: car le soleil teint la tour lézardée et
croulante à l'égal de la pyramide compacte et éternelle. Je défie, qui
que ce soit, de me prouver que les institutions que Mousinho a
renversées aient existé avant le seizième siècle, ou que, dans le cas
affirmatif, elles soient arrivées au commencement du dix-neuvième sans
avoir été dénaturées, au point d'être devenues complètement
méconnaissables; je le défie de me prouver que à cette epoque elles
remplissaient en aucune façon leur destination primitive; de me prouver,
enfin, que ce qu'on appele des moyens de gouvernement était autre chose
que des moyens d'absolutisme.
Y a-t-il une boutade de mauvaise humeur dans ce que je viens d'écrire?
Peut-être. Mais notez bien ceci: je ne fais point allusion à ceux que
des intérêts cruellement blessés, des affections froissées, des
croyances acceptées comme une religion pendant la jeunesse, et qu'ils
n'ont jamais discutées pendant l'âge mur, attachent immuablement aux
souvenirs d'un passé trop moderne. Je m'explique l'amour âpre et colère
avec lequel ils défendent leur foi politique. Je comprends leur haine
profonde contre toutes les idées de liberté. Le malheur reserre les
liens de nos affections, parce que dans l'intensité même de ces
affections nous puisons du courage pour souffrir. Non, je ne fais pas
d'allusion à ceux-ci: la foi ne discute point, ou si elle discute, elle
ne veut jamais savoir quels sont les faits, ou ce que les faits
prouvent: elle ne les accepte, que pour se prouver soi-même: autrement,
elle les rejette ou les oublie. Ce qui me blesse c'est de voir les
_capables_ du parti libéral, les soi-disants sages, les hommes d'état au
petit-pied foudroyer de leur sourire dédaigneux ces deux géans qui
dorment dans la tombe, et qu'on appele Mousinho et D. Pedro. C'est chose
curieuse que de les entendre, amoncelant des tas de lieux communs pour
nous prouver, aux applaudissemens des sots, que la démolition de la
vieille masure de l'absolutisme n'a été qu'une insigne folie. Puis ils
vous analysent un article de telle loi qui n'est pas clair: ils vous
citent une ordonnance où il manque un paragraphe dont l'absence dépare
l'ensemble; ils s'apitoient sur l'imperfection du style et du langage,
sur le désordre des idées et sur je ne sais plus quels défauts, qui
pullulent dans les rapports et dans les textes des lois de Mousinho.
C'est à faire dresser les cheveux sur la tête. Après ces graves
considérations, on conclut que tout ça ne vaut rien. C'était un vrai
béotien que ce pauvre Mousinho! Sont-ils pas savans ces messieurs?
Quelle pitié!
Il faut le répéter: je ne vante pas le peu d'organisation positive qu'on
trouve dans l'oeuvre de la dictature de D. Pedro; pas plus que ce qu'on
a fait après elle. Ce que je vante c'est la démolition, car la
démolition était la liberte, était le progrès, était la sureté des
nouvelles institutions politiques, et partant était virtuellement la
possibilité d'une bonne organisation pour l'avenir. Si Mousinho eut
gardé le pouvoir plus longtemps, son génie aurait compris que ce n'était
pas avec des imitations batardes des institutions et des lois étrangères
qu'on pouvait rajeunir ce peuple rappelè à la vie. Il aurait compris
qu'il fallait étudier ses origines, ses moeurs, ses habitudes, ses
institutions civiles, ses conditions économiques, ses traditions
légitimes, et modifier tout cela, mais seulement modifier, par les
vérités acquises irrévocablement aux sciences sociales, non parce
qu'elles sont ou ne sont pas acceptées en France ou en Angleterre, mais
parce qu'elles sont des vérités incontestables. Il n'a pas eu le temps
de faire ceci. Les vieux libéraux à la cravate blanche, vieillerie qu'on
avait oublié de démolir, frappaient en foule à la porte du ministère,
pressés qu'ils étaient de jouir du pouvoir. Homme supérieur, il ne
savait point se cramponner à un buffet de ministre, ou attacher son
bonheur aux cartons d'un portefeuille. Il sortit, et ce fut pour ne
jamais rentrer. Les liliputiens politiques craignaient, en marchant à
côté de lui, que par mégarde il ne les écrasât sous son pied. On pouvait
le calomnier; on pouvait le persécuter; on fit mieux: on l'oublia, et il
disparut dans l'obscurité.
On dit qu'à son heure dernière Mousinho se souvint de ce qu'il avait
fait pour le salut de son pays, et que, comme Camões, il mourut avec la
conviction de sa gloire. Il avait raison: nous pouvons l'oublier; mais
l'histoire ne l'oubliera pas.


CARTA AOS ELEITORES DO CIRCULO DE CINTRA
1858


Senhores eleitores do circulo eleitoral de Cintra.--Acabaes de me dar
uma demonstração de confiança, escolhendo-me para vosso procurador no
parlamento: sinto que me não seja permittido acceitá-la.
Se tal escolha não foi um daquellas inspirações que vem ao mesmo tempo
ao espirito do grande número, o que é altamente improvavel, porque o meu
nome deve ser desconhecido para muitos de vós; se alguem, se pessoas
preponderantes nesse circulo, pelo conceito que vos merecem, vos
apresentaram a minha candidatura, andaram menos prUdentemente, fazendo-o
sem me consultarem, e promovendo uma eleição Ínutil.
Ha annos que os eleitores de um circulo da Beira, na sua muita
benevolencia para comigo, pretenderam fazer-me a honra que me fizestes
agora. Um delles, um dos mais nobres, mais puros e mais intelligentes
caracteres dos muitos que conheço, sumidos, esquecidos, nessa vasta
granja da capital chamada--as provincias, encarregou-se de vir a Lisboa
consultar-me. Respondi-lhe como a consciencia me disse que lhe devia
responder, e o meu nome foi posto de parte. De Cintra a Lisboa é mais
perto, e a communicação mais facil, do que dos remotos e quasi impervios
sertões da Beira.
Duas vezes nos comicios populares, muitas na imprensa tenho manifestado
a minha intima convicção de que nenhum circulo eleitoral deve escolher
para seu representante individuo que lhe não pertença; que por larga
experiencia não tenha conhecido as suas necessidades e miserias, os seus
recursos e esperanças; que não tenha com os que o elegerem communidade
de interesses, interesses que variam, que se modificam, e até se
contradizem, de provincia para provincia, de districto para districto, e
ás vezes de concelho para concelho. Esta doutrina, postoque tenha
vantagens no presente, reputo-a sobretudo importante pelo seu alcance,
pelos seus resultados em relação ao futuro. É, no meu modo de ver, o
ponto de Archimedes, um fulcro de alavanca, dado o qual, as gerações que
vierem depois de nós poderão lançar a sociedade n'um molde mais
português e mais sensato do que o actual, inutilisando as copias, ao
mesmo tempo servis e bastardas, de instituições perigrinas, que em meio
seculo tem dado sobejas provas na sua terra natal do que podem e do que
valem para manterem a paz e a ordem publicas, e mais que tudo uma
honesta liberdade.
Durante meses, no decurso de dous annos, tive de vagar pelos districtos
centraes e septemtrionaes do reino. Pude então observar amplamente
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