Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - 07

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mis: elle s'opposeroit au moins à cette descente si rapide des corps:
elle résisteroit à ce large morceau de papier, selon la surface de ce
papier, & laisseroit tomber la balle d'or ou de plomb beaucoup plus
vîte, mais cette chûte se fait au même instant; donc il n'y a rien dans
le récipient qui résiste; donc cette prétendue matiere subtile ne peut
faire aucun effet sensible dans ce récipient; donc il y a une autre
force qui fait la pesanteur.
En vain diroit-on qu'il est possible qu'il reste une matiere subtile
dans ce récipient, puisque la lumiere le pénétre; il y a bien de la
différence. La lumiere qui est dans ce Vase de verre, n'en occupe
certainement pas la cent-millième partie; mais selon les Cartésiens,
il faut que leur matiere imaginaire remplisse bien plus éxactement le
récipient, que si je le supposois rempli d'or, car il y a beaucoup de
vuide dans l'or, & ils n'en admettent point dans leur matiere subtile.
[La pesanteur agit en raison des masses.]
Or par cette expérience la pièce d'or, qui pese cent-mille fois plus
que le morceau de papier, est descendue aussi vîte que le papier; donc
la force, qui l'a fait descendre, a agi cent mille fois plus sur lui
que sur le papier; de même qu'il faudra cent fois plus de force à mon
bras pour remuer cent livres, que pour remuer une livre; donc cette
puissance qui opére la gravitation, agit en raison directe de la masse
des corps. Elle agit en effet tellement selon la masse des corps,
non selon les surfaces, qu'une livre d'or réduite en poudre pesera
précisément comme cette même livre en feuille. La figure des corps ne
change ici en rien leur gravité; ce pouvoir de gravitation agit donc
sur la nature interne des corps, & non en raison des superficies.
[D'où vient ce pouvoir de pesanteur.]
Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matiere subtile, dont nous
parlerons au Chapitre 16., cette matiere seroit un fluide. Tout fluide
agit sur les solides en raison de leurs superficies; ainsi le Vaisseau
présentant moins de surface par sa proue, fend la Mer qui résisteroit
à ses flancs. Or quand la superficie d'un corps est le quarré de son
diametre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diametre: le
même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube & du quarré;
donc la pesanteur, la gravitation n'est point l'effet de ce fluide. De
plus, il est impossible que cette prétendue matiere subtile ait d'un
côté assez de force, pour précipiter un corps de 54000 pieds de haut
en une minute, (car telle est la chûte des corps) & que de l'autre
elle soit assez impuissante, pour ne pouvoir empêcher le pendule du
bois le plus leger de remonter de vibration en vibration dans la
Machine pneumatique, dont cette matiere imaginaire est supposée remplir
exactement tout l'espace.
Je ne craindrai donc point d'affirmer que, si l'on découvroit jamais
une impulsion, qui fût la cause de la pesanteur des corps vers un
centre, en un mot la cause de la gravitation, de l'attraction, cette
impulsion seroit d'une toute autre nature qu'est celle que nous
connoissons.
Voilà donc une premiere vérité déja indiquée ailleurs, & prouvée ici:
il y a un pouvoir qui fait graviter tous les corps en raison directe de
leur masse.
[Pourquoi un corps pese plus qu'un autre.]
Si l'on cherche actuellement pourquoi un corps est plus pesant qu'un
autre, on en trouvera aisément l'unique raison: on jugera que ce corps
doit avoir plus de masse, plus de matiere sous une même étendue; ainsi
l'or pese plus que le bois, parce qu'il y a dans l'or bien plus de
matiere & moins de vuide que dans le bois.
[Le Systême de Descartes ne peut en rendre raison.]
Descartes & ses Sectateurs soutiennent qu'un corps est plus pesant
qu'un autre sans avoir plus de matiere: non contents de cette idée,
ils la soutiennent par une autre aussi peu vraie: ils admettent un
grand tourbillon de matiere subtile autour de notre Globe; & c'est ce
grand tourbillon, disent-ils, qui en circulant chasse tous les corps
vers le centre de la Terre, & leur fait éprouver ce que nous appellons
pesanteur.
Il est vrai qu'ils n'ont donné aucune preuve de cette assertion: il
n'y a pas la moindre expérience, pas la moindre analogie dans les
choses que nous connoissons un peu, qui puisse fonder une présomption
legére en faveur de ce tourbillon de matiere subtile; ainsi de cela
seul que ce Systême est une pure hipothèse, il doit être rejetté.
C'est cependant par cela seul qu'il a été accrédité. On concevoit ce
tourbillon sans effort, on donnoit une explication vague des choses en
prononçant ce mot de matiere subtile; & quand les Philosophes sentoient
les contradictions & les absurdités attachées à ce Roman Philosophique,
ils songeoient à le corriger plutôt qu'à l'abandonner.
Hugens & tant d'autres y ont fait mille corrections, dont ils avouoient
eux-mêmes l'insuffisance; mais que mettrons-nous à la place des
tourbillons & de la matiere subtile? Ce raisonnement trop ordinaire
est celui qui affermit le plus les hommes dans l'erreur & dans le
mauvais parti. Il faut abandonner ce que l'on voit faux & insoutenable,
aussi-bien quand on n'a rien à lui substituer, que quand on auroit
les démonstrations d'Euclide à mettre à la place. Une erreur n'est ni
plus ni moins erreur, soit qu'on la remplace ou non par des vérités;
devrois-je admettre l'horreur du vuide dans une pompe, parce que je ne
saurois pas encore par quel méchanisme l'eau monte dans cette pompe?
Commençons donc, avant que d'aller plus loin, par prouver que les
tourbillons de matiere subtile n'existent pas: que le _Plein_ n'est pas
moins chimérique; qu'ainsi tout ce Systême, fondé sur ces imaginations,
n'est qu'un Roman ingénieux sans vraisemblance. Voyons ce que c'est
que ces tourbillons imaginaires, & examinons ensuite si le _Plein_ est
possible.


[Illustration]
CHAPITRE SEIZE.
_Que les tourbillons de Descartes & le Plein sont impossibles, & que
par conséquent il y a une autre cause de la pesanteur._

DESCARTES suppose un amas immense de particules insensibles, qui
emporte la Terre d'un mouvement rapide d'Occident en Orient, & qui d'un
Pole à l'autre se meut parallèlement à l'Equateur; ce tourbillon qui
s'étend au-delà de la Lune, & qui entraîne la Lune dans son cours,
est lui-même enchassé dans un autre tourbillon plus vaste encore, qui
touche à un autre tourbillon sans se confondre avec lui, &c.
[Preuve de l'impossibilité des tourbillons.]
1º. Si cela étoit, le tourbillon qui est supposé se mouvoir autour de
la Terre d'Occident en Orient, devroit chasser les corps sur la Terre
d'Occident en Orient: or les corps en tombant décrivent tous une ligne,
qui étant prolongée passeroit, à-peu-près, par le centre de la Terre;
donc ce tourbillon n'existe pas.
2º. Si les cercles de ce prétendu tourbillon se mouvoient & agissoient
parallèlement à l'Equateur, tous les corps devroient tomber chacun
perpendiculairement sous le cercle de cette matiere subtile auquel il
répond: un corps en A. près du Pole P. devroit, selon Descartes, tomber
en R.
[Illustration]
Mais il tombe à-peu-près selon la ligne A, B. ce qui fait une
différence d'environ 1400 lieues; car on peut compter 1400 lieues
communes de France du point R à l'Equateur de la Terre B.; donc ce
tourbillon n'éxiste pas.
3º. Si ce tourbillon de matiere autour de la Terre, & ces autres
prétendus tourbillons autour de Jupiter & de Saturne, &c. éxistoient,
tous ces tourbillons immenses de matiere subtile, roulant si rapidement
dans des directions différentes, ne pourroient jamais laisser venir
à nous, en ligne droite, un rayon de lumiere dardé d'une Etoile. Il
est prouvé que ces rayons arrivent en très-peu de tems par rapport au
chemin immense qu'ils font; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
4º. Si ces tourbillons emportoient les Planetes d'Occident en Orient,
les Cometes, qui traversent en tout sens ces espaces d'Orient en
Occident & du Nord au Sud, ne les pourroient jamais traverser. Et quand
on supposeroit que les Cometes n'ont point été en effet du Nord au Sud,
ni d'Orient en Occident, on ne gagneroit rien par cette évasion, car on
sait que quand une Comete se trouve dans la région de Mars, de Jupiter,
de Saturne, elle va incomparablement plus vîte que Mars, que Jupiter,
que Saturne; donc elle ne peut-être emportée, par la même couche du
fluide qui est supposé emporter ces Planetes; donc ces tourbillons
n'éxistent pas.
5º. Ces prétendus tourbillons seroient ou aussi denses, aussi massifs
que les Planetes, ou bien ils seroient plus denses, ou enfin moins
denses. Dans le premier cas, la matiere prétendue, qui entoure la Lune
& la Terre, étant supposée dense comme un égal volume de Terre, nous
éprouverions pour lever un pied cubique de Marbre, par exemple, la
même résistance que si nous avions à lever une colomne de Marbre d'un
pied de base, qui auroit pour sa longueur la distance de la Terre à
la Lune. Dans le deuxième cas, la matiere fluide étant plus grave que
la Terre, notre Globe nageroit sur ce fluide, comme un Vaisseau nage
sur l'Eau, & ne pourroit être plongé, comme on le prétend, dans cette
matiere subtile. Dans le troisième cas, le fluide étant moins dense,
moins pesant que la Terre, ce fluide ne pourroit jamais la soutenir,
par la raison que l'Eau ne peut soutenir le fer, ni rien de ce qui pese
plus qu'elle; donc ces tourbillons n'éxistent pas.
6º. Si ces fluides imaginaires éxistoient, tout l'ordre des Astres
seroit interverti: le Soleil qui tourne sur lui-même, perdroit bien-tôt
de son mouvement à force de rencontrer ce fluide; & aucune des Planetes
ne suivroit la route qu'elle tient, n'auroit le mouvement qu'elle a,
n'auroit bien-tôt aucun mouvement.
7º. Les Planetes emportées dans ces tourbillons supposés ne pourroient
se mouvoir que circulairement, puisque ces tourbillons, à égales
distances du centre, seroient également denses; mais les Planetes se
meuvent dans des Ellipses; donc elles ne peuvent être portées par des
tourbillons; donc, &c.
8º. La Terre a son Orbite qu'elle parcourt entre celui de Venus &
celui de Mars: tous ces Orbites sont elliptiques, & ont le Soleil
pour centre: or quand Mars, & Venus & la Terre sont plus près l'un
de l'autre, alors la matiere du torrent prétendu, qui emporte la
Terre, seroit beaucoup plus resserrée: cette matiere subtile devroit
précipiter son cours, comme un Fleuve rétreci dans ses bords, ou
coulant sous les arches d'un Pont: alors ce fluide devroit emporter la
Terre d'une rapidité bien plus grande qu'en toute autre position; mais
au contraire c'est dans ce tems-là même que le mouvement de la Terre
est plus ralenti.
[Illustration]
Quand Mars paroît dans le Signe des Poissons, Mars, la Terre & Venus
sont à-peu-près dans cette proximité que vous voyez: alors le Soleil
paroît retarder de quelque minutes, c'est-à-dire que c'est la Terre qui
retarde; il est donc démontré impossible qu'il y ait là un torrent de
matiere qui emporte les Planetes; donc ce tourbillon n'éxiste pas.
9º. Parmi des démonstrations plus recherchées, qui anéantissent les
tourbillons, nous choisirons celle-ci. Par une des grandes loix de
Kepler, toute Planete décrit des aires égales en tems égaux: par une
autre loi non moins sûre, chaque Planete fait sa révolution autour
du Soleil en telle sorte, que si, par exemple, sa moyenne distance
au Soleil est 10. prenez le cube de ce nombre, ce qui fera 1000.,
& le tems de la révolution de cette Planete autour du Soleil sera
proportionné à la racine quarrée de ce nombre 1000. Or s'il y avoit
des couches de matiere qui portassent des Planetes, ces couches ne
pourroient suivre ces loix; car il faudroit que les vîtesses de ces
torrents fussent à la fois proportionelles à leur distances au Soleil,
& aux racines quarrées de ces distances; ce qui est incompatible.
Pour comble enfin, tout le monde voit ce qui arriveroit à deux
fluides circulant l'un vis-à-vis de l'autre. Ils se confondroient
nécessairement & formeroient le Chaos au lieu de le débrouiller. Cela
seul auroit jetté sur le Systême Cartésien un ridicule qui l'eût
accablé, si le goût de la nouveauté, & le peu d'usage où l'on étoit
alors d'examiner, n'avoient prévalu.
Il faut prouver à présent que le _Plein_, dans lequel ces tourbillons
sont supposés se mouvoir, est aussi impossible que ces tourbillons.
[Preuve contre le _Plein_.]
1º. Un seul rayon de lumiere, qui ne pese pas, à beaucoup près, la
cent-millième partie d'un grain, auroit à déranger tout l'Univers,
si elle avoit à s'ouvrir un chemin jusqu'à nous à travers un espace
immense, dont chaque point résisteroit par lui-même, & par toute la
ligne dont il seroit pressé.
2º. Soient ces deux corps durs A, B: (nous avons déja prouvé qu'il faut
qu'il y ait des corps durs) ils se touchent par une surface, & sont
supposés entourés d'un fluide qui les presse de tous côtés: or, quand
on les sépare, il est clair que la prétendue matiere subtile arrive
plutôt au point A, où on les sépare, qu'au point B;
[Illustration]
Donc il y a un moment où B sera vuide; donc même dans le Systême de la
matiere subtile, il y a du vuide, c'est-à-dire de l'espace.
3º. S'il n'y avoit point de vuide & d'espace, il n'y auroit point de
mouvement, même dans le Systême de Descartes. Il suppose que Dieu créa
l'Univers plein & consistant en petits cubes: soit donc un nombre donné
de cubes représentant l'Univers, sans qu'il y ait entre eux le moindre
intervalle: il est évident qu'il faut qu'un d'eux sorte de la place
qu'il occupoit, car si chacun reste dans sa place, il n'y a point de
mouvement, puisque le mouvement consiste à sortir de sa place, à passer
d'un point de l'espace dans un autre point de l'espace; or qui ne voit
que l'un de ces cubes ne peut quitter sa place sans la laisser vuide
à l'instant qu'il en sort, car il est clair que ce cube en tournant
sur lui-même doit présenter son angle au cube qui le touche, avant que
l'angle soit brisé? donc alors il y a de l'espace entre ces deux cubes;
donc dans le Systême de Descartes même, il ne peut y avoir de mouvement
sans vuide.
4º. Si tout étoit plein, comme le veut Descartes, nous éprouverions
nous-mêmes en marchant une résistance infinie, au lieu que nous
n'éprouvons que celle des fluides dans lesquelles nous sommes, par
exemple, celle de l'eau qui nous résiste 860. fois plus que celle de
l'air, celle du mercure qui résiste environ 14000. fois plus que l'air;
or les résistances des fluides sont comme les quarrés des vîtesses;
c'est-à-dire, si un homme parcourt dans une tierce un pied d'espace
du mercure qui lui résiste 14000. fois plus que l'air, si cet homme
dans la seconde tierce a le double de cette vîtesse, ce mercure lui
résistera dans la seconde tierce comme le quarré de 2. multiplié par
14000., résistance 56000. fois plus forte que celle de l'air qui
résiste alors à nos mouvemens; donc si tout étoit plein, il seroit
absolument impossible de faire un pas, de respirer, &c.
5º. On a voulu éluder la force de cette démonstration; mais on ne
peut répondre à une démonstration que par une erreur. On prétend que
ce torrent infini de matiere subtile pénétrant tous les pores des
corps, ne peut en arrêter le mouvement. On ne fait pas réflexion que
tout mobile, qui se meut dans un fluide, éprouve d'autant plus de
résistance, qu'il oppose plus de surface à ce fluide: or plus un corps
a de trous plus il a de surface: ainsi la prétendue matiere subtile en
choquant tout l'intérieur d'un corps, s'opposeroit bien davantage au
mouvement de ce corps, qu'en ne touchant que sa superficie extérieure;
& cela est encore démontré en rigueur.
6º. Dans le _Plein_ tous les corps seroient également pesants; il est
impossible de concevoir qu'un corps pese sur moi, me presse, que par sa
masse une livre de poudre d'or pese autant sur ma main, qu'un morceau
d'or d'une livre. En vain les Cartésiens répondent que la matiere
subtile pénétrant les interstices des corps ne pese point, & qu'il
ne faut compter pour pesant que ce qui n'est point matiere subtile:
cette opinion de Descartes n'est chez lui qu'une pure contradiction,
car selon lui cette prétendue matiere subtile fait seule la pesanteur
des corps, en les repoussant vers la Terre; donc elle pese elle-même
sur ces corps; donc, si elle pese, il n'y a pas plus de raison pourquoi
un corps sera plus pesant qu'un autre, puisque tout étant plein, tout
aura également de masse, soit solide, soit fluide; donc le _Plein_ est
une chimére; donc il y a du _vuide_; donc rien ne se peut faire dans la
Nature sans vuide; donc la pesanteur n'est pas l'effet d'un prétendu
tourbillon imaginé dans le _Plein_.

[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE DIX-SEPT.
_Ce que c'est que le_ Vuide, _& l_'Espace, _sans lequel il n'y auroit
ni pesanteur ni mouvement_.

[Difficulté contre le _Vuide_.]
CEUX qui ne peuvent concevoir le _Vuide_, objectent que ce _Vuide_ ne
seroit rien, que le rien ne peut avoir des proprietés, & qu'ainsi il ne
se pourroit rien opérer dans le _Vuide_.
[Réponse.]
On répond qu'il n'est pas vrai que le _Vuide_ soit rien; il est le lieu
des corps, il est l'espace, il a des proprietés, il est étendu en
longueur, largueur & profondeur, il est pénétrable, il est inséparable,
&c. Il est vrai que je ne peux pas me faire dans le cerveau une image
de l'_Espace_ étendu, comme je m'en fais une du Corps étendu; mais
je me suis démontré que cet _Espace_ éxiste. Je ne puis en Géométrie
me représenter une infinité de cercles passant entre un cercle & une
tangente; mais je me suis démontré cependant que la chose est vraie en
Géométrie, & cela suffit. Je ne puis concevoir ce que c'est qui pense
en moi, je suis cependant convaincu que quelque chose pense en moi.
De même je me démontre l'impossibilité du _Plein_ & la nécessité du
_Vuide_, sans avoir une image du _Vuide_; car je n'ai d'image que de ce
qui est corporel, & l'_Espace_ n'est point corporel. Autre chose est se
représenter une image, autre chose est concevoir une vérité; je conçois
très-bien l'_Espace_, & les Philosophes Epicuriens, qui n'avoient guère
raison qu'en cela, le concevoient très-bien.
Il n'y avoit d'autre réponse à cet Argument que de dire que la Matiere
est infinie; c'est ce que plusieurs Philosophes ont assûré, & ce que
Descartes a renouvellé après eux.
[La Matiére n'est pas infinie.]
Mais surquoi imagine-t-on que la Matiere est infinie? Sur une autre
supposition que l'on s'est plû de faire. On dit: l'Etendue & la Matiere
sont la même chose: on ne peut concevoir que l'Etendue soit finie; donc
il faut admettre la Matiere infinie.
Cela prouve combien on s'égare, quand on ne raisonne que sur des
suppositions. Il est faux que l'Etendue & la Matiere soient la même
chose: toute matiere est étendue; mais toute étendue n'est pas matiere.
Descartes en avançant que l'Etendue ne peut-être que de la matiere,
disoit une chose bien peu Philosophique, car nous ne savons point du
tout ce que c'est que Matiere; nous en connoissons seulement quelques
proprietés, & personne ne peut nier qu'il ne soit possible qu'il éxiste
des millions d'autres substances étendues, différentes de ce que nous
appellons Matiere; or ces substances où seront-elles, sinon dans
l'_Espace_?
Outre cette faute, Descartes se contredisoit encore, car il
admettoit un Dieu; or où est Dieu? Il n'est pas dans un point
mathématique, il est immense; qu'est-ce que son immensité, sinon
l'Espace immense?
[Discussion de cette Vérité.]
A l'égard de l'infinité prétendue de la Matiere, cette idée est
aussi peu fondée que les tourbillons. Nous avons vu que le _Vuide_
est d'une nécessité absolue dans l'ordre des choses, & qu'ainsi la
Matiere ne remplissant point tout l'Espace, elle n'est point infinie;
mais, qu'entend-on par une Matiere infinie? car le mot _d'indéfinie_,
dont Descartes s'est servi, ou revient au même, ou ne signifie rien.
Entend-on que la Matiere est infinie essentiellement par sa nature? En
ce cas elle est donc Dieu? Entend-on que Dieu l'a créée infinie? D'où
le sauroit-on? Entend-on que l'Etendue & la Matiere sont la même chose?
C'est un argument dont on a prouvé assez la fausseté.
L'éxistence de la Matiere infinie est, au fond, une contradiction
dans les termes. Mais dira-t-on, vous admettez un Espace immense,
infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la Matiere? Voici la
différence: L'Espace éxiste nécessairement, parce que Dieu éxiste
nécessairement; il est immense, il est comme la durée, un mode, une
proprieté infinie d'un Etre nécessaire, infini. La Matiere n'est rien
de tout cela: elle n'éxiste point nécessairement: & si cette substance
étoit infinie, elle seroit ou une proprieté essentielle de Dieu, ou
Dieu même: or elle n'est ni l'un ni l'autre; elle n'est donc pas
infinie & ne sauroit l'être.
[Remarque singuliére.]
Je conclurai ce Chapitre par une remarque qui me paroît mériter
beaucoup d'attention. Descartes admettoit un Dieu Créateur & Cause de
tout: mais il nioit la possibilité du _Vuide_: Epicure nioit qu'il y
eût un Dieu Créateur & Cause de tout, & il admettoit le _Vuide_; or
c'étoit Descartes qui par ses principes devoit nier un Dieu Créateur, &
c'étoit Epicure qui devoit l'admettre. En voici la preuve évidente.
Si le _Vuide_ étoit impossible, si la Matiere étoit infinie, si
l'Etendue & la Matiere étoient la même chose, il faudroit que la
Matiere fût nécessaire: or si la Matiere étoit nécessaire, elle
éxisteroit par elle-même d'une nécessité absolue, inhérente dans
sa nature primordiale, antécédente à tout; donc elle seroit Dieu;
donc celui qui admet l'impossibilité du _Vuide_, doit, s'il raisonne
conséquemment, ne point admettre d'autre Dieu que la Matiere.
Au contraire, s'il y a du _vuide_, la Matiere n'est donc point un Etre
nécessaire, éxistant par lui-même, &c.; donc elle a été créée; donc
il y a un Dieu; donc c'étoit à Epicure à croire un Dieu, & c'étoit
à Descartes à le nier. Pourquoi donc au contraire Descartes a-t-il
toujours parlé de l'éxistence d'un Etre Créateur & Conservateur, &
Epicure l'a-t-il rejetté? C'est que les hommes dans leurs sentimens,
comme dans leur conduite, suivent rarement leurs principes, & que leurs
Systêmes ainsi que leurs vies sont des contradictions.
[Conclusion.]
Nous voyons de tout ce qui précéde que la Matiere est finie, qu'il y
a du _vuide_, c'est-à-dire, de l'espace, & même incomparablement plus
d'espace que de matiere dans notre Monde; car il y a beaucoup plus de
pores que de solides. Nous concluons que le _Plein_ est impossible,
que les tourbillons de matiere subtile le sont pareillement; qu'ainsi
la cause que Descartes assignoit à la pesanteur & au mouvement est une
chimére.
Nous venons de nous appercevoir par l'expérience dans la Machine
pneumatique qu'il faut qu'il y ait une force qui fasse descendre les
corps vers le centre de la Terre, c'est-à-dire, qui leur donne la
pesanteur, & que cette force doit agir en raison de la masse des corps;
il faut maintenant voir quels sont les effets de cette force, car si
nous en découvrons les effets, il est évident qu'elle éxiste. N'allons
donc point d'abord imaginer des Causes & faire des Hypothèses: c'est le
sûr moyen de s'égarer: suivons pas à pas, ce qui se passe réellement
dans la Nature; nous sommes des Voyageurs arrivés à l'Embouchure d'un
Fleuve, il faut le remonter avant que d'imaginer où est sa source.


[Illustration]
CHAPITRE DIX-HUIT.
_Gravitation démontrée par les découvertes de Galilée & de Neuton; que
la Lune parcourt son Orbite par la force de cette gravitation._

[Loix de la chûte des corps trouvées par Galilée.]
GALILE'E le restaurateur de la Raison en Italie, découvrit cette
importante proposition, que les Corps graves qui descendent sur la
Terre (faisant abstraction de la petite résistance de l'air) ont un
mouvement accéléré dans une proportion dont je vais tâcher de donner
une idée nette.
Un Corps abandonné à lui-même du haut d'une Tour, parcourt, dans la
premiere seconde de tems, un espace qui s'est trouvé être de 15 pieds
de Paris, selon les découvertes d'Hugens inventeur en Mathématiques.
On croyoit avant Galilée que ce Corps pendant deux secondes auroit
parcouru seulement deux fois le même espace, & qu'ainsi il feroit 150
pieds en dix secondes, & neuf cens pieds en une minute: c'étoit-là
l'opinion générale, & même fort vraisemblable à qui n'examine pas de
près; cependant il est vrai qu'en une minute ce corps auroit fait un
chemin de cinquante-quatre mille pieds, & deux cens seize mille pieds
en deux minutes.
Voici comment ce progrès, qui étonne d'abord l'imagination, s'opére
nécessairement & avec simplicité. Un Corps est précipité par son
propre poids: cette force quelconque qui l'anime à descendre de quinze
pieds dans la premiere seconde, agit également à tous les instans, car
rien n'ayant changé, il faut qu'elle soit toujours la même; ainsi à
la deuxième seconde le Corps aura la force qu'il a acquise à chaque
instant de la premiere seconde, & la force qu'il éprouve chaque instant
de la deuxième. Or par la force qui l'animoit à la premiere seconde il
parcouroit quinze pieds, il a donc encore cette force quand il descend
la deuxième seconde. Il a outre cela la force de quinze autres pieds
qu'il acquéroit à mesure qu'il descendoit dans cette premiere seconde,
cela fait trente: il faut (rien n'ayant changé) que dans le tems de
cette deuxième seconde, il ait encore la force de parcourir quinze
pieds, cela fait quarante-cinq; par la même raison le Corps parcourra
soixante-quinze pieds dans la troisième seconde, & ainsi du reste.
De là il suit 1º. que le mobile acquiert en tems égaux infiniment
petits des degrés infiniment petits de vîtesse, lesquels accélérent
son mouvement vers le centre de la Terre, tant qu'il ne trouve pas de
résistance.
2º. Que les vîtesses qu'il acquiert sont comme les tems qu'il employe à
descendre.
3º. Que les espaces qu'il parcourt sont comme les quarrés de ces tems
où de ces vîtesses.
4º. Que la progression des espaces parcourus par ce mobile sont comme
les nombres impairs 1, 3, 5, 7. Cette connoissance nécessaire de ce
Phénomêne qui arrive autour de nous à tous les instans, va être rendue
sensible à ceux même qui seroient d'abord un peu embarrassés de tous
ces rapports; il ne faut qu'un peu d'attention en jettant les yeux sur
cette petite table que chaque Lecteur peut augmenter à son gré.
+-----------+----------+---------------------+-------------------+
| Tems | Espaces | Espaces parcourus | Nombres impairs, |
| dans | qu'il | sont comme les | qui marquent |
| les | parcourt | quarrés des tems. | la progression du |
| quels le | en | | mouvement, |
| mobile | chaque | | & les espaces |
| tombe. | tems. | | parcourus. |
+-----------+----------+---------------------+-------------------+
| 1re. | Le Corps | Le quarré d'un est | Une fois |
| Seconde, | descend | un, le corps | quinze, |
| une | de 15 | parcourt | |
| vîtesse: | pieds: | 15. pieds. | |
| | | | |
+-----------+----------+---------------------+-------------------+
| | | Le quarré de deux | |
| | | secondes, ou de | |
| 2me. | Le | deux vîtesses est | Trois fois |
| Seconde, | Corps | quatre: quatre fois | quinze; |
| deux | parcourt | quinze font 60; | ainsi la |
| vîtesses: | 45. | donc le corps a | progression |
| | pieds: | parcouru 60. pieds | est |
| | | c'est-à-dire, 15. | d'un à 3. |
| | | dans la premiere | dans cette |
| | | seconde, & 45. dans | seconde. |
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