Elémens de la philosophie de Neuton: Mis à la portée de tout le monde - 04

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une perpendiculaire, qu'on élèveroit du point où elle commence à
descendre. Or Neuton a découvert & a prouvé qu'il y a dans la Nature
une force, qui fait tendre tous les corps, en ligne perpendiculaire,
les uns vers les autres en proportion directe de leur masse. Donc cette
force (telle qu'elle soit) doit agir dans l'eau sur ce rayon; & la
masse du rayon étant incomparablement moindre que celle de l'eau, ce
rayon doit sensiblement être mu vers elle.
Regardez donc ce rayon de lumiere qui descend perpendiculairement de
l'air sur la surface de ce cristal.
[Illustration]
[L'attraction agit en perpendicule, & accélere la chûte des rayons.]
Comme cette ligne descend perpendiculairement, le pouvoir de
l'attraction, tel qu'il soit, agissant en ligne droite, le rayon ne se
détourne point de son chemin; mais il arrive plus promptement, qu'il
n'auroit fait en B., & c'est encore une vérité apperçue par Neuton.
Avant lui on croioit que ce rayon de lumiere étoit retardé dans
son cours en entrant dans l'eau. Au contraire, il y entre avec
accélération. Pourquoi? Parce qu'il y est porté, & par son propre
mouvement, & par celui de l'attraction que l'eau, ou le verre, lui
imprime. Ce rayon arrive donc en B. par cette force accélératrice plus
promptement qu'il n'eût franchi l'air.
Mais si nous considerons dans ce même bassin d'eau, ou dans cette même
masse de verre, ce rayon oblique qui tombe dessus, qu'arrive-t-il? Il
conserve son mouvement d'obliquité en ligne droite, & il en acquiert un
nouveau en ligne perpendiculaire.
Que cette attraction, que cette tendance, que cette espèce de
gravitation existe, nous n'en pouvons douter: car nous avons vu la
lumiere attirée par le verre, y rentrer sans toucher à rien; or
cette force agit nécessairement en ligne perpendiculaire, la ligne
perpendiculaire étant le plus court chemin.
Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties de la
matiere. Les parties de la superficie d'un corps quelconque, éprouvent
donc ce pouvoir, avant qu'il pénétre l'intérieur de la substance, avant
qu'il parvienne au centre où il est dirigé. Ainsi dès que ce rayon est
arrivé près de la superficie du cristal, ou de l'eau, il prend déja un
peu en cette maniere le chemin de la perpendicule.
[Illustration]
[Lumiere brisée avant d'entrer dans les corps.]
Il se brise déja un peu en C. avant d'entrer: plus il entre, plus il
se brise; c'est que plus les corps sont proches, plus ils s'attirent,
& que celui qui a le plus de masse détermine vers lui, celui qui en a
moins. Ainsi il arrive à ce rayon de lumiere la même chose qu'à tout
corps, qui a un mouvement composé de deux directions différentes; il
n'obéït à aucune, & tient un chemin qui participe des deux. Ainsi ce
rayon ne tombe pas tout-à-fait perpendiculairement, & ne suit pas sa
premiere ligne droite oblique, en traversant cette eau, ou ce verre;
mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, & qui descend
d'autant plus vîte, que l'attraction de cette eau, ou de ce cristal,
est plus forte. Donc loin que l'eau rompe les rayons de lumiere, en
leur résistant, comme on le croioit, elle les rompt en effet, parce
qu'elle ne résiste pas, &, au contraire, parce qu'elle les attire.
Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire,
non pas quand ils passent d'un milieu plus facile dans un milieu plus
résistant, mais quand ils passent _d'un milieu moins attirant dans un
milieu plus attirant_. Observez qu'il ne faut jamais entendre par ce
mot _attirant_, que le point vers lequel se dirige une force reconnue,
une proprieté incontestable de la matiere.
Vous savez que beaucoup de gens, autant attachés à la Philosophie,
ou plutôt au nom de Descartes, qu'ils l'étoient auparavant au nom
d'Aristote, se sont soulevés contre l'attraction. Les uns n'ont pas
voulu l'étudier, les autres l'ont méprisee, & l'ont insultée après
l'avoir à peine examinée; mais je prie le Lecteur de faire les trois
réflexions suivantes.
[Il faut examiner l'attraction avant de se révolter contre ce mot.]
1º. Qu'entendons-nous par attraction? Rien autre chose qu'une force par
laquelle un corps s'approche d'un autre, sans que l'on voye, sans que
l'on connaisse, aucune autre force qui le pousse.
2º. Cette propriété de la matiere est établie par les meilleurs
Philosophes en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, & même dans
plusieurs Universitez d'Italie, où des Loix un peu rigoureuses
ferment quelquefois l'accez à la Vérité. Le consentement de tant de
savans hommes n'est pas une preuve, sans doute; mais c'est une raison
puissante pour examiner au moins si cette force existe ou non.
3º. L'on devroit songer que l'on ne connait pas plus la cause de
l'impulsion, que de l'attraction. On n'a pas même plus d'idée de
l'une de ces forces que de l'autre; car il n'y a personne qui puisse
concevoir pourquoi un corps a le pouvoir d'en remuer un autre de sa
place. Nous ne concevons pas non plus, il est vrai, comment un corps
en attire un autre, comment les parties de la matiere gravitent
mutuellement. Aussi ne dit-on pas que Neuton se soit vanté de connaitre
la raison de cette attraction. Il a prouvé simplement qu'elle
existe: il a vu dans la matiere un phénomêne constant, une propriété
universelle. Si un homme trouvoit un nouveau métal dans la terre,
ce métal existeroit-il moins, parce que l'on ne connaitrait pas les
premiers Principes dont il seroit formé? Que le Lecteur qui jettera
les yeux sur cet Ouvrage ait recours à la discussion métaphysique sur
l'attraction, faite par Mr. de Maupertuis, dans le plus petit & dans
le meilleur Livre qu'on ait écrit peut-être en Français, en fait de
Philosophie. On y verra à travers la reserve avec laquelle l'Auteur
s'est expliqué, ce qu'il pense, & ce qu'on doit penser de cette
attraction, dont le nom a tout effarouché.
Nous avons vu dans le second chapitre, que les rayons réflechis d'un
Miroir ne sauroient venir à nous de sa surface. Nous avons expérimenté
que les rayons transmis dans du verre à un certain angle, reviennent au
lieu de passer dans l'air; que, s'il y a du vuide derriere ce verre,
les rayons qui étoient transmis auparavant reviennent de ce vuide à
nous. Certainement il n'y a point-là d'impulsion connue. Il faut de
toute nécessité admettre un autre pouvoir; il faut bien aussi avouer,
qu'il y a dans la réfraction quelque chose qu'on n'entendoit pas
jusqu'à présent.
[Preuves de l'attraction.]
Or quelle sera cette puissance qui rompra ce rayon de lumiere dans
ce bassin d'eau? Il est démontré (comme nous le dirons au chapitre
suivant) que, ce qu'on avoit cru jusqu'à présent un simple rayon de
lumiere, est un faisceau de plusieurs rayons, qui se réfractent tous
différemment. Si de ces traits de lumiere contenus dans ce rayon, l'un
se réfracte, par exemple, à quatre mesures de la perpendiculaire,
l'autre se rompra à trois mesures. Il est démontré que les plus
réfrangibles, c'est-à-dire, par exemple, ceux qui en se brisant au
sortir d'un verre, & en prenant dans l'air une nouvelle direction,
s'approchent moins de la perpendiculaire de ce verre, sont aussi ceux
qui se réflechissent le plus aisément, le plus vîte. Il y a donc déja
bien de l'apparence, que ce sera la même loi qui fera réflechir la
lumiere, & qui la fera réfracter.
Enfin, si nous trouvons encore quelque nouvelle propriété de la
lumiere, qui paraisse devoir son origine à la force de l'attraction,
ne devrons-nous pas conclure que tant d'effets appartiennent à la même
cause?
[Inflexion de la lumiere auprès des corps qui l'attirent.]
Voici cette nouvelle propriété qui fut découverte par le Pere
Grimaldi Jésuite vers l'an 1660. & sur laquelle Neuton a poussé
l'examen jusqu'au point de mesurer l'ombre d'un cheveu à des
distances différentes. Cette propriété est l'inflexion de la lumiere.
Non-seulement les rayons se brisent en passant dans le milieu dont la
masse les attire; mais d'autres rayons, qui passent dans l'air auprès
des bords de ce corps attirant, s'approchent sensiblement de ce corps,
& se détournent visiblement de leur chemin. Mettez dans un endroit
obscur cette lame d'acier, ou de verre aminci, qui finit en pointe:
exposez-la auprès d'un petit trou par lequel la lumiere passe; que
cette lumiere vienne raser la pointe de ce métal.
[Illustration]
Vous verrez les rayons se courber auprès en telle maniere, que le rayon
qui s'approchera le plus de cette pointe, se courbera davantage, &
que celui qui en sera plus éloigné, se courbera moins à proportion.
N'est-il pas de la plus grande vraisemblance, que le même pouvoir
qui brise ces rayons, quand ils sont dans ce milieu, les force à se
détourner, quand ils sont près de ce milieu? Voilà donc la réfraction,
la transparence, la réflexion, assujeties à de nouvelles loix. Voilà
une inflexion de la lumiere, qui dépend évidemment de l'attraction.
C'est un nouvel Univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent
voir.
Nous montrerons bien-tôt qu'il y a une attraction évidente entre le
Soleil & les Planetes, une tendance mutuelle de tous les corps les
uns vers les autres. Mais nous avertissons ici d'avance, que cette
attraction, qui fait graviter les Planetes sur notre Soleil, n'agit
point du tout dans les mêmes rapports que l'attraction des petits
corps qui se touchent. Il faudra que l'on songe bien, que ces rapports
changent au point de contact. Qu'on ne croye point que la lumiere est
infléchie vers le cristal & dans le cristal, suivant le même rapport,
par exemple, que Mars est attiré par le Soleil. Tous les corps, comme
nous le verrons, sont attirez en raison inverse du quarré de leurs
distances; mais au point de contact, ils le sont en raison inverse des
cubes de leurs distances, & beaucoup plus encore. Ainsi l'attraction
est bien plus forte, & la force s'en dissipe bien plus vîte; & cette
attraction des corps qui se touchent, augmente encore à mesure que les
corps sont petits. Ainsi des particules de lumiere attirées par les
petites masses du verre, sont bien loin de suivre les loix du Systême
planétaire. Deux atomes, & deux Planetes telles que Jupiter & Saturne,
obéïssent à l'attraction, mais à différentes loix de l'attraction.
C'est ce que nous nous reservons d'expliquer dans l'avant dernier
Chapitre, & ce que nous avons cru nécessaire d'indiquer ici pour lever
toute équivoque.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE HUIT.
_Suites des merveilles de la réfraction de la lumiere. Qu'un seul rayon
de la lumiere contient en soi toutes les couleurs possibles; ce que
c'est que la refrangibilité. Découvertes nouvelles._

[Imagination de Descartes sur les couleurs.]
SI vous demandez aux Philosophes ce qui produit les couleurs, Descartes
vous répondra que _les globules de ses Elémens sont déterminez à
tournoyer sur eux-mêmes outre leur tendance au mouvement en ligne
droite, & que ce sont les différens tournoyemens qui font les
différentes couleurs_. Mais, en vérité, ses Elémens, ses globules,
son tournoyement, ont-ils même besoin de la pierre de touche de
l'expérience pour que le faux s'en fasse sentir? Une foule de
démonstrations anéantit ces chiméres. Voici les plus simples & les plus
sensibles.
Rangez des boules les unes contre les autres: supposez les poussées en
tout sens, & tournant toutes sur elles-mêmes en tout sens; par le seul
enoncé, il est impossible, que ces boules contigues puissent avancer
en lignes droites réguliérement. De plus, comment verriez-vous sur une
muraille ce point bleu, & ce point verd?
[Illustration]
Les voilà marquez sur cette muraille; il faut qu'ils se croisent en
l'air au point A. avant d'arriver à vos yeux. Puisqu'ils se croisent,
leur prétendu tournoyement doit changer au point d'intersection. Les
tournoyemens qui faisoient le bleu & le verd ne subsistent donc plus
les mêmes: il n'y auroit donc plus alors de point verd, ni de point
bleu. Un Jésuite Flamand fit cette objection à Descartes. Celui-ci en
sentit toute la force, mais que croiriez-vous qu'il répondit? Que ces
boules _ne tournoyent pas à la vérité_, mais qu'_elles ont une tendance
au tournoyement_. Voilà ce que Descartes dit dans ses Lettres. L'acte
du _transparent en tant que transparent_, est-il plus intelligible?
Vous me direz, sans doute, que cette difficulté est égale dans tous
les Systêmes. Vous me direz que ces rayons, qui partent de ce point
bleu & de ce point verd, se croisent nécessairement, quelque opinion
qu'on embrasse touchant les couleurs; que cette intersection des
rayons devroit toujours empêcher la vision, qu'en un mot, il est
toujours incompréhensible que des rayons qui se croisent, arrivent à
nos yeux dans leur ordre; mais ce scrupule sera bien-tôt levé, si vous
considerez que toute partie de matiere a plus de pores incomparablement
que de substance. Un rayon du Soleil, qui a plus de trente millions de
lieues en longueur, n'a pas probablement un pied de matiere solide mise
bout à bout. Il seroit donc très-possible qu'un rayon passât à travers
d'un autre en cette maniere, sans rien déranger.
[Illustration]
Mais ce n'est pas seulement ainsi qu'ils passent, c'est l'un par-dessus
l'autre comme deux bâtons. Mais direz-vous, des rayons émanez d'un
centre n'aboutiroient pas précisément, & en rigueur Mathématique, à la
même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s'en faudra toujours un
infiniment petit. Mais deux hommes ne verroient pas les mêmes points du
même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui
regarderont une superficie, il n'y en aura pas deux qui verront les
mêmes points.
Il faut avouer que dans le plein de Descartes, cette intersection de
rayons est impossible; mais tout est également impossible dans le
plein, & il n'y a aucun mouvement, tel qu'il soit, qui ne suppose & ne
prouve le vuide.
[Erreur de Mallebranche.]
Mallebranche vient à son tour & vous dit: _Il est vrai que Descartes
s'est trompé. Son tournoyement de globules, n'est pas soutenable; mais
ce ne sont pas des globules de lumiere, ce sont des petits tourbillons
tournoyans de matiere subtile, capables de compression, qui sont la
cause des couleurs; & les couleurs consistent comme les sons dans
des vibrations de pression._ Et il ajoute: _Il me parait impossible
de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations_,
c'est-à-dire, des couleurs. Vous remarquerez qu'il parloit ainsi
dans l'Académie des Sciences en 1699. & que l'on avoit déja découvert
ces proportions en 1675; non pas proportions de vibration de petits
tourbillons qui n'existent point, mais proportions de la réfrangibilité
des rayons qui font les couleurs, comme nous le dirons bien-tôt. Ce
qu'il croioit impossible étoit déja démontré, &, qui plus est, démontré
aux yeux, reconnu vrai par les sens, ce qui auroit bien déplu au Pere
Mallebranche.
D'autres Philosophes sentant le faible de ces suppositions, vous disent
au moins avec plus de vraisemblance: _Les couleurs viennent du plus
ou du moins de rayons réflechis des corps colorez. Le blanc est celui
qui en réflechit davantage; le noir est celui qui en réflechit le
moins. Les couleurs les plus brillantes seront donc celles qui vous
apporteront plus de rayons. Le rouge, par exemple, qui fatigue un peu
la vûe, doit être composé de plus de rayons, que le verd qui la repose
davantage._ Cette Hypothèse parait d'abord plus sensée; mais elle
n'est qu'une conjecture (d'ailleurs très-incomplette & erronée), & une
conjecture n'est qu'une raison de plus pour chercher, & non pas une
raison pour croire.
[Expérience & démonstration de Neuton.]
Addressez-vous enfin à Neuton. Il vous dira ne m'en croyez pas: n'en
croyez que vos yeux & les Mathématiques: mettez-vous dans une chambre
tout-à-fait obscure, où le jour n'entre que par un trou extrêmement
petit; le rayon de la lumiere viendra sur du papier vous donner la
couleur de la blancheur.
Exposez transversalement à un rayon de lumiere ce prisme de verre;
ensuite mettez à une distance d'environ seize ou dix-sept pieds une
feuille de papier P. vis-à-vis ce prisme.
[Illustration]
Vous savez déja que la lumiere se brise en entrant de l'air dans ce
prisme; vous savez qu'elle se brise, en sens contraire, en sortant de
ce prisme dans l'air. Si elle ne se brisoit pas ainsi, elle iroit de
ce trou tomber sur le plancher de la chambre Z. Mais comme il faut que
la lumiere, en s'échappant, s'éloigne de la ligne Z. cette lumiere
ira donc frapper le papier. C'est-là que se voit tout le secret de la
lumiere & des couleurs. Ce rayon qui est tombé sur ce prisme n'est pas,
comme on croioit, un simple rayon; c'est un faisceau de sept principaux
faisceaux de rayons, dont chacun porte en soi une couleur primitive,
primordiale, qui lui est propre. Des mêlanges de ces sept rayons
naissent toutes les couleurs de la Nature; & les sept réunis ensemble,
réflechis ensemble de dessus un objet, forment la blancheur.
Approfondissez cet artifice admirable. Nous avions déja insinué que
les rayons de la lumiere ne se réfractent pas, ne se brisent pas tous
également; ce qui se passe ici en est aux yeux une démonstration
évidente. Ces sept rayons de lumiere échappez du corps de ce rayon,
qui s'est anatomisé au sortir du prisme, viennent se placer, chacun
dans leur ordre, sur ce papier blanc, chaque rayon occupant une
ovale. Le rayon qui a le moins de force pour suivre son chemin, le
moins de roideur, le moins de matiere, s'écarte plus dans l'air de la
perpendiculaire du prisme. Celui qui est le plus fort, le plus dense,
le plus vigoureux, s'en écarte le moins. Voyez-vous ces sept rayons qui
viennent se briser les uns au-dessus des autres?
[Illustration]
Chacun d'eux peint sur ce papier la couleur primitive qu'il porte en
lui-même. Le premier rayon, qui s'écarte le moins de cette perpendicule
du prisme, est couleur de feu; le second orangé; le troisième jaune;
le quatrième verd; le cinquième bleu; le sixième indigo. Enfin celui
qui s'écarte davantage de la perpendicule, & qui s'éleve le dernier
au-dessus des autres, est le violet.
[Anatomie de la lumiere.]
Un seul faisceau de lumiere, qui auparavant faisoit la couleur blanche,
est donc un composé de sept faisceaux qui ont chacun leur couleur.
L'assemblage de sept rayons primordiaux fait donc le blanc.
Si vous en doutez encore, prenez un des verres lenticulaires de
lunette, qui rassemblent tous les rayons à leur foyer: exposez ce verre
au trou par lequel entre la lumiere; vous ne verrez jamais à ce foyer
qu'un rond de blancheur. Exposez ce même verre au point, où il pourra
rassembler tous les sept rayons partis du prisme:
[Illustration]
Il réunit, comme vous le voyez, ces sept rayons dans son foyer. La
couleur de ces sept rayons réunis est blanche; donc il est démontré
que la couleur de tous les rayons réunis est la blancheur. Le noir par
conséquent sera le corps, qui ne réflechira point de rayons.
[Couleurs dans les rayons primitifs.]
Car, lorsqu'à l'aide du prisme vous avez séparé un de ces rayons
primitifs, exposez-le à un miroir, à un verre ardent, à un autre
prisme, jamais il ne changera de couleur, jamais il ne se séparera en
d'autres rayons. Porter en soi une telle couleur est son essence, rien
ne peut plus l'altérer; & pour surabondance de preuve, prenez des
fils de soye de différentes couleurs; exposez un fil de soye bleue,
par exemple, au rayon rouge, cette soye deviendra rouge. Mettez-la au
rayon jaune, elle deviendra jaune: ainsi du reste. Enfin ni réfraction,
ni réflexion, ni aucun moyen imaginable, ne peut changer ce rayon
primitif, semblable à l'or que le creuset a éprouvé, & encore plus
inaltérable.
[Vaines objections contre ces découvertes.]
Cette propriété de la lumiere, cette inégalité dans les réfractions de
ses rayons, est appellée par Neuton réfrangibilité. On s'est d'abord
révolté contre le fait, & on l'a nié long-tems, parce que Mr. Mariote
avoit manqué en France les expériences de Neuton. On aima mieux dire
que Neuton s'étoit vanté d'avoir vu ce qu'il n'avoit point vu, que
de penser que Mariote ne s'y étoit pas bien pris pour voir, & qu'il
n'avoit pas été assez heureux dans le choix des prismes qu'il employa.
Ensuite même, lorsque ces expériences ont été bien faites, & que la
vérité s'est montrée à nos yeux, le préjugé a subsisté encore au point,
que dans plusieurs Journaux & dans plusieurs Livres faits depuis
l'année 1730. on nie hardiment ces mêmes expériences, que cependant
on fait dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'après la découverte de
la circulation du sang, on soutenoit encore des Thèses contre cette
vérité, & qu'on vouloit même rendre ridicules ceux qui expliquoient la
découverte nouvelle en les appelant _Circulateurs_.
Enfin, quand on a été obligé de céder à l'évidence, on ne s'est pas
rendu encore: on a vu le fait, & on a chicané sur l'expression: on
s'est révolté contre le terme de réfrangibilité, aussi-bien que contre
celui d'attraction, de gravitation. Eh qu'importe le terme, pourvû
qu'il indique une vérité? Quand Christofle Colomb découvrit l'isle
Hispaniola, ne pouvoit-il pas lui imposer le nom qu'il vouloit? Et
n'appartient-il pas aux Inventeurs de nommer ce qu'ils créent, ou
ce qu'ils découvrent? On s'est récrié, on a écrit, contre des mots
que Neuton employe avec la précaution la plus sage pour prévenir des
erreurs.
[Critiques encore plus vaines.]
Il appelle ces rayons, rouges, jaunes, &c. des rayons _rubrifiques_,
_jaunifiques_, c'est-à-dire, excitant la sensation de rouge, de jaune.
Il vouloit par-là fermer la bouche à quiconque auroit l'ignorance, ou
la mauvaise foi, de lui imputer qu'il croioit comme Aristote, que les
couleurs sont dans les choses mêmes, dans ces rayons jaunes & rouges,
& non dans notre ame. Il avoit raison de craindre cette accusation.
J'ai trouvé des hommes, d'ailleurs respectables, qui m'ont assûré que
Neuton étoit Péripatéticien, qu'il pensoit que les rayons sont colorez
en effet eux-mêmes, comme on pensoit autrefois que le feu étoit chaud;
mais ces mêmes Critiques m'ont assûré aussi que Neuton étoit Athée. Il
est vrai qu'ils n'avoient pas lu son Livre, mais ils en avoient entendu
parler à des gens qui avoient écrit contre ses expériences, sans les
avoir vues.
Ce qu'on écrivit d'abord de plus doux contre Neuton, c'est que son
Systême est une Hypothèse; mais qu'est-ce qu'une hypothèse? Une
supposition. En vérité, peut-on appeller du nom de supposition,
des faits tant de fois démontrez? Est-ce par amour propre qu'on
veut absolument avoir l'honneur d'écrire contre un grand Homme?
Mais ne devroit-on pas être plus flatté d'en être le Disciple, que
l'Adversaire? Est-ce parce qu'on est né en France qu'on rougit de
recevoir la vérité des mains d'un Anglais? Ce sentiment seroit bien
indigne d'un Philosophe. Il n'y a, pour quiconque pense, ni Français,
ni Anglais: celui qui nous instruit est notre compatriote.
[Illustration]


[Illustration]
CHAPITRE NEUV.
_Où l'on indique la cause de la réfrangibilité, & où l'on trouve par
cette cause, qu'il y a des Corps indivisibles en Physique._

[Différences entre les rayons de la lumiere.]
CETTE réfrangibilité, que nous venons de voir, étant attachée à la
réfraction, doit avoir sa source dans le même principe. La même cause
doit présider au jeu de tous ces ressorts: c'est-là l'ordre de la
Nature. Tous les Végétaux se nourrissent par les mêmes loix; tous les
Animaux ont les mêmes principes de vie. Quelque chose qui arrive aux
corps en mouvement, les loix du mouvement sont invariables. Nous avons
déja vu que la réflection, la réfraction, l'inflexion de la lumiere,
sont les effets d'un pouvoir qui n'est point l'impulsion (au moins
connue): ce même pouvoir se fait sentir dans la réfrangibilité; ces
rayons, qui s'écartent à des distances différentes, nous avertissent
que le milieu, dans lequel ils passent, agit sur eux inégalement. Un
faisceau de rayons est attiré dans le verre, mais ce faisceau de rayons
est composé de masses inégales. Ces masses obéïssent donc inégalement à
ce pouvoir par lequel le milieu agit sur elles. Le trait de lumiere le
plus solide, le plus compact, doit résister le plus à ce pouvoir, doit
être moins détourné de sa route, doit être le moins réfrangible. C'est
ce que l'expérience confirme dans tous les milieux, & dans tous les
cas. Le rayon rouge est toujours celui qui se détourne le moins de son
chemin; le rayon violet est toujours celui qui s'en détourne le plus.
Aussi le rayon rouge a-t-il le plus de substance, est-il le plus dur,
le plus brillant, & fatigue-t-il la vûe davantage. Le violet qui de
tous les rayons colorez repose le plus la vûe est le plus réfrangible,
& par conséquent est composé de parties plus fines & moins gravitantes;
& ne croyez pas que ce soit ici une simple conjecture, & qu'on devine
au hazard, que la lumiere a de la pesanteur, & qu'un rayon pese plus
qu'un autre.
[La lumiere est pesante.]
Des expériences, faites par les mains les plus exercées & les plus
habiles, nous apprennent que plusieurs corps acquiérent du poids après
avoir été long-tems imbibez de lumiere. Les particules de feu qui ont
pénétré leur substance l'ont augmentée. Mais quand on révoqueroit en
doute ces expériences, le feu est une matiere; donc il pese, & la
lumiere n'est autre chose que du feu.
Il est évident qu'un rayon blanc pese tous les rayons qui le composent.
Or supposez, un moment, que ces rayons s'écartent tous également l'un
de l'autre, alors il est évident, en ce cas, que le rayon rouge, étant
sept fois moins réfrangible que le rayon violet, doit avoir sept fois
plus de masse, & sept fois plus de poids, que le rayon violet. Ainsi
le rayon rouge pesant comme sept; l'orangé supposé ici, comme six: le
jaune supposé, comme cinq: le verd, comme quatre: le bleu, comme trois:
le pourpre indigo, comme deux, & le violet, comme un: la somme de tous
ces poids étant vingt-huit, & le blanc étant l'assemblage de tous ces
poids, il est démontré qu'un rayon blanc, dans la supposition de ce
calcul, pese vingt-huit fois autant qu'un rayon violet; &, quel que
soit le calcul, il est évident que le rayon blanc pese beaucoup plus
qu'aucun autre rayon, puisqu'il les pese tous ensemble.
Nous avons déja vu quelle doit être la petitesse prodigieuse de ces
rayons de lumiere, contenant en eux toutes les couleurs, qui viennent
du Soleil pénétrer un pore de diamant. Une foule de rayons passe dans
ce pore, & vient se réunir près de la surface intérieure d'une facette.
De cette foule de traits de lumiere qui occupe un si petit espace,
il n'y en a aucun qui ne contienne sept traits primordiaux. Chacun
de ces traits est encore lui-même un faisceau de traits teints de sa
couleur. Le rayon rouge est un assemblage d'un très-grand nombre de
rayons rouges. Le violet est un assemblage de rayons violets. Si donc
ce faisceau violet pese vingt-huit fois moins qu'un faisceau blanc, que
sera-ce qu'un seul des traits de ce faisceau?
[Atomes dont la lumiere est composée.]
[Les principes des corps sont des atomes.]
Considérons un de ces traits simples, qui différe d'un autre trait:
par exemple, le plus mince trait rouge différe en tout du plus mince
trait violet. Il faut que ses parties solides soient autant d'atomes
parfaitement durs, lesquels composent son être. En effet, si les corps
n'étoient pas composés de parties solides, dures, indivisibles, de
véritables atomes: comment les espèces des corps pourroient-elles
rester éternellement les mêmes? Qui mettroit entre elles une différence
si constante? Ne faut-il pas que les parties qui font leur essence,
soient assez dures, assez solides, assez unes, pour être toujours ce
qu'elles sont? Car comment est-ce que dans le germe d'un grain de bled
seroient contenus tant de grains de bled, & rien autre chose, si la
configuration des petites parties n'étoit pas toujours la même, si elle
n'étoit pas toujours solide, indivisible: ce qui ne veut dire autre
chose que toujours indivisée? Dans l'œuf d'une mouche se trouvent
des mouches à l'infini; mais si ces petites parties qui contiennent
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